Beatriz n’a jamais compris ce délire d’attendre la tombée de la nuit pour aller cambrioler quelque chose. Tout le monde s’y attend, c’est cliché, on ne peut pas porter ce qu’on veut, et ça manque d’imagination. C’est une de ses anciennes alliées de prison lui a donné l’adresse de cette boutique de bijoux, un butin digne de la faveur qu’elle lui a accordée lorsque la zouwu a eu besoin d’un réseau sûr après son évasion de Blackwater. C’est presque devenu une seconde nature, de voler. Non pas qu’elle en soit fière, mais Bea ne fait pas partie des privilégiés qui peuvent obtenir un prêt ou s’adresser à sa famille. Elle a peu d’amis de confiance, et la famille qui lui reste lui est étrangère, ou bien coincée à des milliers de kilomètres. L’échange de biens et services ; c’est comme ça que ça marche depuis bien longtemps, alors autant rendre ça sympa. Pas de noir pour la funambule qui s’est contentée d’une veste en jean et d’une mini robe en satin couleur pêche, elle a même fait un signe de la main assuré au boulanger lorsqu’elle a crocheté la serrure du rideau de fer de la boutique. Si tu te comportes comme si tu avais ta place, alors les autres ne remettront jamais en question ta présence. Un conseil précieux qui aurait eu plus de poids s’il lui était venu de quelqu’un d’autre que de la doyenne de leur section à Blackwater, mais néanmoins. Quoi qu’il en soit, hors de question de passer par l’arrière boutique, ça lui aurait fait perdre trop de temps et c’est tout de même moins excitant.

Avec ses cheveux dénoués et flous et son eye-liner brouillé, on dirait presque qu’elle rentre chez elle après une nuit dehors dans le cœur battant de la ville. De fait, elle n’a pas beaucoup dormi, mais rien à voir avec l’offre nocturne de divertissement de l’Arizona. La première chose qu’elle remarque, c’est à quel point l’endroit est ordonné. Arrangé avec goût, clairement pas une échoppe de bricoles clinquantes, mais une vraie galerie de beauté ; c’est presque dommage qu’elle doive y mettre son grain de sel. En grimpant sur les poutres et s’aidant de ses compétences de gymnase, elle atteint sans mal le contrôle des caméras de sécurité, immédiatement incapacitées, et démagnétise l’alarme à l’entrée à cause d’un pendule offert par Augustina, dans ce qui semble être une autre vie. La zouwu sait qu’elle aurait dû faire attention, ne pas se reposer sur ses lauriers, mais elle a du mal à considérer quoi que ce soit comme grave, dernièrement. C’est peut-être pour ça qu’elle ne sursaute pas lorsqu’elle se fait prendre la main dans le sac par la propriétaire en avance sur ses horaires habituels ; un excès d’arrogance. Elle cille néanmoins en reconnaissant une voix familière, sans pour autant laisser tomber le collier qu’elle a dans les mains et qui s’apprêtait à retrouver ses petits camarades dans la besace en cuir. « Pas exactement » avoue-t-elle mi-contrite mi-amusée. Elle est certes en bons termes avec Dakota, mais la taille du bénéfice du doute qu’elle lui offre est digne d’une sainte.  Beatriz n’a aucune envie d’en tirer profit. « C’est une longue histoire qui, pour sûr te fera beaucoup rire » commence t-elle en laissant délicatement retomber le collier sur son présentoir « mais avant de te la raconter, laisse moi dire que ton système de sécurité laisse fortement à désirer » C’est un peu audacieux, borderline gonflé, mais l’oeil taquin de Beatriz atteste de sa bienveillance. C’est une erreur honnête. Elle sait qu’elle va devoir abandonner ce coup, elle ne peut pas faire ça maintenant qu’elle sait à qui appartient la boutique, songe t-elle alors que les éclats de rire et mouvements de danse de Dakota défilent devant ses yeux en technicolor.
   

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Personne n’est naïf, ici. Dakota a très bien compris ce qui se trame, et certainement que la seule chose qui l’empêche d’appeler la police immédiatement est l’absolu culot de sa compagne de fête, et peut-être les séances de karaoké, aussi. Après tout, personne ne chante Shakira comme Bea.

Alors que cette dernière s’adosse à un pilier en bois, non loin de la vitrine entrouverte dans laquelle elle a reposé innocemment le collier qu’elle avait dans les mains, elle écoute Dakota lister les précautions faillibles qu’elle avait pris pour sécuriser la boutique. Beatriz est presque gênée pour elle, elle voudrait lui dire – c’est pas toi, c’est moi, je suis trop douée dans ce que je fais et t’en fais les frais – mais ce serait culotté au-delà de la patience de la bijoutière, sûrement. « Ecoute, c’est si gentiment offert… Ton employée ne devrait pas arriver tout de suite, on a bien le temps de prendre un café. » La zouwu évite le regard de son amie, préférant éviter de dévoiler les mesures prises pour retarder la dénommée Christie, qui à l’heure actuelle doit fulminer en attendant la dépanneuse.  « Je dirais pas non à un doigt de cognac dedans, si c’est pas trop demander » Tout ça est trop demander, évidemment. Mais Beatriz a du mal à ne pas s’en amuser. « Moi ce que je préfère me dire, c’est que c’est le destin qui nous réunit. Il n’y a pas de cambriolage ou de victime, juste deux potes qui se retrouvent dans des situations incongrues. Et c’est peut-être ça, la beauté de la vie, tu ne crois pas ? » Sans attendre une réponse, elle flotte presque jusqu’à l’arrière du comptoir, laissant reposer ses coudes sur le bois et son visage dans ses mains, l’innocence incarnée, sibylline jusqu’à la moëlle.

La funambule n’a pas vraiment pris le temps de s’émerveiller sur les lieux à son arrivée – tout investie de sa vilaine mission qu’elle était – mais à présent, elle regarde autour d’elle avec un air admiratif. Impressionnant, ce que Kota avait accompli par elle-même. Ça lui donnerait presque envie de se renseigner avant de frapper une cible, la prochaine fois, mais elle sait qu’il ne vaut mieux pas. Quand on vole pour s’offrir une vie, on ne peut pas vraiment se permettre d’avoir une éthique – ça veut pas dire que les gens honnêtes ont tort, c’est juste que c’est la loi du plus fort.
   

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