RHEALIX II ϟ the renegades who never run

the renegades who never run “Despite all of my ranting and raging so Here's to the ones Who hide the bullet from the gun Foot down on all my bullshit but won't cage me in”

   

   

Elle a l’air con à fixer son ventre plat dans le miroir, là.

Alix et elle n’en ont jamais vraiment parlé, et c’est pire parce que ça fait deux mois et qu’elle ne se rappelle pas avoir ressenti quoi que ce soit. Il y a bien une ou deux fois où elle a dû aller vomir ses tripes le matin, mais elle a mis ça sur le compte des verres de la veille, et maintenant elle en est malade rien que d’y penser. Elle a pas prévu ça, Rhea. Pas prête à entendre l’interne lui annoncer la nouvelle entre le fromage et le dessert, alors qu’elle est venue pour une petite blessure par balle et qu’elle repart avec une bombe à retardement.

La dragonne n’a pas décroché un mot depuis qu’elle est rentrée, elle se contente de se fixer dans le miroir, essayant de détecter les signes invisibles. Tu parles d’une détective, infoutue de savoir ce qui se passe dans son propre corps. Infoutue aussi de savoir ce qui se passe dans son crâne, de savoir ce qu’elle pense du petit bout d’Alix et d’elle qui est en train de grandir, lentement mais sûrement, dans ses entrailles. Avant de le rencontrer, c’est typiquement le genre de trucs qu’elle aurait gardé pour elle, qu’elle aurait géré de son côté ; mais c’est différent, maintenant. Aussi inattendue que salvatrice, leur histoire mérite mieux que ça.

Elle se dit aussi que c’est injuste, de se creuser la tête pour trouver une manière de lui dire. Sa découverte à elle n’a rien eu de spécial, un peu de sang dans une éprouvette et une annonce désintéressée en blouse blanche. Elle pourrait lui faire à dîner, elle a vu ça dans les films, mais Rhea ne cuisine pas et puis de toute manière ça suggère une bonne surprise, quelque chose d’heureux, et elle n’est pas encore sûre de ce que ça veut dire pour eux. Elle pourrait lui balancer pareil, sans reprendre son souffle et lui refiler la grenade dégoupillée, mais ça manque un peu de délicatesse. Comment prévoir un décor quand on ne sait pas le sens qu’on veut lui donner? Une heure plus tard, elle a rapidement enfilé un pull trop large, comme pour cacher cet abdomen protubérant qu’on ne saurait voir, et donné rendez-vous au triton dans le Bayou. Là, genoux repliés sous son gigantesque pull, elle le voit arriver. Mon royaume pour une clope, bordel. Quand il la prend dans ses bras, elle tressaille. Avec tout ça, elle a presque oublié les sutures sur son épaule. « T’inquiète, c’est rien » la détective marmonne dans un souffle. C’est rien, une balafre, une ecchymose de plus, pas encore l’estocade. Le vrai dégât, c’est ce qui se passe à l’intérieur de moi.
   

   

CODAGE PAR AMATIS
   

La moto cesse sa pétarade en s'arrêtant au pied de l'endroit habituel, une petite colline à l'orée de la forêt du Bayou. Depuis le sommet un peu rocheux, on a une jolie vue sur le reste du quartier et la quiétude de l'endroit, de paire avec la grande majorité des souvenirs d'Alix qui y sont liés, apporte à l'homme qui déchausse son casque un sentiment de paix immédiat. Il sourit en levant le bras pour faire signe à la silhouette qu'il voit d'ici, assise sur un rochet plat, tout en haut. Quand il a vu son message, d'abord il a eu un peu peur parce que l'affaire d'aujourd'hui était dangereuse et qu'il angoisse toujours à l'idée qu'un jour sur deux, l'ancienne policière puisse revenir avec une ou deux balles dans le corps, voire ne pas revenir du tout. Mais Alix est un anxieux, c'est comme ça. Et tout a l'air d'aller bien.
Gravissant finalement le chemin à flanc du refuge que Rhea lui a fait découvrir quelques années auparavant, il tâche de ne pas secouer le sac en plastique qu'il trimballe avec lui depuis le restaurant dans lequel il a pris à emporter avant de rejoindre Rhea. La connaissant, elle n'a sûrement pas mangé en rentrant du travail.
En une poignée de seconde, il la rejoint et s'installe avec précaution sur le petit promontoire, avant de passer un bras autour de ses épaules. « Salut toi, dit-il en approchant pour déposer un baiser dans ses cheveux. »
Il se fige, pourtant, avant de l'avoir atteinte : ce tressaillement n'était pas dû au froid, parce qu'il ne fait pas froid. Il lui a fait mal et le constat immédiat le fait reculer dans un petit sursaut désolé. « Qu'est-ce que...
– T’inquiète, c’est rien.
– Non, ce n'est pas rien, répond-il en fronçant les sourcils. Quelle épaule ? »
Même si c'est superficiel, autant le savoir pour faire attention. La précision est donnée et Alix s'applique à esquiver la blessure en repassant délicatement son bras autour de la jeune femme, puis il penche la tête, cherche à croiser le regard qu'elle semble inexplicablement lui dérober. Aussitôt, il s'inquiète. « Tu es allée à l'hôpital ? Tu aurais pu m'appeler. »
La voix est douce, dénuée de tout reproche. Rhea sait qu'elle aurait pu l'appeler exactement comme il sait qu'elle n'en avait pas besoin, sinon elle l'aurait fait. Peut-être, songe-t-il avec un petit sourire, anticipant une réponse peut-être un poil agacée, parce qu'elle n'aime pas qu'il la materne. À ce stade, il ne le fait plus que pour la taquiner, mais peut-être que ce n'est pas tout à fait à propos. La dragonne n'a vraiment pas l'air dans son assiette, et ça le préoccupe un peu, bien qu'il n'ait pas l'intention de la brusquer pour en apprendre davantage. « Est-ce que tu as envie d'en parler ? demande-t-il d'une voix douce en passant sa main dans son dos pour essayer d'attirer son attention. Sinon, j'ai apporté à manger. »
Il annonce-t-il en saisissant le sac qu'il laisse se balancer au bout de sa main, devant eux, avec un petit sourire. « Ou on peut aussi en parler en mangeant, ajoute-t-il en haussant une épaule, puisqu'il vaut mieux envisager toutes les options. Si tu as faim. Sinon ça en fera plus pour moi. »

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C’est Alix qui a débloqué la douceur en elle, à force de chercher, à force de convaincre sans la moindre persuasion. Rhea, dure comme le roc, jamais besoin de personne, merci mais non merci, jamais à la merci des autres. Mais il a été doux alors par mimétisme elle l’a été aussi, parce qu’elle n’a pas gerbé quand il a pleuré dans ses bras, une nuit, alors elle s’est mise à pleurer aussi. Et à sourire, à sourire pour de vrai. Et ça, c’est quand même pas banal : c’est ce qui les a amenés jusqu’ici. « Gauche, mais c’est rien, promis, une pauvre balle perdue qui a éraflé un peu fort » Elle lui explique vaguement les circonstances de la blessure, parce qu’elle sait que ça le rassure, et que si elle ne peut pas vraiment parler boulot, elle peut au moins parler de ce qu’elle ramène à la maison. Une embuscade qu’ils ont tenu avec un indic pour chopper un groupe de trafiquants de drogue ; une blessure évitable si sa coéquipière l’avait véritablement couverte mais la dragonne n’a pas exactement suivi le protocole, raconte-t-elle sous les yeux faussement ébahis d’Alix, et de toute façon ils la traitent bizarrement depuis qu’ils ont compris qu’elle est surnaturelle.

Le triton caresse son dos et étrangement, ça la traverse jusqu’au ventre, comme un sujet impossible à éviter – ou alors la faim qui la tenaille. « Ouais je crève la dalle, t’as pris chez Chef Jin ? » La réponse est marquée en gros en gras en rouge sur le sac en plastique qu’il lui tend mais pour une fois ça lui fait du bien de lancer des banalités, des questions cons, comme une sorte de préliminaire, l’entrée avant le dessert. Rhea mord avec détermination dans un ravioli vapeur et les gargouillis de son estomac se mêlent au soupir de contentement qui s’échappe de ses lèvres. « Promis, à un moment je vais te demander si t’as passé une bonne journée et tout ça. Mais avant, faut que je te dise ce que l’interne à l’hôpital m’a raconté. » La formulation est bancale, ça commence comme une mauvaise blague mais tout plutôt que ‘faut qu’on parle’ non ? Et puis, elle va pas lui balancer comme ça sans la moindre miette de contexte, avec un peu de chance elle en sera arrivée aux nouilles sautées avant que la conversation sérieuse ne commence et qu’elle ne doive s’arrêter d’aspirer sa nourriture comme un animal affamé.
   

   

CODAGE PAR AMATIS