All you have is your fire, and the place you need to reach ♛ ft. Amaranta

Cinder était presque satisfaite, aujourd’hui. Presque parce qu’elle ne l’était jamais vraiment - même si elle se prétendait l’être d’elle-même, elle ne le serait plus tant qu’elle n’aurait pas effacé ce goût de défaite de l’arrière de sa gorge depuis qu’elle avait dû fuir l’Italie, tant qu’elle n’aurait pas vaincu et réduit en cendre ses ennemis.

Mais c’était bien ce qu’il y avait, aujourd’hui, ce qui mettait Cinder de particulièrement bonne humeur. Ses plans avançaient, doucement certes mais elle avait encore du temps devant elle, après tout. Sa collection de pions se complétait, même si certains étaient encore trop indépendants ou trop imprévisibles ; même si l’un d’eux allumait une flamme étrange au fond de son esprit, elle ne voulait pas se l’avouer, ça n’était pas important. Ils étaient là, dans le creux de sa main, et bientôt ils feraient leur premier pas, bientôt il changerait de case et traverserait le terrain pour prendre la reine et le roi adverse.

Oui, bientôt, Dizzalyr tomberait.

Et Cinder devrait prévenir celle qui était son plus précieux instrument, une de ses pièces les plus puissantes, son atout dans le jeu. Celle qui portait son sang, ses espoirs et sa vengeance, celle qui n’avait pour but que d’être la plus parfaite des armes : sa prodigue dragonne, sa propre fille, Amaranta.

La jeune femme devait être tenue au courant de ses plans afin de les éxecuter au mieux, de sortir triompheuse des combats qu’elle devait mener pour sa mère. Elle faisait déjà un travail remarquable, à la fois auprès de la Gold Factory où elle pouvait glaner toujours plus d’informations (et d’alliés !) sur la puissance des dragons alentours, mais également au marché noir. Bien sûr, la sorcière était au courant des activités illégales de sa progéniture. Elle-même donnait bien souvent des activités peu reluisantes à faire à Daeva, la piètre sœur née au côté de la dragonne mais qui avait eu le mauvais goût de venir au monde avec un gène différent. Daeva, cependant, ne fréquentait pas les mêmes cercles que sa jumelle et surtout, pas au même niveau. Elle n’était pas faite pour le pouvoir comme celle-ci.

C’est pour cela que Cinder n’allait pas mettre la sorcière au courant. Amaranta était la seule qui méritait d’entendre ce que la marâtre avait à dire. Daeva n’avait qu’à suivre les ordres précis qu’on lui donnait, si elle était au moins capable de ça, elle n’avait pas à comprendre le pourquoi ou à voir les choses en plus grand comme sa sœur et sa mère.

La dragonne de lave venait donc seule au bureau de sa mère, ce soir-là, qui allait lui révéler la suite de ce qu’elles allaient mettre en place, et de comment elles allaient faire ça.

Cinder était occupée à écrire une quelconque lettre qui n’avait pas grande importance, qu’elle finirait plus tard pour la soirée pour conserver quelque amitié de plus. Elle aurait pu faire ça sur l’ordinateur blanc dernier cri qui trônait sur le meuble en bois, mais elle préférait toujours le papier aux mails et autres messages électroniques. Déjà, elle n’avait pas connu ça dans sa jeunesse et gardait une part austère et hautaine envers les constructions des humains ; mais elle avait appris à s’en servir tout de même, admettant qu’il pouvait s’agir d’atout considérable. Seulement, c’était également bourré de faiblesse et elle préférait la sûreté d’une lettre scellée magiquement. Certaines habitudes ne changeaient pas et la brune, comme toujours, était particulièrement précautionneuse.

-Tu peux rentrer, Amaranta, répondit-elle sans penser un seul instant qu’il aurait pu s’agir de quelqu’un d’autre.

La manière de toquer de la dragonne était reconnaissable, de toute façon - elle était à son image, forte et sûre d’elle. Quand elle se fut exécutée, Cinder leva finalement les yeux de son bureau et sourit à celle qui, indéniablement, était sa fille préférée.

-Ferme la porte derrière toi. Nous devons discuter de sujets importants, aujourd’hui, mon enfant.

Et le reste du monde n’est pas prêt pour eux.Pas encore, du moins...

Amaranta rentra dans la pièce, comme sa mère le lui avait demandé, et Cinder l’observa. Elle était satisfaite de la belle femme volontaire que sa fille était devenue. Une pose confiante, de long cheveux d’ébène, des traits délicats et enchanteur mais il ne fallait pas s’y tromper ; tout comme celle qui l’avait mise au monde, la beauté du visage de la dragonne ne cachait que de la noirceur. Elle était dangereuse, la sorcière y avait veillé. Parce qu’avec ses lèvres rouge sang et son port de tête altier, il y avait aussi le corps musclé d’une guerrière et surtout, des pouvoirs très puissants. Ça aurait été du gâchis, de ne pas entraîner une enfant avec tant de potentiel, de ne pas les utiliser assez comme Angelo qui ne s’en servait que rarement. Il avait toujours préféré régler les choses plus politiquement, diplomatiquement - et voilà où ça l’avait mené. Il était mort pendant la guerre, mais au moins il avait légué son don à l’une de ses filles et c’était cela qui importait.

Il était hors de question pour la sorcière de laisser filer une telle opportunité d’utiliser de tels pouvoirs à bon escient.

C’est pour cela qu’elle avait toujours payé les meilleurs maîtres dragons à sa fille, sans lésiner sur les prix ; ils pouvaient se le permettre, de toute manière. Elle n’avait pas eu autant d’attention pour sa jumelle, Daeva, et lui avait appris la magie elle-même. En la matière, elle était la meilleure professeure possible, après tout. Pourtant, ça ne suffisait toujours pas à combler le gouffre de puissance évident qui s’établissait entre leurs deux races. Alors, Daeva avait beau exceller dans son domaine (encore que, Cinder trouvait toujours quelque chose à y redire), ça n’était pas assez pour rattraper sa sœur. Et ça ne le serait jamais.

Et tant que ce serait le cas, sa matrone ne l'inviterait pas pour discuter de ses plans comme elle le faisait avec Amaranta.

La brune était satisfaite de ceux-ci, également. Tout semblait finalement se mettre en place, petit à petit. S’il lui manquait encore quelques pions, elle avait déjà une collection remarquable qu’il ne fallait pas sous-estimer, et qui continuait de s’agrandir de jour en jour. Le moment de vaincre ses ennemis approchaient, et Cinder avait beau l’enfouir au plus profond d’elle, son esprit bouillait d’impatience, tel un volcan avant son éruption. Elle voulait revoir Dizzalyr. Elle voulait la voir disparaître pour de bon, récupérer ses enfants et voler son immortalité. Elle voulait ses pouvoirs, son pouvoir sur le monde et sa place de reine. Sauf que la sienne serait absolue et incontestée - car qui serait assez fou pour la défier, comme elle avait défié la djinn ?

Et elle n’avait pas tout le temps du monde pour s’emparer de tout ça. Pas encore, en tout cas.

Le sablier immatériel de sa vie s’écoulait un peu plus à chaque seconde, elle ne le sentait pas mais elle le savait. Et quelque part, ne pas savoir quand elle serait complètement dénuée de pouvoirs était terrifiant, même si Cinder n'avouerait jamais d’être terrifié par quelque chose ; et puis, elle était trop confiante pour que cela l’arrête. Elle devait se mettre en mouvement avant, voilà tout. Pas besoin d’attendre le quatrième niveau d’Amaranta.

-Tout d’abord, sache que Cain lui-même m’a contacté pour une entrevue avec moi.

Elle ne dissimulait pas son intérêt, ni son orgueil. Elle avait été reconnue par quelqu’un d’important ; et Cinder aimait être reconnu à sa juste valeur. Ou du moins à une valeur importante, parce que personne ne la croyait assez capable, personne ne la pensait comme ça. Exceptée peut-être Dizzalyr. Mais c’était du passé, maintenant, et à son tour celle-ci l’avait sous-estimée. Et elle allait en payer le prix.

-Ce sont les crânes de pouvoirs qui l'intéressent. Si nous réussissons à mettre la main sur l’un deux, que ce soit par son biais ou non, nous serons peut-être en mesure d’en tirer quelque chose et de trouver une nouvelle arme contre… nos ennemis.

Après toutes ses années, elle avait du mal à prononcer son nom sans frissonner. De haine, peut-être un peu de peur aussi, et sans doute d’autre chose qu’elle ne s’était jamais avoué. Mais la djinn lui inspirait toujours trop de sentiments que Cinder ne demandait qu’à laisser exploser une fois qu’elle serait face à elle, une fois qu’elle pourrait la tuer.

-Cependant, nous n’allons pas nous ranger de manière officielle du côté de l’Ordre. Je tiens à garder des contacts cordiaux avec les Stonegold, cela peut toujours être utile. Et pas seulement eux.

Amaranta n’ignorait rien de la relation presque amicale de sa mère avec Fadila, l’une des sorcières qui siégeait au Conseil de la Nuit. Si les communications entre les deux puissantes femmes dataient d’avant la guerre, la position nouvelle de cette dernière n’était qu’un atout de plus pour Cinder.

-Je tâche, pour le moment, de mettre en place une alliance avec un autre de leur membre. Il s’agit d’un maître nymphe, contrôlant le feu.

Si sa fille avait bien fait ses devoirs, elle devait connaître les blases de ceux qui avaient leur place au Conseil. Cinder n’avait pas besoin de dire son nom, à lui non plus.

-En public, il s’agirait donc de montrer un soutien modéré mais penchant en faveur du Conseil, peu importe leurs idéaux. Quant à Caïn, nous ferons affaire avec lui en secret seulement. Mais il fallait que tu sois informé, car tu pourrais être contacté aussi par l'organisation. Si cela arrive, il faut que tu m'en tiennes informer.

La sorcière avait ainsi exposé la suite de ce qui allait arriver. Amaranta comprendrait ses actions, ou bien elle demanderait des détails pour mieux visionner les choses ; après tout, parfois, même sa fille prodigue ne pouvait pas comprendre tout ce qu’il se passait dans l’esprit cryptique de Cinder. Mais elle pouvait également faire ses propres suggestions - rare était les personnes à qui la brune daignait accorder de l’attention, mais pour son enfant préférée, elle prenait la peine d’écouter ce que celle-ci avait à dire et les possibles d’attaques différents de ceux qu’elle avait trouvé.

Cinder écoutait rarement les autres. C’était, pour la plupart, des idiots, et les plans qu’elle mettait en place étaient assurément les meilleurs - quand bien même certains manquaient de finesse ou de recul, trop impulsif, trop impétueux. Tout feu, tout flamme comme le disait si bien l’expression. Mais la sorcière avait confiance en elle et en ses capacités - et surtout elle sous-estimait bien trop souvent les autres. Elle n’avait pas peur, malgré les risques qu’elle prenait, ils étaient toujours mesurés, souvent récompensés. Et quand ils ne l’étaient pas, elle réussissait toujours à porter le blâme sur quelqu’un d’autre, de toute façon.

Elle écoutait rarement les autres donc, mais sa fille Amaranta faisait partie du peu de personne qui éveillait son intérêt. La dragonne était intelligente et stratège, elle le tenait de ses parents. Angelo faisait trop de sentiments et préféraient régler les choses par la parlote mais Cinder ne pouvait nier qu’il avait eu son utilité, notamment en ses talents de tacticien - mais fort heureusement, il avait légué ça à leur enfant, sans lui en donner les mauvais côté, la mièvrerie ou la trop grande prudence qui aurait pu la retenir.

Subtilement équilibrée entre puissance brute et art stratégique, Amaranta était l’arme parfaite. Et elle le savait. Oui, décidément, Cinder n’aurait pas pu souhaiter d’une meilleure enfant. C’est ce qu’elle se disait en l’écoutant avec cette attention qu’elle n’accordait qu’à si peu de gens. Un sourire ravi lui étira les lèvres. Une Lightstorm, c’était parfait. L’aînée des enfants, de plus. Certes, elle n’était pas l’héritière à cause des règles patriarcales de cette famille, mais il y avait définitivement quelque chose à en tirer.

-C’est une très bonne idée, Amaranta. Continue donc à la garder proche de toi, elle pourra nous être très utile si nous jouons finement nos cartes, c’est certain. Rencontrer d’autres membres ne pourra pas nous causer tort, non plus, seulement certains risquent d’être un peu… frileux au contact d’une femme telle que toi. (elle ricana) C’est ridicule, mais d’un autre côté, ils ont raison d’avoir peur de nous. Simplement, tu vas devoir prendre ça en compte. Mais je ne doute pas de tes capacités à réussir malgré ce détail.

Cependant, Amaranta avait continué, et elle semblait avoir du mal à contenir son impatience. Cinder se reconnaissait en elle, elles avaient la même flamme qui brûlaient dans leur prunelle, la même flamme qui leur donnait leur énergie et les propulsait à la place qu’elles méritaient : au sommet. La même flamme qui les consumaient, aussi. Mais ça elles n’étaient pas prêtes de l’admettre.

-Tu as raison, c’est pourquoi pour le moment je préfère mettre toutes mes chances de mon côté grâce au Conseil de la nuit. Quant à lui… C’est plutôt son Ordre qui m'intéresse, qui est une force non-négligeable. Mais je t’écoute, mon enfant. À quoi pensais-tu ?

Si Amaranta tenait régulièrement sa mère au courant de ses actes, la sorcière ne pouvait pas tout savoir, et ne tenait d’ailleurs pas à tout savoir tant que cela s’avérait intéressant. Mais là, sa fille semblait avoir le doigt sur quelque chose d’utile, et si Cinder ne savait pas encore ce que c’était, son intérêt était piqué au vif. Et c’était quelque chose d’assez inhabituel pour être noté. Que lui réservait donc sa jeune prodigue ?

La soirée semblait s’avérer fructueuse, jusqu’ici. Cinder était patiente, mais si elle se persuadait qu’elle avait tout le temps du monde, ça n’était pas exactement le cas. Elle pouvait recommencer à vieillir du jour au lendemain ; après tout, elle n’avait jamais su combien de temps son fils aurait dû vivre. Malgré tous ses efforts, elle était loin d’être immortelle. Alors, entendre que les choses commençaient à avancer petit à petit était bien plus délectable à ses oreilles qu’elle n’aurait aimé l’admettre.

Elle avait décidément bien éduquée sa fille, bien mieux qu’Angelo n’aurait jamais pu le faire. Il avait bien servi, il avait fait son temps et elle avait bien fait de se débarrasser de lui une fois qu’il avait perdu son utilité. Grâce à cela, elle avait maintenant devant elle la plus parfaite des armes, et elle avait intérêt à l’utiliser correctement. Mais l’allégeance d’Amaranta ne faisait aucun doute, comme la phrase suivante l’appuya ; oui, cette enfant ferait tout pour leur intérêt à toutes les deux. Cinder n’en doutait pas un instant. Mais en ferait-elle autant le jour où il s’agirait uniquement de l’intérêt de sa mère et non du sien ?

La question ne se posait pas, pour le moment, mais la sorcière savait qu’elle devrait faire attention à cela dans le futur.

Mais peu importait. Pour l’instant ce qu’elles voulaient convergeaient, de toute façon, et si Amaranta était sans aucun doute l’enfant favorite de Cinder, même elle ne connaissait pas tous les plus sombres secrets de sa mère. Si elle apprenait, un jour… Non, sans doute qu’elle comprendrait que tout cela avait été nécessaire. Sa jumelle serait sans doute la plus horrifiée.

En tout cas aujourd’hui la dragonne n’apportait que des bonnes nouvelles. Et elle avait raison. Cain, malgré la puissance de son organisation, n’était qu’un simple humain et c’est aussi ce qui répugnait la brune à faire officiellement affaire avec lui. Elle était bien supérieure, quoi qu’il arrive. Elle avait bien entendu son espoir de vouloir devenir un dragon et cela ne le rendait que plus pathétique encore - mais manipulable. Elle-même faisait ses propres recherches pour changer de nature, quand bien même elle visait un peu plus haut. Si des avancées se faisaient sur ce point-là, elle pourrait les utiliser pour manipuler cet homme. Mais Amaranta avait un autre pion à poser sur la table.

Si Cinder n’avait rien contre l’idée de rentrer en possession d’un des crânes, l’information attisa tout de même vivement son intérêt.

-Tu as trouvé quelqu’un dont il était… amoureux ?

Elle avait craché ce dernier mot avec un mépris palpable, repoussant de toutes ses forces les pensées éphémères d’une djinn et d’un nymphe qui avaient tenté d’effleurer son esprit. Non, au lieu de ça, elle préféra réfléchir à ce nouvel atout, qui n’était pas des moindres.

-Grossière erreur de sa part. Sans doute son cœur trop tendre d’humain, c’est bien là leur limite. C’est très bien, Amaranta, tu as fait un superbe travail. En sais-tu plus ? Avant de décider de la posture à adopter, je veux en savoir plus.

Si l’argent était le pouvoir, il y avait bien quelque chose qui l’était tout autant : l’information. Et il était hors de question de gâcher celle-ci.

Cinder avait peut-être paru choquée quelques instants, oui, parce qu’elle l’avait été avant que le mépris ne prenne la place. L’amour… L’amour était une telle faiblesse. Quelque chose qu’il fallait éviter à tout prix, si on ne voulait pas que plus froid, moins émotionnel que nous ne profite de ce point faible. Alors pourquoi sentait-elle sur sa nuque deux paires d’yeux perçant, l’une de flamme rouge et l’autre bleu glacée ? Pourquoi elle n’arrivait pas à se défaire, au fond d’elle, de ce sentiment poisseux qu’elle était tombé dans le même piège ?

Elle l’avait profondément enfoui, et en apparence, rien ne la trahissait, surtout pas devant sa fille. Non, Cinder n’admettait pas ses faiblesses devant Amaranta ; parce qu’elle l’avait éduquée un peu trop bien, parce que quelque part aussi sa paranoïa constante lui faisait croire que si la dragonne voyait le moindre faux pas elle en profiterait pour se tourner vers plus fort qu’elle, ou pire encore, la jeter dans le vide et voler sa couronne.

La sorcière ne pouvait pas la blâmer - c’était elle qui lui avait appris ça, après tout, et puis n’avait-elle pas fait la même chose, ne ferait-elle pas la même chose à sa place ? Mais Cinder n’était pas comme ses parents, ceux qu’elle avait tués elle-même. Avait-elle réussi là où ils avaient échoué, à inculquer une véritable loyauté à son enfant envers elle ?

Mais on n’est jamais trop prudents. Alors tant qu’elle aurait le moindre doute, elle ne montrerait ses faiblesses à personne, pas même celle en qui elle avait le plus confiance parce que même cette confiance-là était toute relative. C’était presque maladif, pour l’ancienne pyromancienne, cette habitude de ne jamais se laisser aller, de ne jamais fermer complètement fermé l'œil même en étant aussi bien protégé.

La matronne dissimula sa gêne intérieure par rictus et un ricanement cruel.

-Je trouve cela ridicule, mais c’est une information cruciale qui nous permettra de faire pression si le besoin se fait sentir. Même si c’est récent… Il serait bon de laisser cette relation continuer un peu. Plus elle tiendra, plus il s’attachera, et plus il sera malléable à notre guise si nous menaçons son protégé. Pour l’instant, tu vas te contenter de garder un œil sur cette affaire, et essayer d’en apprendre plus, si possible. Je donnerais également des instructions dans ce sens à ta sœur qui pourra peut-être en apprendre un peu plus en épiant qui il faut.

Si elle pouvait avoir l’Ordre à ses pieds… Oui, ça serait bien plus intéressant que le compromis sur lequel elle s’était mise d’accord avec le leader. Un outil de plus, un pouvoir de plus, et petit à petit… Elle serait tout en haut de la pyramide, assise sur son trône, et elle attendrait ses ennemis de pieds fermes. Et il était hors de question de gâcher celle-ci.

Cinder avait définitivement taillé Amaranta à son image ; avec ses qualités mais malheureusement avec ses défauts aussi. Elle voyait bien que celle-ci était impulsive, un peu trop, et cela elle ne pouvait l’avoir hérité que d’elle. Toute cette énergie et toute cette puissance brute contenue, elle avait besoin de la faire exploser, brûler, consumer sous risque de l’être elle-même. Mais elle allait devoir apprendre, elle aussi, apprendre à attendre et à se déchaîner uniquement quand le bon moment était venu. Mais, en se retenant de la sorte, alors ses déchaînements n’en seraient que plus éclatants et mortels - un véritable cataclysme que personne ne pourrait arrêter, pas même des immortels, pas même des djinns.

Mais ça n’était pas la seule faille qu’elle empruntait à sa mère. Son poing se serra à la mention de sa jumelle et, si Cinder était satisfaite que son enfant ait compris la différence entre elles deux, elle n’avait pas à contester ses décisions. Mais c’était quelque chose de difficile ; Amaranta ne respectait que la puissance et, de fait, la puissance de sa sœur était moindre comparée à la sienne. Elle aurait pu être plus, aussi, tellement plus - après tout c’était la madonne elle-même qui l’avait entraînée - mais elle gâchait ses dons avec un sentimentalisme écoeurant dont la dragonne ne s’embarrassait pas.

Celle-ci fit part de ses doutes, que la maternelle pouvait entendre. Il était vrai que Daeva avait peiné à faire ses preuves pendant bien longtemps, mais depuis que Cinder l’avait employée au Casino, à tout le moins celle-ci, à défaut d’être réellement utile, pouvait lui rapporter des informations qui l’étaient un peu plus qu’elle.

-Ne t’inquiète pas, mon enfant. Il s’agit tout de même de ma fille,et si elle n’a pas ton talent, elle saura nous être utile à sa manière. Mais tu restes mon atout principal, Amaranta, ne t’en fait pas pour cela, c’est à toi que reviendront les tâches les plus importantes. Je suis très satisfaite du travail que tu as effectué.

Et ça n’était pas quelque chose qu’elle disait souvent - et assurément jamais à Daeva. De cela, sa sœur pouvait en être sûre. Elle n’avait pas à avoir peur pour sa position ; mais si cela pouvait la pousser à faire encore plus de zèle pour mieux se faire voir encore, ainsi soit-il. Cinder cultivait cette rivalité entre ses filles depuis des années et elle ne comptait pas arrêter maintenant, pas si celui lui permettait que les deux lui soient encore plus utiles en essayant de se prouver de plus belle. Même si Amaranta avait déjà gagné la course depuis longtemps, ça ne pouvait pas faire de mal.

Cinder n’ignorait pas les différents qui étaient présents entre ses deux benjamines - elle y avait même contribué. Elle savait qu’Amaranta avait parfois été violente envers sa sœur, et si la sorcière aurait apprécié plus de subtilité de sa part, elle n’avait rien fait pour l’empêcher de se déchaîner après le départ d’Angelo. De son point de vue, cela ne pouvait que les endurcir toutes les deux. Mais cela avait également mené une certaine animosité de la part de la dragonne envers la sorcière - mépris évident, quand on lui avait répété toute sa vie qu’elle était plus puissante et donc supérieure, et mépris mérité alors que celle-ci s’était laissé faire au lieu d’elle aussi s’emporter contre sa moitié.

Toutefois, Cinder n’appréciait pas qu’on discute ses ordres, même de la part de son enfant la plus précieuse. Car si elle était moins malléable, alors elle perdait de son utilité.

Mais Amaranta reconnaissait encore son autorité, et son intelligence. Pour le moment, en tout cas. La sorcière devrait-elle s'inquiéter du jour où sa fille lui échapperait, comme tous les autres, ou pire, tenterait de l’évincer pour s’emparer de son royaume ? C’était un jeu dangereux. Car la dragonne était sans doute la personne qui connaissait le mieux les secrets de sa mère. Heureusement, elle ne les connaissait pas tous - par paranoïa qu’elle se refusait d’avouer peut-être, par prudence dirait-elle, Cinder gardait toujours des atouts dans sa manche.

Et si un jour une jumelle devait prendre la place de l’autre dans son complexe jeu d’échec politique, elle n’aurait pas beaucoup d’hésitation.

-Merci, mon enfant. Ce sera tout pour aujourd’hui, je te tiendrais au courant quand j’estimerais que ce sera nécessaire pour que tu puisses savoir quoi faire.

Subtilement, la matronne lui rappelait quelle était sa place. C’était elle, qui tenait les cartes, et si Amaranta était un atout, elle n’en demeurait pas moins un simple pion. Pas une joueuse à ses côtés.

-Tu peux disposer.

Elle parlait comme une reine, Cinder, sans doute tenait-elle ça de Dizzalyr et de ses manières intemporelles. Car quand on a appris à chercher le pouvoir, on commence par imiter ceux qui en ont. On adopte leur comportement, en attendant de pouvoir prendre leur place.