ALTHESMONA ⁂ And If I take them down, will my lies be found ?

Il fallait que j’arrête ça … Soit je retournais voir Shoshana, soit je passais à autre chose. Toujours est-il que je ne pouvais rester dans cet état à me morfondre et à pleurer. Les voix que j’entendais ne me faisaient pas moins flipper, élément surnaturel oblige ; mais avoir une explication logique avait apaisé certaines de mes craintes. Mais des gorgones … Non je ne pouvais pas ! Sur un coup de tête, je sortis de la boutique d'antiquités prenant soin de fermer la porte derrière moi et avait collé une pancarte. Fermé pour déjeuner, retour à 14h. Althéa aurait peut-être la réponse à mes questions. Quelles questions Desi ? Tu n’es même pas capable la moindre pensée à ce sujet sans te mettre à pleurer de peur et de rage. Sans avoir la sensation d’avoir été trahi, les larmes aux yeux et la boule au ventre.

Pénétrant dans la boutique, je pris une profonde inspiration, l’odeur de l’encens me chatouillant les narines. L’allure du magasin me faisait penser à une vieille pharmacie comme on en trouvait il y a de cela plusieurs siècles sur le vieux continent. Une vieille pharmacie avec une forte inspiration asiatique. Je ne savais guère s’il s’agissait d’un choix artistique de la part d’Althéa ou de ce fameux patron dont elle m’avait parlé quelquefois ou bien s’il s’agissait d’une véritable prise de position. Le responsable avait peut-être des origines asiatiques, qu’est-ce que j’en savais après tout. Dans tous les cas, cet aspect ancien avait quelque chose de rassurant, une sorte de magie basée sur les plantes. Pas une vraie forme de magie, un truc surnaturel flippant … Mes yeux parcoururent les différents rayons ne s'arrêtant pas plus longtemps sur un produit qu’un autre, passant de la porcelaine aux lanternes. Je ne connaissais pas bien Althéa mais il y avait quelque chose chez elle qui semblait rempli de douceur. Une douceur voilant une certaine forme de douleur. C’était ce qui me faisait me sentir proche d’elle, cette douleur que je pensais percevoir en elle, comme un reflet de la mienne.

“ Il y a quelqu’un ?”

Personne n’était dans la boutique à ma connaissance, pourtant la porte était ouverte. Althéa était probablement dans la pièce arrière, en train de faire je ne savais pas trop quoi. Peut-être que je pourrais lui poser la question un jour … J’essayais de distinguer quelque chose au travers du rideau de perle sans succès. J’entendis un raclement de chaise, quelqu’un venait. Misère, j’espérais que c’était bien Althéa, je ne saurais pas comment réagir avec quelqu’un d’autre. J’avais déjà l’impression de devoir m’arracher la peau, de bouillonner. Utiliser des compétences sociales avec un ou une inconnu risquait fort d’être en dehors de mes moyens.

Un instant je me trouvais seule dans la boutique, l’instant d’après je la vis apparaître entre les perles du rideau séparant le commerce de la partie que je supposais plus privée.

“ Desdemona”

Son visage était éclairé d’un sourire si vif. Elle semblait si heureuse de me voir. Comme c’était incongru, ce sourire qui était rien que pour moi ... Je ne me rappelais pas qu’un jour Mère eut tant de bonheur à me voir rentrer à la maison, sans même parler de la réaction de Pè… non ! de mon géniteur. Je n’avais pas à cœur de la reprendre, de lui dire de m’appeler Desi. Je n’aimais pas Desdemona, il n’y avait que ma famille qui m’appelait ainsi. Et Shoshana. Peut-être allais-je devoir m’habituer à ce que les femmes fortes de mon entourage m’appellent par mon prénom …

“Quel plaisir de te voir !”

Je sentis mes lèvres s’étirer bien malgré moi face à sa bonne humeur, mon âme s'apaiser l’espace de quelques secondes. Bizarrement je la croyais quand elle le disait, aussi surprenant que cela paraissait à la petite qui sommeillait encore tout au fond de mon âme.

“ Merci …”

Je ne savais pas trop quoi répondre de plus face à son exubérant accueil, qu’elle me réservait pourtant à chaque fois. Je ne savais pas trop quoi dire, quoi faire. Comment entamer une discussion sur le fait qu’on entendait des voix ? La dernière fois, cela n’avait pas réellement tourné en ma faveur. Cependant, avant même que je ne puisse formuler mon propos, elle enchaîna.

« Tu as besoin de quelque chose, tu veux qu’on passe à l’arrière ? »

Je hocha la tête en un signe universel d'acquiescement et la suivit au travers du rideau de perle qui me rappelait les années soixante-dix. Je laissais mes yeux parcourir l’espace bien moins exotique, s’accoutumant à la différence de luminosité, au changement d'ambiance. Mon regard revint vers celui d’Althéa, qui me paraissait si franche et ouvert, sans jugement. Je pris une profonde inspiration, me tordant les doigts d’inconfort. Sans lui laisser le temps de me proposer de me mettre à l’aise, je me jetais à l’eau

“J’ai besoin d’aide …”

A propos du monde surnaturel. Le reste de ma phrase resta coincé au fond de ma gorge, refusant de sortir. Je toussotais légèrement, quelque peu gênée par mon ton abrupt, marmonnant une vague excuse.

“Je ne …”

Je piétinais sur place un instant comme une enfant prise en faute.

“Je suis …”

Je passais la main dans mes courts cheveux châtains, énervée par mon incapacité à formuler correctement mes pensées. Quoi de plus étonnant pourtant …

“Désolée c’est la mer … La panique. Dans ma tête.”

Malgré mon rejet de toute l’éducation qu’avait pu m’inculquer les Wright, je ne parvenais pas toujours à dépasser cette interdiction de jurer en public. Le mot avait failli m'échapper mais j’avais curieusement réussi à le retenir. Je ne devais pas être si paniquée que ça. L’espoir a toujours fait vivre.

“Je ne comptais pas lâcher ça comme ça ... Je suis épuisée, je veux juste oublier tout ça.”

Cette confession s’échappa d’entre mes lèvres comme un souffle, une fatalité, une dernière expiration avant … Avant quelque chose d’inéluctable.

Dès que ces mots s’échappent d’entre mes lèvres, je me sens épuisée. J’ai l’impression peu flatteuse de m’être totalement vidée, dégonflée comme un ballon de baudruche usagé. Je ne ressens plus rien, sauf la fatigue. Pesante, écrasante. Je perçois le contact d’Althéa, son touché doux comme une plume. Et pourtant je ne sais que dire. Je ne sais pas quoi ajouter à cela. En dire plus : peut-être mais quoi ? Comment expliquer à quelqu’un, une presque inconnue, un problème enraciné dans les blessures de l’enfance et dans un cœur brisé. Comment expliquer, rationnaliser des années de peur et d’injonctions, des jours à remettre tout cela en question. Je regarde ses lèvres s’étirer en un sourire quelque peu maladroit et il me faut toute mon énergie pour lui en offrir un en retour. Ma propre version de ce sourire bancal.  Ne pas m’en faire. J’aimerais bien justement … Cela parait si facile. Et pourtant !  Facile de formuler un début d’explication. En vain. Je ne sais même pas par quoi commencer … Shoshana ? Les gorgones ? Les voix dans ma tête qui, ô jour béni, ne se sont pas encore faites entendre ?

Je regarde Althéa servir le thé avec une certaine assurance tout en tentant de remettre de l’ordre dans mes pensées. Ses gestes dégagent une certaine assurance. Je me demande distraitement si tout cela fait partie d’un cérémonial, d’une sorte de recette de cuisine -à défaut d’un meilleur terme- pour préparer le thé. Peut-être suis-je simplement influencée par les clichés hollywoodiens et littéraires sur la culture asiatique qui peuplent mon esprit. Je regarde fixement la jolie tasse qu’elle a poussé vers moi. Elle est parfaite, joliment décorée, aucunement ébréchée. Mon opposé. J’ai envie de rire jaune d’un coup : qui se compare à une tasse à thé ? Je suis peut-être plus dingue que ce que je ne le supposais, que ce que j’espérais.

« Merci pour ça »

J’indique d’un geste la tasse que je prends précautionneusement en main. C’est chaud et l’odeur de la menthe est curieusement réconfortante sans que je ne sache vraiment pourquoi. Cela me donne quelques secondes de plus pour rassembler mes idées. Oublier quoi exactement ? J’ai la curieuse sensation que « tout » n’est pas la bonne réponse et pourtant le mot me brule les lèvres. Cela serait plus simple de tout oublier. Une sorte de nouveau départ.  Sur un coup de tête, je me lance.

« Au point où j’en suis, je voudrais juste pouvoir faire une pause. Tout oublier un instant. Tu sais comme cette petite pilule que prennent les personnages dans ce film de science-fiction … »

J’ai le titre sur le bout de la langue, mais ne parvient pas à le retrouver. Je claque des doigts par dépit.

« Enfin, j’ai bien essayé l’homéopathie, l’aromathérapie, le yoga et limiter ma consommation de café en vain. Je crois que je serais prête à implorer un coup de baguette magique. »

Rêve pieux, je sais que je prendrais peur dans l’instant. Que je fuirais le surnaturel à grand pas. Comme que je l’ai fait à chaque fois. Avec les Wrigtht, avec Rhea, avec Shoshana … Pourtant, je suis persuadée que ce n’est pas un manque de volonté. Après tout, je suis bien parvenue à cesser de vénérer la déesse Caféine, le grand amour de ma vie jusqu’à présent. Et pourquoi ? De la frustration et aucun effet sur les voix, sur les souvenirs du passés et la situation actuelle.

« Je voudrais juste oublier, tu vois ? Oublier les trucs avec mes parents, ce qu’IL m’a appris, je voudrais même oublier sa tête. »

Je sais que la majuscule s’entend à mon timbre de voix mais je ne m’attarde pas sur la question. Cela serait trop, trop d’émotions, trop d’informations. Pas le bon moment. Une grande inspiration puis je poursuis, présentant que je suis sur la bonne voie.

« S’il existait un moyen sécuritaire pour oublier une partie de mon passé, oublier le surnaturel et tout ces trucs là, ça me faciliterait bien les choses … »

J’adresse à Althéa un sourire mi-figue mi-raisin. Je doute qu’une telle solution existe en dehors des drogues. Et je sais bien qu’une petite voix au fond de moi me souffle que je pourrais peut-être tester une fois, juste une seule et unique fois …

Elle l’a relevé. Cette phrase tourne en boucle dans mon esprit. A quoi pouvais-je bien pensé ? Evidemment qu’elle allait relever la mention. Sa mention. Lui. Je serre les dents, en colère. En colère contre tout et tout le monde. En colère contre son comportement à Lui. En colère contre ma mère qui aurait dû être là. En colère contre mon enfance pourrie qui n’aurait pas dû, jamais, être ainsi. En colère contre mes enseignants qui, j’en suis persuadée, détournaient le regard. En colère contre les surnaturels pour avoir révélé leur existence. En colère contre Shoshana … En colère contre moi-même pour ressentir tout ça. Pour inférer des états à des gens dont je ne sais rien. J'ai l'impression d'être une adolescente, gouvernée par les bouleversements hormonaux, égoïste et qui braille. Je déteste ça.

Le contact frais d’une peau douce apaise le brasier sur le point de s’embraser qui couvait. Elle rafraichit. Elle calme. Elle ne laisse plus que la fatigue, pesante, épuisante. Je lève les yeux vers cette nouvelle amie, tandis qu’elle-même les baisse. Je ressens l’hésitation et penche la tête sur le côté, l’observant les yeux froncés. Je n’aime pas ce que je vois. Je n’aime pas la voir ainsi. Elle n’est pas comme ça Althéa. Elle est douce, confiante, assurée. Elle donne toujours sans compter. C’est en tout cas la sensation qu’elle m’avait toujours donnée. Sauf aujourd’hui, sauf maintenant. Elle me parait hésitante à tous niveau, comme un jeune faon, tremblant sur ses pattes. Je n’aime pas ça. J'ai l'impression de regarder dans un miroir. J’ai l’impression de me voir moi.

Je lui adresse alors un sourire que j’espère encourageant. Sa version est plus triste, plus défaitiste peut-être et quelque part cela m’inquiète. Mon inquiétude ne fait qu’augmenter au fur et à mesure qu’elle s’adresse à moi d’un ton prudent. Une proposition …
Quand la vérité tombe.
Une djinn.

Une djinn.

Une djinn.

Une djinn.
Je sens ma bouche qui s’entrouvre doucement sous le choc. Elle aussi. Peut-être ai-je un mouvement de recul involontaire, je ne sais pas. J’ai l’impression que l’on vient d’enfoncer de la ouate dans mes oreilles. Pourtant, elle continue comme si ce n’était pas une brusque nouvelle. Alors je suis le mouvement, tandis que la panique, celle habituelle face aux surnaturels, commence lentement à monter, à me submerger, à me noyer. Je ne suis pas sûre d’avoir bien entendu et encore moins compris ce qu’elle me propose.

« Une illusion ? »

Je ne comprends pas et quelque part je sais que c’est de ma faute. J’ai toujours fui le monde surnaturel et la magie. Alors je ne comprends pas, je ne sais pas ce qui est possible de ce qui ne l’est pas. De ce qui est fantasmé. J’ai les sourcils froncés, la mine soucieuse et je triture mon pendentif. Un réflexe, un tic, une mauvaise habitude que je devrais perdre. Tout s’embrouille dans ma tête, la colère, la honte de mon propre comportement, l’incompréhension. Moi qui avait eu l’impression d’avoir dépassé cela lors de mes retrouvailles avec Rhéa …

Puis la fatigue me plombe une nouvelle fois. Je fuis le regard d’Althéa tandis que ma tête tombe en avant. Je passe la main dans mes cheveux, pour finir par me frotter les yeux. Je sens un souffle d’air s’extirper de ma poitrine. Je relève la tête, les yeux toujours fermés, les doigts pinçant le haut de mon nez, entre les yeux. Il parait que cela aide, je crois avoir lu ça quelque part. Ou peut-être pas, peut-être que j’ai mélanger des infos. Je ne sais pas, je ne sais plus, c’est pas comme si c’était important en fait … Je me penche en arrière sur mon siège, mouvement double qui me permet de ne plus supporter la pression, le poids qui m’écrase. Ma fatigue et la peur. La mise à distance de celle que je commençais à apprécier. Mais l’ai-je réellement connue ? Ou seulement un fantasme maternel que je me suis fabriqué de toute pièce ? Une amie parce que je ne suis même pas capable de m’en faire réellement une sans l’imaginer. J'ai l'impression de revivre le dernier rendez vous avec Shoshana. Non ! Cela ne peut pas se passer comme ça, pas encore une fois. Sur un coup de tête, j’accepte sa proposition.

« Ecoute, pourquoi pas ! »

Ma voix est légèrement fausse, peut-être trop aigue. Je l’entends, je le sais. Althéa aussi. Probablement. Surement. Mon malaise ne lui a clairement pas échappé mais que puis-je faire ? Ce n’est pas comme si j’avais eu un vrai mouvement de recul, que j’avais quitté sa boutique et sa compagnie en criant. Pas encore … Avec un sourire désabusé, je me convaincs que cela ne me fera pas de mal, qu’elle ne me fera pas de mal. Pas plus que celui que l’on m’a déjà fait en tout cas. Et puis, ce n’est qu’une petite illusion, ce n’est qu’une seule petite fois. C’est pour tester, rien de grave, juste pour décompresser. Rien de grave.