Stranger to blue water. ♫ Orpheus & Cléophée II

Orpheus & Cléophée

I'm a loose bolt of a complete machine. What a match, I'm half-doomed, and you're semi-sweet.

Ca fait une heure. Une heure que Abraxas a claqué la porte pour partir travailler et qu’elle est restée, là, allongée dans son lit, les yeux fixés sur le plafond de sa chambre. Une heure qu’elle se dit qu’il faut qu’elle se lève, qu’elle quitte la pièce et qu’elle aille prendre un petit déjeuner pour commencer la journée. Une heure qu’elle reste clouée là, osant à peine respirer trop fort, dans l’espoir de faire oublier sa présence. Aujourd’hui, elle ne travaille pas. C’est jour de repos, pourtant elle se sent plus angoissée que si elle devait aller passer un entretien d’embauche. Ca fait quelques jours qu’il est là, mais c’est la première fois qu’ils vont se retrouver vraiment seuls.

Ca fait quelques minutes qu’elle l’entend bouger. Le bruit de la vaisselle, des céréales qui glissent dans le bol, si elle tendait l’oreille, elle entendrait peut-être même sa mâchoire broyer le tout en petits morceaux. Ca lui donne faim, à elle aussi, et elle aurait envie de sauter sur ses pieds et de le rejoindre. Ca lui rappellerait des souvenirs. Tous ces matins où il n’y avait plus de Frosties à la maison, que ça l’a mettait en colère mais qu’il essayait de lui démontrer par A + B pourquoi les miel pop’s étaient meilleurs, de toute façon. « C’est fait par des abeilles. » Elle l’entendait encore dire, avec sa détermination habituelle et tout le sérieux du monde pour un enfant de neuf ans. Elle se revoit lui dire sévèrement en retour que les siennes étaient faites par un tigre et que les tigres ça peut écraser les abeilles en un coup de patte. Au final, elle piquait toujours les chocapics de Phoebus, parce que le miel, c’était pas trop son truc et Orpheus prenait un air outré en plongeant la tête dans son bol Batman pour aspirer le lait teinté de poussière jaune qui restait dans le fond. Elle revoyait parfaitement les trois boites différentes rangés précisément côte à côte par leurs parents à chaque retour de course, ces instants où ils devaient maudire d’avoir trois enfants si différents qui refusaient d’aimer la même chose totalement. C’était ces petits instants qui rendaient leur enfance si mémorable et ça lui faisait un mal de chien qu’il soit incapable de s’en souvenir aujourd’hui.

Ca fait quelques secondes que son ventre s’est mis à gargouiller. Elle va pas avoir le choix, elle va devoir se lever et le rejoindre. Quelques instants, elle referme les yeux, souffle un bon coup et tente de se concentrer pour agir normalement. Depuis qu’il est là, elle vit dans la panique constante. Elle a envie de le serrer contre elle, elle a envie de lui dire tout ce qu’elle ressent, comme elle a toujours fait. Elle a envie qu’il la prenne dans ses bras, qu’il lui montre les étoiles, qu’il la fasse tourner pour lui montrer le futur en lui disant que tout ira bien. C’est ce que son frère aurait fait. Mais l’homme assis dans la cuisine en train de manger des chocapics n’est pas son frère. Elle n’a pas le droit de le serrer dans ses bras, pas le droit de se montrer aussi émotive que peut l’être Abraxas. Elle n’est que la copine. Cette personne qui lui est encore plus étrangère que toute les autres parce qu’il est persuadé qu’ils n’ont jamais rien partagé d’autre qu’Abraxas. C’est injuste et ça lui donne envie de pleurer à chaque fois qu’il l’appelle Flora. Elle s’est habituée à l’entendre dans la bouche de ses parents, mais c’est mille fois plus douloureux dans la sienne.

Finalement, elle se donne une dernière dose de courage et réussit à s’extraire du lit. Quelques pas maladroits, discrets et elle se retrouve dans l’endroit familier face à l’inconnu qu’est son frère. Il prononce son prénom à elle et elle se force à lui sourire pour réprimer les habituelles larmes qui montent à ses yeux encore fatigués. « Salut, Orpheus, bien dormi ? » La voix neutre de Flora. Ca fait plusieurs années qu’elle la travaille pour s’adapter à toutes les situations. Elle revoit sa meilleure amie s’adresser à des inconnus dans la rue avec le même ton. Elle qui était si douée avec les autres, si pleine de vie. En comparaison, elle se trouve bien terne et sans saveur. Hypocrite jusqu’au bout des ongles. « Xas est parti, je l’ai entendu tout à l’heure. Est-ce que tu as prévu quelque chose ? » Elle rêverait qu’il lui dise qu’il avait prévu de partir toute la journée et de la laisser seule ici. Mais elle rêverait aussi qu’il la prenne dans ses bras et lui propose de passer toute la journée avec elle, rien que tous les deux.  

Orpheus & Cléophée

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Il doit se demander quel est son problème, certainement depuis qu’il a croisé son regard pour la première fois. Elle se rend bien compte que son attitude ne doit pas aider. Elle n’arrive pas à faire semblant, à faire ce qu’il faut, à l’accompagner comme il aurait besoin de l’être. Elle sait comme tout doit lui sembler étranger, peut-être insurmontable. Si elle devait redécouvrir sa vie entière, elle serait parfaitement perdue. Tous ces gens qui le regardent les larmes aux yeux, qui l’entourent de leurs bras un peu gauches en le serrant fort. Elle a croisé son regard, une fois, quand maman le tenait contre elle et elle a bien vu qu’il ne savait pas trop quoi faire. Ça l'a même un peu énervée, sur le moment. A elle, on ne laissait que les miettes, elle n’avait pas le droit à l’amour de maman ou aux câlins, même gênés d’Orpheus. Elle devait se contenter d’observer tout ça de l’extérieur, tenir le rôle qu’on lui avait imposé sans jamais lui demander si ça lui convenait vraiment. Ca ne lui avait jamais convenu et c’était encore pire quand il la regardait en se demandant probablement pourquoi elle était si étrange avec lui. T’es pas censée être sa sœur, Cléophée, t’es pas censée être si affectée. T’es la copine de son frère et tu ne dois pas agir différemment.

Il parle de cette voix saccadée et simplifiée qui est la sienne maintenant. Même ça, ça a changé, et ça l’énerve aussi. Tout l’énerve dans cette situation où elle voudrait crier comment le monde est injuste, mais elle doit se contenter de sourire comme la pièce rapportée d’une famille qui a déjà assez souffert. Les docteurs ont dit que ça finirait par revenir. Avec du temps et du travail. De la rééducation. Il y a des maux que l’on peut guérir, elle n’y a juste pas eu le droit de son côté. Elle attrape la boîte de céréales et un bol, le remplit à moitié et commence à grignoter les pétales chocolatés. C’est moins bon que les Frosties, on la fera jamais changer d’avis, mais ça a un goût différent quand même, malgré tout, de les manger à côté de lui. « Oui, j’ai bien dormi aussi. » Elle répond en souriant alors que le craquement des céréales tonne à ses oreilles. Elle ne rentre pas dans les détails, ne dit pas qu’elle a fait deux cauchemars qui l’ont réveillé en pleine nuit. Qu’est ce qu’il pourrait y faire, de toute façon. Elle ne veut pas l’embêter avec ses problèmes à elle, il en a assez à lui. Elle aurait raconté ça à son frère, mais c’était pas quelque chose à partager avec le frère de son copain.

Il ne fait rien aujourd’hui. Ça ne la surprend pas vraiment. Qu’est ce qu’il pourrait bien faire dans cette ville qu’il ne connaît pas, dans cette vie dont il ignore tout. Elle se demande tous les jours comment ça doit être pour lui. Est-ce que son but c’est de retrouver la mémoire, est-ce qu'il rêve de savoir, ou est-ce qu’il voudrait juste passer à autre chose. Égoïstement, elle préférerait qu’il cherche à savoir, à se souvenir d’elle. Mais peut-être que c’est plus simple de passer à autre chose. Elle est bien placée pour savoir que, parfois, on aimerait faire des choix pour nous, et pas seulement pour ce que les autres attendent de nous. Il ne fait rien aujourd’hui, mais il lui propose de faire quelque chose avec elle. Elle s’illumine. Elle n’arrive pas à le contrôler et ça lui paraitrait sûrement étrange, mais elle s’illumine d’une étincelle qui aurait dû mourir il y a bien longtemps. Ce n’est pas son frère, elle n’est pas sa sœur, mais il veut quand même passer du temps avec elle. Elle sait bien que c’est illusoire, au fond, il y a peu de chance qu’il se souvienne d’elle parce qu’ils passent quelques heures ensemble, mais elle se met à espérer. Elle sait que ça sera dur, agir toute la journée comme si elle était Flora, comme si elle pouvait être détachée de tout ça. Mais ça en vaut le coup, pour une journée de plus auprès de celui qui a toujours été là pour elle.

Elle croque quelques céréales supplémentaires pendant que son esprit tourne à mille à l’heure. « Oui, ça me ferait plaisir de passer du temps avec toi. » Elle répond simplement en lui souriant. « Est-ce qu’il y a quelque chose que tu aurais envie de faire ? » Elle demande ensuite, en croisant son regard. « On peut aller se promener en ville, explorer un peu les magasins. On peut aller dans le Bayou, voir plus la nature, si tu préfères être un peu tranquille. On peut rester là aussi, si tu préfères. » Pour une fois, elle a plutôt envie de sortir. L’appartement lui semble trop petit, trop rempli de ce qu’ils sont censés être l’un pour l’autre et pas de ce qu’ils pourraient devenir. S’ils sortent, s’ils se promènent, elle se dit que ça sera peut-être plus simple de ne pas être sa sœur. Ils seront juste deux, et c’est déjà ça.

Orpheus & Cléophée

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Elle se rend compte un peu tard que son enthousiasme était peut-être trop visible, trop inattendu pour être raisonnable. Elle le voit dans son regard un peu perdu alors qu’elle laisse s’échapper un flot de paroles qu’elle n’arrive plus à contrôler. Surement plus de mots qu’elle ne lui a dit depuis son retour, surement plus de mots qu’il n’est en mesure d’en comprendre. Tant pis, elle se dit. Elle en a marre d’être prudente, marre de marcher tout le temps sur des œufs. Marre de ne pas pouvoir être heureuse quand ça se présente à elle, marre de toujours faire semblant d’être une autre et de contrôler chacune de ses réactions pour ne pas attirer l’attention. Cette vie est épuisante. Elle lui donne tout mais ne reçoit rien en échange. Rien sauf son retour à lui. C’est une petite lueur dans le désespoir de son imposture. Comme il l’a toujours aidé. Le phare qui l’a guidé à travers les méandres de l’enfance, les questionnements de l’adolescence, les prémices de la vie d’adulte jusqu’au jour où il est parti sans prévenir. Mais il est là, devant elle, cassé et tordu, différent et identique et pour une fois, elle n’arrive pas à faire semblant. Qu’il soit son frère ou son beau-frère, ils passeront la journée ensemble et c’est tout ce qui l’importe, finalement.

Elle le regarde choisir leur destination, un sourire satisfait aux lèvres avant d’acquiescer. Il file se changer et elle en fait de même, bien décidée à ne pas perdre la moindre seconde. Impatiente, elle plonge la tête dans son armoire. Elle ne fait plus très attention à ce qu’elle porte, elle qui aimait tant faire les boutiques avec Flora, avant. Mais sa main se pose instinctivement sur un vêtement qu’elle ne pensait pas remettre un jour. Le sweat est délavé, abimé, tâché, démodé, mais elle l’enfile sans plus de ménagement. Il sent le renfermé et les histoires et elle pourrait pleurer en le voyant. L’affreux sweat N’Sync d’Orpheus. Elle se revoyait encore se moquant de lui une dernière fois avant que ses frères ne quittent la maison pour Nashville. Qu’est ce qu’elle avait pu le détester, ce sweat. Jusqu’à ce que Phoebus le ramène dans une boite avec le reste des affaires de leur frère et qu’elle le serre contre elle, les larmes aux yeux, comme s’il s’était agi d’un vêtement de créateur. Depuis elle le gardait précieusement, l’enfilait quand rien n’allait. Mais aujourd’hui, elle le portait avec une fierté particulière. C’était idiot, il y avait peu de chance que son frère retrouve la mémoire en apercevant cette horreur, mais elle ne s’imaginait pas porter autre chose.

Après avoir passé un jean beaucoup moins impactant, elle sort finalement de sa chambre pour tomber nez à nez avec Orpheus, parfaitement prêt, l’air tout aussi heureux que le sien. « De temps en temps. » Elle lui répond sans trop rentrer dans les détails pour ne pas gâcher ce petit moment de bonheur, bien trop rare dans sa vie faite de tristesse. Elle attrape son sac, les clefs de l’appartement, vérifie que le gaz est bien éteint et s’apprête à partir quand la voix hésitante la coupe dans son élan. « Toi … ma soeur ? » D’un mouvement vif, elle se retourne pour lui faire face. « Oui. OUI ! C’est moi ! » Elle s’exclame un peu trop fort. « Tu me reconnais ? Comment tu as su Orpheus ? Xas te l’a dit ? »  Elle demande sans réfléchir, sans analyser la situation, parce qu’elle porte son sweat, parce qu’ils vont aller se promener, parce qu’elle a rêvé de ce moment depuis qu’elle l’a vu, les yeux ouverts, dans son stupide lit d’hôpital. Mais maintenant qu’elle le voit, maintenant qu’elle lui fait face, elle pense comprendre. Portant ses mains à sa bouche, elle reste figée. Il semblerait qu’elle ait pris ses espoirs pour la réalité et aucun mensonge ne lui vient à l’esprit pour dévier son attention. Merde Cléo, qu’est ce que tu viens de faire ?

Orpheus & Cléophée

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Elle le regardait fixement, incapable de briser l’instant suspendu qui se trouvait entre eux. Elle pouvait presque entendre les rouages de son esprit s’activer pour tenter de déchiffrer les mots qu’elle avait laissé échapper, sans penser aux conséquences. Elle était ridicule. Elle était stupide. Et elle risquait de payer le prix fort maintenant. Il s’écroula contre le mur, sous le poids de son imbécilité. « Orpheus ! » Elle cria en s’approchant de lui pour être sûre que tout allait bien. Mais rien n’allait plus. Ils n’allaient certainement plus aller se promener. Elle s’était exposée à une grande révélation qu’elle n’était pas sûre d’être prête à formuler. Le cerveau abîmé de son frère était-il seulement capable d’encaisser de telles révélations. D’un geste maladroit, elle l'entraîna vers le canapé, le fixant d’un regard inquiet. « Ca va ? » Elle demanda tant pour être sûre que tout allait bien que pour gagner du temps.

Incapable de rester plantée là, elle se dirigea vers la cuisine, lui servit un verre d’eau qu’elle posa sans ménagement dans ses mains. Ses jambes ne cessaient de fonctionner, l’entrainant dans un va et vient qui l’exaspéraient autant qu’il lui permettait de prendre le temps de mettre ses idées en ordre. Elle aurait pu crier pour évacuer toute la pression qui se comprimait dans son coeur, mais elle avait déjà fait assez de dégât comme ça. « Ecoute, je … Je n’aurais pas dû dire ça. » Ses mains se contractaient, s’emmêlant dans une pelote de doigts à l’image confuse de toute sa personne. Elle allait imploser et était incapable, à cet instant précis de dire autre chose que la vérité. Soufflant un grand coup, elle finit par s’asseoir sur la table basse, faisant face à son frère. C’était son frère. Elle l’avait aimé toute sa vie. Elle ne pouvait pas continuer à te mentir. « Je suis désolée Orpheus. Je ne voulais pas que tu l’apprennes comme ça, je ne voulais pas que ça te fasse du mal. »

Grande inspiration, regard planté dans le sien. Les mots se mirent à sortir comme un flot ininterrompu. « Je ne suis pas Flora. Je ne suis pas la copine de Xas. Je suis Cléophée, je suis ta soeur et je suis coincée dans le corps de Flora. J’ai … J’ai été très malade. Je n’avais aucune chance de guérir. Et Xas … Xas n’arrivait pas à le supporter. Il n’aurait pas dû … J’aurais dû mourir. Il m’a fait ça. » Elle dit, montrant son corps de ses mains ballantes, sentant les larmes monter dans ses yeux au même instant. « Il est devenu sorcier pour m’offrir un nouveau corps. Celui de Flora. » Il n’y avait rien de logique dans ce qu’elle disait, mais elle espérait de tout son coeur que son frère, le grand frère qui avait toujours compté pour elle, parviendrait à la comprendre, caché au fond de cet homme qui n’arrivait pas à se souvenir d’elle.  

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orpheus & cléophée II

Il lui semble que toutes les lumières viennent de vaciller, avec le peu de vraisemblance qu’avait pris la réalité.
Orpheus se laisse bringuebaler comme une poupée de chiffe molle. Le canapé, sur lequel il dormait quelques heures auparavant, ressemble soudain à une plante carnivore prête à refermer la mâchoire sur lui. Il a la tête qui tourne de toutes les choses qui ne font pas sens. Flora -mais est-ce réellement Flora ?- semble ne pas tenir en place, elle commence par lui rapporter un verre d’eau dont il renverse la moitié en tentant de boire un petit peu. Puis elle semble faire les cents pas. Les talonnettes de ses chaussures forment un métronome sur le sol, mais le tempo est imparfait.
De petits pics de douleur irradient le crâne d’Orpheus, sans qu’il ne parvienne à déterminer exactement quelle est leur cause.

Face à l’agitation de Cléophée -mais est-ce réellement Cléophée ?-, le brun finit par poser une main voulue apaisante sur son genou. Il ne parle peut-être pas très bien, sans doute qu’il n’est pas l’allié qu’on voudrait dans cette situation, mais il ne peut rien faire de mieux. Une main tendue, un regard compatissant, invitation à expliquer.
Elle parle, alors.
Elle parle vite et doucement à la fois, et Orpheus se raccroche aux branches parce qu’il sent que c’est important. Il entend qu’elle est désolée, qu’elle a été malade, il entend qu’elle a été sauvée mais ne comprend pas à quel prix.

Quelque part, tout au fond de lui, une certitude se crée une place.
Il le savait.

Il savait que leur comportement était étrange, que Xas était trop distant par rapport à leur relation, qu’on ne fait pas dormir son invité sur le canapé lorsqu’on a deux chambres. Il savait qu’elle avait bien trop de tristesse lorsqu’elle venait à l’hôpital se poster à son chevet, bien trop de fêlures dans la voix lorsqu’elle parlait à leurs parents. Derrière son masque de grande fille, l’humain retrouve sa petite sœur, et il est tout sonné d’admettre que, finalement, il le savait.
Quand les larmes prennent les cils trop blonds, le cœur d’Orpheus se fracture.
Il ne veut pas qu’elle soit désolée. Il ne veut pas qu’elle s’excuse. Il veut qu’elle se réjouisse d’être en vie ; puisqu’ils sont maintenant tous les trois. Les choses sont de retour telles qu’elles devraient l’être : les Astraea, prêts à briller, et leurs étoiles en pâte fimo peuvent bien briller sur leurs repères.
Peut-être qu’ils sont plus cassés qu’avant, peut-être plus amnésiques, plus blonds. Pourtant, une vague d’amour l’emporte, envahit la poitrine d’Orphy avec la violence d’un raz-de-marée. C’est sa petite sœur et il l’aime.

D’un geste mal assuré, il tire le bras de Cléophée pour qu’elle vienne s’asseoir sur ses genoux et l'entoure de ses grands bras maigres. Son nez se perd dans le tissu de son sweat, et il presse fort son visage contre l’odeur qui jadis était familière. Il n’a pas vraiment les mots pour lui exprimer ce qu’il ressent, mais on peut parler sans rien dire.
Je m’en moque, de qui c’est le corps, de ce que vous avez sacrifié pour que tu sois là avec moi. Tu es vivante, et c’est ce qui compte. J’ai cru me réveiller dans un monde où tu n’étais plus, et tu pensais que tu mourrais avant que je rouvre les yeux. Tu es vivante, je suis vivant, alors je t’aime et c’est comme ça.
Sans doute qu’il ne prend pas bien la mesure de ce qui se passe. Pas vraiment. Mais au pire, qu’est-ce-que ça change ?
« Pas morte. » est tout ce qu’il parvient à sortir.
Pendant un long moment, c’est tout ce qu’il parvient à articuler, le visage enfoui dans le pull de sa petite sœur. Il sent quelques sanglots agiter leur équilibre malhabile, sans parvenir à déterminer s’ils viennent de Cléo ou de lui.
« Je … je voulais … » Un effort, comme chez l’orthophoniste. « Je te protège. Xas … moi … toi … ensemble. Toujours. »

Orpheus & Cléophée

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Elle n’aurait pas pu être plus vulnérable. Là, plantée devant lui, ses plus grands secrets étalés sur la table, soumis à son jugement. Pourtant ça n’avait pas le même gout qu’elle l’aurait imaginé. Quand elle le regardait, elle ne voyait que son grand frère. Celui qui était venu la chercher si souvent à ses cours de danse, celui qui lui avait appris à jouer quelques accords à la guitare, celui qui la portait dans les airs pour la faire devenir une super héroïne, celui qui lui donnait toujours les olives sur sa pizza et qui récupérait les concombres de ses salades, celui contre lequel elle se blottissait quand elle était triste et avec qui elle pouvait rire des heures devant des comédies ridicules. Elle était vulnérable mais tellement en sécurité. Il pourrait lui pardonner, s’il comprenait et c’était à elle de faire en sorte que ça soit le cas. Il la regardait avec curiosité et elle était pendu à ses lèvres, à ses gestes, prête à savoir si elle avait réussi à ne pas lui faire peur. Si derrière tout ça, son frère serait toujours là pour elle.

Il l’attire sur ses genoux et elle sent ses bras se refermer autour de son corps mal assuré. Ca finit de libérer les larmes jusqu’alors bloquées dans ses yeux. C’est si familier et pourtant ça lui a tellement manqué. Il se blotti contre elle et elle se dit que s’il a compris, il lui pardonne, que tout n’est pas perdu et que, peut-être, son erreur était une bénédiction. Si l’abcès était crevé, elle n’aurait plus besoin de mentir et de prétendre être une autre. Elle pourrait être elle-même avec les deux personnes pour qui ça comptait vraiment. Elle savait bien que leurs vies ne seraient jamais les mêmes qu’avant, mais c’était quand même un premier pas vers quelque chose de normal. Elle hoche la tête timidement pour ne pas déséquilibrer leur étreinte. Elle n’est pas morte, ils resteront toujours ensemble. « Toujours. » Elle répond avec la même simplicité qu’il utilise.

Elle pourrait lui dire mille choses, mais elle garde le silence et la douceur de cet instant. Elle sait qu’elle ne doit pas lui donner trop d’informations, que tout est encore dur pour lui. Elle ne veut pas le fatiguer trop. Elle lui a dit l’essentiel. Et il l’a compris. Après quelques minutes de silence, elle s’écarte légèrement de lui, plonge ses yeux dans les siens. « Je pourrais répondre à toutes les questions que tu auras. » Elle dit d’un ton doux et apaisé, essuyant les dernières larmes trainant au coin de ses yeux. « Mais tu sais le nécessaire. Alors, peut-être qu’on pourrait aller faire cette balade maintenant ? » Elle propose avec un sourire. La vie s’offrait à eux et maintenant qu’elle pouvait être sincère, elle savait qu’ils auraient tout le temps de la partager.