So take me away, from out the door, now I'm looking for you outside // Aaspen

Il a un bleu sur la joue et la faim au ventre, mais il s’en fout, Aaren, alors qu’il escalade le grillage, il a presque déjà oublié tout ça. Parce que de l’autre côté du grillage y a la liberté, y a les soirées, y a enfin quelque chose qui peut l’aider à s’échapper de cette vie déjà merdique. Au moins les marques sur son dos commencent à cicatriser, pas de coup de ceinture par ici - y a toujours d’autres mecs qui s’amusent à le frapper mais au moins c’est plus celui qui a prétendu l’adopter, et il est toujours puni mais cette fois c’est surtout des repas sautés. Pas grand-chose comparé à l’autre.

Ses parents adoptifs l’ont envoyé ici pour le discipliner, comme ils le frappaient pour le discipliner aussi mais ça a rien changé. Comme si à chaque fois qu’on essayait de forcer l’adolescent à se plier aux règles, il faisait exprès de les dépasser encore plus. Il aime pas les règles, Aaren, surtout celle qu’on a voulu lui imposer par la violence. Puis de toute façon il s’en est pris plein la gueule même quand il a essayé de les suivre, alors autant repousser un peu plus les limites à chaque fois, autant s’amuser quitte à se faire taper après ; il est habitué maintenant.

Ici c’est pas terrible, mais c’est un peu mieux, c’est pas si loin d’Houston mais souvent il se prend à rêver qu’il retournera jamais là-bas. Il aime pas passer trop près de son ancienne maison et des souvenirs qui lui rappellent que sa vie à un jour été mieux, il aime pas passer trop près de chez Caliban qui a fini par l’abandonner lui aussi et lui retirer sa dernière bouteille d’oxygène, d’ailleurs il en a marre - est-ce que c’est un truc de nymphe du vent, de finir par s’enfuir comme un courant d’air ? Et plus que tout, il aime pas rentrer à l’endroit qu’il devrait pouvoir appeler chez lui. Alors c’est pas plus mal d’être envoyé ailleurs.

C’est pas pour ça qu’il continue pas de fuguer, parce que c’est pas plus mal mais c’est pas si bien que ça non plus. Et ici il a découvert d’autre choses, quand il le fait, parce que de l’autre côté du grillage, y a les clopes, y a l’alcool, y a d’autres substances qu’il commence tout juste à essayer en se rendant compte que ça rends le tout un peu plus supportable pour quelques minutes ou quelques heures.

Et puis de l’autre côté du grillage, y a aussi Aspen, maintenant.  

La rousse et lui, c’est comme un duo infernal, ils écument les bars, les night clubs, les boîtes, les soirées - tout ce qu’ils peuvent trouver. Ensemble ils testent des trucs, ensemble ils découvrent des trucs, ensemble ils font des conneries. C’est sa seule amie ici, la seule à pas le regarder avec de la déception, du dégoût, de la pitié ou de la colère dans le regard, et ça lui suffit à Aaren. Ça lui suffit pour oublier les gars qui l’ont encore traité de pédé tout à l’heure, les coup de règles sur les doigts ou les coups de poing dans le bide pour lui faire passer l’envie d’être maniéré, ou bien juste pour oublier qu’il est déjà qu’un raté.

Ils ont pas vraiment parlé de leur passé avec la jeune femme, il sait juste que c’est une sirène, et qu’elle fugue aussi comme lui. C’est comme un accord tacite entre eux, de pas parler de ce qui fait mal, de laisser derrière le reste de leur vie quand ils se retrouvent devant un plateau de shot ou les néons fluorescents des pistes de danses. Peut-être que c’est superficiel mais il s’en fout, lui, pour l’instant ; ça reste plus que quiconque veut bien lui donner, ça reste sa meilleure amie.

Alors ce soir encore il la retrouve, et ce soir encore ils vont goûter des cocktails qu’ils ont pas essayés, et ce soir encore ils se quitteront en souriant, un peu plus prêt à supporter les jours suivants. Et peut-être qu’un jour ça sera différent. Ou bien peut-être que ça va l’être aujourd’hui.


Il se tiennent la main quand ils sortent de la boîte cette nuit-là, et Aaren rigole encore comme un con d’une blague qu’elle vient de faire. Il se souvient même plus si c’est lui qui a attrapé la sienne ou l’inverse, il se souvient même plus à quel moment c’est arrivé et ça lui fait un peu bizarre. Entre ses côtes, y a quelque chose mais il sait pas trop ce que c’est alors tant, il décide d’ignorer le sentiment - et puis il est de bonne humeur, il veut pas gâcher ça en essayant d’y réfléchir. Il est pas tout seul, Aspen est là, il a encore en bouche le goût trop sucré du jager bomb et il pourrait presque croire que la vie est belle, comme ça sous les étoiles.

Et puis il a une idée conne, enfin il en a tout le temps des idées connes Aaren, et celle-ci finira peut-être pas mieux que les autres mais sur le coup elle lui parait pas si mauvaise. Puis il veut éternisé la soirée, il a pas envie de rentrer se coucher - se coucher ça veut dire dormir, et dormir ça veut dire arriver trop vite au lendemain.

-Hey, j’te défie à action ou vérité.

Son amie est joueuse, il le sait, elle refusera pas un défi. Le nymphe joue un peu sur ça lui aussi, il en profite, choisit bien ses mots pour qu’elle puisse pas lui refuser.

-Allez, tu choisis quoi en premier ?

Il se doute un peu de la réponse, mais il la laisse choisir quand même, avec un gage qui lui brûle déjà les lèvres. Aaren peut être créatif, quand il veut, surtout pour faire de la merde. Et c’est typiquement le genre de jeu avec lequel ils peuvent aller très loin, tous les deux. Alors dis-moi, Aspen, quel genre de connerie on va faire ce soir ?

Aspen essaye même pas de se cacher, de faire mine de réfléchir, ou de changer d’avis. Elle est directe, Aspen, elle fait les choses quand elle en a envie, et elle ne s’occupe pas du regard des autres. C’est peut-être bien ça qu’il a aimé chez elle Aaren, cette manière de s’en foutre qu’il a appris à avoir aussi à force de se faire rouler dessus par l’univers. Cette manière qu’elle a d’être libre aussi, il kifferait ça de l’être autant, et peut-être qu’il l’est aux yeux de certains quand il passe par dessus la barrière et qu’il s’en fout de toute les règles - mais en réalité il est toujours autant enfermé dans sa propre vie, dans son propre esprit. Mais quand il est avec elle il a plus aussi mal, quand il est avec elle il est plus aussi seul, quand il est avec elle il est presque libre aussi.

Il sait qu’elle allait dire action, Aspen a toujours préféré les actes plutôt que les paroles. Lui aussi il préfère action, parce qu’il veut pas trop lui en dire sur lui. Mais il est joueur, il alterne, il essaye toujours de dire celui pour lequel elle a pas d’idée parce qu’il aime bien un peu l’emmerder. Y a bien qu’elle que ça fait rire, quand il joue au petit con. Même s’iel évite de trop le faire, quand même, parce que quelque part il veut pas la faire fuir. Parce qu’il a peur qu’un jour elle lui foute une baffe parce qu’elle sera saoulée ou qu’elle se casse, disparaisse comme tous les autres. Parce que ça fait toujours plus mal de perdre quelque chose quand on sait à quel point ça peut être doux.

Le nymphe rigole de nouveau, l’entraîne un peu plus loin, avec l’air benêt de celui qui vient de trouver une bêtise bien juteuse. Il y a une marelle qui est dessinée malhabilement par terre, la craie est en train de s’effacer et elle est visiblement trop petite pour eux, mais ça le fait bien rire. C’est ça qui lui a donné l’idée, mais c’est pas vers ça qu’il se dirige, plutôt vers le bord du trottoir sur lequel ils arrivent bientôt tous les deux.

-Allez, je te défie de le longer à cloche-pieds. T’inquiète pas, si tu tombes, je serais là pour te rattraper.

Il a peut-être l’air de se moquer d’elle, mais il sait que si ça arrive il la laissera pas s’écorcher, quitte à se foutre elle et le sol. Il s’écorchera à sa place, en se persuadant que c’est pas parce qu’il est protecteur parce qu’il déteste cette idée mais juste parce qu’il a plus l’habitude de prendre des coups, ça serait plus logique que ce soit lui qui souffre et pas elle. Et puis, c’est lui qui lui a donné ce défi pourri.

De toute façon, il a presque bien prévu son coup, même s’il a pas trop réfléchi : il a même pas besoin de lui lâcher la main, pour qu’elle le fasse, et c’est peut-être tant mieux parce qu’elle sent encore l’alcool.

-En attendant, tu peux me donner un défi. Moi aussi j'dis action, pour l’instant.