All the way through the night | Erebos

Vous. Oui, vous, lecteur, lectrice, niché devant la lumière bleue de votre écran d'ordinateur, qui ouvrez ce RP prometteur en vous disant que ses auteurs risquent de vous servir sans doute une situation incongrue. Vous vous demandez certainement quel genre de destin hasardeux peut mener Erebos Stonegold à croiser Damoclès Borgia. Sans doute deux partenaires avides de faire interagir leurs personnages, à la quête de liens capillotractés. Et vous avez raison... Et tort.
Hasardeux, oui, c'était le mot. Hasard qu'il soit sorti, ce soir là. Hasard que London ait été absente. Hasard que ce soit ce bar là, précisément, qui ait attiré son attention. Hasard qu'il soit rentré dedans, lui qui ne rêvait de rien plus que se retrouver seul chez lui. Hasard. Mais le hasard faisait bien les choses.
Aussitôt poussée la porte transparente, Erebos sentit la chaleur d'une ambiance qui l'enveloppait. De ces ambiances indéfinissables, dont on ne sait pas dire vraiment si on les apprécie ou non. Il n'était pas coutumier de ce genre d'endroits, c'était peu de choses de le dire. Le voir s'accouder au comptoir était aussi bigrement fou que d'observer une poule aveugle tentant de jouer au mini golf.
Clignement. Clignement. Mouvement de tête. Clignement.
Il n'était pas coutumier, et certainement pas à sa place. Il était sorti sans motif, tâchant de trouver quelque chose d'autre que les jeux vidéos pour occuper cette soirée morne. Après une journée au travail qui n'avait porté que l'ennui, il semblait la moindre des choses que Reby tentât, même vainement, de se divertir une seconde. Alors il avait marché. Au gré des rues, ses converses blanches élimées battant les pavés de la ville.
Et quelque chose l'interpella.
Dans la devanture de ce bar, dans son apparence, quelque chose alpaguait un peu le sorcier. Après tout, il n'avait rien à perdre. Il était même, pour une fois, habillé presque normalement : son slim noir presque pas troué, et cette chemise à motifs hideux dont la coupe presque convenait.
Ainsi Reby s'accouda-t-il, incapable de dire vraiment ce qu'il était venu y faire. Sans doute attiré par la force d'émotions contradictoires qui lui vrillait tout l'estomac. Il commanda une Pandore -parce que changer ses habitudes, ça va bien mais faut pas pousser- avant de s'adosser au bar pour contempler la foule diverse qui s'agitait dans l'endroit.
Une ambiance de joie collective semblait régner dans toute la pièce, par dessus les tables collantes et les regards qui s'échangeaient. Une ambiance dans laquelle Erebos n'était pas vraiment, dans laquelle il ne pouvait être.
Il avait l'air d'une porcelaine dans un magasin d'éléphants.

Quand l’homme s’approcha de lui, d’un coup, la démarche sans doute moins assuré que quiconque ne l’aurait voulu, Erebos leva les sourcils pour manifester sa surprise.
Hé. Salut. Blondin.
Mouvement de tête. Clignement. Clignement. Clignement.
Aucun de ces trois mots ne convenait, et certainement pas le dernier. Cela étant, d’un point de vue purement théorique, c’était certainement correct, Erebos avait les cheveux blonds. Mais le surnom était étrange, pour un peu le jeune sorcier l’aurait donné à un renard ou tout autre animal totem autre que la loutre ou le héron.
« Heu. Oui ? » fut tout ce qu’il était capable d’articuler.
Incapable même de répondre à une salutation courtoise, et de débuter, comme le font les personnes classiques, par un bonjour ou un bonsoir. Non. Les normes sociales étaient déjà à des années-lumières de ses préoccupations, mais dans un environnement aussi peu familier que ce bar, sa capacité à communiquer baissait encore de quelques crans.
Mal à l’aise, il passa une main dans la tempête de ses cheveux. Gras, certainement. Et mal coiffés.
Etait-ce ce qu’on remarquait de lui ? qu’il était blond ? est-ce-que c’était mal, d’être blond ? s’était-il, sans faire attention, retrouvé là téléporté dans un univers parallèle où les blonds n’étaient pas bienvenus ? y avait-il un signe sur la porte du bar qui y interdisait les blonds ?
« Vous … vous pensez que je devrais me teindre les cheveux ? »

Il avait l’impression de manquer d’air, et en même temps d’être exposé à un milliard de vents contraires. Une dizaine de mains repassées dans ses cheveux blonds en bataille, comme ça, s’ils n’étaient pas sales, ils le deviendraient rapidement. L’inconnu avait l’air super à l’aise, drôle, cool, le genre de gars qu’Erebos admirait de loin tout en sachant pertinemment qu’il leur ressemblerait jamais. Mais là, le gars était proche, un peu trop proche, et ses notions de proxémiques donnaient des petites décharges dans sa poitrine. Ou bien était-ce seulement l’alcool ? La Pandore qu’il avait dans le verre s’était téléportée dans son ventre, en un claquement maladroit.
Reby songea aux couleurs avec lesquelles il pourrait se teindre les cheveux. Il pourrait être brun, tout simplement. Ou alors il pourrait faire comme London, changer tous les quatre matins. Peut-être même qu’elle l’aiderait à le faire, même, ils barbouilleraient la salle de bain de toutes les couleurs parce que l’eau ferait n’importe quoi. Ça pourrait être cool. Il lui proposerait, tiens, la prochaine fois que la nymphe passerait.
Clignement. Clignement. Mouvement de tête. Clignement.
Il parlait beaucoup, et y avait beaucoup de bruit, le blond dut froncer les sourcils pour mieux l’entendre -ce qui ne faisait aucun sens, d’ailleurs : en quoi froncer les sourcils permettrait-il à ses tympans de mieux capter les vibrations sonores ?.
Damo. C’était le nom de l’autre gars, qui devait être bien plus vieux que lui, et mille fois plus à l’aise aussi. Damo, comme Damoclès, et Reby se dit qu’ils faisaient bien la paire, entre lui qui était nommé d’après le dieu des morts et l’inconnu avec son épée au-dessus de la tête. La mythologie les poursuivait, ça leur faisait ça en commun.
Le gars disait qu’il était mignon, et le sorcier ne sut que faire.
« Euh, ben, merci. Vous aussi. »
Si vous vous demandiez encore si c’était possible d’échapper à la drague lourde de Damo, chers lecteurs, vous avez votre réponse.
« J’m’appelle Erebos. Mais tout le monde m’appelle Reby. Du coup, vous pouvez m’appeler Reby, si vous voulez. Et, euh … » Un regard perdu dans son verre. « J’bois d’la Pandore. »
Encore un truc mythologique, la Pandore. La boîte, si jamais on l’ouvrait, elle déversait dans l’atmosphère tous les malheurs de l’univers. Mais pour l’alcool, c’était l’inverse ; chaque fois qu’Erebos en buvait, il se sentait un peu plus calme, un peu plus en phase dans ce monde qui sinon lui glissait des doigts comme une anguille pleine de savon.

T’es tout seul ? demandait l’homme, et il savait pas quoi répondre. Oui, il était tout seul, il avait toujours été tout seul, à errer dans un labyrinthe au milieu des autres personnes qui le voyaient même pas vraiment. T’es tout seul ? Oui, il était tout seul, encore, parce qu’il habitait tout seul, il avait même pas essayé de l’être pour une autre soirée. Il aurait pu appeler Ezra, Eira, ou bien le mec bizarre des cactus de la dernière fois. Mais non. Il était tout seul. Ce fut ce qu’il lui dit, d’ailleurs.
Mouvement de tête. Clignement. Clignement.
« J’suis seul, oui. »
Et puis, il fronça les sourcils encore, parce qu’il ne comprenait pas vraiment ce que l’autre essayait de dire. Il avait clairement inversé des mots, Damo, et ça avait pas l’ai exprès. Alors il répéta, pour être sûr d’avoir bien compris :
« Qu’est-ce-qu’un gars mignon comme toi fait dans un bar pareil ? »
Sans réaliser que, ce faisant, il semblait répondre à l’appel, le rentre-dedans de Damoclès. Sans réaliser qu’il s’approchait, lui aussi, de la lame qui menaçait son crâne ; la lame d’une normalité qu’il ne comprenait pas vraiment, qu’il n’avait pas l’air de capter.
Vaguement mal à l’aise, il haussa les épaules, l’air de dire qu’il n’en savait rien, avant de vider d’un coup sec le feu brûlant de la Pandore directement dans son gosier.

C’était bizarre.
Honnêtement, Erebos avait vécu des trucs bizarres -ceux qui stalkent ses RP le savent, il était foncièrement amateur de crêpes à la farine de pois chiches ou bien de casquettes égarées. Mais là, c’était bizarre. C’était bizarre et en plus il se sentait pas dans son élément, il se demandait si l’autre lui parlait parce qu’il avait besoin de parler ou s’il lui parlait juste parce qu’il était soûl. Ou peut-être les deux.
Reby esquissa un sourire à la mention de leurs prénoms. A deux doigts de lâcher un ouais, c’est marrant lorsqu’une quinte de tics trop nerveux agitèrent son visage poupin.
Mouvement de tête. Clignement. Clignement. Clignement.
Le gars avait pas eu l’air de comprendre qu’Erebos faisait que répéter ce qu’il venait de lui dire. D’un autre côté, Erebos ne comprenait absolument pas que ce qu’il venait lui-même d’articuler était une phrase d’accroche bidon, du genre qu’Odalie recalerait si on lui sortait en soirée. Le gars riait pas mal, le sorcier se détendit un peu. Le mot drague se fraya un chemin jusqu’à l’orée de sa conscience. Il faudra cependant comprendre, lecteur, lectrice, que Reby n’avait de la drague qu’une notion très abstraite et floue. La seule copine qu’il ait jamais eue, il l’avait trouvée sur un lit d’hôpital, avec ce genre de blouses affreuses qui vous retirent tout sex appeal. Et l’autre fille qu’il connaissait et qui daignait lui accorder un petit peu plus de cinq minutes, c’était le genre à se teindre les cheveux tous les quatre matins et à parler de mille conneries plutôt que dire la vérité.
« Bah … je … vous êtes pas gros. »
Le sens de ce que l’homme disait échappait totalement au blond. La situation était bizarre, peu coutumière, et Erebos n’avait absolument aucune idée de s’il était à l’aise ou non avec l’idée que le mot drague puisse être associé à sa personne.
Il se contenta de fixer l’inconnu, enfin, Damoclès, un peu bêtement. Plissant légèrement les paupières comme si son visage était flou et qu’il essayer d’avoir la HD en frôlant ainsi ses prunelles.

Pourquoi il était tout seul ?
Clignement. Clignement. Mouvement de tête. Clignement.
Il savait pas trop, en vrai. Il était tout seul de manière générale, c’était un fait donné, dans sa vie, une constante qui ne variait pas. Et puis, des fois, il l’était pas. Parce que Daisy était là. Parce qu’Ezra était là. Parce que London était là. Parce qu’il retournait au domaine et que sa famille était là. Mais ça paraissait tellement anecdotique par rapport au reste du temps que Reby haussa les épaules.
« J’sais pas. »
Une gorgée dans son nouveau verre, il tira pas trop la grimace. En tout cas moins que sur d’autres alcools.
« Vous savez je sous tout seul tout le temps. Ça me dérange pas, hein. »
Si vous comptiez sur lui pour relancer la conversation, vous auriez dû savoir que vous vous exposiez à être déçu. Des concepts tels que la politesse, ou même la gêne ou l’embarras, étaient complètement étrangers au registre émotionnel d’Erebos. Il pouvait laisser les silences s’éterniser sans ressentir aucun besoin d’y apposer le moindre mot.
C’est ce qu’il fit, donc, à côté de Damoclès qui certainement devait le prendre pour un idiot. Et puis, une sorte d’éclair dans la nuit, et il se tourne vers l’autre homme avec un air un peu soupçonneux.
« C’est quelle langue, Damoclès, en fait ? »