Nova-Blue〖 I cut my teeth on wedding rings in the movies

Silver et Ruby Herondale, le couple parfait, celui que tout le monde envie, celui qui rend jaloux, qui inspire, celui qui s’aime au-delà de tout. Ils s’aiment oui, comme des fous. Des fous qui font n’importe quoi, vivent à leur rythme et chantent très faux, puisque c’est comme cela qu’ils s’aiment. Fous à lier et fous d’aimer. Neuf mois que le ventre du Ruby s’arrondit un peu plus chaque jour, et voilà qu’enfin, la fin août accueille sous le ciel canadien les premiers cris d’une petite fille.
Nova, qu’ils l’appellent comme une promesse. La promesse d’une nouvelle ère, que leur binôme sera trio et qu’ensemble les Herondale seront les plus aimés du monde.
Mais ça ne se passe pas comme ça. Ça ne se passe jamais comme ça. Ruby, épuisée par son enfant qui pleure à s’en époumoner, commence à entendre des voix. Des voix qui l’empêchent de dormir, des voix qui l’appellent et l’accueillent. Elle fait ce que toute bonne mère fait : elle protège sa fille, elle en parle à son époux.
Ensemble, ils se protègeront. Ils feront de leur belle union une famille qui saura aimer.

Nova a six ans quand elle quitte le froid québécois pour rejoindre la chaleur aride. La ville s’appelle Tucson, elle l’apprendra en grandissant, sur les bancs de la maternelle où elle s’en ira faire ses classes.
Ce qu’elle ignore, la petite brune, c’est que s’ils ont déménagé c’est pour que sa maman aille mieux. Pour trouver une explication. Pourquoi ces voix, ces cris, ces murmures ? Pourquoi sont-ils toujours plus forts, menant Ruby tout doucement à ne plus savoir ce qui est vrai et ce qui se trame dans sa tête ? Silver lui a trouvé une place dans une clinique de Tucson. Discrète, hors de prix, elle les contraint à vivre dans un appartement minable. Mais au moins Ruby ira mieux.
Nova ne comprend pas tout ça, non. Elle comprend que Maman s’en va, de plus en plus souvent, qu’avant elle avait sa propre chambre et que maintenant elle dort avec ses parents. Le plus souvent, juste avec papa, qui gémit avant de dormir comme si tout son monde s’écroulait.
Elle est aimée, Nova, elle est aimée comme une folle. Ce qui n’était qu’une expression devient peu à peu quotidien, et quand les enfants se font dur les mots le deviennent eux aussi. Nova est aimée comme une folle, mais elle est aimée par une folle.

Maman passe de moins en moins de temps à la maison, et Nova comprend peu à peu. Sa mère entend des voix, des choses qui n’existent pas. Silver, peu à peu, se renferme, privé de son plus grand amour. Nova doit apprendre toute seule.
Elle a été aimée follement, elle sera aimée comme on peut.
Le soir de son anniversaire, Maman n’a pas le droit de sortir. Mais Papa est là. Papa l’emmène au restaurant, elle a le droit de se coucher tard, elle a huit ans maintenant. Il commande un énorme gâteau, au chocolat, elle adore ça. Pendant qu’elle sourit, radieuse, et plante ses dents dans la génoise, son père reçoit un long coup de fil.
Défait, amer, ils doivent partir.
Ce soir-là, sa Maman est morte, suicidée sans savoir vraiment que sa fillette avait huit ans.

C’est la descente aux enfers pour Nova. Papa oublie qu’il est son père, il l’oublie encore et partout. Papa n’avait qu’un seul amour, c’était Maman et maintenant Nova voit bien qu’elle n’a pas de place.
Elle est oubliée à l’école, au parc, au centre de loisirs, son père fait de son mieux, mais il reste souvent dans le noir. Elle le trouve assis sur le sol de leur maison, le regard plongé dans le vide, et Nova qui apprend à lire déchiffre sur les boites trop blanches des mots qu’elle ne peut pas comprendre. Anti-dépresseurs. Maman est partie, Papa est triste, il n’y a plus de place pour elle.
Alors à seulement huit ans, la petite s’occupe d’elle-même. Elle va à l’école toute seule. Elle fait ses devoirs toute seule, ne ramène jamais de copines à la maison, ne demande jamais, ne se plaint pas. Elle veut être la fille parfaite, pour qu’entre deux salves de larmes son père la voie enfin vraiment. Qu’il lève la tête et qu’il lui dise je suis fier de toi, ou c’est bien, Nova, n’importe quoi, mais qu’il la voie, qu’il la remarque. Qu’il réalise encore qu’il y a quelqu’un de qui il devra prendre soin.
A être tellement polissée, elle s’en rendrait presque invisible. Son père ne la voit plus, l’oublie, et juste avant d’avoir dix ans -anniversaire qu’on ne fête plus- c’est elle qui trouvera Silver étendu faiblement au sol. Une boîte blanche vide dans la main, de l’écume perlant à ses lèvres. Le 911, inquiet qu’une fillette de huit ans vive dans de telles conditions, permet que Silver soit sauvé. Mais Nova perd confiance en lui.
Il ne sait pas la protéger. Personne ne sait la protéger. Elle doit se protéger toute seule, ne pas faire de bruit, pas de vague, pour que tout se passe pour le mieux.
Les services sociaux mettent en place un dispositif autour d’eux. Chaque semaine, une psy vient la voir, et si Nova ne comprend pas elle sait qu’elle ne devra rien dire. Oui, tout va bien. Oui, elle aime son père. Oui, elle réussit à l’école, elle fait au mieux. Elle fera toujours de son mieux. Car pour ne pas devenir folle il faudra marcher dans les clous. Oui.

Elle n’a pas fêté ses douze ans, mais cette fois-ci Silver va mieux. La thérapie l’aura aidé à faire son deuil, à voir sa fille. Au forum des associations de la petite ville de Tucson, Nova découvre le club de gym.
Pour la gamine trop esseulée à qui on a tout retiré, qui doit se priver, grandir vite, la gymnastique est un cadeau. Avec des fillettes de son âge, Nova apprend la discipline, elle se donne à huit mille pourcents pour retrouver la sensation qu’elle a le contrôle de sa vie. Elle ne peut pas devenir folle, elle ne peut pas guérir son père. Mais elle peut faire un saut de carpe, monter aux anneaux, se muscler, et démontrer par son physique qu’elle est capable de se dompter.
Nova devient cette fille sans histoire, dont les profs disent qu’elle est très sage, qui n’a que des bons résultats. Elle se prive de tout pour gagner, à la sueur de ses deux poings, un petit peu plus encore de la vie qu’on lui a promise.
Elle y arrivera, un jour.
Quand elle est dans son justaucorps, son père la voit, son père sourit. Ça lui fait tellement chaud au cœur qu’elle ne s’arrêtera jamais.
Nova deviendra Nova-Blue, la gymnaste au mental d’acier.

Dans les gradins de sa compétition, il y a une femme près de son père. Une femme que Nova n’a jamais vue. Et dans les jupes de cette femme, il y a une petite fille qui pleure.
Nova, quatorze ans, salue de la piste en leur lançant de grands sourires.

Si seulement elle avait su.
La femme s’appelle Emeraude, la fille s’appelle Scarlett. Et elles font partie de son quotidien maintenant. Nova leur est reconnaissante. Depuis qu’elles sont là, son père sourit. Emeraude est gentille avec elle, même si elle ne pourra jamais prendre la place prise par Ruby. Elle l’aime bien. Elle les aime bien, même.
Elle a enfin la sensation qu’on lui a donné une famille. Une famille nouvelle, imparfaite, mais une famille qui la guidera.
Dans cette famille, une petite sœur, cette Scarlett et ses cheveux courts. Nova se dit qu’elles pourront être amies, se découvrir et s’aimer fort. Mais c’est sans compter sa jeunesse. Scarlett est rebelle, sauvageonne, elle n’écoute rien et court partout. Loin de la discipline de Blue, Scarlett est comme un feu follet qui met ses nerfs à rude épreuve.
Silver et Emeraude se marient, et un nouvel enfer commence.
On ne lui donne pas plus d’attention. Tous les yeux sont braqués sur S. Elle doit encore tout faire toute seule, et puis « tu es une grande, maintenant ». Elle voudrait ne pas être une grande. Elle voudrait enfin, un petit peu, avoir la chance d’être une enfant. Mais ce rôle là est déjà pris ; il semble à la jeune gymnaste que ce rôle sera toujours pris. On l’a privée de son enfance pour qu’elle doive partager tout le reste. Elle partage sa chambre avec Scarlett, elle partage sa vie avec Scarlett, mais aucun regard n’est pour elle, aucun sermon, aucun aller-retour en voiture pour l’emmener à droite à gauche.
Tucson tout entier se referme, et Blue s’étouffe dans sa rancœur sans pouvoir même la formuler.

Nova-Blue Herondale, dix-huit ans, arrive en quatrième place d’une compète de gym nationale. Déçue, honorée à la fois, elle cherche des yeux dans le public sa famille venue l’acclamer.
Silver et Emeraude, confus, s’occupent d’une crise de nerfs de Scarlett.
Nova serre les dents sans rien dire.

Blue quitte Tucson pour se rendre à Phoenix entreprendre un bachelor de commerce. Elle prend son propre appartement, un studio juste sous les toits. Enfin l’espace qu’elle méritait, enfin elle pourra se donner avec l’espoir que les autres la voient.
Sur les bancs de son bachelor, Nova-Blue rencontre Jared. Il est beau, charmant, drôle, gentil, il est tout ce qu’elle voudrait pour elle. Sa porte vers une vie normale où elle ne doit pas prendre sur elle, pas faire passer les autres avant sans décrocher le moindre mot. Sa porte vers une vie simple, avec un mari, des enfants, une jolie maison à jardin, une vie où Scarlett ne sera pas venue lui voler la vedette.
Rapidement, elle sort avec lui. Sans doute trop vite pour être vrais, sans doute trop vite pour être forts, ils tombent dans les bras l’un de l’autre et Nova vit sa première fois, les yeux rivés sur le plafond de son chez-elle tout mansardé.
Ça fait un peu mal, mais ce soir-là, la brune voit naître une certitude que sa vie est sous son contrôle. Son appart. Son mec. Ses études. Sa ville. Sa vie.

Mais elle s’est fourvoyée, bien sûr. 2010, c’est l’année noire pour Nova.
Scarlett a fini le lycée et vient la rejoindre à Phoenix. Pour ne pas que ça coûte trop cher, leurs parents préfèrent leur louer un seul appart pour toutes les deux. Alors même que Blue les supplie qu’elle puisse prendre un prêt étudiant et garder un endroit chez elle, c’est déjà trop tard. Scarlett est là. Elle est partout.
Jared finit par rompre avec elle, l’accusant d’être trop têtue, trop obstinée, trop égoïste. Blue se comporte comme une conne, se venge, tente de le rendre jaloux pour cacher au fond de son cœur la perte de son identité. Elle enchaîne les relations de merde, toxiques, ennuyeuses, saupoudrées de viols conjugaux. Persuadée que c’est normal, tout ça.
Mais rien dans sa vie n’est normal.
Nova-Blue devient détestable. On la traite de salope, de pute. La brune n’arrive plus à trouver dans sa promo des gens pour rire. Elle quitte l’amphi après les cours, filant rejoindre son cocon qui n’en est même plus vraiment un. Rapidement, elle devient « la sœur de », on l’invite à cause de Scarlett, et Nova n’a plus rien à elle. Même pas sa petite chambre triste, où sa sœur rentre sans frapper, peu importe quelle heure il est.
Elle l’aime alors ne dit rien.
Parce qu’elle l’aime. C’est ça le pire. Tout pourrait être tellement plus simple si Nova n’aimait pas Scarlett.

La guerre est une révélation.
Il y a d’autres qu’eux qui existent, d’autres qui ont des facultés dont Nova n’aurait pu rêver. A la seconde où elle entend parler des gorgones, Nova-Blue comprend pour sa mère. A la fois soulagée et amère, la brune réalise tristement que son enfance si chaotique aurait pu lui être évitée si seulement ils avaient su.
Simultanément, terrée dans leur appartement, Blue entend elle aussi les voix. Elle ne fera pas l’erreur de sa mère, elle ne perpétuera pas ce cycle malheureux dans sa famille. Elle protègera ceux qui lui sont chers, Scarlett et son père les premiers, et elle deviendra une gorgone.
Ses pas la mènent vers une grande blonde qui répond au nom de Raina, et c’est aussi simple que ça. Nova-Blue accueille ses serpents comme de nouveaux amis fidèles, embrasse la cause à corps perdu et dans les méandres de la Toile, il lui semble soudainement qu’elle s’est retrouvé une famille.

La guerre est finie. Nova-Blue termine ses études, en étant major de promo. Sourire aux lèvres, elle lance un clin d’œil à Scarlett qui se tenait dans l’assistance. C’est la garantie d’une nouvelle vie, qui lui appartient en entier, où elle mérite tout ce qu’elle a.

L’année des grands changements. Nova trouve un poste dans l’audit, un poste qui ne fait rêver personne mais qui lui conviendra à elle. Elle en profite pour changer d’appartement, allant se mettre un peu plus loin dans la banlieue de Phoenix.
Rapidement, ses décisions l’amènent à se concentrer, dans le cadre professionnel, principalement à de Toutes Petites Entreprises (TPE) dirigées par des femmes. Blue sent qu’elle répondra ainsi à la cause simple des gorgones, et ce sentiment d’appartenance la fait avancer d’autant plus.
Jusqu’à ce que Scarlett les rejoigne.
Bien sûr. Elle ne pouvait rien lui laisser, il fallait tout qu’elle lui prenne. Son père, son rêve, sa vie, son espace, tout. Scarlett ne semble pas comprendre, ne semble pas réaliser. Nova-Blue ravale son venin, son sel, sa rancœur et sa peine. Mais c’est trop. Elle se fait plus distante avec sa sœur, moins prompte à tout lui pardonner, elle étouffe de tout auprès d’elle. C’est insupportable.

Silver meurt, bêtement, d’une mauvaise chute dans l’escalier. Devant son corps enfin en paix, Nova ne sait ce qu’elle ressent. La tristesse d’être désormais la seule à se souvenir d’eux, la joie qu’il retrouve Ruby dans un au-delà pour eux deux, ou bien le soulagement immense de voir disparaître cet homme trop maladroit pour prendre soin d’elle.
Elle n’a pas eu besoin de lui enfant, elle ne l’aura pas plus adulte. Ça lui pince le cœur d’y penser, mais c’est une amère vérité.
Nova-Blue, croyant aller bien, enchaîne les relations foirées, devient toxique pour ses partenaires, leur en demande trop, leur pique des crises … elle est odieuse sans le vouloir, tellement avide d’être aimée que tout pourrit à son contact.

Les gorgones viennent leur annoncer, à toutes les deux -puisque Scarlett a eu le goût de s’installer dans son immeuble- qu’elles auront besoin d’une espionne pour infiltrer les rangs de l’Ordre. Le cœur de Nova bondit : enfin on reconnaît sa valeur, enfin on voit tout ce qu’elle peut faire, tout ce qu’elle est prête à investir dans la cause de sa race entière.
Mais non, bien sûr.
Ce n’est pas d’elle dont on veut, c’est de Scarlett, comme d’habitude. Nova, amère, a pour mission de la protéger, simplement. Comme si elle ne le faisait pas déjà. Comme si tout l’univers ne l’obligeait pas ; tout lui semble clair désormais. Elle n’est pas prévue pour briller, mais juste pour rester dans l’ombre en grappillant les miettes de pain qui retombent sur le sol lugubre.

Les choses ont peu évolué. Nova-Blue enrage en silence mais protège sa sœur comme elle peut.
Récemment, une nouvelle relation a fini par voir une rupture. Alix aurait certainement décroché la Lune pour elle, et ses injonctions d'homme parfait. Mais Blue ne s'en rendait pas compte, elle a poussé toujours plus loin, jusqu'à ce que les projets s'étiolent et l'amour se change en rancœur. Soi-disant qu'elle n'écoutait pas, qu'elle lui mettait trop la pression, qu'il ne pouvait pas correspondre à ce qu'elle attendait de lui. Nova lève les yeux au ciel.
Y a-t-il seulement un homme parfait ?