And you tell me bout your dreams / DakotIsra

And you tell me about your dreams

« Va chercher ! » Je regarde avec joie Eddie détaler sur ses courtes pattes pour pourchasser la balle, dans l’étendue désertique qui entoure la ville. Heureusement, nous ne sommes encore qu’en mai et il est encore tôt dans la journée : une casquette, de la crème solaire et plusieurs litres d’eau suffisent à survivre au soleil d’airain et à sa chaleur écrasante. Il m’a fallu quelques années pour me faire à ce climat si particulier, cette température à la fois vivifiante et mortelle. Mais aujourd’hui je peux appeler Phoenix ma maison. Et c’est en grande partie grâce à la femme que j’attends, Isra.

Pendant que mes yeux se perdent sur la ville qui s’étend depuis les hauteurs où nous nous sommes données rendez-vous, je pense à la vie qui pourrait être la mienne si je ne l’avais pas rencontrée. La femme que je pourrai, que j’aurai risqué être. Une brute bagarreuse, vivant au jour le jour, à chaque nuit son combat, à chaque réveil sa gueule de bois, à chaque souvenir un regret. Toute ambition refoulée loin sous le ring. Je ne regrette pas tout de cette vie, évidemment, et, masquée, il m’arrive même d’y retourner. Toutefois, je suis bien plus fière de la Dakota que je suis aujourd’hui. Que je suis, grâce à Isra.

Fierté étrange, toutefois. Elle est une djinn, une créature dont la nature m’échappe totalement mais qui assiste les humain.e.s qu’elle choisit avec sa magie. Toute ma réussite n’est-elle donc qu’un mensonge ? Il m’a fallu longtemps pour me persuader de l’inverse, et j’ai toujours parfois besoin de m’en réassurer. Mais, encore une fois, c’est grâce à Isra que je m’en sors. Elle est toujours si douce, ajustant les choses en arrière-plan sans dénaturer, sans rayer. Sa magie paraît plus réelle que le monde, plus douce aussi. Douce, c’est un bel adjectif pour Isra.

Non seulement une associée fidèle et efficace et un atout magique à nul autre pareil mais une amie réelle. Aussi, lorsqu’elle m’a dit avoir quelque chose d’important à me dire, je lui ai immédiatement proposé de se retrouver le lendemain matin, sur notre chemin habituel de promenade, au dessus de la ville. Cela tombait de toute façon bien car j’ai aussi des informations à lui transmettre. C’est donc avec un sourire que j’accueille Isra.

Je m’avance vers elle, ajustant un peu nerveusement mes cheveux bleus sous ma casquette et mes quelques bagues, mais Eddie m’a devancé, déjà sur le dos devant la belle brune pour lui réclamer des caresses sur le ventre. « J’ai vu des dragons, des djinns et des sorcières, mais je ne me mettrai jamais sur le chemin d’un corgi qui réclame des câlins. » Je souris, mais je l’étreins tout de même, après qu’Eddie ait obtenu son dû. « Tout va bien, ma belle ? Pas trop chaud ? » Au-cas où, je place une bouteille d’eau sur le côté de mon sac à dos. « On commence la rando ? Y’a une superbe vue sur le musée si on prend sur la droite derrière ce rocher. » Je m’élance gaiement, complètement emplie de joie par le contact avec la nature et la présence d’Isra et Eddie. « Tu voulais me parler de quelque chose alors ? J’espère que tout va bien. » Je lui lance un regard d’inquiétude légère : pas la peine de la faire culpabiliser. Ce genre de situation est simplement inhabituelle avec elle et je serai vraiment en colère si quiconque faisait du mal à Isra.

Dim 23 Jan 2022 - 23:21

And you tell me 'bout your dreams

ft. @Dakota Williams

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Isra avait le cœur lourd, et le goût des larmes passées encore au fond dans l'œsophage. Mais elle était heureuse de voir Dakota, aujourd’hui, même si elle avait la gorge nouée ; après ce qu’elle avait failli faire… Si elle était retournée chez les Idreis comme elle avait hésité à le faire, rien n’aurait été pareil. Pourtant, elle n’avait même pas réussi à avouer ses fautes à son amie, et la culpabilité la rongeait. Mais Isra était terrifiée. Et si elle racontait tout, et que l’humaine la repoussait comme Rhea l’avait repoussé ? Et si en plus de tout, elle perdait son amitié et son lien, son droit même de vivre sur ce plan d’existence ?

Au fond elle se demandait si ça n’était pas ce qu’elle méritait, après tout.

Et si ça ne valait pas mieux que ce qu’elle avait failli faire, également. Son ancienne famille lui aurait fait payer sa fuite, son abandon, au quintuple, au centuple. Et elle frissonnait rien qu’à l’idée de faire à nouveau partie de leur affreux commerce. Ce commerce qui avait coûté la vie ou les souvenirs de tellement de gens, et pas que de Nadia ou Rhea ; ce commerce qui pouvait s’attaquer à n’importe qui, mais surtout à des gens comme Dakota.

Ils n’auraient pas osé faire ça à l’humaine d’une de leur sous-fifre, en tout cas, c’est ce qu’Isra espérait. Mais elle était soulagée quelque part qu’ils ne l’aient jamais atteint. L’humaine aurait pu faire partie de leurs victimes, et elle risquait toujours d’ailleurs - et c’était une battante, Dakota, une de celles qui luttent bravement et qui finissent par mourir dans leur révolte comme Nadia l’avait fait. De tout son cœur, Isra espérait que ça n’arriverait jamais.

Après son premier lien humain, elle n’aurait jamais cru que c’était quelque chose qui pouvait être réellement bénéfique. Elle avait toujours culpabilisé de ne pas l’avoir aidé assez, et il lui avait toujours reproché, dégoûté par son apparence ; mais avec Dakota, c’était l’inverse. Isra n’avait pas l’impression d’être de trop, ou inutile, ou de devoir la porter sur ses épaules - elle ne les avait pas pour faire ça, de toute façon. Elles avaient travaillé ensemble, presque main dans la main, à tailler leur empire pierre par pierre.

Aujourd’hui, Isra espérait que Dakota était heureuse. Plus qu’elle ne l’était quand elles ne s’étaient rencontrées, en tout cas, parce que derrière la façade bravache et les grands mots de l’humaine, la djinn avait bien fini par se rendre compte qu’elle n’allait pas aussi bien qu’elle le prétendait, elle aussi.

Elles s’étaient bien trouvées, finalement. C’était comme ça qu’Isra se rassurait, alors qu’elle se baissait pour caresser avec douceur le petit corgi qui avait couru vers elle et s’était mis sur le ventre pour avoir des câlins.

Son sourire se figea un peu quand Dakota lui demanda si tout allait bien. Celle-ci n’était pas au courant de ce qu’il s’était passé avec Rhea, elles ne s’étaient pas vues depuis. C’était un peu de la faute d’Isra, qui l’avait esquivée, mais elle savait qu’elle ne pourrait pas le faire indéfiniment. Maintenant qu’elle était à la recherche d’une solution pour réparer ses erreurs, elle allait bien devoir le lui dire. Tout lui dire.

Isra avait l’impression qu’un poids sombrait dans sa poitrine à l’idée qu’elle allait sans doute la décevoir. Que, peut-être, même si elle ne la renvoyait pas au purgatoire, elle ne la verrait plus jamais de la même manière.

Pourtant, elle acquiesça doucement.

-Oui, oui, on peut commencer. Merci d’avoir pris à boire.

La jeune femme aux cheveux bleus était si prévenante, et elle avait l’air tellement contente. Encore une fois, Isra fut frappée par la pensée que Dakota méritait mieux que ça. Un meilleur djinn, une meilleure vie. Elle avait même l’impression qu’elle la bloquait pour ça aussi. Avec ce qu’elle avait appris, entretemps…

-Je.. oui, je voulais te parler. Je ne sais même pas par où commencer…

Il y avait ça, et puis il y avait le reste. Il y avait leur lien inexplicable qui ne tenait qu’à un fil, et qu’Isra ne voulait pas voir se briser. Mais d’abord, la djinn voulait s’expliquer, lui faire comprendre pourquoi elle n’avait été beaucoup là pendant un mois. Elle garda les yeux baissés, n’osant pas la regarder dans les yeux de peur d’y apercevoir le désappointement qui ne manquerait pas d’arriver. Elle avait l’habitude, pourtant, de décevoir les gens. Mais ça faisait toujours aussi mal, quand c’était ceux qu’elle aimait.

-Je ne suis plus avec Rhea. Et.. c’est ma faute…

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Isra semble se débattre avec une immensité de doutes et de regrets. Mère de toutes les douceurs, c’est avec elle-même qu’elle est la plus dure. Ça fait des années que j’observe son mélange de culpabilité et de discrétion faire d’elle presque un fantôme. Discrète et réservée seraient des euphémismes pour parler de l’attitude de ma chère djinn. Elle qui n’est que force, beauté et bonté semble dévorée par une culpabilité insatiable. Et même si cette émotion ne m’est pas complètement étrangère, cela fait des années que j’oscille entre la pousser sur le devant de la scène et accepter ce caractère si opposé au mien chez mon amie.

Je ne sais donc pas vraiment comment réagir. Rhea est partie. Elle me dit que ce serait de sa faute et je retiens une exclamation de refus. Je te connais Isra : rien n’est de ta faute. Rien. Alors, que dire ? Que dire à une amie après une rupture ? Dans les films pour ados, elles diraient : « Elle te méritait pas, cette pauvre meuf! » Non seulement c’est peu poétique mais ce n’est ni sympa, ni ce que je ressens. La Riverwood est une dragonne que j’ai appris à respecter, malgré ma peur initiale envers son espèce. Elle est non seulement forte et intelligente, mais j’ai rarement vue Isra aussi heureuse qu’en sa compagnie. Alors l’objectif ne peut être de la descendre pour faire monter mon amie.

Alors je préfère seulement poser ma main sur mon épaule. Elle sait ce que ça veut dire. Elle sait que je la soutiendrai, que je l’écouterai autant qu’elle en a besoin. J’espère qu’elle sait aussi que je l’aimerai toujours autant après. Parce que je ne connais peut-être pas Isra depuis aussi longtemps qu’Alaska, elle ne me donne peut-être pas les papillons comme Lily, mais elle est sans aucun doute la personne qui a sauvée Dakota. Elle m’a trouvée au plus profond de ma dépression, elle m’a guérie et m’a guidée vers des lumières que je n’aurai jamais pu espérer atteindre. Et si les projecteurs de Boss Jewels brillent autant, c’est également le cas de mon amitié avec elle. Alors tant pis si je dois lui parler des plans pour l’ouverture de la boutique à Seattle. Tant pis si je veux lui raconter tous nos projets pour notre prochaine coloc avec Alaska. Tant pis si je veux lui demander quelle robe porter la prochaine fois que je verrai Lily. L’important est ailleurs, l’essentiel est plus haut. Maintenant il est l’heure d’écouter Isra.

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ft. @Dakota Williams

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Dakota posa la main sur son épaule, geste de soutien indéfectible à sa djinn qui eut envie de s’écarter tant elle se sentait honteuse. L’humaine la soutiendrait-elle encore, après avoir tout appris ? Pourtant, elle s’abandonna au geste d’affection, profitant des dernières miettes qu’elle pourrait grappiller avant d’être répudiée à jamais. Tu me détesteras, Dakota, autant que tous ceux que j’aime finissent par me détester, autant que je me déteste moi-même. Isra en était persuadée. Mais elle ne pouvait pas repousser le moment indéfiniment. L’heure du jugement avait sonné, et il était l’heure pour la brune de poser son cou délicat sur l'échafaud, de se mettre à genoux une fois de plus en implorant un pardon inespéré.

-Il faut que j-je…

Sa voix s’étrangla dans les sanglots qui lui montaient déjà à la gorge. Mais cette fois elle ne pouvait pas mentir. Elle ne pouvait pas dévier la conversation, remonter le temps et demander à la combattante comment s’était passé sa journée tout en effaçant ses propres sentiments. Cela aurait-il seulement marché ? Dakota connaissait Isra depuis assez longtemps pour comprendre quand cette dernière n’allait pas bien, surtout que celle-ci n’était pas très forte pour cacher ses sentiments - enfin, sauf quand elle devait mentir à celle dont elle était amoureuse, vraisemblablement.

Misérable, la djinn essuya les larmes qui faisaient déjà briller ses yeux.

-Il faut que je t’explique… Ce qu’il s’est passé. Depuis le début…

Cela lui faisait penser aux histoires qu’elle racontait à Rhysand, quand ils étaient enfants, mais celle-ci n’était pas un conte tiré de ses espoirs et elle n’avait pas une fin heureuse. Et ce n’était même pas un cauchemar. C’était la réalité, dure, et froide, et cruelle.

-Tu te souviens, quand je te disais de ne pas m’appeler par mon nom, même pour rire ? J-je… Je ne t’ai jamais dit pourquoi.

Pourtant, elle s’éclaircit la voix, comme lorsqu’elle se mettait à narrer à son frère ; car si c’était la seule manière pour elle de réussir à parler, alors c’était ce qu’elle devait faire. Elle aurait aimé que le récit ne soit qu’une fable dont elle pouvait s’extirper à tout moment, pouvoir inventer une autre fois pour elle - mais aujourd’hui comme toutes les autres fois, ce n’était pas Isra qui écrivait sa propre histoire. Et cette après-midi, c’était au tour de Dakota.

Alors, Isra raconta.

C’était une famille de djinn très puissante, et ils faisaient des choses horribles aux humaines. Un jour, ils ont kidnappé une princesse, et c’est devenue mon amie. Mais je ne suis pas un prince, moi, je ne suis qu’Isra. Alors quand ils l’ont abandonné, je n’ai rien dit. Quand ils ont dit à son frère qu’elle était morte, je n’ai rien dit. Quand je me suis rendu compte de ce qu’ils faisaient, je n’ai rien dit. J’ai juste fui et depuis, je porte leur nom comme un fardeau parce qu’ils sont quand même ma seule famille.

Et quand j’ai revu cette princesse devenue chevalier, je l’ai laissé m’aimer, et je n’ai rien dit.

La djinn finit de parler et dans le silence qui s’était installé, les rayons du soleil lui paraissait terni, plus frais. Et elle frissonna, en attente du verdict. Car l’humaine, en plus d’être une amie proche, était la plus à même d’être juge, elle qui pouvait la jeter dans le noir d’une simple décision. Le dos voûté, elle ajouta une dernière chose d’un air apeuré et résigné :

-P-peut-être que tu ferais mieux de devenir une gorgone. De me renvoyer et… (des larmes coulèrent encore sur ses joues) Tu mérites mieux que d’être liée à moi.

Tu pourrais faire tellement plus si je n’étais pas un fardeau pour toi, Dakota. Maintenant tu sais pourquoi.

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Les doutes commencent à fleurir. On ne pleure pas comme ça pour une simple rupture. Elle ne devrait pas être à ce point effrayée de ma réaction si Rhea n’est partie que parce qu’Isra ne faisait pas bien la vaisselle. J’ai l’impression d’être face à une condamnée à mort, pas de celles qui se débattent mais de celles qui cherchent dans la guillotine une rédemption, un pardon meurtrier. Les pensées sont noires, ses souvenirs semblent rouges et je m’accroche au bleu de mes cheveux pour garder espoir.

Elle veut revenir au début. Ce n’est pas un élément dont on a beaucoup parlé. Isra elle est apparue en 2016 dans ma vie, au plus profond de mon malheur. Elle m’a expliquée sa nature, expliquée qu’elle avait existé auparavant sur Terre ainsi que dans un endroit cauchemardesque appelé le Purgatoire. J’en savais pas plus et ça m’allait très bien : Boss Jewels était là pour éclairer notre futur, pas pour se concentrer sur le passé.

Elle mentionne son nom de famille. Je l’ai à peine entendu au cours de notre amitié. Idreis . Il a des parfums d’exotisme et de danger et il en est presque séduisant. Mais elle m’avait dit de l’ignorer et j’avais bien écouté. Moi aussi, j’évitais au maximum d’utiliser Williams : les héritages paternels sont faits pour être oubliés et détruits. Un jour j’ai espéré être Dakota Crowley, pour détruire tout ça. Mais Dakota de Boss Jewels fonctionne beaucoup mieux, me correspond bien mieux.

Elle commence à raconter son histoire et vite je dois lui lâcher l’épaule pour m’asseoir sur un caillou. Il est inconfortable mais je commence à voir flou. J’ai des mauvais déjà-vu des révélations pendant la guerre, des étranges goûts d’enfance oubliée et un sentiment intense de trahison. Isra vient d’une puissante famille ? Elle qui s’excuse constamment de ses pouvoirs qu’elle considère trop faibles, elle est une sorte d’aristocrate de la djinnerie ? Et je ne suis pas prête pour la suite.

Je suis égoïste. Son histoire veut m’expliquer sa tragédie avec Rhea mais je reste bloquée sur une scène. Elle s’en prend aux humaines. Elle, la surnaturelle que je pensais pouvoir croire, celle que j’ai choisi de suivre sur le chemin de l’acceptation plutôt que celui de la peur, elle, elle fait comme tous les autres : elle attaque les humaines. Mes jointures deviennent blanches à force de serrer le rocher sur lequel je suis assise et je baisse les yeux afin qu’elle ne voit pas ma colère.

Elle utilise des images, des métaphores, sans doute pour se protéger et me protéger de la violence de son récit. Cela ne fait que renforcer ma peur et mon ressentiment. J’imagine le pire derrière chaque mot. Il y a trop de choses à comprendre, trop d’éléments qui s’entremêlent : la famille, l’amour, la magie, la souffrance, les gorgones… Je ne suis qu’une judoka qui se croit bijoutière, ou l’inverse je sais plus, je ne peux que prendre une minute à regarder le sol en silence.

Je sais que je la fais souffrir. Elle sait bien que c’est la dernière chose que je souhaite. Mais c’est trop, c’est beaucoup trop. Je relève finalement mes yeux vers les siens, pour contempler comment les larmes irriguent ses sombres et beaux iris. Peut-être que c’est un secret pour faire fleurir de plus belles plantes ici, peut-être que c’est ainsi qu’elle fait briller les soleils dans lesquels Rhea et moi sommes tombées. Je ne sais ce qu’elle voit dans les miens. De la douleur, de la peur, de la jalousie peut-être. De l’incompréhension, c’est sûr. Je dois parler, je dois comprendre.

« Que… C’est quoi les « choses horribles » Isra ? Qu’est-ce que vous leur faisiez ? » Qu’est-ce que tu as fais ma douce djinn, exactement ? Quelle genre de bourreau tu es ? Les questions sur Rhea et sur tout le reste attendront parce que je ne comprends pour l’instant pas assez ce qui se passe.

« Te renvoyer, Isra ? Je ne fais pas ça moi. Mes désirs ne passent pas avant la vie d’autrui. » Mes yeux sont plantés dans les siens, mon ton plus froid qu’il ne l’a jamais été avec elle. Je suis désolée Isra, désolée que tu subisses ma colère. Tu dois comprendre que tu dois me faire comprendre.

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ft. @Dakota Williams

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C’est à un mur qu’Isra se heurta lorsque ses yeux croisèrent celui de l’humain. Un mur d’incompréhension, de souffrance, de trop d’émotions qu’elle ne comprenait que trop bien ; et par ce regard la brune sut que Dakota se sentait trahie, sans doute aussi déçue. Déçue d’avoir une djinn comme ça, choquée et blessée que quelqu’un qu’elle pensait être son amie ne soit en réalité qu’une monstrueuse imposture - menteuse dans tout son être, jusqu’au bout de ses ongles, même dans son physique qu’elle s’était choisi alors qu’elle n’avait sans doute pas le droit de le porter.

Elle n’était pas d’accord avec ce que les Idreis avaient fait à Rhea, à Nadia, ou à toutes les autres femmes perdues dans les engrenages de leur machine infernale ; mais elle n’avait rien pu faire, et c’était là son péché, là qu’elle avait failli à tout le monde avant même que ses lèvres ne commencent à prononcer des mensonges ou des semi-vérité. Elle ne méritait pas qu’on l’aime, méritait plutôt qu’on la déteste, sans toutefois réussir à l’accepter. Et c’est pour ça, qu’elle s’embourbait dans les non-dits et les tromperies, plutôt que d’être assez forte pour tout dire dès le début et se soumettre à sa sentence.

C’est pour ça qu’elle avait attendu aussi longtemps pour tout avouer à Dakota - mais maintenant qu’elle avait commencé, impossible pour elle de revenir en arrière, de changer le passé ou de n’en dire que la moitié. Il fallait qu’elle continue, il fallait qu’elle finisse, quitte à sceller son destin.

Les paroles de la jeune femme la rassurèrent à peine ; s’il était vrai que ce n’était pas son genre, elle n’avait pas encore tout entendu. Et il y avait toujours un risque : et si leur lien se détériorait tellement qu’il finissait par se briser ? Si après ça, l’humaine ne voulait plus la voir et qu’Isra devenait inutile, renvoyée seulement un peu plus tard dans les méandres noirs ?

Le souffle coupée, elle s’arrêta de pleurer juste un instant pour articuler dans un murmure presque inaudible :

-Du trafic d’humaine. Ils faisaient du trafic d’humaine.

D’une voix blanche, après quelques instants de silence seulement coupée par les bruits de la nature environnante, elle continua.

-Pour les djinns qui voulaient… des enfants. Et ils… on... se chargeait d’effacer leurs mémoires…

Assaillie par ses propres souvenirs traumatiques car elle ne pouvait pas bloquer les siens, elle se recroquevilla sur elle-même de plus belle. C’était trop à supporter, trop à accepter. Trop de savoir qu’elle avait participé à ça.

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Chaque larme d’Isra érode un peu plus les murailles que je place devant mes yeux. Chacun de ses sanglots manque de briser le manteau de glace qui bloque mes pleurs avant qu’ils tombent comme une avalanche. Je fixe le ciel bleu pour ne pas voir le rouge de ses yeux, je serre les dents pour ne pas commencer un canon de cris de détresse avec elle. Je ne sais pas si mon amour pour mon amie diminue la peine provoquée par sa trahison où si elle la démultiplie. Je souffre qu’elle soit visiblement en détresse mais ma peine m’oblige aussi, me pousse à réagir.

Du trafic d’humaines. La pire des saloperies. Les rumeurs m’étaient parvenues, ces histoires de démon stériles qui utilisaient celles qu’ils méprisaient comme hôtes pour transmettre plus de haine et de violence sur le monde. Les légendes d’incubes, de sabbat, de torture éternelle étaient toutes incarnées lors de la révélation du surnaturel. Molag Bal, Lucifer, Zeus avaient tous du être des djinns. Ou même que peut-être étaient ils tous des Idreis. J’imagine Isra comme servante du maître du viol, de l’Adversaire et du tyran de l’Olympe, réalisant leurs désirs comme elle le fait aujourd’hui pour moi. Et j’ai envie de vomir.

« Super ça, vous avez un point commun les djinns et les humains comme ça : vous traitez les meufs comme du bétail. »

Pique cruelle : je sais bien que ce n’est pas l’opinion de ma douce djinn. Mais elle a participé à ces crimes, elle est complice, elle a ce sang sur elle. Elle savait que des femmes comme moi pouvaient être victimes et elle n’a rien dit. Elle savait qu’elle était la surnaturelle qui m’avait fait croire que toute magie n’était pas ennemie, que tout surnaturel ne voulait pas dire ma fin. Elle savait ça et elle n’a rien fait. Alors j’explose.

« Putain de merde Isra, on se connaît depuis cinq ans. On vit ensemble, on se bat ensemble, on travaille ensemble, on construit ensemble. T’es presque ma sœur et ça t’es jamais passé dans la tête de me parler de ça ? » Je me plante face à elle, poings serrés, mais dans les poches afin de ne pas paraître trop menaçante. « Dis, si ta meuf, pardon « ton chevalier », ta dragonne scintillante, n’était pas une détective qui avait tout découvert, est-ce que tu m’en aurais un jour parlé ? Ou est-ce que je ne suis vraiment qu’une humaine pour toi, une dont les souvenirs et les pensées t’indiffèrent à ce point ? »

Mes mots sont violents, mon ton aussi je le sais. Mais ma colère est réelle, mes blessures sont lourdes et mon cœur, dans ma poitrine, ne semble plus déverser dans mon corps que de la peine et des regrets.

Je t’aime, Isra, mais c’est pour ça que c’est aussi dur.

Lun 24 Oct 2022 - 18:38

And you tell me 'bout your dreams

ft. @Dakota Williams

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La réponse de Dakota, fusa, claqua, piqua comme une gifle bien méritée. C’est surtout le “vous” qui faisait mal à Isra. Vous, les djinns. Vous, les Idreis. Vous, ensemble, et elle n’était qu’un rien parmis ce vous, elle en faisait partie qu’elle le veuille ou non et elle ne pouvait même pas en vouloir à Dakota. Vous traitez les meufs comme du bétails et c’était vrai, Isra le savait, et elle savait qu’elle n’avait jamais rien pu faire contre ça, non plus.

La colère de Dakota l’effrayait mais elle ne pouvait pas la fuir, parce qu’elle était juste, parce que l’humaine avait tous les droits de l’être. À chaque instant Isra avait peur d’être renvoyé immédiatement, de s’effilocher entre ses doigts, de revenir là où elle le devait ; là où était sa place, dans le noir et dans l’oubli, à demi-existante. Être désolée ne suffirait pas, pas plus que ses larmes ou sa culpabilité étouffante.

Isra savait que la réponse à la question n’était sans doute pas celle que la bleutée voulait entendre. La vérité était qu’elle aurait très bien pu passer l'entièreté de sa vie à ses côtés sans lui dire, tout en l’aimant quand même profondément - parce que c’était la perte de cette affection qui lui faisait peur, aussi. Parce que ça faisait toujours plus mal quand c’était quelqu’un qu’on aimait que quelqu’un dont on était indifférent. Pourtant, tout n’était pas tout à fait vrai.

-Ça m’est passé par la tête tout le temps… J’y ai pensé en me liant à toi, j’y ai pensé à chaque fois que je te voyais, à chaque fois que tu ne me répondais pas assez vite et que je m'inquiétais pour toi, à chaque fois que je me regardais dans le miroir et que… que je voyais le visage de Nadia…

Rhea n’avait pas eu tous les détails ; elle l’avait rejeté bien avant. Mais Dakota y avait droit elle, parce qu’elle ne l'avait pas encore renvoyée, parce que la djinn lui devait bien ça à elle aussi, celle qui venait de dire qu’elle était presque sa sœur alors qu’elle venait d’apprendre tout ça. Sans doute que ce ne serait plus le cas d’ici la fin de la soirée, de cette discussion, mais pour une fois dans sa vie Isra voulait faire quelque chose de bien, et enfin avouer la vérité.

-C’était l’une d’elle, et ils l’ont tué, et je ne pouvais pas lutter contre eux, alors j’ai…j’ai fui, aussi loin que je pouvais, parce que je ne voulais pas faire partie de ça. Alors quand tu m’as appelé… J-je ne voulais pas que tu saches… Parce que j’ai tellement honte…

Sa voix était misérable, rongée de tout le poids de la culpabilité qu’elle portait.

-Tu n’es pas qu’une humaine. Et aucune d’entre elles n’était qu’une humaine, et aucune ne méritait ça…

Et toi, Dakota, tu méritait une meilleure djinn que moi. Maintenant, tu comprends mieux pourquoi j’ai toujours dis ça.

-J’avais juste si peur que tu me détestes.

code by underratedboogeyman

Dim 13 Nov 2022 - 13:51

And you tell me ‘bout your dreams

Le désert est un lieu étrangement fertile. L’espace où les êtres les plus combatifs se démènent pour survivre du mieux qu’ils peuvent. Le lieu des ermites, des explorateurs, des premiers voyageurs. C’est bien le lieu pour Isra. J’ai toujours cru ma djinn douce, pleine de miséricorde et de sympathie, presque trop gentille et naïve. Mais ses révélations me prouvent que je n’avais aucune idée. Isra est l’amour né de la haine, l’humanité issue des monstres, la paix qui a fui la guerre. Elle est le cactus, couvert de fleurs au milieu des rochers brûlants.

Isra n’y pouvait rien. Elle a été le témoin de tous ces crimes, de tous ces mensonges, de tous ces monstres. Je ne peux pas imaginer ma propre réaction face à une famille de trafiquants de cette nature. Elle n’avait pas le pouvoir, elle n’a eu que la fuite. Mais aujourd’hui, elle avait un choix. Elle aurait pu prendre le chemin de la vérité. Et, pour ça, je ne peux pas ressentir autre chose que de la colère.

« Je ne peux pas te détester, Isra. Je peux juste te dire merci pour ton honnêteté. Et, pour le fait qu’elle soit arrivée aussi tard je… Je ne veux pas me répéter et te blesser, ma belle, mais moi je le suis, blessée. Tu sais le danger de notre relation, tu connais mes peurs. Et tu as choisi le mensonge devant la vérité. »

Mes yeux se perdent dans les boucles de la brune, fuyant à tout prix ses yeux larmoyants. Toutes les guerres amicales me rappellent Marisol, tous les mots blessants font des échos depuis l’appartement de Gabriel, tous les cris invoquent des souvenirs d’enfance à moitié enfouis. Alors la guerrière en moi s’efforce de tout enfermer, de jouer à la pacifique. D’imiter Alaska dans la gentillesse, de jouer à Sol dans le rayonnement, d’être Isra, enfin, face à Isra.

« Je… Je sais que ça doit être un moment affreux pour toi. Je suis désolée de ne pas pouvoir être là pour te réconforter. Mais… mais je peux juste pas. Vraiment pas. Sache juste que… Que je t’aime, tu sais ? Ça changera pas. Mais donne moi un peu de temps s’il te plaît. »

C’est une souffrance de partir sans lui faire une étreinte. Mais c’est nécessaire pour lui montrer ma douleur. J’appelle Eddie et je retourne vers ma voiture. Je quitte ce désert de larmes vers la ville, les sentiments pour le paraître. Je sais faire, après tout.

— 3 mois plus tard —

Le printemps est devenu été, le silence s’est installé entre nous deux. Les retrouvailles avec Alaska, les soirées au téléphone avec Serena ou Lily et les verres solitaires ont remplacées les moments avec Isra. Nous nous sourions toujours quand nous travaillons ensemble et les sujets de la dispute ne sont jamais revenus sur la table. Pourtant, moi, j’ai tout noté. Les Idreis et Nadia sont devenus mes principaux sujets de recherche, presque obsessifs. Je me dis que retrouver la vérité ramènera peut-être l’amitié entre nous deux.

Le sujet de notre rencontre aujourd’hui n’a toutefois en apparence rien à voir avec cela. Nous sommes dans mes bureaux, avec les nouveaux outils de sécurité mis en place par Beatriz, et mes habits signifient bien que je suis aujourd’hui la « Boss », pas Dakota. Quand Isra rentre, toutefois, c’est bien un sourire amical qui revient sur mon visage.

« Comment tu vas, ma douce ? »

Une étreinte, cette fois-ci, accompagne mon sourire. Travailler avec elle est toujours un plaisir de toute façon.

« Nos projets pour Seattle sont presque atteints ! Il me reste un petit souci : une de nos mannequins refuse de revenir travailler avec nous parce qu’elle est jalouse qu’on ait pris une amateur pour la dernière campagne. »

Ma décision de recruter Aurore a été largement vue comme impromptue par les membres du business. Je m’en fiche complètement : le public a adoré, et c’est tout ce qui importe.

« Est-ce que tu peux m’accompagner pour m’aider à la convaincre de revenir ? Tes pouvoirs sont toujours un bon complément quand nos mots ne suffisent pas. »

Mon sourire est entre douceur et manigance. Je suis un peu perdue dans mes tricheries, elles sont devenues des règles, je ne sais même plus vraiment si je peux m’en passer. Je pense. Je ne sais plus. Je sais juste qu’Isra est là, immortelle flamme.

And you tell me bout your dreams / DakotIsra