(alaska) stabat mater

Tout commençait par une belle journée ensoleillée de novembre.

Mois qui peinait à foutre du soleil dans mon coeur, puisque les célébrations mortuaires massacraient tout sur leur passage, me rappelant douloureusement que le monde avait sombré dans la folie en qualifiant de surnaturel les meurtres les plus banals. J’avais été voir ma mère quelques jours avant. J’aurai aimé prendre le thé avec, au sens propre comme au figuré. Je lui aurai raconté que j’avais été embauché dans un laboratoire, quelque chose de calme, pour pas qu’elle s’inquiète trop de ma vie. On aurait peut-être joué aux cartes, aussi. Sûrement qu’elle m’aurait demandé avec cette voix que les enfants détestent quand est-ce que je comptais lui ramener des petits enfants, et que j’aurai parlé de mes papillons à la place. On aurait eu des activités à faire, des parcs à visiter et des mondes à refaire.

Non, parce que le seul endroit où j’avais le luxe de pouvoir la voir était un putain de cimetière.

J’avais été, une gerbe de fleurs à la main. Je détestais ce mois de novembre pour ses fêtes à la con et son soleil qui se pointait uniquement quand il en avait envie, qui semblait juste sourire un peu trop pour que je considère ça comme honnête. J’avais envie de le dégommer, et de le retirer de la stratosphère, de l’éloigner de quelques centimètres pour provoquer une catastrophe polaire, ou de le rapprocher pour qu’on crève tous en Enfer.
Le mot d’ordre de la journée était plutôt clair : j’avais cette injustice au coeur de me dire que si je ne pouvais pas avoir ma jolie après-midi au parc, personne n’allait l’avoir.

Je me retrouvais devant sa tombe. Y avait toujours quelque chose de relaxant dans les cimetières. Je me disais que j’allais pas retrouver de gamins qui courraient partout, sûrement. J’étais à la fois entouré et seul. C’était une compagnie particulière, que d’être entouré de personnes qui étaient incapables de me parler. De mon côté, je ne me gênais pas. Essayant d’entretenir une forme d’illusion dans cette étrange situation, j’avais du mal à concevoir l’utilité de la tombe de ma mère si c’était pour ne pas représenter un peu d’elle-même. Sa sensibilité de pierre lui allait sûrement mieux que de son vivant. Je dépose mon petit bouquet de fleurs, pensant que j’avais dépensé quelques dollars dans une connerie qu’elle ne pourrait ni voir, ni toucher, ni sentir et qui fanerait. J’espérais secrètement que quelqu’un la récupère pour la mettre sur sa propre tombe, et que ça devienne un objet totem de ce cimetière, des fois qu’il gagnerait une utilité de sa propre existence.

Pendant que je monologue sur la vacuité de la vie, la mienne, celle des autres et que j’essaie de conter mon quotidien à Seattle à une putain de pierre, je m’allume une clope pour avoir au moins l’impression que l’interaction de chaleureux. Feu au bout des doigts, au bout des lèvres puis dans les poumons, le froid de novembre n’avait rien à m’apprendre tandis que je foutais un peu plus de goudron dans mes poumons. Sûrement que si je devenais une route de bitume dans ce cimetière, j’arriverais à être plus proche de ma mère.

Je prends une inspiration et lève les yeux. En face de moi, une blonde, que j’avais déjà croisé. Je plisse un peu mes paupières, parce que j’ai le cerveau autant niqué que mon mégot, et que j’aime pas oublier d’où je connais les gens. C’était un coup à se retourner contre moi. Tout ce que j’arrive à me dire, c’est que c’était typiquement le genre de meuf à venir un samedi dans un cimetière, et que c’était une impression que je sortais de je-ne-sais-trop-où.

Le mystère demeurait total. J’aime pas cette situation. Je débarque alors sur la tombe de la donzelle, ma cigarette au bec pour me protéger contre le monde. Certainement qu’on la fixera plus elle que ma sale gueule de crevure.

« Dis moi, blondie, on se connaît, non ? Je suis persuadé d’avoir vu ta tête quelque part mais j’ai un trou de mémoire. »

Pas emmerdé pour un sou, je m’accroupis et m’appuie un peu sur la tombe. Si elle dit quoique ce soit, je lui dirais que je tape un câlin à son mort, et y aura certainement plus de soucis.

« Belle tombe, sinon. Ton mort devait avoir un peu d’argent, c’est cool d’avoir une belle sépulture. Enfin, je veux dire. C’est là qu’on passe le plus net de notre temps à partir d’un moment. »

Je lâche un rire parce que je me trouve sincèrement drôle, tandis qu’un silence de mort s’installe. Littéralement.

Il y avait quelque chose que je trouvais plus froid que ce cimetière à ce moment précis. C’était cette douloureuse sensation de ne rien comprendre. Il semblait que des points d’interrogations se hissaient au dessus de ma tête, car le mal de crâne commençait à poindre. J’espère que blondie ne le voit pas. Pourtant, la confusion se lisait sur ma gueule, grand livre ouvert quand il s’agissait de trahir mes expressions. Je pince mes lèvres dans un sourire gêné, pendant que l’autre prononce mon nom.

Ok, t’avais bien deviné, mon grand. T’as déjà vu cette fille. T’as juste la mémoire niquée par la guerre et elle choisit bien ce qu’elle veut, cette connasse.
Je me retrouve alors dans une relation très déséquilibrée avec cette inconnue. Elle semble savoir un paquet de choses sur moi, et je suis là à taper la bise à son mort sur sa tombe. C’était une drôle de scène.
J’étais certainement pas au bout de mes surprises quand elle me traite d’idiot. Pardon. Idiot ? C’était pas réellement ce terme que j’utilisais quand je parlais de moi. J’étais peut-être une crevure, oui, mais loin d’être idiot, que je me disais. Alors, mes sourcils décidèrent d’établir un point de convergence sur le haut de mon nez, parce que clairement que je sentais les embrouilles arriver.

« Mais t’es qui, bordel ? »

Si j’étais quelqu’un, ça avait été par le travail acharné de la construction d’une réputation. Qu’elle soit bonne ou mauvaise, je pouvais m’empêcher d’avoir un peu de baume au coeur en voyant que se souvenait un peu de moi. Au moins, j’aurai pas été oubliable, et c’était une de mes peurs les plus primaires de l’être. Oubliable, banal, basique et sans intérêt.
Alors, j’essaie de sonder son regard, parce qu’on dit souvent que les yeux ça change pas, et je les supplie un peu d’être mes alliés sur ce coup-là. Elle aurait pu se faire une teinture. Je me rappelle l’existence des lentilles et me décompose. Il n’y avait-il rien sur les corps humains d’inchangeable ? Plongé dans une horreur organique, je commence à reconsidérer ma vie entière, et me dit que je suis à Phoenix, donc c’était forcément une personne que j’avais rencontré avant que je fuis à Seattle.

Puis je pense à l’autre pute qui m’a pété la gueule dans une ruelle
Parce qu’au moins elle m’aura laissé une petite cicatrice et que c’était plus difficile à oublier comme ça.

« Ah ! Mais oui ! Tu t’appelles comment, déjà ? Caroline ? Utah ? T’as un nom d’État je me rappelle, c’était trop marrant. »

Je commence un peu à rire parce que je me souviens de pourquoi je la connais. Elle avait été une des nombreuses personnes que j’avais combattu pour avoir un peu de popularité à l’université. Et comprenez par combattu, ruiner un peu la vie en me foutant ardemment de sa gueule. La vie était cruelle, Blondie, c’était harceler ou être harcelé. J’avais assez donné de mon sang et de ma dignité aux autres. T’iras au Paradis, Blondie, t’en fais pas.

« ALASKA. Alaska oui ! Parce que tu paraissais giga froide en plus, je me souviens haha ! Roh bah putain eh eh j’ai envie de dire … Ca a pas vraiment trop changé non plus, visiblement ! Le temps doit pas passer si vite que ça alors. »

Je me souviens un peu qu’elle se planquait toujours derrière l’autre salope de lesbos qui voulait me péter la gueule dès qu’elle me voyait. Je devais être son punching-ball préféré, sûrement que je prenais bien les coups. Elle paraissait toujours un peu fragile, effacée, pas méchante pour un sou, mais elle serait une raison de mon ascension.
Le fait de la voir devant moi me réconfortait. J’avais donc pas tant escaladé des cadavres pour un peu d’affection. Je la préférais en chair et en os que dans une connerie de tombe, je me dis. Peut-être qu’au fond, j’aimais bien Blondie. Y avait assez peu de personnes que j’appréciais pas, après tout. Il fallait juste que je fasse mon business, en tant que chasseur de prime sociale.

« Qu’est-ce que tu deviens, Blondie ? Enfin, à part être là. Quoique t’es peut-être devenue croque-mort et j’en sais rien. Enfin, thanatopracteure. »

Piques aux yeux et continent rapporté, Alaska se tourne vers moi et je peux sentir le froid m’envahir. Je m’en tape de savoir si c’est le mois qui veut ça ou si elle est vraiment toujours aussi glaciale, mais blondie me répond. J’oublie alors que des années sont passées, et qu’elle s’est sûrement développé des moyens de défense autre qu’être ce que je considérais à l’époque comme une side chick.

En vient rapidement la question de la culpabilité, et premièrement je hausse les épaules parce que je me dis que c’est le plus simple à faire. Il y avait des gens avec qui j’avais été sincèrement sympathique. L’énorme soucis, c’était que constamment, j’avais l’amertume dans la bouche de voir que les au revoir avaient été de sales adieux déguisés, et que là où autrui avait eu l’occasion de se tirer définitivement en connaissance de cause, j’étais constamment resté là. J’avais l’amertume au coeur car certainement que je pensais aux cafés jamais bus, alors qu’ils devaient rester au fond de ma gorge quelque chose de franchement désagréable.
On toussait bien quand on devait évacuer des bactéries, alors quoi de plus logique de cracher sur autrui pour me dégager de cette amertume ?

« J’ai un beau miroir, parce qu’il a de belles dorures donc c’est cool de les toucher et de me dire que c’est vachement joli. »

Sûrement que c’était une réponse un peu bidon, bien que vrai. Quand on avait un truc joli à regarder, c’était sûrement plus facile de le fixer.

Puis qui se regarde dans un miroir en 2021 ?

Je prends le truc au pied de la lettre, parce que je trouve ça plus simple que de me remettre en question. Blondie sera toujours Blondie. Si je peux la voir comme une personne évoluée, j’aime bien me dire que je l’ai marqué suffisamment pour qu’elle ressente quelque chose à mon égard. Que ce soit du mépris, du dégoût ou de la colère, au moins je suis là, pas oublié, présent, et j’existe un peu dans sa mémoire.
C’était pour ça, que j’étais toujours une enflure. J’étais un fantôme parmi les tombes, là, ici, maintenant, et sûrement que je devrais ressentir un peu de peine à l’être. J’étais déjà blanc, gueule cadavérique, un clip d’un mauvais groupe.

« Je te trouve bien soupe-au-lait, Blondie. » Je souris un peu, et je souffle du nez à la même occasion parce que les zombies respirent. « Regarde, je suis un peu sympa, j’essaie de te demander ce que tu deviens. »

Je prends une autre cigarette, et bientôt, son mort devient mon pote spirituel.

« A part quelqu’un et quelque chose, j’entends. »

Quand j’inspire, je sens mes dents qui claquent, et j’ai envie de leur demander ce qu’elles ont, ces pauvres connes. Le tabac fait son effet, lentement, tandis que je sens ma respiration se recaler grâce aux différentes inspirations.
Quelque part, je regarde un peu maman et sa pierre, et je me demande ce qu’elle pense. Je sais pas si elle était franchement fière de moi. Mais maman était gentille, et elle comprendrait. Avant qu’elle soit partie, j’aurai pu être là avec elle, pendant la guerre. J’avais préféré des cocons aux humains, alors pendant un an, j’étais resté à quelques rues de chez elle. L’idée qu’elle m’en veuille me passe à travers l’esprit. Je ferme un peu les yeux, me prend l’envie de prier un peu au fond. Je me dis que la Bible est parcourue de personnages divers, et que certainement que j’avais des apôtres à qui me coller.
J’oeuvrais déjà pour éviter la nouvelle fin de l’humanité, et je faisais une croix sur mes relations comme Pilate avec Jésus.

Je vois qu’Alaska lit en moi.
Si j’étais un livre, je serais le premier volume.
Je serais plein de ratures, en attendant les prochains tomes, et à attendre constamment une seconde lecture pour espérer une évolution.
C’était l’analyse la plus logique qu’on puisse faire de ma situation de premier volume. Je préférais me dire que j’étais juste le numéro un, quelque chose, un début, et que sûrement que les autres me trouveraient toujours mieux car les suites sont toujours détestées, même quand elles sont objectivement meilleures. J’avais le goût de la nostalgie, qu’elle soit malheureuse ou heureuse.

« Je pense sincèrement que j’ai un beau miroir. »

J’ai envie de souffler, donc je prends une nouvelle inspiration sur ma cigarette qui me sert de rempart contre le monde. Je sens que la fumée me protège un peu, ou alors j’essaie de me donner un air un peu moins looser, plus désabusé, plus blasé, et sûrement de faire comme les « grands », éternel « petit » de l’immense cour de récré qu’était cette foutue ville. Phoenix me tapait sur le crâne, et le soleil commençait à sourire d’un air franchement insolent.

Puis vient le sujet de ma mère.

« Elle est belle, non ? »

Je prends une nouvelle inspiration, parce que j’imagine presque la tombe avec une robe. Des yeux lui poussent en haut, et je vois son regard tendre. Je quitte alors celle que je connais pas pour venir me poser contre la pierre tombale de maman. Je pourrais presque sentir ses bras m’étreindre. Mes mains se lient, tandis que mon pouce caresse doucement une de mes phalanges.
J’arrivais plus à me souvenir de son contact. J’étais juste là à le simuler, tandis que j’essayais de reconstruire des souvenirs de sa voix, qui se perdait dans les milliers de voix que j’entendais à mon taf de merde, chez les clients, et aux fantômes du passé qui me causaient.

« C’est ma mère, et c’est la plus belle. Bien entendu qu’elle serait fière de moi, parce que pour elle, je suis le plus beau du monde. »

Je regarde mes chaussures un moment, et me dit que l’herbe poisseuse de cette ville aura fini par bousiller le cirage. Je me mets un peu à rire, parce que je repense à maman. Je me souvenais qu’elle adorait le Earl Grey, alors que je détestais ça. Le matin, des fois, je me forçais à en boire, en mettant un maximum de sucre pour faire disparaître …
Disparaître l’amertume.
Parce que cette putain d’amertume était toujours là.

« On ira boire un thé tout à l’heure. Elle se repose un peu. Je la comprends, cela dit. Elle était médecin et ça avait l’air super chiant comme métier. Puis on dit tellement de conneries à son sujet, haha ! »

Je souris un peu à Alaska, parce que j’oublie presque la guerre et ces conneries autour des surnaturels. J’oublie presque que j’ai du chloroforme dans mon sac, au cas n’importe qui voudrait m’attaquer. J’avais l’impression que la violence depuis le Jugement Dernier s’était accentuée. Je porte une main à ma croix autour du cou et la faire tourner entre mes doigts, tandis que je continue de fumer en espérant devenir du bitume.

« Je sais qu’elle prendra du Earl Grey, et que je trouverais ça dégueulasse. »

Je trouve même le moment un peu drôle, parce que j’ai presque envie de présenter Alaska à maman. Je lui dirais que j’avais été un jour un grand à l’école, et que j’avais réussi à ne plus être le petit. Alaska avait été la petite, et j’avais été le grand méchant loup pendant un temps avec elle. Alors, oui. Je pensais sincèrement que maman serait franchement fière de moi.

« Tu me présentes pas ton mort ? »

Je finis par me marrer un peu. Non pas que je trouve qu’Eden, ce soit marrant comme nom, mais toute la situation me faisait rire. Je pensais pas un jour ramener blondie à un dîner de famille. Je finis par imaginer quel type de gars pouvait être son père. Je me dis que c’était sûrement pas quelqu’un de mauvais. Je voyais mal comment on pouvait être fondamentalement une mauvaise personne en étant parent. On avait au moins une personne à qui on devait des comptes toute sa vie. Sans quoi, on se prenait un retour de bâton suffisamment gros pour envier les habitants de cet endroit.

Je finis par avoir une pensée en me disant qu’Eden, c’était quand même marrant de s’appeler Eden, et de devenir un peu plus de nourriture pour les vers de ce coin paumé. Jardin jusqu’au bout, le paternel. J’hésite à faire la blague à voix haute, mais blondie dit des trucs intéressants et je me dis que c’était la première fois que ça m’arrivait de l’avouer, alors.

« Ah bah, ça peut être de gros cons les parents, des fois. » Je marre, parce que je pense à mon baiseur de daron. « Mais c’est pratique quand faut payer des apparts plus jeune. »

Je ris un peu, encore. Je suis un peu gêné par la situation, alors je préfère me marrer parce que j’ai l’air peut-être moins con.

« Fous ça sur l’écart générationnel, Blondie. Vous finirez par en parler, un moment. T’es moins conne que t’en as l’air, Blondie. Puis il est peut-être parti faire des courses. T’sais, y a bien des darons qui partent acheter des clopes pendant des années. »

Puis elle finit par me dire que maman s’est tirée avec tous les autres. Je souris un peu. Je savais ce que c’était, que les gens qui partaient. Erin était partie, elle. Elle allait pas revenir, et je l’avais compris. Nova-Blue aussi, elle était partie, et elle allait pas revenir. Papa, j’étais parti, et je comptais certainement pas revenir. Je savais ce que c’était, que les départs. Maman, je me disais qu’on s’était pas dit au revoir. Alors, elle était toujours là.
Pourquoi je sentais encore sa présence dans mon esprit, si elle était plus là ?
Sa simple existence dans mes pensées la rendait réelle, et bien en chair.

« Je pense pas. Parce que sinon on se serait dit au revoir, au moins. »

Je finis de rigoler, et je souffle juste du nez. Je me dis qu’après tout, y avait trop de gris dans les cimetières pour que je foute pas un peu de couleur en me marrant sur des sujets à la con.

« Elle est peut-être aller acheter des clopes, elle aussi. Elle osait pas me dire qu’elle fumait, et boum. Peut-être qu’elle pensait que je serais déçue d’elle. »

Je soupire. Je pense que ça serait vraiment triste si elle pensait que je serai un jour déçue d’elle. Elle incarnait un idéal de pureté à mes yeux. Jamais fatiguée, toujours présente, et pieuse jusqu’au bout. Elle avait toujours aidé autrui.
C’était certainement pour ça qu’elle faisait une si longue sieste sur son bureau, quand j’avais été la voir avec les flics. Je la comprenais, alors je la laissais dormir. J’avais qu’à penser à elle, pour lui donner un peu de force. Et j’attendais le jour où on irait boire un café, et qu’elle se foutrait de ma gueule parce que je mets encore deux sucres à mon âge.

« Y a peut-être un grand magasin de cigarettes pour parents. Ils y vont tous, alors y a une grande queue. » Je marque une pause, et j’ai le regard progressivement vide. « J’espère qu’elle les aura, ses clopes. »

Derrière moi, la pierre tombale hurlait dangereusement la date du 27 août 2014. Je me disais que ça faisait tout de même longtemps. Tant que les SMS passaient quand je lui en envoyais, c’était certainement qu’elle avait la capacité de charger son téléphone.

PSAUME 129, "Ils m'ont assez opprimé dès ma jeunesse", Lili Boulanger

Je commençais sérieusement à serrer. Elle commençait à utiliser le mot interdit. « Mort ». Instinctivement, je m’enfonce contre maman. Elle est froide et dure. Je me dis que ça change pas réellement d’avant.

« Tu disais des trucs intelligents jusqu’à maintenant, Blondie. »

J’arrive pas sincèrement à être « sympa » avec elle. On aurait pu rester là à parler de nos parents, et voilà qu’elle fait la psy avec moi. Syndrome du sauveur, j’en avais déjà un au coeur, et il veillait suffisamment sur moi tous les jours. Je commence presque ça à trouver présomptueux de sa part. Elle n’était pas ma sauveuse, et je n’étais pas le sien. Si j’avais besoin de pleurer, j’aurai été dans un temple, ou au pire dans une église. J’étais pas là pour faire copain-copain avec une ancienne vicosse.

« Je suis très heureux comme ça, Alaska. Et je vois pas en quoi ça te concerne. Tu voudrais pas t’occuper de toi et ton père mort ? »

J’avais pas sincèrement envie de la détester, non plus. Mais sa gueule à faire la sauveuse, la psychologue, j’étais plus un gosse. Je sais pas réellement quand l’enfance était morte.
Je frémis.
Quand on a fêté le sommeil de maman, certainement.

Tout cette situation commence à devenir franchement angoissante, et je sens mon souffle se raccourcir. Mon front devient humide, car certainement que mon organisme crée beaucoup de chaleur pour pallier au froid, que je me dis. Si tous les symptômes de la panique commence à s’en prendre à moi, je préfère rester là à me dire que j’ai juste un corps très intelligent et adapté à l’hiver. Mes ongles commencent à gratter machinalement mon avant-bras, dont la peau tapissée de tâches de rousseur rougit peu à peu.

« J’aurai pas du venir t’emmerder et te parler en fait. Je te déteste pas, Blondie, mais ton air de sauveuse, c’est trop malsain pour moi. Et tu me paumes. »

Ma voix est tremblante, parce que ma mâchoire a décidé de se serrer, de se desserrer et de faire un peu ce qu’elle veut. J’aime pas réellement quand ce genre de truc m’arrive. Je me sens juste con et j’ai l’impression de pas réellement posséder mon corps.

Alors, je préfère passer de l’autre côté de ma tombe. Je me dis que comme ça, Alaska me verrait plus, et que cette conversation avait déjà assez duré. J’étais l’emmerdeur emmerdé, visiblement. Pris à mon propre jeu, je préférais prendre une des fleurs que j’avais ramené. J’hésite entre la manger, afin d’avoir un peu d’intention de vie en moi, ou alors de l’effeuiller. Je préfère la deuxième option. Je me dis que je connaissais qu’à moyen la toxicité des fleurs. Mêlée à la mienne, j’avais peur de faire une overdose empoisonnée plus rapidement que prévue.

Je commence à dessiner lentement des formes avec les pétales retirées, tandis que mon visage est fermé, et que je sens ma gorge se serrer. Je prends une cigarette et l’effrite lentement au centre d’un cœur que j’ai dessiné, en espérant que maman soit attirée par le tabac qu’elle cherche depuis sept ans. En bon enfant, ç’aurait été de mon devoir de l’aider.

En fait, je crois qu’au fond, Blondie, elle a plutôt raison. Je suis pas vraiment heureux, et j’ai l’impression de chercher maman de partout. Qu’elle se cache dans un coin de café, au rayon surgelés ou dans les lèvres de n’importe quelle femme. La vérité, c’est que ça m’attirait assez peu, tout ça. J’avais étrangement envie qu’elle parte, et c’était difficile d’affirmer qu’elle me manquait quand elle était omniprésente dans ma vie. Je la voyais tous les jours, et sa présence me semblait lassante, bien que changeante. Je me disais que son visage changeait. Peut-être faisait-elle des teintures. Parait-il que c’est bien à la mode chez les cinquantenaires.

Le froid était toujours désagréable, et la pierre ne collectait pas la chaleur. Elle n’était visiblement pas la seule. Comme une mauvaise morsure l’hiver, Alaska venait avec la neige de son Etat lointain pour attaquer. A défaut de souder mes plaies, elle était là, à gratter chaque point de suture pour les faire sauter un par un. Je trouvais ce jeu assez cruel, et je me retrouvais victime d’une dynamique crée il y a quelques minutes. Incapable de reconnaître ma responsabilité dans ce shitshow, j’allais, grand comédien et la main sur le coeur, prêt à assumer en revanche mon statut de victime imaginaire.

Alors, elle se tenait un peu debout, face à moi. Je me disais que son corps me ferait de l’ombre, alors que les rayons du soleil semblaient de plus en plus se foutre de ma gueule. Je lève les yeux, plissés pour éviter de me crever la rétine. Elle me demande pourquoi, comme si j’avais une raison absurde et explicative d’être un connard.
Je finis par trouver ça touchant. Je l’imagine bien se demander ce que j’avais pu lui trouver de spécial pour en faire ma victime.
La vérité, c’est que j’étais juste un sacré requin dans un océan un peu trop grand, et que j’aspirais à pouvoir descendre dans les abysses pour y rencontrer les poissons étranges.
La vérité, c’est qu’on trouve jamais rien chez les victimes.
La vérité, c’est que je me trouvais sympa d’en faire une affaire personnelle.
La vérité, c’est que les bourreaux créent des mythes.
Alaska n’était pas froide, mais son prénom me faisait rire. Alors, l’appeler Blondie ou la Reine des Neiges, c’était qu’un prétexte. La qualifier de froide, c’était un prétexte. On construisait des identités propres à nos victimes pour leur donner une raison de penser que c’était de leur faute.

Est-ce que ça m’amusait, d’être un connard, un chaos ambulant, un élément de destruction ? Si je me mentais encore, je pourrai juste me marrer devant sa gueule et dire que franchement, ouais.

« Parce que t’es conne, Blondie. »

En vérité, y avait pas vraiment de satisfaction à s’amuser à faire mal aux gens. On avait tous des pulsions de connards. C’était hypocrite de dire le contraire. L’envie de se dire qu’on pourrait insulter un passant dans la rue et que la loi n’allait pas nous arrêter. Celle de voler au hasard le téléphone d’un inconnu dans le bus. La pulsion qui chuchotait de tout envoyer chier quand la colère était là, quelque part, à mordre encore plus profondément qu’Alaska me mordait à ce moment-là. Y avait cette pulsion, quelque part. J’avais eu le choix entre apprendre à la taire, mais j’étais pas du genre à censurer. J’avais tenté de me sociabiliser, tant bien que mal.
J’étais en colère, contre tout, contre les femmes, contre le monde, contre la foudre, contre le Jugement Dernier, contre Joshua, contre mon père, contre Alaska, contre Dakota, contre Nova-Blue, contre Erin, contre tout le monde. Alors, je trouvais une légitimité à être un connard. Je me disais que si j’avais pas réellement droit qu’on me foute la paix et qu’on m’aime amoureusement, si j’avais pas le droit de sentir ce que c’était d’avoir les doigts d’autrui dans mes cheveux, si j’avais pas le droit de serrer le corps d’autrui quand je m’endormais, alors, je vois pas pourquoi les autres l’auraient.
Enfant trop gâté, je hurlais que c’était injuste dans le gigantesque magasin de jouets qu’était le marché de la séduction. Sûrement que la jalousie, la rancoeur et le désir avaient fini par consumer le peu de chenille qui restait en moi.

« Parce que t’es conne à essayer de te la jouer sauveuse. Parce que t’es conne de te planter là, devant les autres, en espérant pouvoir tout régler. Parce que t’es conne, de pas croire en la génétique, à te dire que y a des gênes corrompus et que tu peux rien y faire, vraiment. Parce que t’es conne d’essayer de m’expliquer des concepts comme la mort. Parce que t’es SACREMENT conne de RESTER PLANTÉE là comme un putain de sapin alors que je t’ai dis que je voulais plus voir ta gueule. »

Je commence à trembler et je peine à prendre ma respiration parce que je gueule. L’épitaphe semble me brûler le dos. Peut-être que les dates resteront gravées en guise de tatouage. J’avais toujours eu trop peur de la douleur pour me lancer. Sûrement que je me serais fais tatouer une Étoilée, parce que c’était un papillon avec un nom sympa (haha, sympa ouais) et orange.
Alors, à nouveau, j’ai juste de gueuler, parce que j’ai la gorge qui gratte et j’ai l’impression que mon coeur veut se tirer de ma poitrine. J’ai les doigts qui semblent trop longs pour mon propre squelette, et les voir rend ma vision floue. Je réalise que je suis sur une pierre, et me dit que c’est juste un grand lit un peu dur. J’ai l’impression de pas être réellement là, et mes tâches de rousseur sur mes avant-bras me semblent étrangères. J’ai sûrement emprunté le corps d’un autre, que je me dis. Mes cheveux pèsent lourds pour ma tête, et je me sens fatigué. Peut-être que je pourrais moi aussi faire une sieste ici, m’allonger un peu près de maman. Je pourrais peut-être serrer une main amicale à travers son protège-lit, et espérer qu’elle sorte en me disant que c’était une gigantesque blague.

« Parce que t’es conne de rester là, à me regarder en attendant je sais pas trop quoi, t’es qui en fait ? T’es qui, bordel de merde ? A part une énième blondasse trop gentille qui arrive à se faire tringler par ce qu’elle veut ? T’es qui ? BORDEL T’ES QUI, ALASKA ? »

J’ai juste envie que maman me serve un Earl Grey dégueulasse à ce moment-là. J’ai envie qu’elle me dise que j’ai été un connard et qu’elle me prive de tout ce que j’ai.

« Pourquoi t’es encore là, toi ? A attendre quelque chose ? Qu’est-ce que tu veux ? Qu’est-ce que tu me veux ? Les gens changent pas, tu l’as dis toi-même, Blondie. Une conne reste une conne, un connard reste un connard. La génétique est corrompue, Blondie. Tu seras toujours Blondie, et je serais toujours un sale fantôme de ton passé que t’auras traité d’abrutie toute ta fac en disant que t’es froide parce que c’est pour cacher le fait que je te crois fausse. »

C’est pas possible d’être aussi gentille envers tout le monde. Je l’avais insulté pendant des années, avait tenté de démolir la réputation de sa meilleure amie, et elle restait là, à en avoir quelque chose à taper de ma vie. C’était une absurdité. Si Dieu prônait le pardon, il ne prônait pas le masochisme. Il y avait quelque chose d’effrayant chez Alaska.

« Parce que tu me fais flipper aussi, Blondie. »

J’aimerai que ses mots me glissent dessus. Je me dis que je dois progressivement me transformer en bitume, réellement. Je sens que quelques expressions arrivent à dégouliner le long de ma peau, et à s’évaporer sur la pierre. Certaines semblent pénétrer mes pores, et y creuser des sensations désagréables.

Tu as peur d’être complètement seul.

C’était son point fort, à Alaska. Elle était gentille et empathique. Je savais que les gens qui savaient se foutre dans les chaussures des autres avaient souvent plus de pouvoir sur eux. Ils savaient lire leurs émotions, leurs peurs.
Je me dis que je fais du 44 et que sûrement peu de gens pouvaient enfiler mes chaussures, alors.
Alaska, elle avait ce pouvoir-là. Certainement qu’elle s’en tapait de marcher avec des choses désagréables, elle le faisait malgré tout. Si ça incluait se noyer dans des tissus ou des émotions, elle semblait le faire. Je trouvais ça effrayant. J’ignorais jusqu’à où elle pouvait aller. Elle avait lu rapidement mes peurs, mes échecs. Je serre les dents, et me souviens de pas trop le faire parce que nombreuses sont celles qui ont des morceaux avec des prothèses du à différentes bagarres. J’étais pas réellement entier, jusqu’à ma mâchoire, visiblement. Fausseté sur pattes, j’étais donc là à vivre dans mon délire imaginaire, à même pas être fichu de regarder deux trois morceaux de cailloux en face. Je me sentais comme une victime de Méduse, et sûrement que j’irai la supplier de me changer en pierre également pour habiter dans ce sinistre endroit.
Elle a raison, Alaska. J’ai peur d’être seul, alors j’ai peur de m’attacher aussi. Je me dis que quitte à être seul, certainement que mes mains se tiendront chaud un moment, et que j’aurai plus la déception après l’espoir. Quitte à bouffer mon seum, je préférais le faire tout seul.

Un jour, tu finiras par l’être. Comme tu l’es aujourd’hui.

Je me dis que c’est faux, parce que maman est là derrière moi. J’espère qu’à tout moment, elle se réveillera, et ira enfoncer son talon Chanel dans le crâne de la blondasse devant moi.

« Mais casse-toi, putain... »

Ma voix traîne. Je pourrais imaginer que c’est parce que j’ai trop crié avant. Je suis juste fatigué, et elle continue à m’asséner de grands coups de vérité dans la gueule. C’était pas réellement agréable. Je pense que je préférais encore le mensonge.
Je me sentais pas réellement seul. J’avais un Cercle avec qui avoir du contact. J’avais certainement quelques personnes à qui parler. La question se posait juste quand je voulais partager un wok commandé le soir. Je me disais que je parlerai certainement plus à mes papillons qu’aux êtres humains, et ça m’allait parce que biologiquement, on était des animaux et je me sentais plus proche d’eux alors qu’il volait loin au dessus de ma tête.

« Je me souviens pas t’avoir demandé ton expertise, Blondie, alors casse-toi, et loin. »

Parce que j’avais pas besoin de son aide, parce qu’elle prônait des tissus de mensonges pour se venger, parce qu’elle agissait comme une gentille alors qu’elle piétinait les espoirs et songes avec son perfecto Zara. Il y avait quelque chose d’indécent dans son attitude. Alors, à partir de ce moment, je décide de l’ignorer. Je sors une dernière fois une cigarette, en espérant que le goudron vienne un peu plus bitumer mon corps. Quitte à me faire marcher dessus, je serai pour une fois dans ma vie en adéquation avec ma fonction.