CW : évocations religieuses
Ce parc est immense et plongé dans le noir. J’éclaire les cailloux à l’aide de ma lampe torche, et mes yeux scrutent les environs. Je me dis que c’était le pire endroit pour traquer un hérétique, dans cette jungle urbaine et au milieu des arbres. Les ombres m’effraient un peu. Elles ressemblent à des chiens aux longues dents, aux gargouilles avec des griffes énormes, et à tout moment, je suis la proie d’un aigle géant qui s’abat sur les curieuses personnes de mon genre.
Je ne cache pas ma présence. Je marche droit, je marche trop. Ma lampe balaie chaque arbre, chaque buisson, à la recherche d’une difformité dans les ombres, d’un intrus, d’un gamin chaotique qui défie les lois sacrées. J’aimerai dire que je savais où il se cachait, mais désormais, le jeu n’est plus aussi amusant.
On avait joué à chat, on avait joué à lancer des ricochets et on avait même joué à s’insulter. Maintenant, la tension était maximale.
On jouait à cache-cache, et c’était à celui qui trouverait le premier. Pas de prison, pas de cage, juste un arc de cercle que ma lampe décrirait dans l’air pour fracasser son crâne.
J’ai la mâchoire serrée et les branches font des formes étranges, comme pour se foutre de ma gueule. Est-ce qu’elles dansaient dans la nuit ? Est-ce qu’elles faisaient une gigantesque rave party, pour que j’entende rien à ce point-là ? J’étais pas un traqueur. Chasseur de pacotille, j’avais uniquement mes convictions autour du cou et mon ultra-violence au bout des dents.
J’entends une voix. Ma lampe torche se braque vers la source du bruit.
« Rogus ! Je suis si soulagé que tu sois là ! Attends, je te rejoins, et on partira ensemble. »
On partira ensemble, toi dans mes bras, chloroformé, vers de nouvelles destinations pour mieux te comprendre. J’ai envie de savoir quel type de chimie tu utilises, quel est ton secret, Rogus. J’ai les mains tremblantes, curieuses. On savait tous les deux qu’on vivait pour la science et la connaissance. On était des enfants curieux, et mes caprices se déposaient comme le poison au creux du tissu dans ma poche. J’équilibre la pression, histoire de ne pas me renverser du produit sur les doigts. J’avais pas envie de me blesser. J’étais pas ma cible, pour une fois.
Mes yeux sont deux billes bleues dans la nuit, deux planètes, Pluton et Mercure. Je prends une grande inspiration et ma lampe se braque derrière un grand chêne.
Rien.
J’étouffe un juron dans la nuit, parce qu’elle était silencieuse, sombre et traître, cette connasse.
« Tu veux jouer à cache-cache ? Tu penses pas qu’on a assez joué, mon Rogus ? » Je commence à avoir les nerfs et ma voix tremble. « On va jouer, alors. On va jouer tous les deux, mon Rogus … Dix … Neuf … »
J’entends des cracs au loin. La lumière pâle de ma lampe essaie d’éviter la source du bruit. Je plisse les paupières pour mieux voir. C’est un petit buisson. Pas étonnant. Les petites personnes allaient dans les petits endroits. Je songe au fait que je serais une piètre proie. J’étais trop grand pour me cacher, trop maladroit pour escalader les arbres. Je pourrais presque admirer Rogus d’être aussi bon à cache-cache.
Certainement que c’était tout simplement ce qu’il faisait continuellement, se planquer, changer d’identité, se camoufler, puis partir vers d’autres horizons pour pouvoir vivre une vie paisible, entre chaos, explosion et destruction.
Je continue à murmurer mon décompte du bout des lèvres. J’essaie toujours pas de me cacher. Qu’il tente de s’enfuir, et je braquerai ma lampe sur lui. Qu’il tente de s’échapper, et je décrocherai mes poumons pour les enrouler autour du cou et espérer tenir la route s’il le fallait.
J’entends au loin les sirènes qui se rapprochent, une nouvelle fois. Si je coulais, il allait couler avec moi. C’était hors de question. J’étais persuadé de ne pas être le seul responsable de cette sombre affaire. C’était lui qui m’avait poussé à faire n’importe quoi.
J’étais pas un terrain fertile au chaos, au bordel, à l’explosion de voitures et à la folle rancoeur qui me rongeait le coeur.
Rogus n’avait pas entretenu quelque chose de déjà existant, de honteux et camouflé, toujours enfoui mais jamais pensé.
Je préférais vivre dans cette douce illusion, parce que c’était plus simple à accepter. C’était pas ma faute, que je me disais, avec peu de conviction. C’était de la sienne. Il était la raison de mon malheur, actuellement.
Lumière sur un petit corps dans un buisson, et mon sourire s’élargit.
« Zéro. Trouvé. » Je marque une pause et passe le cordon autour de mon poignet. « Chat, c’est toi qui est. »
Mon bras décrit un arc de cercle dans les airs, prêt à s’abattre sur le coin de son crâne suffisamment fort pour l’assommer avec le manche de la lampe.