(TW : insultes putophobes, homphobes, racistes, sexistes, bref c’est pas ma faute : c’est Ambrose)

Ce sont pas les bleus qui font le plus mal. Mon corps est égratigné, mes vêtements cachent coupures et contusions le long de mon corps et je suis toujours pas sûre du moment où le monde arrêtera d’être flou. Mais ça, j’ai l’habitude. Je savais dans quoi je m’étais engagée. Après presque une décennie de street-fight, la violence physique des coups ne m’a plus jamais vraiment blessée. Elle ne m’a pas blessée car elle ne venait pas d’Ambrose. Ses mots ont essayé de briser ma psyché comme mes os, d’arracher des couches entières de mon égo aussi sûrement que ma peau. S’il n’avait pas été aussi excessif, j’aurai sans doute été à genoux. Mais j’en ai vu d’autres, Atkins.

Alors, recevoir un message de Nova-Blue m’étonne. J’avais entendu dire qu’elle s’était finalement mise avec Ambrose, après la fameuse soirée du jeu à la bouteille où je l’avais rencontrée. Elle avait alors eu un peu l’air d’un spectre perdu, au milieu de cette fête un peu bête. Trop sérieuse  et froide, mais mes yeux embués d’alcool s’étaient attachés à elle. J’avais essayé de la faire rire, de l’intéresser, de lui signifier mon alliance implicite. Face à son dégoût, ou peut-être sa peur, d’embrasser quelqu’un d’autre, j’avais dit, joueuse : "Faut juste les imaginer tous nus et c'est moins stressant." Avant d’ajouter, pleine de mépris, devant l’assemblée des gars : "Oui, non, en fait oublie ça va pas marcher avec eux" pour lui signifier aussi subtilement que possible à quel point elle m’intéressait plus que cette bande de gorilles juniors. Toutefois, elle avait pas l’air d’avoir entendu, les yeux comme les oreilles fixés sur son rouquin. Sans aucune attention pour moi.

Cela ajoute encore plus à l’incompréhension face à son message. Il est court et sans émotions. Sans smileys. Elle a sans doute découvert que son mec est une brute qui va insulter des nanas au pif, se mêler à des cercles de combats et enchaîner, au lieu des coups de poings, des insultes classistes, racistes et sexistes. C’est un autre genre de combo, j’imagine. Elle a besoin d’aide, la pauvre. Ce genre de situation, savoir que celui qu’on aime est une personne complètement différente de celui qu’on imaginait, qu’il est violent, méprisant, mauvais, ça doit être un choc sans pareil. Je ne suis pas encore son amie, mais je me dois d’être là pour elle, par solidarité. Lui expliquer, la soutenir, l’aider peut-être. Je l’ai déjà vengé, d’une certaine manière : elle sait maintenant qui il est, qui je suis.

Je me dois d’être son amie, son soutien. Pourtant, avant de la rejoindre, je passe aux toilettes refaire mon maquillage et ajuster ma tenue. Une partie de moi a pas juste envie d’aider Nova-Blue. Une autre veut la sauver, la ravir à la nullité de Phoenix et de son université visiblement remplie de serpents à cheveux roux. La chevalière toxique, tellement persuadée qu’elle a fait le bon choix en fuyant sa ville et sa vie, qu’elle veut pousser les autres à répéter et imiter ses actions. La chevalière aux cheval blanc et aux cheveux bleus, qui veut clairement d’une princesse au nom d’étoile. La chevalière qui se plante complètement.

Je la vois en sortant. Nova-Blue fait contraste dans le community college de Scottdsale. Elle crie PHOENIX de tous les côtés, son mépris se voit presque encore plus que pendant la soirée, ou peut-être que c’est l’absence d’alcool qui me la fait voir plus distinctement. En parlant d’yeux, à peine les siens sont posés sur moi qu’elle est en mouvement. Elle fonce sur moi et ma vie défile sous mes yeux. Mes illusions de chevalière, de sororité, d’amitié, de compréhension. Y’a rien de ça, ici. Y’a qu’un cocktail de haine, de rage et de violence refoulée. Y’a juste une Kota écrasée, visiblement la même contre qui Ambrose a réussi à tourner tout son groupe de street-fight. Y’a juste des rêves de NovaKota bouffés à même l’embryon par la Novrose, jumelle anthropophage destinée à régner.

« C’est quoi ton problème avec nous ?! »

Ah ils en sont déjà au « nous » ? Ils sont ensemble depuis moins d’une semaine mais ils ont déjà l’air d’avoir un compte commun, une maison de banlieue avec deux gosses et un labrador. Je peux pas me retenir de pouffer de rire en imaginant que je l’ai frappé juste parce qu’il était roux. Faudra que j’enlève mes posters de Sheamus et Sami Zayn dans ma chambre étudiante alors. En tout cas, mon rire ne va rien faire pour arranger son humeur ou sa haine.

« Tu t’approches plus jamais d’Ambrose. Et tu t’approches plus jamais de moi. »

« Il t’a pas dit, chaton ? » Dès les premiers mots, toute possibilité de paix est mise à la poubelle. J’en ai marre de leur couple et de leurs jeux. Dakota fuit le pays maudit du Novrostan, je deviens une exilée officielle Novrostile. Tant pis pour la belle brune et son chemisier blanc qui met du rouge à mes joues. « Il est venu me voir de lui-même. Tu sais pourquoi ? Parce que je suis une salope pleine de MST, le genre à squatter le lit des autres. Qu’il avait des noms de potes riches qui pourrait me « déglinguer » par charité. Une sale lesbienne, une pute et j’en passe. C’est tout ce qu’il m’a dit après que je lui ai conseillé de pas s’aventurer en chemise dans un cercle de street-fight, et encore c’est qu’une fraction, si tu veux le reste, je te conseille de t’asseoir parce que c’est putain de long, putain de sale et putain de relou. »

Je me suis rapprochée d’elle en parlant, pas front à front, mais pas loin. J’en ai ma claque d’être le défouloir de la colère de la Novrose. De près, elle va sentir ma colère au moins, si elle continue à choisir de ne pas l’entendre ou la voir. « Je lui ai donné toutes les chances. Il voulait être là. Il m’a presque supplié de le frapper encore et encore. Il a voulu m’humilier de toutes les manières. J’ai été sympa avec lui, Blue. Toi, t’as pas à l’être. Il te mérite pas, casse-toi. » Je connais pas ma place, je veux plus le savoir. Je donne des conseils comme si je savais mieux qu’elle, comme si je savais quoi que ce soit à ma propre vie. Tout ce que je sais c’est qu’Ambrose est une merde. Et que, pour elle, le jury est toujours en cours, ce qui est quand même déjà mieux.

(TW : thèmes auto-mutilatoire, insultes sexistes et homophobes)

« T’as pas à mentir, Dakota. Il m’a raconté. »

Mon cœur se brise et mon regard se fige. Évidemment qu’il a menti.  Et forcément qu’elle l’a cru. Pourquoi quiconque croirait Dakota ? Ça saute aux yeux que c’est une brute, une salope jalouse qui bousille les jolis mecs bourgeois qu’elle pourrait pas se taper. Une pétasse ultra-violente qui arrache les ailes des papillons dont elle sait pas savourer les nuances orangées. Une connasse de lesbienne qui casse les dents comme les morceaux d’un puzzle qu’elle jalouse, qu’elle saura jamais compléter seule. Je lève les yeux au ciel rien qu’à penser ça. Même maintenant je continue à danser au rythme de la playlist concoctée par mon auto-proclamé « meilleur ami ».  

J’aurai dû arracher la langue d’Ambrose pour lui supprimer sa plus grande arme, son venin de vipère. Mais même ça, même la violence cathartique, il me l’a enlevée. Je pense à ça et je n’entend que son rire. Et tandis que je regarde mes bras avec dégoût, j’ai envie d’arracher mes propres mains. Après tout, ce sont elles qui m’ont mises dans cette affaire, qui ont causées la haine de Nova envers moi. Et tant qu’on y est, j’ai envie de m’arracher les yeux pour ne plus voir le bleu des siens, ne plus voir comme un océan magnifique peut n’être peuplé que de vagues de mépris et de navires de rage. Mais il faut bien que je garde encore quelques organes alors que mon cœur se brise sous la poigne des attaques de la belle.

« Tu parles de lui comme si c’était quelqu’un de bien. Comme s’il avait pas déjà répandu mensonges, rumeurs et violence sur tout le campus. Comme s’il passait pas son temps à harceler tous ceux chez qui il croit déceler une faiblesse. » Mes poings comme mon cœur se resserrent en pensant à Alaska : je ne regretterai jamais de blesser une personne qui a fait du mal à mon étoile du Nord. Tiens, Nova-Blue, ça nous fait un point commun ça, non ? On est des lionnes, prêtes à tout pour défendre celles et ceux qu’on aime, les crocs sortis pour se mettre devant les agresseurs. On pourrait parler de ça, en rire, se protéger l’une et l’autre pour avoir quelqu’un devant soi, pour une fois. Mais non : on est front contre front au lieu de faire front commun. Tout ça à cause d’Ambrose.

« Tu parles de lui comme s’il méritait que tu te donnes pour lui, à lui. Mais c’est pas le cas, Nova. T’es comme moi, on t’as appris à être sympa avec les gars comme lui. Mais, encore une fois, t’as pas à l’être ! T’es au dessus de ça, au dessus de lui. » Je soupire et recule un peu. Parce que la colère et la haine, j’en ai déjà sentie assez. Parce que ce n’est plus que des torrents de lassitude qui coulent sur mon dos, parallèles aux sillons de douleur qui ne vont pas tarder à couvrir mes joues. « Pourquoi tu restes avec un mec violent, menteur et obsessif ? Qu’est-ce que tu vois chez lui, Nova-Blue ? » Qu’est-ce qu’il a que j’ai pas ?  

(CW : mention de violence et de sexe. )

T’as essayé de le construire, Dakota, ton pont en verre. J’ai essayé de diminuer la distance entre elle et moi. J’ai essayé d’atténuer la hauteur des murs érigés par Ambrose, par la société, par ces je ne sais quoi qui a rendu Nova-Blue la femme qu’elle est aujourd’hui. Mais c’est cette femme qui me regarde alors qu’elle brise la glace du pont, qu’elle nous sépare définitivement. C’est juste moi ou c’est de la lave glaciale qui se déverse de ses lèvres ?  Peut-être que j’aurai dû marcher un peu plus sur la pointe des pieds. Être plus douce, plus calme, plus diplomate. Être moins Dakota. Mais il y a une raison si mes voyelles sont ouvertes et mes consonnes brutales, cassantes. Je ne suis pas Alaska. Je ne présente plus ma joue.

« Et toi, hein ? Tu parles de lui comme si t’étais meilleure que lui. »

Elle défend pas son mec, son « nous ». Enfin, si, mais de la plus vieille manière du monde : sa meilleure défense est une terrible attaque. Alors je souffle un peu du nez et bombe le torse. J’imite les mimiques de matador, les clichés de la confiance en soi. Je suis encore persuadée que si j’imite assez longtemps l’estime de moi, elle finira par s’imprimer en moi. Que si je mens à Nova que j’ai pas honte de qui je suis, je finirai par y croire.

J’ignore si elle sait. Si elle sait à quel point elle a frappé dans la plaie originelle, celle laissée dans mon égo par mon père, par tous ceux qui ont douté de moi, qui m’ont forcé à faire de même. Je sais pas si elle sait qu’elle appuie sur des blessures qui me semblent séculaires.

Mais je vois bien qu’il y a quelque chose qu’elle ne sait pas. Elle ne connaît pas Ambrose. En tout cas, elle ne connaît pas celui que j’ai vu dans cette ruelle, celui qui a proféré toutes ces injures. Elle ne sait pas qui il est car sinon elle saurait bien que, même moi, je ne peux me sentir inférieur à lui.

Et, en cet instant, je ne peux que ressentir de la tristesse pour elle. Car un jour, sans doute bien trop tôt, elle verra le vrai Ambrose. Elle entendra ses insultes si doucereuses, elle verra le sang sur lui qu’il aura lui-même versé mais qu’il blâmera sur elle. Elle subira Ambrose comme, et alors nous serons sœurs mais déjà trop éloignées. Je n'aurai su l'avertir, je ne pourrai la protéger, je ne voudrai la soigner.

« Tu vas me faire croire que t’as glissé quand t’as défoncé sa mâchoire ?! »

J’ai un sourire méchant, un petit rire et l’envie de répondre avec plus de violence qu’envers Ambrose. Mais elle enchaîne immédiatement. Et je souris tranquillement, avec dédain. Parce qu’elle me fera jamais culpabiliser d’avoir frappé ce connard. Je lui ai déjà expliqué pourquoi et elle…

« Qui est obsessif, à stalker les gens sur Facebook, à agir comme si on était les meilleures copines du monde et que j’avais besoin de tes conseils sur ma vie sentimentale ? Hein, qui obsède, Dakota ? »

Et elle a réussi à m’effacer mon sourire. Et elle a réussi à me décontenancer. Et elle a réussi ce que pas grand monde fait en ce moment : me mettre dans les cordes. Parce qu’Ambrose, j’ai pas de peine à le haïr, on sera jamais amis. Parce que pour moi, j’ai appris à feindre la confiance, au moins devant autrui. Mais elle ? Elle était pas sensée se mêler à ça. Et puis t’exagère Nova-Blue : j’ai pas mémorisé les équilibres de ton visage au moment même où t’es rentrée chez Christie, je lui ai pas demandé tout ce qu’il y avait à savoir sur toi dès que tu as mis le pied dehors, j’ai pas dévoré en détail l’intégralité de ton compte Facebook.

J’ai pas envie, j’ai pas envie d’avoir envie de toi, j’ai pas envie de souffrir seulement parce qu’on peut pas se sauver. J’ai pas envie que tu dises la vérité, et que, quand je regarde les étoiles, je prie pour trouver ma Nova bleutée. J’ai pas envie que tu ais compris que pour les dix prochaines années je serai à tes pieds.

« Le pire de tes mensonges, Kota, c’est quand tu dis que je suis comme toi. Regarde-toi dans un putain de miroir, Dakota. »

Et si j’avais continué mon travail ? Et si je lui avais brisé son nez, pour qu’elle puisse rejoindre son cadeau empoisonné, pour qu’ils puissent être un « nous » dans une chambre d’hôpital ? Mais je peux rien briser du tout quand c’est mon cœur dont les morceaux ricochent dans tous les coins de ma poitrine. Parce qu’à partir d’aujourd’hui, un nouveau visage s’ajoute à ceux qui me regardent dans chaque miroir. Une paire d’yeux de plus pour me fixer quand je n’espère voir qu'un plus beau reflet de moi. Une incarnation de plus de ma haine envers moi-même, glissant de mon crâne vers le monde réel. Une raison de plus d’ignorer les glaces, afin que je ne vois pas dans chaque surface bleue à quelle point celle-ci ne pourra jamais être aussi belle que les yeux de Nova-Blue.

Je ne peux plus choisir que la colère. Je ne peux plus nourrir que le rejet. Je ne peux plus que constater la glace brisée n'aide pas à s'entendre. « Va en Enfer si tu crois que je vais être désolée Nova-Blue. » Après tout, j’y suis déjà, je te ferai une place si tu veux, pour te montrer les mille façons infernales d’être désolée. « Va te faire foutre si tu penses que je regrette de lui avoir fait ce qu’il voulait. » Parce que lui il m’a déjà baisé, il m’a baisé parce que c’est lui qui te baise. Je recule de quelques pas, me méprisant moi-même pour cette dernière pensée. Me dégoûtant d'être tombée dans son piège. Rompant le combat, car ce que notre guerre a fait de moi finit par me dégoûter. « Tu veux rien entendre, et j’en ai rien à faire de ce que t’as à me raconter. Alors, on se reverra quand Ambrose t’auras brisé le cœur. Je te ferai même une réduction quand tu me demanderas de lui casser les genoux. Mais retourne dans tes beaux quartiers de Phoenix. Tant qu'il y est j'y foutrai plus les pieds. »

On a rien en commun. On se comprend pas. On se déteste. Pourquoi est-ce que j’aurai le moindre intérêt pour elle ? Pourquoi est que je m’effondre déjà devant elle ?