Confused and lonely in the best way // Serhea

Rhea était tellement habituée à la colère que la léthargie la prenait de court. Mais la rage avait fait son temps, et elle n’avait rien arrangé. Ni l’absence, la solitude, les hurlements et les coups de poing n’avaient fait quoi que ce soit pour colmater le grand détraquement à l’intérieur d’elle. Impuissante, elle se contentait alors d’exister, d’attendre que ça passe. La dragonne était revenue au Sanctuaire, fatiguée de son bureau et incapable de voir le même décor un jour de plus sans y foutre le feu.  Elle y était aussi cible plus facile, mais après près d’un mois d’isolation, c’était un risque qu’il lui fallait prendre. A quoi bon servir tous ces discours à London sur le fait d’avoir besoin des autres, de faire confiance et de se rendre vulnérable si c’était pour les foutre à la poubelle dès que ça la concernait, elle? S’il y avait bien quelque chose qui motivait Rhea plus que la colère, c’était bien le rejet de l’hypocrisie.

Elle entendit la porte claquer avec fracas, mais n’eut pas l’énergie de sursauter pour bonne mesure. Il n’était pas très difficile de toute manière de déterminer qui venait de rentrer ; Serena était la seule à faire autant de bruit. Elle ne parvint pas en revanche à déchiffrer la complainte qui était sortie de sa bouche, et fut seulement ramenée à la réalité par le menton de sa cadette sur ses genoux, dans une posture familière, rassurante. Distraitement, Rhea passa la main dans les cheveux blonds de la dragonne. « T’en fais pas, pépite » La détective n’avait pas grandi dans une culture de surnoms affectueux. Sage avait commencé à l’appeler ‘gamine’ quand elle l’avait recueillie à l’adolescence, un sobriquet d’abord rejeté avec véhémence avant d’en comprendre l’immense tendresse. Un surnom qu’elle avait par la suite transmis à Ezra, le fils de sa marraine Shoshana. Tout le monde y avait droit, d’une manière ou d’une autre, c’était devenu un jeu. Pépite, c’était l’alternative acceptable de petite, la grandiloquence en moins. Une pépite pour sa petite sœur si spéciale, pour les trésors indécents qu’elle renfermait si on se donnait la peine de creuser. C’était aussi pour cela qu’elle savait très bien que quoi qu’elle dise, Serena s’en ferait. Rhea n’était pas dupe, ce n’était pas avec sa gueule de déterrée et l’absence de jurons et de musique dans l’air qu’elle allait convaincre qui que ce soit que tout était on ne peut plus normal. « Ca fait un moment qu’on s’est pas croisées » elle ajoute avec un petit sourire factice. Si tu étais rentrée un peu plus souvent ces derniers temps, peut-être que vous vous seriez vues plus souvent, petite égoïste que tu es.
   

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Rhea aurait du savoir que sa sœur ne lui tiendrait pas rigueur de son absence. Il y avait ce processus un peu étrange, une sorte de cercle vicieux, où moins on rentre le soir, plus on culpabilise, et plus on appréhende de rentrer de nouveau alors on reste dehors. Mais c’était là la particularité des Riverwood ; donner un vrai sens de famille à ceux qui n’en ont jamais eu, et Rhea n’était pas habituée à tant de bienveillance, même des années après. Le rire de la dragonne resta prisonnier de sa gorge, mais un sourire étira ses lèvres à la remarque innocente de Serena. Elle la voyait infiniment meilleure qu’elle n’était – superhéroïne à la place de détective, invaincue et imbattable là où elle était tragiquement faillible.  « C’est bien vrai, et les méchants ne sont pas toujours ceux qu’on croit » L’amertume et la honte se mélangèrent dans la salive de Rhea, dans son fiel. C’était injuste pour Isra – ou l’était-ce vraiment ? La version dont la dragonne était tombée amoureuse et la version qui avait contribué à la destruction de sa famille se superposaient l’une à l’autre jusqu’à se confondre, et Rhea ne savait plus laquelle était réelle et laquelle était une chimère.

Une grimace déforma les traits de Rhea à la mention d’une sortie. Son humeur était si peu compatible avec de la musique, de l’alcool, et toute forme d’amusement et de joie que c’en était ridicule. « Je ne suis pas sûre que… » commença-t-elle, ses muscles déjà recroquevillés, avant de s’interrompre. Pouvait-elle réellement continuer de rejeter les siens aussi impunément ? Serena qui la regardait avec ses yeux brillants, avec ce composé d’enthousiasme et de tendresse qui n’appartenait qu’à elle. Elle lui devait bien ça. Une soirée, une nuit, pour toutes les nuits où elle avait fixé le plafond depuis le canapé rêche de son bureau dans le Vieux Carré. « Allez, vendu. Si c’est pas trop loin et que tu me racontes ta journée en chemin. » La dragonne se releva péniblement, après des heures passées dans ce fauteuil en cuir dans une position improbable, attrapa sa veste et envoya une décharge à son téléphone avant de le glisser dans la poche de son jean. Prête à partir, prête à essayer de se comporter comme une sœur et non pas comme une zombie amorphe – pour la première fois depuis trois semaines.
   

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La réaction seule de Serena valait mille fois le fait d’avoir accepté de bouger ses fesses ankylosées. Elle resta silencieuse en écoutant le récit de sa sœur, incapable de retenir un petit rictus. Parfois elle se souvenait de l’adolescente prostrée qu’elle avait trouvé au refuge, une vision de plus en plus lointaine, éclipsée par l’énergie de la jeune femme vive et solaire qui marchait près d’elle désormais. Rhea éprouvait presque de la pitié pour ce pauvre prof d’art qui n’avait aucune idée de ce dans quoi il avait mis les pieds – l’imbécile aurait dû savoir qu’il avait affaire à Serena Riverwood, et qu’elle ne lui laisserait rien passer. « Tu sais ce qu’on dit, passer pour un idiot aux yeux d’un imbécile est une volupté de fin gourmet » La dragonne passa un bras autour des épaules de sa benjamine. You are not the opinion of someone who doesn’t know you.

À peine installées au bar, Rhea commanda les fameuses frites. Deux barquettes. Elles auraient partagé d’habitude, mais si elle ne s’en était pas rendu compte jusqu’à présent, il fallait bien le dire : elle crevait la dalle. Elle avait bu la majorité de ses repas dernièrement, et elle commençait à en payer le prix. « T’as raison on est jamais sorties, maintenant que j’y pense » Peut-être parce que quand Rhea fréquentait assidument les clubs, elle s’était dit que sa sœur était trop jeune – mais désormais ça semblait une opportunité manquée. Elle éleva un peu la voix pour couvrir le brouhaha ambiant. « J’aime plutôt ça, quand j’ai l’énergie pour » Ironique, pour une dragonne de foudre, pensa-t-elle avant de continuer. Elle se pencha légèrement vers Serena. « Mais bon, on ne sait jamais comment la soirée va tourner. La dernière fois que je suis sortie, genre vraiment sortie, j’ai roulé des pelles à une chasseuse et je m’en suis pas rendu compte tout de suite. C’est rapidement devenu un peu gênant. » raconta-t-elle avec un demi-sourire, avant d’attraper la bouteille de ketchup pour noyer ses frites sous ce qu’elle considérait être la plus belle invention humaine depuis l’imprimerie.
   

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