CW/TW : évocations religieuses, description organique de sang, violence
Il faisait rarement chaud, à Seattle.
C’était globalement une ville très froide, très solitaire, et comme épinglée dans le Nord pour montrer que les Etats-Unis étaient grands et que le changement de climat entre Phoenix et Seattle serait choquant.
Alors, je peux faire des comparaisons.
Il était largement plus agréable de se faire frapper à Seattle.
Je sentais calmement les endorphines gagner mon corps, le chaud dans mes joues rougies et la surproduction d’hormones pour calmer la douleur pulsait. J’imaginais mon myocarde se débattre, pomper plus que de raison, et j’étais admiratif de l’être humain dans ces moments-là.
L’histoire était banale. J’avais entendu quelques mots par-ci par-là. On parlait de surnaturels, encore, et toujours. Ils avaient été derrière moi. Dans mes souvenirs, ils parlaient très fort, et j’étais persuadé qu’il le savait, que ça m’agaçait. Je voyais aucune autre explication. Sûrement que tout Seattle le savait, sinon, y aurait pas autant d’imbéciles dans les rues qui parlaient de pouvoirs. Je sortais du Temple, ma croix autour du cou comme une promesse au Divin, et j’avais pris le retour à la réalité comme une claque au visage.
Certainement que j’avais pas supporté, parce que ça parlait avec beaucoup de légèreté d’un sujet grave. J’étais agacé, j’avais la certitude au fond du coeur que quelque chose de grave allait arriver de nouveau à cause de personnes pareilles.
J’étais dans du coton.
Je me suis certainement retourné, je sais plus.
Je les ai certainement insulté, je sais plus. J’ai du dire, que c’était de la merde, cette histoire, et que c’était une brochette de connards. Je sais plus.
J’avais qu’un gigantesque bip dans le crâne dans ce moment-là, j’étais une voiture en auto-pilote, une Tesla prête à s’éclater contre un mur à la vitesse de la lumière. J’avais envie d’arrêter le klaxon, d’arrêter de marcher, parce que j’avais l’impression que le son allait s’emballer dans ma tête, faire un truc, exploser, faire exploser la Terre, encore et encore.
J’avais mal aux dents, parce qu’elles étaient certainement encore cassées, et que j’avais mordu fort un des gars pour le faire partir. Je devais sauver la Terre, je devais sauver l’Humanité d’une nouvelle Apocalypse. Je pouvais plus me laisser faire. Pourtant, j’étais toujours là, entre deux poubelles, à avoir un sourire parfum endorphine sur les lèvres parce que j’avais enfin chaud dans cette ville trop froide.
Je pouvais lentement me coucher au sol sans risquer de rester collé à cause du froid, pendant que mon sang coagulait calmement pour m’y maintenir. J’avais envie de fermer les yeux, de me laisser porter par cette vague de chaleur, par mes neurones qui se délectaient d’hormones, d’y rester comme ça éternellement. Encore une fois, je me dis qu’ils avaient certainement passé un bon moment, pour m’avoir tapé aussi fort, qu’ils devaient avoir de la haine à sortir. Pas de soucis. J’avais été utile. Alors, je souris, parce que je savais au fond de moi que je faisais pas tout ça pour rien.
Puis il est arrivé.
L’Ange.
Je savais que tout ce qu’on me disait au Temple était réel. Je me disais que le Paradis avait une drôle de gueule, quelque chose que je connaissais un peu trop. Toujours les mêmes briques, toujours la même odeur de poubelles, toujours les mêmes sacs avec les mêmes choses dedans. Je pensais pas qu’il y avait besoin de manger, au Paradis. Je suis intrigué.
Il touche ma jambe et je me dis que c’est tout de même bien réel, ce qui se passe.
« Je suis où ? » je grommelle pendant que je sens que mon nez peine à faire passer l’air pour parler.
Je laisse alors la bouche ouverte pour pouvoir respirer difficilement. Il me parle rapidement, mais je comprends pas ce qu’il me dit.
Plus que tout, j’entends toujours ce putain de bip sonore dans un coin de mon crâne. J’aurai aimé qu’on me l’explose un peu plus, pour avoir la paix une fois depuis l’Apocalypse.
Je gémis un peu quand il me fait un garrot autour de la jambe. Je constate que le sol est tout de même sacrément coloré. Je me dis que c’est toujours mieux que le gris de Seattle, le ciel gris de Seattle, le monochrome de Seattle, les sales tours grises de Seattle.
Je sombre.
▲ ▲ ▲
Le Paradis a toujours une sale gueule. Je me réveille dans ce qui semble être une ambulance et j’entends plein de bips autour de moi. J’ai envie d’éclater les machines pour qu’elles arrêtent de faire du bruit.
« Je suis où ? »
J’ai un tuyau dans le nez, je sais pas pourquoi. Je me dis que ça doit me faire une sale gueule. Je jette un œil aux écrans autour de moi. Les courbes sont assez irrégulières. Je sais pas lire tout ça. Je sais pas ce que ça veut dire. Est-ce que ça veut dire que j’ai passé les portes du Paradis et que je suis définitivement mort ?
« Ca craint, dis donc, le Paradis. »
Je tousse et je sens que mes côtes vont se détacher à tout moment. Je me demande si y a une parcelle de ma peau qui est pas couverte de tâches de
Je pouvais pas me résoudre à que ma destination finale ressemble à une ambulance. Le Temple m’aurait pas menti à ce point-là. Je refusais d’avoir prier toute ma vie pour une putain d’ambulance. J’ai l’impression qu’on m’a menti toute ma vie, et j’ai envie de pleurer d’un coup. Les hormones font n’importe quoi. J’ai chaud, j’ai froid, j’ai mal, j’ai pas mal, j’ai envie de me marrer, de pleurer, je sais pas où je suis.
J’entends qu’on me dirige vers un hôpital. Je sais au moins où je vais, c’est déjà ça.
« Ah non, pas celui-là. La bouffe est dégueulasse et les infirmières pas sympas. » Je marmonne. « Je peux pas aller à celui vers Pioneer Square ? Pitié. »
J’aimerai dire que je suis prêt à sortir de l’ambulance s’il le fallait, les menacer d’ouvrir la porte et me jeter sur la route pour marcher jusqu’à Pionner Square. En vérité, ma mâchoire a mal quand je parle, et j’ai l’impression que mon corps va me lâcher à tout moment. J’ai jamais autant ressemblé à une petite chenille.
Dans l’histoire, je sais toujours pas pourquoi j’ai un tuyau dans le nez.