Je le sais parce que j’attends un putain de colis, qui n’arrive pas depuis une semaine. J’avais commandé des serflexs en plastique, d'après les conseils avisés d’Aurore. C’était il n’y a même pas dix jours. J’avais entendu Riverwood dans un bar. J’avais souvent entendu ce nom, dans des rapports, dans des enquêtes, et il paraissait qu’ils avaient quelque chose à voir avec la disparition de ma mère. Alors, j’avais perdu le contrôle. J’avais vu une blonde, dans un bar, un peu jeune, avec ce putain de nom à la con, et je l’avais tiré pour lui soutirer deux trois informations. Je m’étais dis que les gens étaient plus cléments quand on les mettait dans des situations de danger.
Je m’étais trompé, parce qu’elle était jeune, et que j’osais imaginer que les enfants ne tuaient pas de mères. Chaque enfant aimait sa mère, suffisamment pour pas imposer cette connerie à d’autres.
Je faisais les cents pas, avec ce colis en tête. Cette famille devait être grande, trop grande. Si je devais aller chez eux, tenter de les rencontrer intégralement pour comprendre dans quel merdier je m’étais foutu, alors je le ferai. Alaska s’était foutu de ma gueule, avait compris ce que j’étais incapable de comprendre. Maman ne fumait pas de clopes, je le savais. Maman n’allait pas au supermarché et ramenait le type de produits frais qu’on trouvait dans des marchés du quartier, je le savais.
J’avais le mot « mort » qui résonnait dans ma tête, en disant que je pouvais voir des fleurs mortes et continuer à les regarder. Alors, je pensais que c’était pareil avec maman. De sa tombe, elle va se lever, à tout moment, et venir boire un Earl Grey dégueulasse que je goûterais, en me disant que c’était horrible, avec un goût immonde mais que c’était mieux ça que de plus la voir.
J’attendais depuis sept ans. C’était un nombre premier. J’aimais pas le sept. C’était trop long pour être crédible, cette histoire. Peut-être qu’elle avait disparu dans ce délire collectif autour des surnaturels, aussi. Alors, je creuserais pour la retrouver. Parce que les choses mortes sont visibles, comme les chrysalides qui n’éclosent jamais, et les chevilles recroquevillées. Parce que les papillons vivent trois jours, puis meurent, mais que je continue à les aimer, donc ils continuent un peu à vivre.
Finalement, tant que je penserai à elle, elle sera toujours là.
Alors, je fais rouler ce mot sur mes lèvres. Mort. Morte. Mort. Morte.
Et je me dis que mon colis met longtemps à arriver.
« Ah bah, putain, enfin ! Quand on dit midi, c’est pas midi dix, c’est midi ... » que je baragouine vaguement avec un agacement profond.
J’ouvre.
Ce n’est pas un facteur.
Mais une livreuse de coups de pieds qui m’attend sur le seuil de ma porte.
J’ai un cri de stupeur quand je chancelle sous la violence du coup et épouse mon sol. Je me dis qu’il est sale, et que je ferais mieux de le laver. Le soucis, c’est que j’ai une inconnue chez moi, prête à m’éclater le crâne. Je soupire. J’avais mieux à faire de mon vendredi.
Riverwood.
Je lève la tête brusquement vers elle.
« Attends, c’est quoi ce bordel ? T'es qui, putain ? »
Riverwood. Elle était un de ces monstres. Riverwood, c’était le nom maudit. Riverwood, source d’eau, la soif, les arbres, la forêt, l’oxygène. Riverwood, sources de vie mais qui tuent sur leur passage. Anges déguisés en sales démons, les crocs bien pointus et les griffes trop longues pour être arrêtés par la police, visiblement. J’ai la main sur mon sol, y a de la poussière. C’est ce qu’on fout sur les cercueils avant qu’on les enterre, à ce qui paraît.
Riverwood, et elle se pointait chez moi. Je suis confus, je comprends rien et je me dis que c’était pas réellement le colis que j’attendais. Je préférais les serflexs aux révélations étranges. Je me retrouve enchaîné par la confusion au sol, et je la regarde comme si je venais de naître, avec le plus grand des étonnements dans la tête.
« Mais … Putain de bordel de merde. Riverwood. Putain. Putain. Putain. »
Je répète juste l’intégralité du chapelet d’insultes que je connais. L’incompréhension, ça se soigne qu’en parlant. Pourtant, rien ne roule sur mes lèvres, et j’ai la même sensation de vide qu’avec le mot mort. Riverwood.
« Alors comme ça, on fait la chasse aux Atkins ? »
Je commence à serrer les dents et je me relève doucement. Je vais la dégommer. Je sais pas comment. Mais je vais la dégommer. J’ai pas d’armes. J’ai des dents, je peux mordre si elle s’approche. J’ai pas de pistolet, mais j’ai des mots pour attaquer à distance. Langue de vipère, j’étais prêt à cracher mon poison. Riverwood.
« Je peux m’asseoir à mon bureau si tu veux. Pour que tu puisses me buter dans les mêmes circonstances que t’as buté ma mère, Riverwood. »
Je réalise trop vite. C’est pas normal. Je réalise trop vite. Cette scène, je l’ai tournée cinquante fois, dans ma tête. Le jour où j’allais la recroiser. Le jour où je pourrais lui cracher à quel point ma vie est devenue merdique depuis que j’en ai eu quelque chose à foutre de sa famille. Le jour où j’ai maudis le mois d’août alors que c’est un mois estival. Le jour où j’ai détesté les piscines. Le jour où je me suis dis que le Earl Grey, c’était pas si mal, finalement. Le jour où j’aurai plus ce putain de nom de famille sur les lèvres. Riverwood. Riverwood.
« Les couteaux sont dans ma cuisine, si tu veux. Je t’y emmène ? »
La cuisine est collée au salon, où les deux pièces sont séparées par uniquement un bar. De mon côté, je m’y rends.
Je sais où sont les couteaux.
Je comptais pas lui donner.
J’allais bouffer du Riverwood, ce soir. J’aimais les plantes et l’eau, ça tombait bien. J’ai juste la main sur une lame de boucher, prêt à tenter de me défendre au cas où elle sautait par dessus le bar pour m’éclater le crâne, venait pour m’étrangler, ou tente de me passer par la fenêtre.