coming apart at the seams ◊ RHACE

Rhea n’avait jamais aimé se lever tôt. Sa vie n’avait jamais été assez stable pour lui donner le goût des réveils matinaux et d’une routine scolaire à suivre. Les études qu’elle avait faites, elle était passé à travers avec juste assez de discipline pour en voir le bout et être diplômée de l’académie de police de Washington. Mais il fallait bien admettre que la vue de l’aube était sans pareille, avec ses couleurs orangées et une pointe de bleu à l’horizon. La dragonne avait quitté la rambarde du balcon donnant sur la cour centrale pour aller s’adosser contre les murs en brique du sanctuaire – quitte à se lever si tôt, autant laisser l’air frais fouetter son visage et griller une cigarette en attendant Grace. Elles s’étaient donné rendez-vous la veille, une formalité plus qu’autre chose. Les deux jeunes femmes avaient pris l’habitude depuis quelques mois déjà de se retrouver le dimanche matin à l’aube. Au début, elles se parlaient peu – Rhea ne connaissait que trop bien les yeux de l’animal blessé et les fantômes qui se cachaient dans les prunelles de la jeune dragonne, et avait pris le parti de la laisser venir jusqu’à elle malgré son impatience. Après tout, elle était dans une position unique pour comprendre ce que Grace avait traversé et ce qui l’amenait jusqu’aux Riverwood aujourd’hui.

Plus récemment, doucement, elle semblait plus disposée à se laisser approcher. Peut-être était-ce l’intimité, la tradition de ces dimanches matin, la routine, le fait que Rhea ne la force jamais à rien d’autre qu’à frapper plus fort, qu’à courir plus vite. Mais la détective sentait que son approche portait ses fruits – au dîner de la veille, elle lui avait arraché un éclat de rire.

Grace ne tarda pas à la rejoindre, elle n’avait jamais été en retard. Après quelques mots rapides, elles grimpèrent toutes deux dans la Comet de Rhea. Le trajet se fit en silence, comme à l’ordinaire, ponctué par le chant des oiseaux. Toutes deux avaient aussi en commun de préférer profiter du paysage marbré d’orange plutôt que de parler pour ne rien dire, du moins Rhea avait toujours interprété leur mutisme ainsi. Le Dôme n’était pas très loin – une vingtaine de minutes à peine, mais toute occasion était bonne pour sortir cette voiture que la dragonne affectionnait si particulièrement. Une fois arrivées, elles se dirigèrent rapidement dans leur salle habituelle aux murs en béton renforcé. Sur un des côtés de la salle, des rangées d’armes blanches dont elles n’auraient pas besoin. Le but était de travailler leurs pouvoirs, sous forme humaine et dragon. Au-delà de leurs personnalités qui semblaient étrangement se répondre, leurs pouvoirs présentaient également à l’autre un challenge unique. La glace étant très mauvais conducteur, Rhea devait invoquer des quantités d’énergie folle et arriver à en maîtriser parfaitement le flux et la chaleur pour la faire fondre. Les glaciers faisaient des cibles parfaites ; l’éclair ne pouvant pas se répandre à travers les molécules, Rhea était obligée de faire des tirs plus précis que puissants. Grace, de son côté, devait travailler sur son contrôle, sur sa vitesse et sur sa capacité à viser. L’éclair étant partout, il était difficile de l’atteindre et de détruire complètement le champ de force. Ces dernières séances, elle avait beaucoup progressé à s’attaquant au boucler électrique de Rhea.

Au bout d’une quinzaine de minutes d’échauffement, les deux jeunes femmes se mirent en position et Rhea s’autorisa un sourire. « Essaie de former une stalactite. Pas autre chose, ne gèle pas la pièce, ne perd pas le contrôle, concentre-toi sur la forme de l’objet. Et vise-moi avec. » rajouta t-elle après un court instant de silence. C’était risqué. Si Grace réussissait, il lui faudrait être assez rapide pour l’éviter. Avec son niveau deux, elle n’arrivait pas encore à produire de bouclier électrique sous forme humaine ; c’était son prochain challenge. Peut-être qu’elle pouvait au moins rediriger légèrement les projectiles avec les ondes électriques ? Elle ne pourrait le découvrir que lorsque Grace attaquerait. Grace, qui semblait perplexe et réticente. Elles utilisaient des cibles existantes, d’ordinaires, ou en créaient à partir de leurs pouvoirs sous forme dragon. « Tu ne me feras pas de mal » assura Rhea avec un ton rassurant, repoussant ses cheveux tressés par-dessus son épaule. Rhea était persuadée que l’évolution des pouvoirs de Grace lui laisserait créer n’importe quel objet sous forme de glace – si seulement elle pouvait le maîtriser.

   

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Grace était une lève-tard. Elle l’avait toujours été d’aussi loin qu’elle pouvait s’en souvenir. Probablement parce que tous ses soucis n’existaient pas lorsqu’elle se trouvait dans le pays des limbes, il n’y avait plus de suppresseurs, plus de parents despotiques n’éprouvant que de la haine ou du dégoût pour son espèce, plus de fugue à l’autre bout du pays pour s’éloigner le plus de ses géniteurs.
Pourtant, irrémédiablement la jeune femme se trouvait debout à l’aube le dimanche matin. Cela semblait être le seul jour de la semaine où Grace se levait tôt sans broncher ; elle s’accoudait à la fenêtre quelques minutes pour voir le soleil se levait, donnait au ciel ses couleurs rosés, orangés qui la transportait dans un autre monde où, l’espace d’un instant, le temps n’avait plus d’existence. Sommairement, elle avalait un petit déjeuner consistant avant de rejoindre Rhea.

Depuis quelques mois maintenant, les dragonnes se rejoignaient tôt le dimanche matin, montaient dans la Comet de la blonde et roulaient en silence jusqu’au Dôme.

Les débuts avaient été compliqués, aucune des deux ne pouvaient le nier. La confiance de Grace avait été briser il y a de cela de nombreuses années et même son arrivée chez les Riverwood n’avait pas effacer les séquelles causées par ses géniteurs. Cependant, la dragonne s’ouvrait petit à petit, avait commencer à apprécier de plus en plus chacun des membres singuliers de cette famille reconstituée. Se surprenant même à rire avec eux comme la veille avec Rhea et à appeler les matriarches de cette famille Maman dans ses pensées. Bien qu’il fût encore trop tôt pour prononcer ses paroles de vive voix.
Mais lorsque l’on connaissait la jeune femme, cette évolution constituait déjà un pas de géant dans la reconstruction de la jeune femme brisée qu’elle était. L’autre étape de cette reconstruction, plus que psychique était physique, elle était également l’objet de la venue des dragonnes dans le Dôme tous les dimanches matin depuis quelques mois. Il s’agissait ni plus ni moins de la maîtrise des pouvoirs de la plus jeune, pouvoirs encore trop bruts, trop sauvages et non maîtrisés.

Elles commençaient généralement par un échauffement, Rhea ayant été dans la police, elle prenait naturellement la tête de ces exercices ; il y en avait des basiques que la plus jeune connaissait déjà et d’autres totalement inconnus qui échauffait leurs corps jusqu’à ce que l’aînée Riverwood décide qu’il était temps de passer aux choses sérieuses. A partir de ce moment-là, la plus jeune redoublait de concentration, ne souhaitant pas la blesser par inadvertance comme cela avait pu-être le cas dans le passé. Pas avec Rhea personnellement mais d’autres qu’elle avait pu croiser.
Chaque conseil de cette dernière était absorbé par Grace qui s’améliorer au fil des séances ; et si elle en avait conscience, elle gardait toujours une certaine retenue dans ses coups. Même aujourd’hui, dans la position de garde basique qu’elle imitait parfaitement face à Rhea, elle gardait sa retenue, ne laisser pas son pouvoir sortir tel qu’il aurait dû. Comme un maitre tiens la laisse de son animal bien serré alors que ce dernier cherche désespérément à partir, courir vers la liberté.

Mais peut-être qu'aujourd'hui, peut-être arriverait-il à ses fins. Peut-être ses pouvoirs pourraient enfin sortir.

Rhea lui avait demander d'attaquer, lui avait donner un but, une cible. Et si elle hésitait, l'assurance de la jeune femme la poussa à hocher la tête pour se concentrer sur ce qu'elle voulait. Fermement planter sur ses pieds, il ne lui fallut qu'une minute pour sentir son pouvoir monter alors elle s'exécuta - Faîtes qu'elle ne soit pas blessée

Réussite critique : Grace arrive à former un stalactite et à viser juste
Réussite : Elle ne parvient qu'à créer le stalactite
Echec : Grace ne parvient pas à créer le stalacticte
Echec critique : Elle perd le contrôle et gèle

Tendant la main, les yeux fermées. La glace se forma petit à petit jusqu'à créer un stalactite parfait qui se dirigea directement vers l'aînée Riverwood.

   

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Rhea pouvait voir l’hésitation dans les yeux de sa cadette d’adoption, mais aussi sa détermination. Une volonté sans pareille de faire ses preuves. Elles avaient déjà tant avancé, il était temps. Après tout, ce serait une épreuve pour elles deux – si Grace devait travailler sur sa maîtrise de ses pouvoirs physiques, le blocage de la dragonne de foudre était psychologique. Un long sourire étira les lèvres de Rhea tandis qu’elle observa le bout de glace prendre forme dans les mains de la jeune dragonne, jusqu’à atteindre le bout pointu de la stalactite. Quelle victoire ! Cela avait dû lui demander une grande concentration et un calme intérieur rare – Rhea aimait penser que là était aussi le but de l’échauffement, faire le vide dans son esprit, et leurs séances payaient enfin. C’était à son tour désormais. Elle observa le projectile arriver sur elle et immédiatement invoqua le bouclier qu’elle utilisait en combat sous forme dragon. Elle réalisa une seconde trop tard que trop occupée à célébrer l’accomplissement de Grace, son propre état d’esprit ne lui permettait pas d’utiliser ses dons correctement – il était trop tard pour en appeler aux ondes électro-magnétiques, ce qu’elle aurait probablement dû faire dès le départ au lieu de tenter le diable.

En une fraction de seconde, elle se décala de quelques centimètres désespoir de cause, mais ne put pas éviter la stalactite qui alla se planter tout droit dans son épaule. Dans un grognement et un juron sonore, Rhea alla s’appuyer contre le mur pour se concentrer sur sa plaie. Bordel. C’était bien la peine d’entraîner Grace si elle ne pouvait même pas se défendre ; c’était pour cette exacte raison qu’elle n’avait pas encore passé le niveau trois. Elle manquait encore de discipline, de concentration. Elle avait vingt-sept ans non d’une pipe, il était temps d’avancer – qu’est-ce qui la bloquait encore, après tout ce temps ? Son regard n’était que flamme alors que Grace se précipitait sur elle. « Finalement je retire ce que j’ai dit, tu peux tout à fait me faire mal apparemment » marmonna-t-elle en une maigre tentative d’humour. Elle n’était pas gravement blessée, sa peau était naturellement plus résistante que celle des humains et Grace n’avait pas lancé fort – certainement que la concentration nécessaire à la création de la glace et le tir l’avait empêchée d’y mettre sa force, et Rhea n’en était pas peu reconnaissante.

La dragonne retira la mince stalactite logée à l’intérieur de son épaule, et la laissa tomber au sol où elle se brisa en plusieurs morceaux. « J’irai consulter une des sorcières du Vieux Carré en rentrant ce n’est pas très grave » fit-elle dans l’espoir de rassurer Grace. « C’est excellent, c’est un vrai progrès ! » rajouta t-elle après un court instant de silence en tentant de serrer les dents le moins possible. Ça faisait un mal de chien quand même. « Il y a des bandages dans la boîte en fer près de l’entrée, tu veux bien aller m’en chercher un ? » demanda Rhea en un souffle. Il était hors de question que l’entraînement se termine sur cette note alors qu’il avait à peine commencé, il fallait capitaliser sur le succès de la jeune dragonne. Elle avait été à sa place jusqu’à récemment, d’ailleurs – d’une certaine manière, Grace suivait dans ses pas plus qu’elle ne pouvait s’en douter.


   

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La dragonne ne comprit que trop tard que Rhea n’éviterait pas son attaque ; pourtant, elle n’en eut réellement conscience que lorsqu’elle entendit le juron de cette dernière. Et la peur de l’avoir blesser gravement prenait le pas sur l’enthousiasme que provoquait la réussite de cette attaque. Déjà, son contrôle glissait, laissant les murs se recouvrir d’une fine particule de glace tandis qu’elle courait vers la blonde. La plus jeune était paniquée, et ce n’était pas la maigre tentative d’humour de Rhea qui améliorait les choses ; Grace perdait tous ses moyens.

Ses yeux suivirent le mouvement de la stalactite logée dans l’épaule de la jeune femme jusqu’à ce qu’il ne reste plus que des dizaines de petits morceaux sur le sol. Incapable d’être rassurée par les paroles de sa ‘sœur’, non désormais tout son monde se basait sur des petits morceaux de glace teinté de rouge carmin. Rhea avait beau la rassurer, elle n’entendait que la douleur dans sa voix ; et dès que cette dernière lui demanda d’aller chercher les bandages à l’entrée, elle s’y précipita.
La fameuse boîte en fer était elle-même recouvert de gel, facilement brisable, il ne s’agissait que d’une fine couche semblable au gel que l’on trouvait parfois sur le pare-brise des voitures ; mais cette fine couche, si réelle la ramena à un contrôle à peu près stable. Elle n’enlèverait pas la glace des murs, mais elle en empêcherait au moins sa propagation. Fermant les yeux, elle prit une inspiration avant d’attraper les bandages pour se diriger vers l’aînée, toujours appuyer contre le mur.

A genoux à ses côtés, Grace s’attela à la tâche en silence, soignant du mieux qu’elle le pouvait sa sœur avec les maigres connaissances qu’elle avait. Dans sa tête pourtant, se succédaient milles questions. Que penserait Ariadne et Athena ? La renverrait-elle au refuge ? Trop sauvage pour dompter ses propres pouvoirs, pour veiller sur les membres de sa famille ?

"Je suis désolé, j'aurais du faire plus attention. C'est ma faute. Tu devrais aller te faire soigner maintenant, ça risque de s'infecter et cela pourrait être pire..."

Grace parlait rapidement, débitant un flux de parole peu commun à sa personne. Perdue entre la panique et l'inquiétude, le regret d'avoir accepter l'idée de Rhea s'insinuait lentement.

 

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Rhea serrait les dents, observant autour d’elle le givre discret qui commençait à recouvrir les murs. Voilà tout ce qu’elle avait gagné avec son incompétence, son incapacité à parer un simple coup – elle l’avait vu, pourtant, elle avait vu la joie et le sentiment de victoire dans les yeux de sa cadette, avant qu’elle ne voie le rouge carmin qui tâchait la glace. Si la dragonne de foudre avait été moins arrogante, elles auraient pu célébrer ça ensemble. De nouveau, toutes deux se réfugièrent dans le silence tandis que Grace enroulait le bandage autour de l’épaule de son aînée avec soin et précision. Rhea sentait sa main trembler, quelque peu. Elle la laissa se concentrer, prendre le temps dont elle avait besoin pour se reprendre, tout en gardant un œil attentif sur le givre qui les entourait et qui commençait à refroidir la pièce. La jeune femme continuait de fixer le visage de Grace tandis que celle-ci s’obstinait à ne pas croiser son regard, à s’occuper de sa plaie. Elle était tristement consciente du poids qu’auraient ses prochains mots, et qu’il lui faudrait les choisir avec un soin extraordinaire.

Ce fut Grace qui finalement brisa le silence, une fois le bandage terminé, avec un ton dont la panique – bien que contrôlée – se faisait sentir. Rhea resta silencieuse tandis que la réalisation la frappait comme un train. C’était un risque qu’elle n’aurait jamais dû prendre – combien d’accidents du type Grace avait-elle été forcée d’assumer la responsabilité dans sa famille biologique ? Combien de fois avait-elle dû faire face à leur peur, leur ignorance ? Combien de fois s’était-elle retrouvée dans cet exact scénario et ressenti la culpabilité la plus profonde ? Rhea laissa échapper un soupir, et se laissa doucement glisser contre le mur pour s’asseoir, entraînant sa cadette avec elle afin qu’elles soient au même niveau.

Et parce qu’elle sentait la détresse et l’inquiétude dans le regard de la jeune femme, la dragonne s’autorisa un geste qu’elle n’avait jamais esquissé auparavant ; elle attrapa délicatement le menton de Grace de son bras libre et la força à la regarder dans les yeux, comme pour lui intimer de l’écouter très attentivement. Dans son regard, la culpabilité vint croiser l’inflexible affection de Rhea. « Grace, tu n’as rien fait de mal. Tu as été parfaite, tu as fait exactement ce que je voulais que tu fasses. Si quelqu’un est en faute c’est moi parce que j’étais trop occupée à m’extasier sur ta réussite que je n’ai pas été assez rapide pour parer. Et crois-moi, j’en ai vu d’autres… » Elle ponctua sa phrase d’un petit rire sans joie, repensant aux cicatrices qu’elle portait encore de la guerre de 2013 au cours de laquelle sa propre audace et son manque de maîtrise avait failli lui coûter la vie. « Pense à quel point Ari et Athena vont être fières quand on leur racontera tes progrès. Tu vas bientôt pouvoir nous faire des sculptures de glace ça va être du plus bel effet dans le salon » ajouta-t-elle après un court instant de silence.

L’instant était particulier – elles avaient rarement échangé autant de mots en étant aussi directement en contact, et avec tant d’honnêteté. La glace commençait à se craqueler, et s’il fallait prendre une stalactite en plein dans l’épaule pour arriver à tisser ce lien sur lequel elle travaillait depuis des mois, Rhea les laisserait l’atteindre sans broncher. Mais peut-être en présence d’une sorcière qui pourrait la soigner tout de suite après, si possible. La morsure de la douleur dans sa chair était supportable, mais bien présente néanmoins.

   

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 La peur, la peur d'avoir trop blessée, trop peur d'elle-même, de ce qu'elle était capable de faire. Plus observateur qu'acteur, elle suivait son aînée en mode pilote automatique, analysant le moindre signe de douleur qui la pousserait à courir récupérer les clefs de Rhea pour la conduire jusqu'à une sorcière pour la soigner, permis ou pas permis. Cependant, le geste ô combien maternelle de son aînée la figea. Un geste si banal mais presqu'inconnu, dont seul les matriarches Riverwood s'étaient risquer. Un geste que sa génitrice avait pourtant déjà pratiquée sans jamais être aussi tendre; il y avait toujours une certaine retenue dans ses gestes, si bien que, la petite fille qu'elle était avait arrêter de demander ses petites gestes d'attention, d'affection. Les oubliant complètement lorsque la confiance fût brisée, cette journée fatidique ou elle avait compris ce qu'était les bonbons.

Mais même si son corps était semblable à une statue de glace, ses yeux eux, exprimaient toute la culpabilité du monde. Et les compliments de Rhea, encore si étranger aux oreilles de Grace firent monter les rares perles salées qu'elle était capable de verser. Parfait n'était pas un mot qu'elle avait l'habitude d'entendre pour la qualifier; elle pouvait compter sur une main les rares fois où cet adjectif lui avait été destiné.
Tentant d'empêcher les larmes de glisser sur ses joues, la jeune femme ferma les yeux, souriant d'un petit sourire discret mais sincère alors qu'elle ne pouvait s'empêcher de lâcher un petit rire en imaginant des sculptures de glace dans le salon de la résidence Riverwood. La dragonne n'était pas sûre que ces sculptures bleutées soit au goût de toute la fratrie mais cette tentative rocambolesque de la rassurer lui redonna au moins le sourire, la culpabilité n'était pas parti; elle ne la quitterait sans doute pas avant un petit moment. Mais au moins, elle se sentait un peu plus légère, juste un petit peu.

"Tu penses vraiment que les garçons apprécieraient les sculptures de glace autant qu'Ariadne et Athena?" dit-elle avec un brin d'humour tout en plantant son regard dans celui de Rhea durant un moment de silence

Grace avait du mal à se projeter dans l'avenir, pourrait-elle réellement un jour faire ces sculptures de glace ? Créer un stalactite, une forme simple, banale, dénuée de sentiments était autre chose que créer une statue exprimant une émotion, une âme. La glace n'était pas dénuée de sentiments mais elle demandait une certaine maitrise que la dragonne n'avait pas; pas encore.

 

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Grace avait l’air si fragile, à ce moment-là, comme si tous les murs qu’elle avait savamment construits étaient en train de s’effriter devant la blessure de Rhea dont elle se sentait responsable. Ce mécanisme lui était si familier, si proche de son propre vécu, que la dragonne de foudre n’eut aucun mal à lui adresser un sourire rassurant. La position à adopter lui venait naturellement, comme le souvenir du fantôme qu’elle aurait aimé avoir devant elle alors qu’elle s’était trouvée, comme Grace, prostrée en essayant de trouver sa place dans un monde qui n’avait pas voulu d’elle. Bien sûr, Rhea savait désormais que l’histoire de sa famille était une tragédie, qu’elle avait été aimée avant d’être perdue pour toujours – Grace n’avait pas ce luxe. Mais le déracinement, la crainte, le besoin de quelque chose de plus grand que soi… Elle le ressentait ancré dans sa chair tout comme sa cadette.

La couleur revint habiter les joues de Grace au bout de quelques secondes – une mince victoire mais une victoire qu’elle prenait quand même. Elle laissa échapper un petit rire au trait d’humour sur les sculptures, après tout ils avaient chacun leur rôle au sanctuaire avec leurs pouvoirs, tous sauf Faolan, qui luttait encore trop avec sa nature. Mais tous participaient à la vie du foyer d’une manière ou d’une autre, Ari les chauffait en hiver, Athena avait tout particulièrement à cœur leur bien-être et se faisait le cœur de la communication, Rhea était la référence pour tout problème électrique, Ammon s’était attelé à de discrètes décorations – une fois ses talents maîtrisés, ils feraient une belle équipe avec Grace, entre glace et cristal. Un accomplissement dont elle était certaine ; cela arriverait avec de l’entraînement. « Est-ce qu’on s’en fout pas un peu, s’ils n’aiment pas ? » répondit-elle avec un sourire en coin, sur le même ton amusé. Quelques secondes passèrent, durant lesquelles Rhea retira sa main du visage de sa cadette, mais se contorsionna pour trouver une position plus confortable contre le mur, genoux touchants ceux de Grace. « Les Riverwood m’ont appris que quelque part la famille c’est aussi ça. Ne pas tout aimer mais être là quand même » reprit-elle avec un peu plus de sérieux. Elle commençait à toucher le sujet qu’elle voulait aborder depuis le début – depuis qu’elle l’avait prise sous son aile, en vérité. Le moment n’avait rien d’artificiel, il semblait parfait. Leur famille était atypique, deux dragonnes à la tête du clan et cinq adoptions de dragons tous plus particuliers les uns que les autres ; mais ils avaient tous quelque chose en commun. Ils connaissaient la solitude, la frustration, la colère. La solidarité, la maladresse que l’on a lorsqu’on essaie d’aimer sans trop savoir comment. Il y avait quelque chose de profondément touchant dans ce que Ariadne et Athena avaient construit, avec patience, au fil de ces dernières années.

Quelque chose de différent aussi comparé à leurs origines respectives. Rhea laissa échapper un soupir contrôlé. « Je pense que le concept est aussi nouveau pour toi qu’il l’a été pour moi, mais on s’y fait. Promis. » Ses prunelles toujours dardées sur le visage de sa cadette, elle avait à cœur d’amorcer cette discussion-là, une fois pour toutes, quitte à laisser de côté l’entraînement pour le moment. Elles auraient toujours le loisir d’y revenir. Mais ce qu’elle voulait lui dire, au fond, pouvait se résumer à quelques phrases, martelées avec le myocarde pour qu’elle l’entende. On est pareilles. Battement de cœur. Je comprends. Battement de cil. Fais moi confiance. Yeux baissés. Tu n’auras plus jamais à te cacher.

   

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 Une étrange sensation s’emparait du corps de la dragonne à mesure que la conversation avançait, une sensation sur laquelle la jeune fille avait encore du mal à mettre des mots. Son esprit soufflant des idées que sa bouche refusait de prononcer, de mettre en forme. Une sensation qui se rapprochait d’un sentiment devenu oublié, celui d’appartenance. Pourtant, jamais elle n’aurait pu l’exprimer à haute voix. Aussi se contentait-elle de rire à la remarque de la blonde ; elle s’en fichait…un peu. Leurs avis étaient importants, peut-être parce qu’elle exprimait une certaine fascination à l’égard de tout ses aînés Riverwood et que, inconsciemment, elle cherchait à les rendre fières ou à leur faire plaisir. Peut-être même appréhendait-elle ce qu’il se passerait si elle les contrariait. Grace voyait peut-être trop loin mais qui pouvait l’en blâmer. Elle ne se voyait même réussir une véritable statue de glace, alors arriver au point où elle se ficherait bien de ce que les membres Riverwood…
La dragonne laissa Rhea trouver une position plus confortable que celle qu’elle avait, écoutant ses paroles comme on écoute ceux d’un sage. Les paroles de cette dernière faisant écho avec les pensées l’habitant quelques secondes à peine auparavant.

La famille, un mot qu’elle avait fini par rayée de son vocabulaire. Simplement pour y replonger dedans avec la force d’un cheval au galop. Mais ce mot si banal avait tellement de définitions, de possibilités ; avec ses géniteurs elle en avait connu une, avec les Riverwood, elle en découvrait une autre.
Avoir quelqu’un sur qui compter, quelqu’un qui vous aime pour ce que vous êtes et non pour ce que vous auriez pu-être, quelqu’un qui prend le temps de découvrir votre personne peu importe vos origines surnaturelles ou banales. Grace n’avait connu qu’une poignée de personnes répondant à tous ces critères et même là, il n’y avait pas eu ce petit plus qu’elle n’aurait su nommer qui donnait tout son sens à la définition de famille décrite par Rhea. Tant verbalement que physiquement.

"Je crois que je commence à comprendre...je crois" avoua-t-elle alors à sa sœur en laissant son regard vagabonder sur le sol "Je....je ne suis pas sûre d'y arriver aussi bien que toi mais je peux au moins essayer... et accepter que les garçons ont des centaines de défauts comme cette manie de ne pas baisser la cuvette des WC à la maison" ajouta-elle avec une pointe d'humour après avoir fait une pause. Sans même se rendre compte que pour une fois, elle n'avait pas évoquer la résidence Riverwood comme un lieu de vie quelconque, mais bien comme sa maison. Tout ceci en l'incluant dans une petite phrase qui signifiait pourtant une grande avancée.

 

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Grace avait l’air pensive – Rhea se doutait bien qu’en utilisant le mot ‘famille’, elle risquerait d’enclencher une réaction. C’était nécessaire, désormais. Elle retrouvait trop d’elle-même dans la jeune dragonne perdue qu’elle avait devant elle, désespérée de faire ses preuves, de plaire, tout en trouvant ses propres limites, en créant son propre espace. C’était une bataille infinie – mais une bataille que Rhea voulait s’assurer que Grace ne mènerait pas seule. Cette dernière réagit enfin, en tâtonnant quelque peu, les yeux perdus sur un point quelconque au sol pour ne pas croiser ceux de son aînée. Il y avait déjà une avancée ; la dragonne de foudre laissa un sourire étirer ses lèvres tandis qu’elle repositionnait son bras pour ne pas frotter le bandage contre le mur. Il y avait une fierté étrange à entendre Grace appeler le sanctuaire son foyer, sa maison. Elle était bien consciente du pas en avant que cela représentait, surtout étant donné sa précédente résidence. Rhea connaissait les grandes lignes de l’historique de la dernière arrivée des Riverwood, leurs matriarches étant toujours discrètes sur les détails par respect et par révérence pour leurs histoires individuelles. Les deux foyers que Grace avait connus n’avaient rien de l’environnement nécessaire à la croissance et l’éclosion de jeunes surnaturels – le refuge avait dû aider, indubitablement. Au moins elle y avait été en sécurité, après tout cela. Mais ça ne remplaçait pas une famille.

Rhea reprit la parole, soudainement consciente de l’importance du moment, avec la distincte impression de marcher allègrement sur un champs de mines. « Ce sont des gens bien, au moins. Je sais que tu le sais. Et je sais que c’est différent de là où tu viens. » Elle voulait demander, insister, creuser, pousser Grace à se confier et à exorciser enfin ses fantômes, faire pression sur ses plaies pour qu’enfin le poison sorte, mais elle ne voulait pas la mettre face au mur. Pousser sa jeune sœur d’adoption dans ses retranchements n’était pas la bonne manière – pas encore. Rhea avait trouvé l’astuce pour être capable de passer elle-même au-dessus de ses propres insécurités et méfiance : la dérogation spéciale qui venait de l’instinct maternel, sororal dans ce cadre précis. Mais s’il était question de se rendre elle-même vulnérable pour faciliter la confiance de plus jeunes qu’elle, plus en difficulté, cela devenait miraculeusement plus facile. La détective reprit, après un court instant de silence. « Je ne sais pas si Ari et Athena t’ont parlé de nos origines, de nos passés, de pourquoi on s’est retrouvés là aujourd’hui ? » La question était rhétorique, en vérité. Elle avait que comme pour Grace, si leurs matriarches avaient évoqué leurs parcours, ce n’était qu’à titre informatif pour donner une idée d’ensemble, elles ne se seraient jamais permises de rentrer dans le détail, préférant favoriser la liberté de se livrer selon leurs propres conditions. Une stratégie logique – étant donné la démarche et le mantra de la famille Riverwood. « Ça t’aidera peut-être à comprendre en quoi on se ressemble plus que tu ne pourrais penser » Rhea ponctua sa déclaration d’un petit sourire – il resterait encore à trouver les mots, mais elle avait moins de mal à parler de son histoire aujourd’hui. Probablement parce qu’une partie d’elle avait fait la paix avec les éléments manquants, avec le fait d’avoir tiré le meilleur de circonstances plus que chaotiques, et la certitude que son expérience pourrait servir à d’autres. A Grace, en l’occurrence.


   

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Des gens biens, elle n'en doutait pas; elle n'aurait pas fait un seul pas dans leur résidence si cela avait été le cas. Peut-être à cause de ses géniteurs, ou des innombrables personnes qu'elle avait croisée dans sa vie, elle sentait lorsque les choses n'allaient pas. Lorsqu'elle était au bord d'une pente beaucoup trop dangereuse pour être dévalée qui ne conduirait irrémédiablement qu'à la souffrance. Et cet étrange sentiment, ce sixième sens comme elle se plaisait parfois à l'appeler; n'était pas présent lorsqu'elle était avec les membres des Riverwood. Se baser sur cela et cela seulement n'était pas une idée très objective, mais c'est ce qui l'avait pousser à en passer la porte. A accepter cette main tendue par les matriarches de cette famille.

Un silence plana légèrement entre les deux femmes avant que Rhea ne reparle, est-ce qu'Ari et Athena lui avait parler de leurs origines, de leurs passés, brièvement, peut-être même trop d'ailleurs, à ce moment là Grace ressemblait à un bébé dragon appeuré que l'on aurait trop torturer, il avait d'abord fallu la mettre en confiance. Et Grace était ensuite parti du principe que si elle devait connaître l'histoire de ses frères et sœurs, c'était de leurs lèvres et pas de celle des deux femmes. "Un peu...les grandes lignes...je ne voulais pas entendre vos histoires de leur part. Ce n'était pas à elles de me le dire..." avoua-t-elle en faisant rencontrer leurs yeux, à la fois gênée de cet aveu mais soulagée de l'avoir dit.
D'une part Rhea avait raison, peut-être que cela l'aiderait à comprendre leurs ressemblances, mais leurs différences n'étaient-elles pas plus importante ? N'était-ce pas là ce qui les rendait unique ? Néanmoins elle hocha la tête. Avoir la vision d'ensemble ne pouvait être qu'une bonne idée, prendre du recul pour mieux réagir à la situation; s'adapter, gagner de l'expérience. N'était-ce pas là le but de ces entraînements de toute manière ?

"Est-ce que tu serais prête...à me parler de la tienne ? A raconter ton histoire je veux dire..."

Peu sûre de ses paroles, la dragonne hésitait, tatônnait. Elle ne voulait pas franchir cette ligne mince qui pouvait irrémédiablement briser une relation et sur laquelle elle semblait constamment marcher.

 

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Grace semblait hésitante. Comme elle s’y attendait, sa jeune sœur adoptive ne savait que peu de choses des circonstances qui l’avaient menée jusqu’au Sanctuaire. Des circonstances compliquées – Rhea elle-même avait dû apprivoiser sa nouvelle famille, et se laisser apprivoiser, lorsqu’elle était arrivée. Elle avait toujours trouvé ça ironique et beau, que sept des personnes ayant le plus de difficulté à faire confiance et à se laisser approcher, se soient finalement trouvées pour fonder un foyer. La démarche lui avait semblé inespérée et improbable, mais il était clair que chacun avait trouvé une famille tout aussi inespérée et improbable grâce à leurs deux matriarches. Il n’avait pas été facile d’apprendre à les connaître, les autres dragons Riverwood, mais étrangement – puisque chacun connaissait la détresse d’une manière ou d’une autre, ils avaient également le cœur plus ouvert à celle des autres. Ils l’avaient fait pour elle, ils l’avaient fait pour tous. Et maintenant, pour Grace.

Le regard de la petite dragonne de glace était fuyant alors qu’elle demanda, prudemment, à entendre l’histoire de Rhea. Elle marchait sur des œufs, effrayée de quelque chose que la détective ne pouvait que vaguement placer, n’en ayant jamais fait l’expérience elle-même. Avait-elle peur de l’offenser, de dire quelque chose de mal ? Avait-elle peur que Rhea lui retire son affection pour un oui ou pour un non ? Si cette dernière était fine analyste, elle ne pouvait pas complètement comprendre la mesure des dégâts dans la psyché de sa jeune sœur. De la même manière qu’elle avait des fêlures bien particulières difficiles à appréhender, Grace avait également les siennes. C’était une question pour plus tard, au vu de la conversation actuelle, mais la jeune femme se fit une note mentale de le mentionner lorsque le moment y serait plus propice. Il était trop important d’assurer Grace de la mesure constante de son affection – elles étaient sœurs désormais, et les vraies familles ne se tournent pas le dos. « Je n’ai jamais connu mes parents. A vrai dire, je n’ai aucun souvenir de mon enfance, on m’a retrouvée seule et amnésique à l’âge de neuf ans » commença-t-elle, sur un ton neutre. Elle racontait l’histoire comme si c’était arrivé avec quelqu’un d’autre, avec une distance qui était le seul moyen qu’elle avait trouvé pour ne pas se laisser emporter par la douleur bien réelle qui se logeait sous cette couche de givre. « Je suis passée par le système, quelques années, quelques familles d’accueil… Personne de très méchant, mais je n’étais pas à ma place. Et puis, je savais que je n’étais pas complètement humaine, même si je ne savais pas encore exactement tout ce que ma nature de dragon impliquait. Donc je partais, et je me faisais rattraper, et on me plaçait ailleurs. Jusqu’à mes seize ans et ma dernière fugue, où je suppose qu’ils en ont eu marre et j’étais assez âgée pour ne plus avoir besoin d’un foyer, donc… » La formulation était intéressante – on a toujours besoin d’un foyer, c’était la première fois que Rhea le décrivait de cette manière-là, mais effectivement, au moins elle n’avait enfin pu compter que sur elle-même.

Un léger soupir passa ses lèvres alors qu’elle continua son récit. « Je ne suis pas particulièrement fière de ce qui a suivi, de la manière dont j’ai choisi de vivre. Mon nouveau quotidien a impliqué pas mal de vols en tous genres, avant que je tombe sur une capitaine de police qui a choisi de me prendre sous son aile plutôt que de m’envoyer en centre correctionnel. Elle m’a recueillie, m’a envoyé au lycée, puis à l’école de police… C’était pas facile, je lui en ai fait baver, mais elle ne m’a jamais abandonné » Un sourire étira les lèvres de Rhea alors que le souvenir de Sage se matérialisait devant elle – si sa mentor l’avait laissée partir, elles gardaient l’une pour l’autre une affection indéniable. A chaque fois qu’elle l’appelait au téléphone. Comment tu vas gamine ? « C’est elle qui m’a aidé à retrouver la trace de ma marraine Shoshana, que tu connais. Et Shosh a rassemblé les pièces du puzzle pour moi. La mort de ma mère, mon kidnapping… La fuite de mon père, la disparition de mon frère » Une pause, avant de continuer. Voulait-elle vraiment rentrer dans les détails ? « Je les ai cherchés longtemps, puis j’ai trouvé les Riverwood. J’imagine qu’il a fallu faire le deuil de cette part de moi, de cette solitude-là. Mais finalement, ça m’a mené jusque-là » ajouta-t-elle après un instant d’hésitation. Rhea reconcentra son regard sur Grace – ça m’a mené jusqu’à toi, semblait-elle dire silencieusement.


   

CODAGE PAR AMATIS
   

Durant une minute, c'était comme si le monde lui-même avait compris à quel point l'instant était important; c'était comme si le monde extérieur s'était évanouie et que les seuls sons que pouvaient entendre et déchiffrer l'esprit de la jeune Riverwood étaient les paroles de Rhea. Elle en parlait comme si ce n'était pas elle, comme s'il s'agissait d'une histoire dramatique qui serait arriver à quelqu'un d'autre. Mais Grace savait mieux, Grace savait que ce détachement était le même mécanisme de défense que celui qu'elle utilisait lorsqu'elle devait parler de ses géniteurs, un mécanisme qui cachait une douleur bien plus grande, bien plus sourde. Une douleur qui ne partait jamais réellement qu'importe le temps qui passait. Mais dans toute cette obscurité, dans le drame de la vie qu'était celle de Rhea, elle avait trouver un phare dans l'obscurité, cette capitaine de police qui lui avait donner une éducation, un but, une présence. Puis Shoshana qui lui avait donner le passé qu'elle n'avait plus. Et elle n'était plus seule.

Peut-être que c'était l'émotion du moment, peut-être était-ce sa façon de la remercier. Toujours est-il que la petite n'avait pas calculer ses mouvements.

En l'espace d'une seconde, elle avait bouger, prenant sa soeur dans ses bras, son visage cachait au creux de son cou comme une enfant tandis qu'elle laissait les larmes s'écoulaient librement. Un simple "Merci", soufflait comme dans un murmure s'échappant de ses lèvres. Ce merci, bien que simple, signifiait tellement de choses au fond; merci de m'avoir fait confiance, merci d'avoir raconter ton histoire, merci d'être là tout simplement. Et tandis que les bras de Rhea se refermait sur elle, elle ne pouvait que se souvenir d'une seule fois où elle ne s'était jamais senti si protéger et désirer  dans les bras de quelqu'un qu'à cet instant.
Ce n'était pas seulement l'étreinte qui rassurait la jeune fille, c'était de savoir qu'elle n'était pas seule. Qu'elle ne le serait plus jamais; si une vie de souffrance devait mener à cette famille, la dragonne y serait sans doute re passer sans broncher. Elle comprenait mieux désormais, elle n'irait pas jusqu'à dire qu'elle se comprenait elle-même car cela aurait été mentir. Mais, inconsciemment; elle savait qu'elle venait de franchir une étape. Et, parce qu'elle savait qu'après avoir raconter la sienne, Rhea méritait de la comprendre un peu mieux, le nez toujours enfouie dans son cou, elle commença à raconter son histoire, d'une voix à peine plus élever qu'un murmure. "Je crois qu'ils m'ont voulu...durant un temps. Puis j'ai été un dragon et cela n'a plus jamais été pareille. C'est vrai que les enfants ressentent les choses. Je ne me suis jamais senti désirée là-bas..." dit-elle en reniflant un coup "Puis il y a eu...les suppresseurs, des bonbons spéciaux pour leur petite fille spéciale... et je pensais qu'en les prenant ils m'aimeraient plus mais cela n'a jamais été le cas. C'était toujours ma faute, quoi que je fasse, quoi que je dise. C'était toujours de ma faute." La douleur ne partait pas, elle pouvait encore se souvenir des cris de ses parents pour chaque petit problème qui arrivait "Puis j'ai compris ce qu'était les bonbons et j'ai eu peur, si peur de ce que j'étais. Ils ont toujours dit que c'était des monstres, assoiffer de sang et d'or et j'ai eu si peur, si peur d'être exactement ce qu'ils décrivaient." avoua-t-elle d'une petit voix alors que ses larmes redoublèrent.

Il lui fallut bien une minute avant de pouvoir reprendre d'une voix tout aussi brisée "Je ne sais même plus pourquoi j'ai arrêter de les prendre...et quand j'ai commencer à geler des choses..." Elle paniquait, elle ne prononcer pas les mots mais elle savait que Rhea pouvait comprendre "Et malgré ça, je n'arrivais pas à les reprendre, je n'arrivais pas à redevenir cette enfant maudite qu'ils cherchaient à brider et un jour il l'a vu...J'ai pris ce que je pouvais et je suis partie, j'avais si peur de faire mal, je m'éloignais de tout jusqu'à ce qu'un groupe de musiciens m'aide. J'ai voyager avec eux....j'ai rencontrer Shoshana et....j'avais un peu moins peur. Et il y a eu le refuge et j'étais un peu plus à ma place mais j'ai peur..." Peur de faire du mal, peur que l'on m'abandonne un peu plus... Parce que malgré tout, malgré sa récente arrivée chez les Riverwood, dans une famille soudée, Grace avait peur d'être l'exception, le vilain petit canard une fois de plus...

 

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Grace avait écouté attentivement, silencieusement, sans la couper. Elle avait une expression douloureuse sur le visage que n’ont que ceux qui connaissent la solitude et l’empathie pour ceux qu’on aime. Rhea avait parlé vite, sans s’attarder. Elle n’avait pas fait de longs discours – elles auraient sûrement l’occasion d’en reparler, de rentrer dans les détails. Elle avait créé un patchwork de carrés importants de sa vie pour en faire quelque chose de racontable, de présentable, mais il y avait encore tant de poison derrière. Les longs mois à chercher son frère et son père, qui s’étaient transformés en année. Les semaines à suivre Shoshana partout avant d’oser enfin lui adresser la parole. La vie dans la rue – Grace n’aurait pas besoin d’explications sur ce point, néanmoins. La perte d’identité, de souvenirs. Un vol dont elle ne s’était pas remise. C’était un sorcier, bien des années plus tard, qui lui avait expliqué l’origine de son amnésie et lui avait annoncé du même coup qu’il était quasi impossible que quiconque puisse faire quoi que ce soit. Rhea ne se souvenait pas avoir déjà été autant en colère, autant profanée, comme si cette violation de son esprit réduisait encore un peu plus à néant ce qu’elle essayait de retrouver d’elle-même et de qui elle était.

L’instant d’après, Rhea sentit les bras de Grace se refermer sur elle et réprima le hoquet de douleur ressenti parce que son épaule encore blessée fut comprimée par l’embrassade. Elle entendit sa jeune sœur la remercier, d’un seul mot, un mot simple, qui pourtant renfermait tant de choses. Le corps de la dragonne se détendit, et se laissa aller malgré tout à l’affection de sa cadette. Elle sentait les larmes de cette dernière rouler contre sa gorge, et inclina un peu plus sa tête pour la tenir contre elle. C’était spécial, précieux. Le premier moment d’une telle intensité qu’elles partageaient, le premier d’une longue série sans nul doute, car quelque chose avait cédé. En elles deux. Une vulnérabilité à laquelle Grace semblait vouloir consentir également. Les quelques secondes suivantes furent remplies par la voix de la toute jeune femme et par l’histoire que Rhea n’avait jusque là que deviné à demi-mots. L’entendre de la bouche de Grace rendait le sordide conte dix fois pire, avec sa voix basse, légèrement étouffée par son cou.

La mention des suppresseurs avait le don de rendre Rhea absolument furieuse. Imposer ça à une enfant, sans même lui donner la chance de comprendre, de faire ce choix pour elle-même… La détective était révoltée. Si l’existence de ce genre de médicaments la rendait méfiante – car les humains ne manquaient jamais d’imagination pour transformer tout et n’importe quoi en armes – elle comprenait que l’on puisse y avoir recours. La vie surnaturelle n’était pas faite pour tout le monde, et elle n’allait certainement pas faire la morale à qui que ce soit pour vouloir une vie moins compliquée, moins chargée, plus normale. Elle avait appris à être fière de sa nature de dragon – mais pour beaucoup, c’était encore un poids. Il ne suffisait que de jeter un œil aux refuges pour surnaturels. Il y avait fort à parier que pour eux, leurs dons étaient ni plus ni moins qu’une malédiction. Grace n’avait pas eu le choix. C’était une violation comme peu auraient pu la supporter – le simple fait qu’elle soit là devant elle, le cœur si ouvert, était une preuve de sa force et de sa résilience. Des qualités qu’on ne pouvait qu’admirer. « Tu es exactement qui tu es censée être. Le Grand dragon t’a fait un don. Il t’a voulue ainsi, et tu peux être fière de ce que tu es devenue » répondit Rhea, voix douce, en berçant légèrement la jeune femme qui avait toujours le visage niché près du sien. Il était important, tellement important, que Grace sache que rien n’était brisé ou anormal chez elle. « Tu as dû surmonter bien des choses, mais ce sera plus facile désormais. Ici tu es voulue, pour qui tu es et sans compromis » continua-t-elle après un court instant de silence. C’était une garantie. Ari et Athena avaient déjà dû lui dire, elle n’en avait aucun doute, mais elle était bien placée pour savoir qu’après un tel traumatisme, les mots s’évaporaient plus vite, et qu’il était facile de retourner à ses pensées sombres. « Ils t’ont trahie. Ils ont manqué à toutes leurs obligations, mais ça ne t’arrivera plus jamais, je te le promets » Rhea lui martèlerait tous les jours jusqu’à la fin de leurs vies, s’il le fallait.

   

CODAGE PAR AMATIS
   

Il y a longtemps, elle avait lu que lorsqu'ils naissaient, les bébés, qu'ils soient humain ou non d'ailleurs, rechercher toujours la chaleur naturel de leur proche, et, bien souvent, de leurs mères. A cet instant, elle les comprenait mieux que quiconque. Les bras de Rhea était pourtant bien plus qu'une source de chaleur, de réconfort, ils étaient un lieu de protection, de sécurité. Ils la berçaient comme elle n'avait jamais été bercer, comme une enfant certes mais c'était ce qu'elle était; une enfant apeurée, acculée dans un coin sombre de la pièce duquel elle ne pouvait se défaire.
De ce fait, les mots de Rhea était comme un baume, poignant mais sincère, ils étaient comme une lumière que l'on aurait pointer sur elle, aveuglante mais rassurante. Une lumière au bout d'un tunnel que Grace avait refuser de quitter par peur de ce qu'il y avait de l'autre côté. Il était facile de se complaire dans ses ténèbres et sa douleur quand c'était là, la seule chose que l'on connaissait. Métaphorisant sa vie, Grace l'avait toujours vu comme un couloir sombre et chaque petite bonne chose était une lumière éclairant faiblement l'obscurité, la première qu'elle avait vu avait été sa rencontre avec les garçons et ainsi de suite tout au long de son histoire, les personnes importantes avaient été des lumières. Mais avec les Riverwood....elle était arriver au bout de ce tunnel et la perspective l'effrayait. Ce n'est que maintenant qu'elle se rendait compte que la lumière n'était pas à craindre, pas plus que la chaleur ou ces personnes...

La promesse d'une vie meilleure était tout ce que l'adolescente avait toujours voulu sans pour autant y croire. Pour une fois, elle se permettait d'y croire à nouveau; de tendre la main vers la lumière sans crainte, même de s'y avancer pour voir ce qu'elle cachait.

Il n'y avait pas de mots pour remercier correctement Rhea, et s'il y en avait, Grace aurait été bien incapable de les trouver. Tout ce qu'elle pouvait faire, c'était serrer sa sœur en laissant les larmes couler. Jusqu'à ce qu'après plusieurs minutes, il n'y ait plus rien à verser ; jusqu'à ce que la rivière des larmes contenus toute ses années soit finalement tarie.
Malgré tout, il lui fallut un moment avant d'arriver à se détacher son aînée, ce n'était pas qu'elle était figée, c'était qu'elle voulait prolonger ce sentiment de sécurité encore un peu. Pourtant, comme un rêve, il y a toujours une fin; et Grace finit par se détacher, fronçant un peu les sourcils à la perte de chaleur. Quel ironie qu'une dragonne de glace apprécie autant la chaleur.
Et soudainement, comme pour faire éclater la bulle dans laquelle elles se trouvaient, l'esprit de Grace se remémora la blessure de Rhea, et séchant les traces de larmes désormais sèches, elle s'enquit de sa douleur. "Elle fait encore mal ?" L'important n'était pas tellement de revenir à sa faute, mais de savoir si la douleur était supportable, assez du moins pour qu'elles aillent la montrer à quelqu'un. Parce qu'elles avaient soigner une partie des maux de leurs esprits, et il était temps de s'occuper de ceux du corps désormais.

 

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Elles restèrent un moment comme ça, silencieuses, dans une bulle de paix et de tranquillité, celle qui ne vient qu’après un combat contre un démon particulièrement vicieux. Pour l’une comme pour l’autre, l’instant avait été important, l’échange, les confessions, elles ne faisaient que construire. A elles deux, avec leurs petites mains, construire un pont l’une vers l’autre, mais aussi vers une famille, une vraie, et un monde qui les décevrait moins désormais parce qu’elles l’affronteraient ensemble. Les yeux de Rhea restaient secs mais ses bras étaient tendres, son cœur désormais un peu plus ouvert, un peu moins solide. Le silence ne fut entrecoupé que par les légères respirations de Grace dont les larmes coulaient encore – ce besoin de faire de la place, pour que les nuages se dissipent enfin. Au bout de quelques minutes, la dragonne de glace se releva enfin, et s’enquit de la plaie encore douloureuse à l’épaule de son aînée. Rhea haussa son épaule non meurtrie, et rassura Grace. « Je vais survivre, ne t’en fais pas. Et je connais de bons sorciers dans le Vieux Carré. Mon premier choix est à Washington, mais bon, je ne vais pas risquer le portail » finit-elle par grommeler après un moment de réflexion. Avec un peu de chance, elle n’en aurait pas pour longtemps de convalescence si elles agissaient vite. Rhea était intrépide et appréciait assez peu de rester en place. Si elle avait gagné un peu de raison après avoir failli tout foutre en l’air en étant un peu trop téméraire pendant la guerre, elle n’était toujours pas disposée à respecter complètement les temps de repos qui lui seraient indiqués. Voilà pourquoi elle préférait largement les soins magiques aux soins classiques prodigués par les humains.

C’aurait été un bon prétexte pour aller rendre visite à Morgan et Daesyn mais elle ne risquerait pas d’être transportée au beau milieu de Sahara encore une fois avec une blessure à l’épaule. Les sorciers au Carré feraient parfaitement l’affaire, elle irait voir ses amis un autre jour – peut-être même emmènerait-elle Grace avec elle, ce serait l’occasion. « On y va ? Je ne pense pas pouvoir reprendre l’entraînement aujourd’hui – ce fut court mais intense » plaisanta-t-elle en se relevant doucement, s’appuyant sur sa main libre et aidée par sa cadette. Leur séance avait duré environ dix secondes avant la première blessure, cela devait être un record. Mais contre toute attente, Rhea n’en était pas déçue – au contraire, l’issue de cette matinée était plus satisfaisante que l’alternative. S’il avait fallu se faire transpercer l’épaule par une stalactite pour faire tomber les murs et faire une vraie différence, alors tout valait la peine. Avec un sourire, la dragonne poursuivit, passant son bras libre sur les épaules de Grace alors qu’elles se dirigèrent vers la porte d’entrée. « Et puis, je pense qu’on a fait quelque chose de plus important que de travailler nos boucliers et nos attaques aujourd’hui » Elle ponctua sa phrase d’un clin d’œil affectueux, et laissa Grace fermer la porte derrière elle. Il allait falloir ruser pour conduire jusqu’au Carré mais elle aurait préféré se prendre une deuxième attaque de glace plutôt que de laisser quelqu’un d’autre conduire sa précieuse Comet.

   

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