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Sam 26 Fév 2022 - 1:08
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With you I serve, With you I fall down


Ca va aller, Madame, ça va aller.

C’est ce que je répète à ma patiente du jour. En expirant à fond, je finis le garrot sur son bras. Le saignement est stoppé, ce qui est bon signe. Elle devrait s’en sortir, et j’ai fait mon travail. La jeune femme me remercie d’un signe de tête et se relève pour glisser hors de la table d’examen médical. Je lui tiens le bras qui n’est pas blessé pour vérifier qu’elle n’a pas d’étourdissements une fois debout, mais ça a l’air d’aller. Une fois partie, je désinfecte la table en découpant de l’essuie-tout.


Une fois que c’est fait, je regarde autour de moi. Cela pourrait être une consultation tout ce qu’il y a de plus normale, un médecin qui fait son travail dans son cabinet.

Mais je ne suis pas médecin, du moins, pas encore. Et je ne suis pas dans un cabinet, je suis dans une tente de fortune, érigée au milieu du chaos. La table devant moi n’est pas une table d’examen de cabinet, mais un lit militaire sur lequel on a essayé de mettre des couvertures pour le rendre un peu plus confortable.

Et mes patients sont des soldats. Soldats malgré eux, dans une guerre que beaucoup n’ont pas choisie. J’entends au-dehors des coups de feu et j’imagine les balles qui pénètrent les chairs, chairs que je réparerai, aussi longtemps que ça prendra, autant de fois qu’il le faudra.

Je suis un soldat moi aussi, bien malgré moi. Emmené au front par mes parents, c’est tout naturellement que je me suis retrouvé à aider les vrais médecins déployés sur cette zone de conflit. Mais il y a de moins en moins de médecins, et de plus en plus de victimes. J’ai dû m’avancer, faire mon devoir. Les Crowley préfèreraient sans doute que je sois en première ligne, à me battre, à mener les troupes, à affronter Dark Dragon à mains nues, même. Leurs attentes me paraissent parfois si inatteignables que cela ne m’étonnerait même pas.

Je mets mes mains sur mes hanches et prends deux profondes inspirations. Je n’étais pas prêt. Je ne suis pas prêt. J’entends, je sens les morts autour de moi. Malgré toute ma volonté, toutes ces morts pourraient m’envahir, m’aspirer. Il ne faut pas. Je ne peux pas craquer, trop de monde compte sur moi.

Une dernière inspiration. La pause a duré trop longtemps, il faut se remettre en selle. Je jette une couverture propre sur mon lit de fortune, en attendant la prochaine personne. En relevant la tête, c’est là que je la vis.

Une grande jeune femme vient d’entrer dans la tente. Je vois passer beaucoup de gens, pendant ces journées et ces nuits qui me semblent interminables. Mais cette inconnue dégage une aura que j’ai rarement ressentie. Comme si plusieurs vies sont entrelacées en une seule personne. Tant de vie, une aura solaire qui dégage tant de vie.

Au sein de ce cauchemar, je me raccroche à la vie que je sens autour de moi. Mais force est de constater que la guerre fait encore rage, que tous les endroits qui m’étaient familiers sont maintenant des champs de bataille, et j’ai parfois l’impression que c’est la mort qui va l’emporter. Mais pas en cet instant précis, alors que je ressens cette aura, pleine de vie, pleine de vies. Je m’approche d’elle, un peu perplexe.

Vous cherchez quelque chose ? Vous êtes blessée ?

Elle n’a pas l’air blessée, mais j’ai commencé à comprendre que toutes les personnes qui franchissent le seuil de cette tente de fortune le sont, d’une certaine manière. Et certaines blessures, je peux les soigner. D’autres non. Reste à savoir à quelle catégorie appartiennent les siennes.
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Dim 27 Fév 2022 - 22:57

With you I serve, with you I fall down.
Sol | Gabriel

TW : guerre, description de blessures

Le ciel était rouge.
Il semblait qu’il n’avait jamais été d’une autre couleur. En levant les yeux vers les nues, Sol se demande tristement si ses iris aussi étaient rouges, s’ils avaient pris cet écarlate qui tapissait tout l’univers. Le ciel était rouge. La terre était rouge. Les mains de Solal étaient rouges. Elle essayait de ne pas penser, de ne pas songer à la suite. De trouver dans l’instant présent la force de marcher plus loin.
Mais le ciel était rouge.
Il était rouge, et parfois il était gris. Gris des cendres d’un monde qui était réduit à néant, gris d’une galaxie entière qui se consumait doucement. Gris comme la poussière sur ses joues, au milieu de laquelle logeaient deux vastes tranchées pour ses larmes, à force d’être trop taries. Gris comme un grésillement sans fin sur l’écran d’une télévision, comme si tous les programmes, d’un coup, ne revêtaient aucune valeur. La djinn essuyait quelque fois d’un geste rageur ses paupières avant qu’elles ne s’encrassent de gris. Mais elle n’y voyait pas plus clair.
Parce que tout le ciel était noir.
C’était dans ces instants précis où Solal doutait de sa foi. Où elle s’imaginait parfois qu’il n’y avait plus rien dans les cieux, plus d’anges et plus aucun divin. Que le vide à l’infinité dans lequel les échos sonnaient de batailles qui n’étaient pas siennes. Que l’immensité des étoiles qu’elle dévisageait dans la nuit, en se demandant sous laquelle pouvait bien se trouver son frère. Elle se souvenait du dernier soir, celui où elle l’avait quitté, et se disait que finalement les ténèbres du purgatoire étaient sans doute bien plus clémentes pour la vie qu’elle souhaitait mener que le fardeau de chaque instant qui résonnait à Washington.
Sol leva un regard, plus haut.
Le ciel était rouge et gris et puis noir. Sous le ciel, il y avait le monde. Et dans le monde vivaient les siens. Chiara, sans doute transie de peur à attendre que la blonde revienne. Milo, quelque part, trop loin d’elle, attendant avec Artémis. Milo qui avait tenté de la dissuader, de lui dire de rester abritée, de ne pas prendre trop de risques. Milo qui avait abdiqué, parce qu’il la connaissait trop bien et qu’il savait que rien au monde ne l’empêcherait de rayonner.
Sous le ciel, il y avait le monde. Et dans le monde, il y avait Sol.
Les cheveux nattés dans son dos, laissant des traînées de suie crasse sur le tissu blanc de sa blouse. Infirmière, la croix sur le bras, elle avançait dans les décombres à la recherche d’âmes trop fragiles. Le soleil, obstinément tu, se tapissait derrière le rouge, le gris, et toute la décadence. Alors c’était elle qui brillait, déplaçant comme elle le pouvait les blessés jusqu’à une tente pour qu’ils puissent enfin s’y soigner.
Combien de fois avait-elle failli ? Plus qu’elle ne saurait les compter. Combien de fois avait-elle menti, promis que tout irait au mieux alors qu’elle savait certainement qu’une bien trop rude hémoglobine avait tâchée le sol boueux ? Combien de fois avait-elle fermé des paupières, ses doigts sur les yeux de soldats qui n’en étaient pas réellement ? Combien de fois, avant qu’elle perde encore espoir, qu’elle se dise qu’elle n’était rien plus qu’une goutte d’eau dans l’océan de chaos qui tout dévastait depuis que Sapphire était folle ? Combien de fois, combien de regards aveuglés, combien de membres arrachés, combien de larmes à verser, avant que Solal ne s’éteigne ?
Parfois elle songeait à sombrer, à plonger dans des horizons qui serait moins heurtants pour elle. Mais où allait la Delacroix, si ce n’était pas vers les autres ? Où irait-elle, qui serait-elle, pourvu qu’elle ne soit pas ici, à faire ce qu’elle faisait de mieux ?
« Ne bougez pas, madame. Je vais chercher de l’aide. »
Elle articula d’une voix douce. Il manquait une jambe à la femme, et elle n’avait pas de civière ; certainement jamais la force de la porter jusque là-bas. Sol passa une main fatiguée sur le visage de la blessée, rendu si rouge, gris et noir par la guerre.

Lorsqu’elle fit irruption dans la tente, ses yeux s’en furent immédiatement sur la silhouette d’un médecin. Il était jeune. Un peu trop jeune. Beaucoup trop jeune pour ce conflit. Elle eut un sourire las pour lui.
Que la guerre était effroyable, qu’on y envoyât des enfants.
L’air sincèrement inquiet, l’autre homme s’adressa à elle et la djinn s’approcha un peu. Essoufflée d’avoir trop couru, essoufflée sans doute par cette guerre qui leur prenait le sens du monde, elle tenta d’expliquer.
« Je … je suis infirmière, il y a … il y a une femme, dehors … » la main plaquée sur l’abdomen pour faire taire le point de côté. « … elle est blessée, mais je ne pouvais pas … j’avais pas de quoi la transporter. Membre arraché, hémorragie, j’ai fait un garrot pour l’instant mais … je … j’ai besoin d’un médecin. »
Sol se mordit vivement la lèvre. Elle n’avait pas besoin de médecin. C’était cette femme, là, dehors, qui mourrait de n’être soignée. Elle se prétendait infirmière, mais elle ne faisait pas grand-chose. Un petit pansement à paillettes sur la plaie béante de ce monde, incapable même un instant de faire jaillir un peu de jour.
Le ciel était rouge, gris et noir.

Et Sol n’avait plus de lumière.
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Sam 26 Mar 2022 - 19:25
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With you I serve, With you I fall down


En fronçant les sourcils avec attention, j'écoute ce qu'elle me dit. Elle a l'air essoufflée, et je le suis moi aussi, la fatigue tape sur mon crâne comme l'on toque à la porte. On toque pour me rappeler que je ne suis pas un surhomme, même si je dois l'être.

Car lorsqu'il s'agit d'un membre sectionné, il faut agir vite, la patiente pourrait se vider de son sang.

Elle a besoin d'un médecin.

Cette phrase, que j'entends pourtant maintes fois durant la journée, me fait douter de ma légitimité. Qu'est-ce que je suis en train de faire ? Il ne s'agit pas ici de mettre un simple pansement ou de faire un petit vaccin à un enfant. C'est une question de vie ou de mort, et si l'on tarde trop, le sentiment familier qui me tord la poitrine quand une âme s'envole près de moi pourrait resurgir.

Mais je ne suis pas médecin.

Je ne suis pas celui dont elle a besoin. Même pour cette jeune femme que je viens de rencontrer, je ne suis pas assez. Pas encore. J'aimerais que la maturité qui pèse sur mon âme se traduise en années, en années d'études et d'expérience, afin qu'elle serve enfin à quelque chose. Je regarde autour de moi, tout le monde est occupé et personne n'est médecin. Ce sont des bénévoles, que j'ai formé.es pour la plupart. Des camarades de galère qui ont les mêmes doutes que moi, mais qui agissent. Car il n'y a pas le temps de se poser des questions.

Il faut agir vite.

Tenez, attrapez la civière.

Je tends une civière qui se trouvait à mes pieds sur un tas d’objets destinés au soin mis là en vrac à l’infirmière et prends pour ma part une lourde trousse de secours. Je la laisse passer devant moi d’un geste de la main pour qu’elle me montre la direction, puis passe à sa suite à l’extérieur de la tente.

Je me mets un peu la main devant les yeux quand le blanc de la tente de secours laisse la place à un ciel rouge, gris et noir.
On est en pleine journée, mais on dirait presque que le soleil a laissé place pour toujours à une nuit éternelle. La cendre a tout recouvert, le sol, les immeubles, les vêtements, les visages et même le soleil a dû laisser sa place face à la supériorité des armes humaines et surnaturelles ou des fusées de secours qui laissaient une traînée rouge dans leur sillage.

Je secoue un peu la tête pour m’ôter ses idées sombres de la tête. La cendre avait peut-être gagné beaucoup de batailles, mais je suis déterminé à ce que la lumière gagne la guerre.

Je suis la jeune femme blonde parmi les décombres et les blessé.es, et j’ai envie de m’arrêter à chaque instant pour tendre la main à quelqu’un. Mais je sens que l’infirmière me mène vers une urgence plus grave que ce que je vois.

Et effectivement, la femme au sol a le visage blême des personnes qui ont perdu beaucoup de sang et je sens que sa vie ne tient qu’à un fil. Ou plutôt, à un bandage que je me presse de mettre sur ma patiente du jour. Mes gestes sont calculés, précis, je suis dans l’urgence et je tends machinalement les bandes à l’infirmière pour qu’elle les tire avant que je les serre fort à l’endroit où la jambe a été sectionnée. Elle semble comprendre tout de suite ce que je tente de faire, nul doute qu’elle a de l’expérience.

Le saignement commence à se tarir grâce au bandage. Je relève la tête vers celle sans qui cette patiente serait probablement morte et je croise son regard. Je lui fais un doux sourire pour la rassurer et lui signifier ma reconnaissance. Ce sera une mort de moins que je ressentirai au plus profond de ma poitrine aujourd’hui.

Nous l’avons soignée à temps. Sans vous, elle se serait sans doute vidée de son sang.

D’un geste de la tête, je pointe la civière. Nous la tirons ensemble sous la patiente, qui a fini par s’évanouir.

Il faut cautériser la plaie et l’emmener au plus vite.

A peine ai-je le temps de prononcer ma phrase, que quelques soldats de notre camp se proposent de nous aider. Je pousse un soupir de soulagement et les laisse s’organiser pour porter la civière.

Est-ce que je peux savoir votre nom ? je glisse à ma nouvelle collègue du jour.

Je la détaille un peu, et j’ai le temps de voir son éclat sous toute la cendre qui recouvrait son visage et ses cheveux, avant de remettre droite la tête de la patiente sur la civière. Elle me jette un regard effrayé, dans un moment de réveil. Je lui prends la main.

Madame, ça va aller.

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Dim 15 Mai 2022 - 23:42

With you I serve, with you I fall down
Sol | Gabriel


Trop jeune. Il était trop jeune pour cette guerre. Ça transpirait de son visage, ses yeux grands ouverts sur l’horreur, et cette pulsation dans son cou qui traduisait son anxiété. Trop jeune pour cette guerre, cette violence, cette noirceur, cette palette de couleurs amères qui n’amenaient que de la haine. Trop jeune pour être plongé là, au milieu de ce cataclysme, dans la douleur d’être vivant, d’être vivant au cœur des morts, dans un royaume de suie surfaite où sifflaient des salves de sang.
Il était trop jeune, et Solal eut un sourire triste.
Ils étaient tous trop jeunes. Tous. Tous autant qu’ils étaient. Elle aussi, elle était trop jeune. Parce que peu importait l’expérience, peu importait les précédents, rien ne pouvait les préparer. Ils tentaient de faire de leur mieux, mais ils ne seraient jamais prêts à l’atrocité et la peine. Jamais prêts pour le traumatisme et pour la douleur intangible qui se nichait dans toute poitrine, entre le palpitant aveugle et la cage malheureuse des côtes.
Ils étaient excessivement trop jeunes mais ils faudraient qu’ils soient plus forts, que la violence et que la mort. Sol eut un sourire pour cet homme avant de prendre la civière.
« Suivez-moi. » lança-t-elle, sans perdre de temps.
Il ne leur fallut pas longtemps. Pas longtemps pour rejoindre la femme, agonisante dans les décombres, au milieu de tous les blessés d’une guerre qu’ils n’avaient pas voulue. Pas longtemps pour que le médecin saisisse la gravité des plaies, la violence de l’amputation et l’urgence de ses soins, maintenant. Pas longtemps pour enrouler le moignon de chair tuméfiée, sanguinolente et détestable dans un bandage des plus serrés. Pas longtemps.
Par la force des choses, ils étaient devenus des soldats. Ils ne sauvaient plus de vies, non, ils rendaient les supplices possibles, arrachaient à la mort des âmes qui resteraient toujours lésées. Ils étaient devenus des machines, à faire le smêmes gestes mécaniques sur des corps toujours différents, à oublier dans l’âme humaine la beauté de chaque étincelle.
La patiente mise sur la civière lui adressa des regards affolés. Sol passa une main dans ses cheveux, tendrement, presque maternelle, comme on le fait pour un enfant qui a une mauvaise laryngite.
« Tout va bien se passer, madame. Tout ira bien. »
D’une pression simple des deux doigts, elle déposa dans son esprit l’illusion de journées meilleures. Un temps à venir, sans doute lointain, mais dans lequel il fallait croire. La femme papillonna des yeux avant que ses traits ne s’apaisent. La persuasion djinn marchait.
Sol se redressa pour plonger son regard clair dans celui du médecin.

« Je m’appelle Solal Delacroix. Sol. Et vous ? »
Un bruit sourd, derrière sa colonne, la fit se souvenir du lieu ; ils se trouvaient debout, tous deux, en plein cœur d’un champ de bataille. Les blessés ne leur manquaient pas, mais les risques encore bien moins. Il allait falloir qu’ils se dépêchent.
« On ferait mieux de ne pas rester là. » constata-t-elle d’un ton exsangue.
Sans plus attendre, la jeune femme emboîta le pas au médecin, prenant au passage son poignet pour le ramener vers la tente. Le tissu blanc lui procurait une sensation illusoire de réconfort, de satiété. Comme un oasis au milieu du désert des contrariétés. Bien sûr, cela ne signifiait rien ; ils n’étaient pas moins en danger car abrités sous la toile claire. Pourtant, Sol se sentait bien mieux. Sans réfléchir, elle s’avança vers la civière de la patiente que l’on venait de ramener. Cette dernière s’était endormie, un sourire léger sur les lèvres, et lorsque Sol s’approcha d’elle elle n’eut droit qu’à des paupières closes.
Elle leva le nez vers son acolyte.
« Gabriel, hein ? Merci de m’avoir suivie. Jamais je … enfin … cette femme vous doit une fière chandelle. »
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Dim 7 Aoû 2022 - 12:13
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With you I serve, With you I fall down


La jeune femme jette des regards de plus en plus effrayés autour d’elle et j’ai l’impression que mon ton rassurant ne suffit pas. Ma voix n’a pas le pouvoir que je voudrais qu’elle ait, elle ne l’amène pas de l’ombre vers la lumière. Car elle va s’en sortir, je le sais, nous avons fait ce qu’il fallait et j’aimerais le lui transmettre.

Mais tout ce chaos ne semble pas être le lieu des certitudes, si tant est qu’il est possible d’en avoir, à présent. Toutes les certitudes de la majorité de la population américaine ont été bouleversées. Si un semblant de société existe encore après cette guerre, je ne sais pas à quoi elle ressemblera. Je ne sais pas quelle place je pourrai y occuper, étant moi-même un surnaturel, selon les définitions que les politiciens commencent à balbutier.

Je penche légèrement la tête en regardant faire la jeune infirmière avec notre patiente, intrigué. Elle ne dit pas beaucoup plus que moi. Elle ne fait pas beaucoup plus de gestes. Pourtant, la jeune femme blessée semble instantanément apaisée. Je me retiens de tout commentaire, mais je me dis que je ne suis sans doute pas le seul à ressentir cette aura particulière - surnaturelle, si on veut - qui entoure cette jeune femme.

Lorsqu'elle me dit son nom, j'ai l'impression que ce n'est plus tant une inconnue. Qu'elle me livre une partie de son identité, même si ce soleil reste entouré d'une part d'ombre, une part de mystère. Comment a-t-elle réussi là où j'ai échoué ?

Je n'ai pas le temps de laisser cette question et un léger sentiment d'infériorité me tarauder. Un bruit sourd d’explosion nous indique qu’on ne devrait pas rester là. J’ai encore l’espoir que les combattant.es de cette guerre respectent un tant soit peu les tentes blanches dans lesquelles nous avions élu refuge. Mais j’y crois peu, cette guerre n’est que chaos. Je ne suis plus sûr de rien, sauf peut-être d’une chose…

Moi, c’est Gabriel.

Les soldats n’ont pas attendu de signal pour se diriger vers notre camp. Je cligne un peu des yeux, sentant soudainement la fatigue m’envelopper. Ce n’est pas le moment pour que mon corps me lâche, mais je me demande si mon esprit n’est pas doucement en train de sombrer lui aussi. On ne s’habitue pas à ces explosions, on les subit simplement, jusqu’à ce qu’on ne puisse plus.

Mais je sens la faible pression sur mon poignet exercé par Sol pour me ramener vers la tente, et j’ai l’impression que c’est elle qui joue le rôle que je joue bien trop souvent : le guide, de la vie à la mort, de la mort à la vie.

Une fois arrivé à la tente, je tente de laver le sang que j’ai sur les mains et de les désinfecter, tout en me mettant près de la patiente que nous venons de ramener pour ne pas la quitter du regard. Elle a l’air apaisée, stabilisée. Mais je ne me détends pas. Je sais que je n’ai pas le droit de trébucher, de douter. Le.a prochain.e patient.e ne va pas tarder. Les blessé.es ne tardent jamais.

Mais à présent, je sens une douce présence à mes côtés. Sol s’est glissée près de moi et je baisse les yeux vers elle en esquissant un sourire, le premier depuis bien trop longtemps.

C’est plutôt grâce à vous. C’est vous qui l’avez trouvée, qui l’avez diagnostiquée, qui l’avez… apaisée.

Je ne trouve pas d’autre mot pour ce petit miracle qu’elle a réalisé devant moi.

Je ne sais pas comment vous avez fait, mais… quelque chose me dit que vous n’êtes pas une infirmière ordinaire.

Je secoue la tête en finissant de me laver les mains avec les lingettes désinfectantes prévues à cet effet. Je lui tends le paquet, remarquant qu’elle en a sans doute besoin elle aussi, si ce n’est plus que moi.

Enfin, ce n’est pas mes affaires. Vous avez été… parfaite. J’espère que vous allez rester un peu... On a bien besoin d’aide ici.  

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Lun 29 Aoû 2022 - 23:20

With you I serve, with you I fall down
Sol | Gabriel


Sol n’était plus seule, soudainement.
Une étoile filante traversait la canopée du ciel de guerre, lui rappelant que dans le cosmos, elle n’était pas l’unique lumière. Durant les journées passagères, le soleil ne se montrait plus, mais la Voie Lactée regorgeait d’astres qui scintillaient doucement.
Il s’appelait Gabriel, la force de Dieu, et Sol eut un sursaut de foi lorsqu’elle recroisa son regard. Elle n’était plus seule, désormais, parce que si certains se battaient pour blesser et ôter la vie, d’autres qu’eux se battaient aussi pour que l’harmonie puisse revenir. Si certains avaient les mains rouges d’avoir administré la mort, d’autres qu’eux les avaient carmin pour faire repartir des myocardes. Si certains avaient dans les paumes le métal complexe de leurs armes, d’autres qu’eux avaient celui, léger, de seringues pour panser les plaies.
Sol n’était plus seule, soudainement, parce que Gabriel était là et qu’il appartenait bien sûr à la deuxième catégorie.
Quelque chose me dit que vous n’êtes pas une infirmière ordinaire.
Solal esquissa un sourire à la remarque du médecin. Non, elle n’était pas une infirmière ordinaire : elle soignait avec ses pouvoirs aussi bien qu’avec ses pensées. Elle était djinn, elle était Sol, celle qui se battait bien souvent pour des causes qu’elle perdait sans cesse, mais qui retournait s’escrimer contre les mêmes murs abîmés.
Devait-elle révéler ses dons à cet homme debout face à elle ? Un instant, elle craignit sa réaction, avant de songer malgré tout que s’il était dans ce camp-là, c’est qu’il n’aurait pas peur de sa nature.

Saisissant le paquet de lingettes que Gabriel venait de tendre, elle lança d’un air malicieux.
« Je ne suis pas sûre qu’il y ait d’infirmières ordinaires, toutes celles que j’ai pu rencontrer étaient absolument extraordinaires. »
Elle repensa à ses collègues, dans cette vie comme dans les autres, ces hommes et femmes qui ne reculaient même pas devant l’affrosité d’une vie qui parfois s’échappait. Dans un léger mouvement de tête, elle chassa ces souvenirs terribles de guerre qui s’étaient achevées pour revenir dans le présent, où une autre encore faisait rage.
« Vous avez raison, cependant. Je ne suis pas exactement humaine. » Sa voix avait baissé d’un ton. « En fait, je ne suis pas exactement mortelle. »
Si son interlocuteur était un tant soit peu sensible à ce qui se tramait autour d’eux, il saisirait son allusion. La blonde était bien immortelle.
Elle en avait vu tant mourir, des amis et amours passées. Tant s’aligner sur le boulier des pertes toujours à déplorer. Elle aurait pu se blaser, s’abimer, devenir comme la belle Enfys à ne plus croire en qui que ce soit. Mais être immortelle, pour Solal, n’était pas une malédiction : car on voit bien plus la beauté lorsqu’on sait qu’elle est éphémère. Ainsi trouvait-elle de la joie dans ces fins parfois trop brutales, tout simplement pour contempler qu’il y avait eu des débuts.
Enfin, elle planta ses yeux clairs dans le regard de Gabriel.
« Je ne bouge pas d’ici pour l’instant. »
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