Le col rigide de la chemise lui serre le cou alors qu’il passe un doigt sur le tissu pour tenter de le détendre et de retrouver une respiration plus agréable. Déjà à Nydaros, il n’avait jamais été un grand fan des mondanités. Toute cette énergie dépensée à paraitre ce que l’on n’est pas l’épuisait et l’ennuyait. Mais c’était encore pire, ici, à la surface, engoncé dans ces stupides costumes que les hommes avaient inventé, lui qui préférait, et de loin, la liberté que lui apportait sa forme de triton, laissant couler sur chaque partie de son corps l’eau salée des fonds de l’océan. Une coupe de champagne à la main, il boit une gorgée en jetant un œil à la femme qui l’accompagne. La première fois qu’il l’avait vu en robe longue, il n’avait pas pu réprimer un rictus. Malgré tout le respect qu’il avait pour elle, il voyait toujours à quel point elle détestait, encore plus que lui, cette situation. Viktoria était bonne sur un champ de bataille, elle dirigeait ses troupes d’une main de fer et ne se laissait jamais intimider. Mais la voir tout apprêtée était un spectacle qui ne manquait jamais de l’amuser, même s’il se retenait bien de faire le moindre commentaire.

Ils n’étaient pas là pour rire, de toute façon. La mission ne lui plaisait que peu, il devait l’avouer, même s’il n’avait pas exprimé ses doutes à voix haute. Son implication dans l’Ordre n’était pas réellement à tester, du moins, c’est ce qu’il se plaisait à croire. Il avait trouvé dans l’organisation une indépendance qui lui avait souvent manqué dans la vie royale qu’il avait côtoyée sous les mers. S’il n’avait pas une foi aveugle en Cain, comme le Stonegold aurait surement voulu, il s’accrochait à cette forme de liberté qui lui permettait de rester en poste à Seattle et de vivre cette vie mi humaine, mi surnaturelle, à laquelle il s’était vite habitué. Aujourd’hui, il ne voulait certainement pas être rappelé sous l’océan et il savait que sa place dans l’Ordre devait, pour cela, ne jamais être contestée. Mais il était là pour tuer. C’est ce qu’on leur avait dit en leur donnant un nom, Derek Waller. River n’était pas un enfant de cœur. Il frappait plus que de raison et ne s’émouvait que peu des bleus qui se formaient sur le corps de ses adversaires à l’Hydra. Mais il ne s’était jamais considéré comme un tueur. Jamais sans que cela soit justifié ou qu’il se retrouve devant le fait accompli. Or, cette fois ci, tout était prémédité et l’idée ne lui plaisait que peu.

Le visage fermé, il sourit néanmoins devant les remarques de sa partenaire de crime. « Le jour où les hommes sauront ce que sont de bonnes algues, on sera bien avancés. » Il répond d’un air agacé avant de sourire à nouveau et de boire une nouvelle gorgée de champagne. Viktoria était comme lui, il le savait, elle n’était pas convaincue par cette mission et n’était pas heureuse d’être là. La soirée à venir promettait d’être étonnante et il n’était pas certain de sa finalité. Du coin de l’œil, il surveille leur cible. Bien entouré, protégé, la tâche ne serait pas aisée. Il reste cependant silencieux, haussant simplement un sourcil devant le discours artistique de Viktoria. Son attention se reporte alors sur les toiles qui leur font face et qu’il avait à peine remarqué jusque-là. La passion pour la peinture n’était pas quelque chose qui l’avait piqué à son arrivée à la surface et plus le temps passait plus il était persuadé de son insensibilité au sujet. « Hum, tu sais moi, l’art … Ouai c’est beau, mais à quoi ça sert ? Toi et moi on sait que l’océan est bien plus beau quand on y nage, non ? » Peu impressionné, voilà ce que lui inspirait la vue de tous ces paysages marins. Il avait vu de plus belles merveilles bien plus souvent et ce n’est pas un bout de toile qui pourrait surpasser cela.

« Je n’ai rien trouvé non plus. J’ai fait des recherches avant de venir mais le gars est blanc comme neige, en apparence. Soit c’est un saint, soit il sait parfaitement couvrir ses arrières. Et vu la sécurité qui l’entoure, je pencherai plutôt pour la deuxième option. » A la ronde, il pose le regard sur tous les gardes qui errent de façon peu discrète autour de leur cible. Non, décidément, leur tâche ne sera pas aisée. « Tu sais quoi ? J’achèterai bien celle-là, finalement. » Il dit en désignant une toile accrochée non loin de leur cible. « Elle est moche, mais elle est bien située. » Sans attendre plus longtemps, il s’avance alors vers l’œuvre, passant tout près de Derek et s’arrêtant à quelques mètres de lui. Concentrant son attention, il fait alors usage de son pouvoir de contrôle sensoriel pour augmenter le volume sonore de celui-ci, alors qu’il glisse un mot à l’oreille du gorille le plus proche de lui. « Je me fous de ton avis Bobby, je peux pas faire ça maintenant, ça attendra la fin de la vente, tu comprends ou t’es trop con ? » La fin de la phrase s’évanouie dans le brouhaha de la foule, River perdant son contrôle plutôt léger. Se tournant vers Viktoria il lève son verre dans sa direction. « Il semblerait qu’on soit coincés là encore un moment ? Tu vas pouvoir me dire ce que tu trouves de si super à ces croutes. »

Il levait les yeux au ciel. « Tu sais bien qu’ils adorent nous faire galérer. » A croire que c’était un jeu pour eux, de les envoyer en mission avec des bribes d’indices tous plus flous les uns que les autres. Parfois, il se demandait si c’était pour les tester, voir ce qu’ils pourraient tirer de quelques informations, voir à quel point ils étaient bons dans la déduction. La plupart du temps, il se disait simplement que dans le grand bordel qu’était la vie sur terre, tout le monde était aussi paumé. Il écoutait d’une oreille discrète la dissertation de sa générale sur l’art. Il la savait plus sensible, au fond, à cette forme d’expression. Il aurait peut-être aimé avoir cette capacité de réflexion, cette facilité à voir au-delà de ce qui se présentait sous ses yeux. Là où il ne voyait qu’une représentation ratée de la beauté maritime, elle savait analysée la psyché humaine. C’était surement pour ça qu’elle était générale et lui simple soldat. On ne lui avait pas enseigné à voir trop loin, seulement à foncer la tête dans le tas, à obéir aux ordres sans trop poser de questions.

Mais l’intermède histoire de l’art est de courte durée, car suite à quelques secondes d’inattention, la cible était maintenant en mouvement. Hochement de tête, River regarda Viktoria s’éloigner pour retourner au parking, tandis qu’il restait au milieu de la réception, planté là comme un piquet. Il n’aurait pas pu être moins à sa place que seul au milieu de cette foule avec laquelle il ne partageait rien. Il n’était plus temps pourtant de s’amuser. Au milieu de la foule, il surveillait les mouvements du fameux Derek et de sa troupe. Quand il emprunta l’escalier menant au sous-sol, le triton se colla sur ses talons. Assez discret pour ne pas se faire repérer, assez proche pour ne pas le perdre de vu. Dans le béton froid du parking, il sentit sa poche vibrer et reçu les messages de sa coéquipière. Elle se foutait de lui, mais ça le fit sourire. Il n’y avait qu’elle qui avait ce droit sur lui car jamais il n’aurait osé lui tenir tête, son éducation bien trop ancrée dans sa chaire. « Chouette, j’ai toujours rêvé de te tenir dans mes bras. » Il écrivit. « Je te vois, j’arrive. » Il rajouta en se remettant en marche. Arrivé à hauteur de la moto, il saisit le casque supplémentaire, et s’installa derrière Viktoria. « Jolies bottes patronne. » Dit-il, amusé de retrouver la Viktoria qu’il connaissait si bien. « Monsieur D. a discuté avec un mec qui semblait tout sauf honnête. Il lui a donné une grosse enveloppe qui devait contenir un sacré paquet de pognon et il a récupéré un petit truc qui avait tout l’air d’une mini clé USB pleine de documents compromettant, si tu veux mon avis d’expert. Je l’ai vu chuchoter à l’oreille de deux gorilles, il avait pas l’air ravi et plutôt prêt à préparer un sale coup. »

Alors qu’il faisait son rapport, la porte du parking s’ouvrit en grand éclat et l’un des gorilles se ramena en trainant par le bras un homme qui tentait de se débattre. La scène se déroula à toute vitesse et le pauvre gars fut jeté à l’intérieur du véhicule qui se mit tout de suite en marche. « Allez sirène, je crois bien qu’il va falloir se mettre à les suivre. » Il ajouta en s’agrippant à elle.