I've been searching for a trail to follow ⍦ Llyr & Scylla

Il semblait que sa voix ouvrait la voie, et le triton sentit près de lui le corps de Scylla se détendre. Ils avaient cela avec eux qu’il se connaissaient par cœur ; aucun moyen de se douter que ça deviendrait un poison. Pour l’instant, il n’était qu’une équipe, et Llyr était persuadé qu’ils le demeureraient toujours. Les lèvres de Scylla, contre la barbe naissante sur ses joues, le firent vaillamment frissonner. Rien qu’il ne pût mettre, s’il voulait, sur le compte du vent de la surface.
Mais si l’enfance se délitait, autre chose de plus grand soudait leurs destins et leurs écailles vives. Un dessein encore peu palpable mais qui les pousserait dans le dos, tous les deux, jusqu’à ce qu’ils sautent. Et alors, dans le vide profond qui accompagnerait leurs futurs indivisibles, au milieu des incertitudes qui paveraient leurs chemins de grêle, ils auraient toujours dans les doigts ceux de l’autre, comme entrelacés.
Oui, tout allait changer, tout changerait. Quelque part, derrière les remparts de son armure de fils prodige, le triton était terrifié. Pourtant, quand Scylla souriait, il l’était souvent un peu moins.
Alors, sourire taquin et tendre, il se releva maladroitement pour dévisager la princesse.
« Non seulement ça va marcher, mais je pense que ça va danser. »
D’un geste qui se voulait souple mais ne se fit que le reflet de son équilibre précaire, le triton lui tendit la main.
« M’accorderiez-vous cette danse, ma dame ? »

Ils avaient de nombreuses fois joué à être plus adultes qu’ils ne l’étaient, partant dans des croisades sans fin dans les dédales lisses du palais. Qui aurait cru qu’un jour, ils en seraient là ? Beaucoup plus adultes qu’il ne fallait, prêts à entamer l’aventure la plus périlleuse de leurs vies -et, s’ils étaient adroits, la plus belle.
Leurs pas étaient absurdes, Llyr tentait de mener une danse dont il ignorait tous les pas. Suivant des rythmes imaginaires qui trébuchaient sur les galets, il écrasa bien trop souvent les orteils fragiles de la brune. Leurs éclats de rires emmêlés formèrent cette trame insubmersible qui les aiderait à garder le cap, rester à flot dans les tempêtes que la vie leur opposerait.
Et dans cette valse improvisée aux relents d’enfance abolie, Llyr fit peindre sur ses prunelles le sourire brillant de Scylla, grava chacune de ses fossettes pour le marbre des jours sans joie. Mains sur ses hanches, yeux dans les siens, il trouva des ancres nouvelles dans l’océan de leurs détresses. Ils seraient unis bien trop vite, liés avec leurs échines courbées dans des destins trop grands pour eux, minuscules face aux tragédies qu’on leur avait vu composer.

Tandis que les galets ripaient sous la plante fragile de ses pieds, Llyr dérapa sur l’un d’entre eux et bascula en arrière. Le temps se voulut ralenti, pourtant tout se passa très vite. Incapable de lâcher sa partenaire de danse, il resserra bien au contraire sa prise d’un bras autour de sa taille, l’entraînant avec lui au sol qui se fit lit inconfortable d’une river pourtant bien absente.
Le choc résonna dans sa cage thoracique, et Llyr serra Scylla plus fort pour lui éviter de le vivre. Sonné, il gémit dans ses dents.
« Excuse moi, Scylla, pardon. Je crois que j’ai encore quelques progrès à faire si je veux être un cavalier digne de ce nom. »

A vrai dire, sur leur échiquier en métaux précieux et sertis, il aurait voulu être roi pour toujours protéger sa reine. Hélas, il ne choisissait pas ; il réalisait avec peine que, depuis le début, tous deux, ils n’étaient rien de plus que des pions.
Les prunelles dans celles de Scylla, il se répéta en lui-même que ce n’était pas vraiment grave si tout était tracé d’avance, si l’encre bleue de son histoire était du même ton que la sienne. Une bouffée de tendresse pour la Van Seabrook vint faire palpiter son visage, à peine conscient de la glissade qui lentement s’opérait en lui.
« Scy’ … »
Un battement de paupières, puis deux.
« Est-ce-que tu voudrais m’épouser ? »

Allez, Scylla. Fais comme si tu étais surprise, et je ferai semblant aussi lorsque tu me répondras oui. Jouons à être des adultes, pendant que notre enfance perdue court derrière notre adolescence en tentant de la rattraper.
Jouons à être des enfants, puisque nous étions déjà grands à la seconde où nous sommes nés.

Oui, syllabe énoncée par Scylla au-dessus de ces soucis-là.
Comme s’ils avaient eu le choix, même un moment, même une seconde. Comme si leurs courants n’étaient pas tracés dans le giron d’Ahurani par des pinceaux d’encre de seiche. Comme s’ils n’étaient pas soumis à plus grand, plus lourd qu’eux, les nuques ployées sous le poids d’un monde qui leur reviendrait tout bientôt.
Scylla disait oui, et c’était comme s’ils avaient le droit, un peu, d’exprimer leurs avis. D’être autre chose que des pantins articulés dont on descellait les écailles dès qu’elles brillaient un peu moins fort. Ce n’était qu’un minuscule mot, tendu comme une amarre à Llyr, et pourtant le triton sentit son cœur se remplir de fierté.
Oui, ils se montreraient dignes de leurs noms et de leurs familles, de leur enfance et de leur adultance, ils seraient dignes parce qu’ils étaient deux. Leur équipe avait la texture des promesses qu’on prononce en sachant, profondément dans sa poitrine, que jamais on n’y faillirait. Asherah et Van Seabrook contre les idéaux et la peur de devenir adulte.

Un sourire éclatant faucha le visage morne du triton, encore douloureusement tordu par les galets contre son dos. Oui, Scylla avait dit oui, et cela devrait leur suffire.
Qu’importait, dès lors, qu’on envoie Charybde et ses mille tourbillons, que Varuna gèle toutes leurs larmes pour en faire des lames acérées, que Nydaros toute entière s’en vienne à les haïr tous deux. Ils avaient ce pilier commun, ce promontoire fait l’un pour l’autre, et s’ils devaient se faire Atlas pour porter l’univers ensemble, ils auraient au moins cela de plus qu’ils avaient quatre bras, non deux.
« Dans ce cas … » débuta-t-il, les dents serrées.
Dans un mouvement maladroit, l’aîné Asherah roula sur le côté et se releva du mieux qu’il put sans écrabouiller sa promise. Une fois debout, il lui tendit une main pour l’aider à se remettre sur pieds à son tour puis, une fois la sirène debout, il posa tendrement ses lèvres sur les siennes.
Ce n’était pas de la passion, ce qui les unissait tous deux. Llyr n’était pas même certain que cela soit de l’amour, étant donné l’inexpérience qu’il possédait en la matière. Mais ça avait quelque chose de rassurant, de profondément familier, de confortable et d’adorable. En embrassant Scylla pour la première fois, il n’eut pas de papillons dans le ventre, simplement une chaleur profonde qui l’enveloppait tout entier.
Ce n’était pas un baiser, c’était une promesse. La promesse que, quoi qu’il advienne, il serait toujours là pour elle, dussé-t-il laisser de côté tout le reste de ce qu’il avait. Il serait bien plus qu’un amant pour combler la jeune Van Seabrook : il serait ami, confident, allié fier de tous les instants. Il ferait toujours de son mieux et elle le savait certainement.
Voilà ce qui joignait leurs lèvres, avec douceur, sur les galets.

Lorsqu’ils s’interrompirent, Llyr murmura contre son front.
« … que dirais-tu de rentrer chez nous ? »
Passant son bras autour des épaules de sa promise, ils contemplèrent tous les deux l’horizon marin en marchant dans sa direction. Une fois leurs deux corps immergés, Llyr s’attela à retirer les vêtements qu’ils s’étaient fournis et assista, émerveillé, aux écailles qui venaient reprendre leurs droits sur des peaux assoiffées.

Ils rentrèrent ensemble à Nydaros, se jouant des courants familiers et des bancs de poissons croisés. Le jour déclinait au-dessus de l’horizon lorsqu’ils virent enfin au lointain se profiler la ville royale. Ils bifurquèrent en arrivant, prenant chacun la direction de là où on les attendait.
De toute la durée du voyage, Llyr n’avait pas lâché sa main.