NOVATRIZ ✢ i don't like a gold rush

I don’t like a gold rush

Nova-Blue | Beatriz

Cela fait au moins trois minutes et demie qu’Ambrose est parti chercher quelque chose. Tu ne sais pas quoi, tu ne sais pas pourquoi, mais tu dois te faire violence pour ne pas te tordre la nuque à la recherche de ses cheveux roux. Comme tu dois te mordre les lèvres pour ne pas arborer sans cesse un sourire idiot sur la face, qui trahirait votre bonheur à des kilomètres à la ronde.
L’automne commence, et vous avez décidé de passer le week-end à Seattle. Tu as même posé ton vendredi. Dans l’avion, il a babillé de toutes les choses qu’il fallait vraiment que tu voies, et en tête cette histoire de cirque ; il s’est montré intarissable. Mais si, Nova-Blue, ça va être super, allez, et puis il y aura des acrobates, et c’est bien les acrobates, peut-être qu’ils feront des roues, et que … Il a interrompu sa phrase, ou t’as arrêté d’écouter. Parce que tu sais ce qu’il va dire. Qu’il faut que tu reprennes la gym. Que c’est ta passion, ton mantra, qu’il t’aura jamais connu avant et qu’il veut pas te connaître sans. Tu sais. Mais t’as juste plus la force, Nova, de contraindre ton corps encore alors qu’il est déjà cassé. T’as l’impression d’être dans une boutique où t’as renversé d’un coup de coude une sculpture hautement fragile. Si tu bouges encore un peu plus fort, qui sait ce que tu pourrais briser.
Le cirque donc. L’Owl Circus, même, comme il s’appelle. T’as glissé tes doigts dans les siens pour rentrer sous le chapiteau, et tu te dis que là, ce soir, vous sortirez émerveillés. Et puis vous marcherez le long du front de mer pour renouer avec vos sourires et vous courrez comme des enfants jusqu’à votre chambre d’hôtel. Ça va être bien. Ça va être très bien.
Mais ça fait trois minutes et demie qu’Ambrose a quitté ton champ de vision, et tu avises une idée morne à lui dire quand il reviendra.

La voix qui résonne près de toi, c’est une autre voix trop connue.
Tu hausses à peine un peu le sourcil, aussi surprise de la retrouver que de l’avoir vue disparaître. Elle, en quittant ton champ de vision, elle cessait bien vite d’exister ; son concept de permanence s’était doucement oblitéré.
« Beatriz. » tu énonces d’un ton plat, sans la moindre once de retrouvailles.
La gymnaste te fait face, maintenant, avec un sourire sur les lèvres que tu voudrais bien voir faner. Pas que tu sois mauvaise perdante, mais elle t’a humiliée trop souvent pour que tu puisses te contenter d’être heureuse de la retrouver. Le nombre de fois où elle t’a pris la première place excède largement le contraire.
Un rictus ourle ta commissure.
« I mean, I would. If your act was not made so sloppy by your cruel lack of rigor and your balance more than questionable. »
D’un doigt, tu désignes l’endroit où vous vous trouvez. Un cirque. C’est un putain de cirque. Toi, tu continues… continuais, les compétitions nationales pendant qu’elle s’amusait à jouer au trapèze et la corde raide.
« I’m not even surprised you’re here. This place is a temple for amateurism. »
Et puis, tu es mauvaise perdante.

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Nova-Blue | Beatriz

Beatriz n’a pas vraiment changé.
Son visage est lisse, portant cette morgue insupportable qu’elle te tartine sur le visage comme de la peinture écaillée. Et son corps souple, finement travaillé, qu’elle fait glisser tout près de toi comme une vipère trop impérieuse. Tu songes que même tes petits serpents n’ont pas la perfidie de la brune, avec cet air si satisfait qu’il te donne des envies de meurtre.
Elle propose de venir te voir, et tu te prends la remarque en plein cœur. T’as arrêté la gym, mais tu peux pas lui dire. T’as arrêté la gym parce que tu supportais pas que ton corps t’ait trahie. T’as arrêté la gym mais l’avouer à Beatriz ce serait comme admettre une défaite, et si tu sais que t’as échoué t’es pas prête à lui céder du terrain. Pas à elle. Pas alors qu’elle te piétine déjà, pas alors qu’elle est si certaine d’elle.
Tu t’apprêtes à lui rétorquer que les grandes personnes ont mieux à faire que de chercher l’adhésion de leur public et que son people-pleasing te ferait presque un peu pitié … mais c’est un peu l’hôpital qui se fout de la charité, donc tu serres les dents en silence.
You don’t know how to have fun.
La phrase t’explose dans le visage, écho d’autres dizaines de voix. Tu l’entends résonner sur les lèvres de Scarlett lorsqu’elle était trop en colère, sur celles de Jared qui s’agaçait de ta raideur, sur celles d’amies qui n’en étaient pas. La retrouver ainsi chez Bea te fait l’effet d’un cataclysme sous l’abri osseux de tes côtes.
Non, Beatriz n’a pas changé, mais toi, tu as changé, Nova.

Tu laisses la colère te ronger les prunelles mais ton visage reste de marbre. Vos deux corps sont proches. Vraiment proches.
« Yeah? » Lueur dansante dans les prunelles, tu approches encore tes lèvres de son oreille pour lui murmurer avec une délicate froideur. « Maybe you can do what I do. Yet one of us has a real job and the other one’s just a clown. So go ahead, have fun all you like. »
Ton sempiternel refrain d’adulte, le jugement sur les moins sérieux. Toujours le même, depuis l’adolescence. Parce qu’ils n’ont pas compris, ces gens. C’est plus rassurant de dire ça que d’admettre que toi non plus, tu n’es pas foncièrement heureuse. Mais si t’as pas la bonne recette pour faire la tambouille du bonheur, alors pourquoi ils l’auraient plus que toi ? Qu’est-ce-que Beatriz a de plus, à part sa sublime inconscience et ton souffle dans son oreille ?
Tu te redresses un tout petit peu, usant de tes cinq centimètres pour asseoir ta grandeur sur elle. La différence entre elle et toi, c’est que tu seras pas seule ce soir. Et elle, est-ce qu’elle a quelqu’un, Beatriz ?
« Tell me this, Bea : how far is ‘fun’ gonna get you? Will it get you warm in the night ? Will it get you through adulthood? »
Une de tes mèches de cheveux s’affole et effleure la joue de Bea, tandis que tu sens votre rivalité fleurir jusque dans ton bas-ventre. T’es persuadée d’être mieux qu’elle, sûre de toi qu’un jour elle tombera. Et quand ce sera le cas, fourmi, tu piétineras ses jolies ailes de cigale qui ne volera plus.

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