ODASHEVA ❆ no mourners no funerals

No mourners no funerals

Odalie | Elisheva

D’assez mauvaise humeur, elle entra dans la station-service avec la très ferme intention de prouver au djinn roux qui se moquait d’elle qu’elle n’avait pas besoin de lui. Certes, il l’avait tirée des griffes de gens qui sans doute l’auraient moins bien traitée qu’il ne l’avait fait. Ce n’était pas une raison. Odalie avait les doigts gourds, le crâne explosé, les paupières comme du papier de verre, et quelqu’un jouait des percussions dans son larynx et dans son foie. Son visage semblait fait de papier, froissé, chiffonné comme une feuille qu’on a jeté à la corbeille parce qu’elle était bien trop brouillonne.
Les idées, quoique désormais plus claires, avaient du mal à s’enchaîner de manière logique sous son crâne. Des noms l’assaillaient comme des flashs. Alix, qui était resté quelque part ; apparemment assez en forme pour l’harceler au téléphone. Seth, qui l’avait sortie de là pour ensuite n’en faire qu’à sa tête. Rhysand, qui serait peut-être dans le coin si elle allait jusqu’à Phoenix. Scylla, River, Mozart, quelque part sur la croûte terrestre, en train de payer les conséquences de deux ou trois crétins qui avaient jugé pertinent de faire leur pub d’antifascistes au milieu des célébrations.
Elle passa une main dans ses cheveux et s’avança vers les toilettes.
« Deux dollars, s’il vous plaît. »
La voix la tira de ses pensées. Elle provenait d’une femme au visage aussi laid que son uniforme, engoncée derrière un comptoir d’où elle méprisait Odalie.
« Pardon ? »
« Pour les toilettes. C’est deux dollars. »
La sirène cligna des yeux, une fois, deux fois, comme pour mieux comprendre cette phrase. Comme si elle allait payer le moindre cent pour rentrer dans cet endroit minable qui défierait probablement toutes les lois de l’hygiène du monde.
Un autre jour, elle aurait souri, négocié, tenté quelque chose. Pas ce jour-là.
La brune déploya ses pouvoirs face à l’inconnue bien trop frustre, désireuse de passer cette porte pour se rafraîchir le visage.
« Non. Laissez-moi passer. »

Sans plus un regard pour la femme dont les yeux devenaient vitreux, Odalie entra dans le sas qui délimitait les toilettes. Plutôt propres, malgré leur odeur détestable. Elle se planta face à l’un des lavabos, surmonté d’un miroir. Une inconnue se tenait à un mètre d’elle, face à sa propre vasque usée. Elle l’ignora superbement, se concentrant sur son reflet et sur l’image qu’il renvoyait.
Décoiffée, les traits tirés, elle avait encore sur les joues les traces d’un maquillage pailleté qu’elle avait apposé la veille. Robe d’été, boucles d’oreille multicolores, elle était prête à célébrer ; ça ne s’était pas passé comme ça.
Elle avisa ses cernes mauves, la marque de coup sur sa pommette, et cet air de cadavre debout qui accompagnait ses mouvements. Elle faisait peur à voir. Un peu d’eau passée sur ses traits, elle tenta de s’élaborer un plan pour aller quelque part. Finalement, elle avait le choix : soit elle allait jusqu’à Phoenix et elle y retrouvait Rhysand, soit elle allait dans l’autre sens et rentrait à l’appartement. Aucune raison de paniquer, aucune raison de s’affoler.
Odalie releva la tête.
Dans le miroir, ses yeux croisèrent ceux de la femme pas trop loin d’elle. Regard sauvage, elles se toisèrent durant une fraction de seconde.
« Quoi ?! » lança la brune, de mauvais poil.
Elle avait bien trop mal au crâne pour vouloir tailler une bavette à qui que ce soit dans cet endroit.

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No mourners no funerals

Odalie | Elisheva

Ses doigts effleuraient son visage, comme s’ils pouvaient réparer les vestiges des violences d’hier. Chaque stimulation sur sa peau voulait lui tirer une grimace, mais Odalie était trop forte pour laisser ses traits réagir à la moindre pointe de douleur.
La blonde à ses côtés la fixait, avec ce genre de regard froid que vous lance une institutrice quand vous avez eu un zéro. Dans un frisson, la sirène eut cette impression d’être analysée, décortiquée et jaugée tout dans le même temps. L’espace d’une fraction de seconde, elle envisagea de rebrousser chemin et d’aller demander à Seth de la ramener à la Nouvelle Orléans, tant les prunelles de l’inconnu la mettaient sous un feu nouveau.
Mais elle était meilleure que cela, et n’était pas levé le jour qui la verrait demander de l’aide.
Maussade, elle se contenta de répondre de mauvaise grâce à la question de sa camarade d’urinoirs. Chaque mot résonnait dans sa tête avec la force d’une détonation, et l’inconfort de ses propres cordes vocales tira un rictus à la brune.
« Vous avez pas suivi les infos ? »
Dans l’esprit de la musicienne, sa ville était centre du monde. Tout s’était produit avec une telle synchronisation, dans l’ensemble des Etats-Unis, que pas une seconde elle n’avait pu imaginer que d’autres choses se produisent ailleurs. Pour elle, seule la Nouvelle-Orléans avait été touchée, avec ses agressions gratuites et la violence policière dans les rues.
Que l’inconnue puisse ignorer la ville dont elle était originaire semblait donc relever du miracle ; de l’ignorance, tout du moins.

« Je viens de la Nouvelle-Orléans. Un dragon s’était échappé d’un laboratoire de Kane à Phoenix, et avec la diffusion du message, il y a eu un mouvement de foule. »
Sa voix n’était qu’un grincement désagréable dans ses propres oreilles, et elle songea que ses pouvoirs risquaient d’en pâtir singulièrement.
« J’ai été sédatée dans la cohue, mais je me suis sortie de là. »
Odalie ne ferait pas l’honneur à l’inconnue de lui faire la conversation en lui lançant un faible et vous ?. Dans un sourire totalement ironique, elle se contenta donc de tourner les talons et de reprendre la route de l’air libre qui lui apaiserait les poumons.

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