Everything I was, I used to be || Llyrix I

Mer 16 Mar 2022 - 18:39

« J'arrive pas à croire qu'ils nous fassent encore le coup du geek avec les lignes de code vertes en reflet sur ses lunettes, ricane Alix en sortant du cinéma, tâtonnant ses poches à la recherche de son paquet de cigarettes. Sans blague, c'est tellement vu et revu que je me demande pourquoi ils se font chier à retourner la scène. À ce stade ils feraient mieux de carrément reprendre une séquence déjà enregistrée sur un autre film. »
Ça fait beaucoup de bien, de sortir prendre l'air comme si de rien n'était, et d'oublier un peu que le monde est au bord de l'implosion. Il n'y a pas beaucoup de personnes avec lesquelles le triton se sent assez à l'aise pour ne pas simplement subir ce genre d'interaction sociale, dehors et donc dangereuse, surtout par les temps qui courent. Mais il a confiance en Llyr, et c'est un luxe aussi rare que précieux. Il avait besoin de ne pas rester seul après tout ce qui s'est passé, après la frayeur de la disparition d'Odalie, le traumatisme de cette journée en enfer, les décisions qu'il a fallu prendre. Rarement dans sa vie Alix a eu l'impression à ce point que ses propres décisions seraient cruciales pour lui-même, sa survie, son avenir et le sens qu'il voudrait lui donner. Ça fait beaucoup d'enjeux pour un homme habitué à subir les choix et actes de ceux qui l'entourent sans se poser de question en s'efforçant simplement de ne pas flancher. Sans dire qu'il a définitivement franchi le cap de la passivité, le triton se sent aussi fébrile que capable, et ce n'était pas arrivé depuis... sans doute depuis qu'il a quitté Saint-Raphaël, il y a une ou deux éternités.

Ceci étant, il a laissé Llyr choisir le film. Il faudrait voir à ne pas tout bouleverser en même temps, songe-t-il avec un sourire aussi amusé qu'inquiet tandis qu'il cale une tige de tabac entre ses lèvres. D'un geste, il désigne la terrasse d'un bar dans lequel tous les deux pourraient s'installer un moment, avant de se séparer pour, sûrement, un long moment. Ils ne se voyaient déjà pas souvent, mais Llyr ne peut même pas encore supposer à quel point les choses vont devenir compliquées, maintenant. Le moins qu'il lui doive, c'est de lui expliquer. Le prince est son ami et il n'est pas question de le laisser derrière lui sans ne serait-ce que lui dire pourquoi.
Mais pas maintenant, pas trop vite. D'abord, il voudrait profiter de cette soirée, pour une fois que la moitié de son attention n'est pas consacrée à surveiller que personne ne le suit à la trace. Un seul coup d'œil lui permet de s'assurer qu'aucun flic ne rode autour d'eux et ça lui suffit bien pour l'instant, décide-t-il en s'asseyant, cigarette au bec, les yeux déjà baissés vers la carte, comme s'il n'avait pas, d'avance, le cœur serré à l'idée que cette sortie soit la dernière qu'il partagera avec son ami. « Si mes souvenirs sont bons ils servent de la bière belge, ici, indique-t-il, le ton léger. Ça vaut ce que ça vaut, mais j'adorais ça quand j'avais quinze ans. »
Il lève le nez, croise un regard curieux auquel il répond en souriant : « C'était avant Nydaros, j'habitais en France. J'allais boire des bières parfois avec des garçons du lycée derrière la piscine municipale. Le plus souvent c'était de l'huile fermentée dégueulasse mais une fois quelqu'un a ramené... celle-là, indique-t-il en montrant un imprononçable nom sur la carte des boissons. Et j'ai vu la vie différemment. »

Ven 18 Mar 2022 - 16:31

Everything I was, I used to be

Llyr | Alix

Les habitudes. Les habitudes avaient quelque chose de rassurant, de simple, de quotidien. L’habitude du même savon doux, dont Scylla appréciait l’odeur. L’habitude de toujours ranger son manteau sur le même vieux ceintre à chaque fois qu’il rentrait le soir. L’habitude de saluer d’un geste de tête poli les mêmes collègues tous les matins, de tailler toujours son crayon, de porter toujours ce foulard autour de son larynx inquiet. Les habitudes étaient, demeureraient toujours pour Llyr un moyen de désamorcer les anxiétés. Il n’y avait plus de place pour le terrifiant lorsque tout était orchestré, rondement huilé, finement mené. Réglé comme du papier à musique où s’inscrivaient des symphonies concordantes et assourdissantes dont Llyr était le contre-thème.
Les habitudes avaient toujours permis au triton de garder son sang-froid, de ne pas se noyer dans le verre d’eau de ses obligations souveraines tandis que ses dents se dévoilaient dans des sourires plus que guindés.
Et puis, tout avait implosé.
Le brun avait encore en bouche le goût amer de Scylla lui annonçant la prophétie. Le métal roulant sur ses lèvres lorsqu’il suppliait la sirène de leur laisser avoir une chance. L’espoir dans les mots de chariot qui lui demandait un coup de main. Et River. river, son pilier, son allié, River sur son lit d’hôpital, lui qui avait toujours été fort face aux adversités du monde.
Llyr avait voulu être libre, déroger au corset de plomb qui lui enserrait les vertèbres depuis le jour de sa naissance. Il avait réussi, un peu. Et le revers de la médaille venait lui taillader les joues, lui érafler les côtes, le coeur, de même que ce lit bien trop blanc dans lequel reposait River.
Il avait voulu être libre.
Il avait voulu jouer.
Il avait perdu.
Alors il s’accrochait à ça, à ce qu’il restait d’habitudes qui ne partaient pas à veau l’eau. Aller voir des films d’action avec le seul qui comprenait son agacement face à des scènes qui n’avaient aucun fond réel. Llyr n’avait rien contre la suspension d’incrédulité, il était tout prêt à obtempérer, mais cela devenait absurde quand cela portait sur son domaine de compétences.
Et Alix le rejoignait, là-dessus.
« C’est vrai que ça leur ferait des économies. » consentit-il à la remarque avec un air joueur aux cils.

Ils prirent place à la table d’un bar, d’un café, d’une brasserie, quelque chose. Llyr tira sur le haut de son pantalon à pinces pour ne pas le froisser s’asseyant. Alix était déjà en train de consulter la carte, cigarette plantée au sourire. Le triton dût résister à l’envie de lui prendre le poison des lèvres pour ne pas qu’Alix l’allumât, mais dut convenir pour lui-même que cela serait malvenu.
A la place, il jeta un œil au petit carnet plastifié que leur remettait le serveur, déchiffrant les boissons humaines comme s’il s’agissait de hiéroglyphes. Depuis qu’il avait touché terre, tout ce qui avait franchi ses lèvres lui était proposé sur un plateau. Un joli plateau en argent agrémenté de coupes dorées, de flûtes emplies de liquide clair. La bière était un domaine qui le dépassait totalement, et il avait en cet effet une totale confiance en Alix.
« J’oublie souvent que tu n’as pas grandi à Nydaros. » fit-il en hochant le menton. « Je vais te faire confiance, de toute façon, je te laisse commander pour nous deux. »
Refermant souplement la carte, Llyr s’agita sur sa chaise de bar, soucieux malgré sa joie présente. Il avait beaucoup trop en tête, et Alix le connaissait trop pour ne pas déceler d’infimes ridules caressant la surface de son visage trop lisse de tout.
Il sourit, d’un air las absent, tandis qu’Alix commandait ; avant qu’un scintillement taquin ne vienne agiter ses prunelles lorsqu’elle le serveur repartit.
« Je compte sur toi pour ne pas trop charger la murène. Je ne suis pas sûr que cela soit du meilleur effet si je rentre ivre auprès de Scylla. Surtout avec tout ce qui se passe en ce moment. »
Boule dans la gorge, il déglutit, cherchant un appui plus sincère dans les prunelles de son ami.
« Et puis, on sait tous les deux ce qui se produit quand je consomme trop d'alcool. Je ne voudrais pas te donner honte. »

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Jeu 24 Mar 2022 - 8:41

« J’oublie souvent que tu n’as pas grandi à Nydaros. Je vais te faire confiance, de toute façon, je te laisse commander pour nous deux. »
Alix hoche la tête, un sourire au bord des lèvres. Difficile d'en vouloir à son ami ; lui-même avait tendance à oublier, à une époque, qu'il n'avait effectivement pas grandi à Nydaros. Durant les premières années qu'il a passé sous la surface, il a consacré beaucoup d'énergie à apprendre les coutumes de ce peuple qui était le sien et dont il avait été privé, comme pour se faire pardonner de ne pas avoir toujours été un vrai membre du peuple des mers. Jamais désir n'a plus ardemment brûlé au creux de sa poitrine que celui d'être accepté, accueilli, considéré comme une part de quelque chose - un peuple, un couple, une famille, une fratrie, qu'importe finalement. Quelque chose, c'est tout. Son passé de terrestre n'était évoqué que lorsqu'on lui posait la question, et la majorité du temps il essayait lui-même de faire comme s'il n'avait jamais connu que ce monde qui avait bien voulu l'adopter. Le précédent l'avait trop violemment rejeté pour qu'il puisse y repenser sans réveiller d'inépuisables cauchemars.
Chassant ces pensées qui ne sont guère de circonstance, le triton arrête son choix sur sa propre boisson et se dépêche d'en faire part au serveur venu s'enquérir de leur commande : une bière brune pour lui, et celle qu'il a promise à Llyr, plus légère et moins amère, du genre de celles que les adolescents préfèrent la plupart du temps. Non pas que le triton remette en cause la maturité de son camarade, bien au contraire, mais disons qu'il a conscience du caractère parfois saugrenu des traditions humaines, y compris celle qui consiste à ingurgiter des boissons à base de céréales ou de fruits fermentés dont le goût n'est généralement pas spontanément plaisant. C'est le côté festif de leur consommation qui donne sa saveur à ce genre de mets, et à vrai dire il imagine simplement que le palais du prince du peuple des mers profitera davantage d'une bière blanche que d'une bière brune. Voilà. Cet homme a de la suite dans les idées et tient apparemment à ce que le lecteur s'en aperçoive. « Je compte sur toi pour ne pas trop charger la murène, le prévient Llyr, avec cet air subtilement malicieux qu'il prend pour plaisanter sans rien perdre de sa superbe. Je ne suis pas sûr que cela soit du meilleur effet si je rentre ivre auprès de Scylla. Surtout avec tout ce qui se passe en ce moment. »
Ah, oui. Tout ce qui se passe en ce moment. Rien d'étonnant à ce que cela pèse sur l'esprit de Llyr, surtout étant donnée sa position cruellement délicate, entre l'Ordre et la CIA. C'est précisément pour cette raison, d'ailleurs, que charger la murène ne lui ferait sûrement pas de mal, songe-t-il avec un fin sourire qu'il espère encourageant, pas certain d'avoir beaucoup mieux à proposer pour remonter le moral de son ami. « Et puis, on sait tous les deux ce qui se produit quand je consomme trop d'alcool. Je ne voudrais pas te donner honte. »
Cette fois, le triton prend une mine pensive, luttant contre le rire pour donner de la crédibilité à son petit jeu de comique. « Mh, attends, fait-il semblant de réfléchir, tu fais allusion à quelle soirée ? Celle ou un triton a failli se noyer pour la première fois dans toute l'histoire du peuple des mers ? »
L'homme ricane en secouant la tête, essayant en vain de se rappeler, pour la centième fois depuis l'incident, duquel des deux tritons impliqués a sauté le premier dans le canal avec l'intention de regagner Nydaros sans penser à se transformer pour respirer sous l'eau. « Ou de celle où tu as sauté sur le comptoir pour clamer à grands cris que tu étais Llyr Asherah, le prince du peuple des tritons ? »
Les yeux d'Alix pétillent de malice, et son sourire se fait plus large encore lorsqu'il note qu'il n'a, évidemment, pas listé l'anecdote susceptible de lui porter le plus préjudice ; à savoir celle où Llyr l'a majestueusement et publiquement écrasé à l'issue d'un sauvage bras de fer sous les encouragements très virils des autres clients scandant leur nom. Cette histoire le fait toujours autant rire, que ce soit Llyr ou lui qui la raconte ; d'autant plus que tous les deux savent très bien que ces trois événements se sont déroulés au cours d'une seule et unique soirée. « Des fois j'y repense et je me dis que si ça se trouve, on a fait des conneries encore plus grosses que ça et on s'en rappelle pas, ajoute-t-il en secouant la tête, ne s'arrêtant de rire que pour remercier le serveur revenu avec leurs boissons. T'imagines, on a essayé de... j'sais pas, braquer la banque Stonegold ? Bon on en aurait entendu parler, peut-être. »
En se réveillant en garde à vue ou enfermés dans un sinistre sous-sol de Dragon, peut-être. Mais bon. Cigarette dans une main, bière dans l'autre, il lève son verre, le sourire aux lèvres. « Allez, à nos vies de grands délinquants. »

Âge : 30 ANS (23/07/1991) ⍦ et pourtant il se sent plus vieux

Everything I was, I used to be

Llyr | Alix

Tout ce qui se passe en ce moment.
A quel moment Llyr Asherah avait-il perdu le contrôle ? Cela était-il progressif, avait-il eu sans le savoir un fleuron de signes avant-coureur ? Ou bien était-ce tout simplement la déflagration trop soudaine qui avait heurté le pays et l’avait frappé au passage ? Mettant son frère à l’hôpital, son épouse hors de sa portée et même sa propre loyauté à l’épreuve d’un doute insidieux ? A quel moment s’était-il retrouvé dans cette situation, à regretter un temps d’avant qu’il idéalisait sans doute à la lumière de ses regrets ?
Un temps d’avant où il pouvait, avait le droit d’être insouciant, l’espace d’une soirée partagée avec son ami Mörtsleam. Il esquissa un fin sourire face à l’évocation commune d’une soirée où il avait eu, pour une fois, le droit d’être un peu inconscient sans en payer les conséquences.
Ils étaient si jeunes, ce soir-là. Llyr, novice d’une surface nouvelle dont il ne maîtrisait pas les codes, s’était délecté avec joie de cocktails sucrés en tous genres, sous l’œil amusé d’un Alix qui s’était lui-même bien gardé de le mettre en garde contre l’ivresse.
« Je suis Llyr Asherah, prince des tritons, je te rappelle. » grogna-t-il avec un sourire.
Oui, il était le prince des tritons. Par alliance, il était partie prenante de cette famille royale sans âge qui dominait les océans. Mais parfois, il en avait marre. Et Alix était là pour ça. Si leur amitié, au départ, était teintée d’un lourd respect, elle s’était rapidement muée en cet accord tacite et sourd d’oublier ce fait par moments, pour tout simplement profiter du plaisir d’un verre en terrasse, d’un film dans une salle obscure, de moments loin de l’écran blanc où il projetait ses afflictions.
« Et je n’aurai aucun scrupule à te prouver ma valeur de nouveau, si tu veux te mesurer à moi au bras de fer. »
Le rire d’Alix en face de lui et la pommade des jours passés vinrent attirer sur son visage une expression reconnaissante. Non, il n’avait pas besoin d’être le prince. Pas ce soir, pas les autres soirs. Leur amitié était si simple, si désarmante dans sa bonté, qu’il pouvait être n’importe qui sans avoir la crainte d’être jugé.
Lorsque leurs deux bières arrivèrent, Llyr eut un geste de tête à la destination du serveur et porta le verre dans les airs pour venir heurter celui d’Alix.

« A nos vies passées de grands délinquants. » insista-t-il, sourire aux lèvres.
Le liquide clair, contre sa langue, avait la texture agréable des moments que l’on saisissait. Llyr réprima une grimace sur son masque de convenances : ce n’était pas vraiment très bon, mais vu l’enthousiasme d’Alix, il n’avait aucune intention de lui recracher au visage.
Reposant le verre sur la table, il eut un sourire un peu las.
« Je n’ose même pas imaginer les conséquences que ça aurait si je faisais la même chose ce soir. J’imagine que mon employeur ne serait pas vraiment heureux que je risque de dévoiler des secrets d’état aux passants. »
Une ombre voila son visage. Il avait fait tout à fait pire que se dévoiler aux passants, puisqu’il avait donné accès à Chariot à tous ses codes de manière à ce qu’à l’échelle de tout le pays les gens sachent. Il avait eu l’impression d’agir de manière juste. Droite. Sincère, pour la première fois, non pas pour les autres mais pour lui. Et il s’était mangé les risques, les conséquences de ses actions : un prix bien trop cher à payer pour tout ce qui s’était passé.
Dans une deuxième gorgée de bière, il secoua un peu la tête.
« Enfin. Qu’est-ce-que tu racontes de beau, à part ça ? Ça en est où, avec … Nova, c’est ça ? Et ta sœur ? Je me rappelle que l’autre fois, tu parlais d’un Walkman, ou quelque chose, qu’elle avait gardé ? Je ne sais plus. »
Il sourit, un peu tristement.
« Je ne sais même plus depuis quand on a pas fait ça, toi et moi. »

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