(colbrose I) on a veski la bac

« Hey hey hey heyo Colt ! C’est Ambrose, j’ai vu que ta fenêtre était allumée, fais pas semblant je te vois. Là, d’ailleurs, t’es à ta fenêtre, je sais pas ce que tu branles mais lâche ta console, lâche ta télé je suis devant ton immeuble, allez ! Attends, écoute. »

Je monte sur le siège avant de ma voiture. Toujours dans l’abus, jamais dans la mesure, j’utilise ma chaussure pour appuyer fort sur le klaxon. On était potes, et tout le voisinage le saurait. Ce soir, je m’ennuyais, j’avais envie de rire, et de faire des trucs stupides. C’était tout naturellement que je m’étais tourné vers mon collègue chasseur, Colton. C’était un peu l’épaule musclée sur laquelle chialer, et globalement c’était un peu con de l’avouer mais.
Je lui avais jamais vraiment dis, de peur que ça soit pas pareil de son côté. C’était mon meilleur ami, et j’avais peur de découvrir que je l’appréciais plus que lui, et que je me faisais de grands films d’amitié incroyable sur que dalle.

« Allez, grouille là, je raccroche, je t’attends, je bouge pas tant que tu descends pas. T’as pas d’excuse, t’as l’air de rien foutre et de t’emmerder sévère là haut. »

Allez princesse, sors de ta tour d’ivoire, et viens dans ton carrosse flambant neuf, décapotable, où on pourra se mettre debout sur les sièges en attendant qu’une rafale nous envoie sur la route.
Dans tous les cas, ça nous fera marrer, parce qu’on comprenait pas les conséquences de nos actions, et c’était pour ça que.
Colton était mon meilleur ami.
Mais que je lui dirais jamais, parce que c’était trop nul de le dire.

 

Colton débarque et je souris comme un gosse voyant le Père Noël arriver. Je sais bien que j’aurai pas de cadeaux cette année, surtout pas celle-ci, parce que j’ai été un enfant terrible avec mes dents en moins, et je me casserai les canines sur les bonbons caramel trop durci du bitume avec mon meilleur ami.

« J’avais rien à foutre, donc j’ai été faire des tours de pâtés de maison en vago. Puis je suis passé devant ta fenêtre et j’ai vu de la lumière donc je me suis dis que t’avais rien de mieux à faire peut-être que venir ... » Je réfléchis à quoi proposer. « … Venir ? »

J’avais pas grand-chose à proposer à part ma voiture de gosse de riche, avec ses sièges passagers en cuir pas assez usés à mon goût. Les pneus crissaient sur la route enneigée, et je préférais avoir une écharpe et un gros manteau plutôt que refoutre le toit de ma voiture. Si elle était décapotable, c’était pour attraper un sale rhume mais pouvoir sentir le danger de 150km/h sur les grands axes.
Je me laisse retomber sur mon siège avec un sourire.

« Et toi ? T’as une sale gueule, on dirait t’as passé une journée de merde, ça va ? »

 

Colton entre dans la voiture, et je suis presque déçu qu’il soit pas passé par la fenêtre. J’aurai trouvé ça drôle. Il aurait dégueulasser mes sièges, mais tant pis. Il pouvait le faire, ça m’irait. S’il voulait sauter sur les sièges et foutre de la terre de partout, c’était pas grave non plus. Je trouverai ça drôle, et c’était l’important.

« La campagne de GTA de la dernière fois ? Celle avec le cambriolage impossible à faire dans les lacets de montagne ? Je te jure, ils ont jamais conduits dans des montagnes les gens qui ont fait le jeu. Et ouais, je veux bien ! Tu peux m’en rouler une ? J’ai des feuilles qui traînent quelque part à côté de ton siège. Mais c’est des slims. »

Je fumais des indus, parce que c’était plus stylé et plus cinématographique. Quand j’étais triste, je les sortais, les fumaient d’un air fâché dans la rue, et j’oubliais que ma vie n’était pas un gigantesque film.
Je mets Ghost Town de Kayne West dans la voiture. C’était son nouvel album. J’avais pas tout compris au sujet. J’avais compris les mots, mais je préférais ne pas saisir le sens. Colton se croit chez lui et prend la bière de la boîte à gants. Finalement, je suis presque étonné qu’il sache pertinemment qu’il y en a toujours une ici. Il perce la cannette et la bière coule sur mes sièges.

« Putain sacrée descente, j’aimerai pas la faire en vélo. Mais ouais, y a un Seven Eleven sur la 1st Avenue, let's go. »

Je ris et je lance la voiture sur les routes à pleine vitesse.

« J’ai refais voir les freins, t’inquiète. Et l’accélérateur, regarde ! »

Il vrombit et je ris. J’espérais qu’on aille à la vitesse de la lumière, et qu’on dépasse le mur du son pour ne plus entendre les paroles de Ghost Town.

 

« T’as vu ? Je l’ai ramené au garage du coin, il a tout refait les plaquettes de frein … J’aurai trop aimé qu’il la débride mais c’était trop dangereux qu’il disait. »

Je hausse les épaules d’un air entendu. Qu’on se foudroie à deux cent kilomètres par heure, je me demandais elle était à combien la vitesse de la lumière, et si même débridée, des voitures pourraient s’élancer dans des loopings.
Colton se redresse et j’ai presque envie d’accélérer. Je me dis que ça lui ferait plus de vent, plus d’oxygène, et que ça serait plus drôle. Ses poumons peuvent convulser sous les rires, et ça serait de bonne augure. A la place, je me contente de rire et de l’imiter. On est les deux loups les plus nocturnes de Seattle, pendant que le Seven Eleven du bout de la rue se dresse à nos vues. On aurait pu y aller à pied, mais si je pouvais exposer des symboles de réussite à tous les regards sur quelques rues, c’était toujours ça de pris.

« Vas-y y a personne … A part les gars là-bas mais bats les couilles ils viendront pas. »

Je me gare et arrête le contact. J’ouvre pas la porte pour sortir. Je me demande à quoi ça sert quand on peut passer par dessus et profiter du fait d’avoir une décapotable. J’ai envie de mettre mes lunettes de soleil alors qu’il fait nuit. Je dirais qu’on était en éclipse depuis des années mais que tout le monde était trop con pour le voir. Je serais le dernier voyant de l’humanité, et j’aurai été moqué pour ma prévoyance.

Le Seven Eleven sent le renfermé, la javel bon marché et les doritos. Pendant que je me balade au rayon des bières, je me dis que des canettes, c’était pratique, mais pas très bon. Il y en avait bien chiffrées, et si les degrés pouvaient nous réchauffer en plein hiver, c’était tant mieux.

« 9 % celles-ci, on en prend combien ? »

Je garde un œil sur les gars dehors. Ils sont étranges et ont des gueules de gens étranges. Je serre les dents. Je suis un ressort prêt à exploser aux visages.
C'était nous, les rois de la ville, et c'était que nos sujets, nos bouffons. Je crains pas les révolutions, pendant qu'ils tournent autour de ma voiture.

 

La vodka redbull a le goût trop sucré des cocktails adolescents et la tachycardie des grands fêtards. Je souris et hoche de la tête. Colton était pas con avec ses idées quand il s’agirait de se transformer la nuit pour devenir planche de bois le lendemain. J’ai grand hâte des échardes dans le crâne tandis que je paie à la caisse. Sous les éclairages, la puce de ma carte semble briller plus fort que les néons et on prend les packs et le petit sac avec les bouteilles.

Un bruit attire mon attention. Il est dégueulasse. Il crisse. Mes dents sont frigorifiées en l’entendant et je fronce les sourcils en jurant. Les craies sur le tableau sont plus agréables tandis que je repousse la porte du shop avec un coup de pied arrière hasardeux. Il a volé dans l’air sans réel but mais c’était agréable de me dire que j’avais essayé de la fermer pour aider le pauvre gars. C’était plus valeureux que d’admettre que la scène était cinématographique et que j’étais devenu un personnage d’une série ringarde pour une petite seconde dans ma tête.

« Eh mais ! »

L’objet du crime est identifié. Le gars a ses clefs dans la main pour faire un poing américain. Colton a les boules, et je le suis de près. Si les bouteilles avaient été moins chères, je leur aurai lancé des canettes de bières à la tronche jusqu’à les lapider.

« C’est ma putain de caisse, connard ! »

J’entends plus rien, j’ai du sang qui circule dans mon crâne et qui semble tout irriguer. Ma gorge pulse si fort que j’ai envie de gerber. J’ai du mal à respirer parce que ce connard se croit tout permis du haut de son misérable mètre soixante-dix avec sa bande de clochards et qu’on pouvait certainement les dégommer.
Enfin.
Colton pouvait.

J’attrape une fin de cannette sur le tableau de bord. Ils devaient payer, et j’étais prêt à parier qu’au vu de leurs fringues, ils avaient rien sur eux. J’ai la mâchoire prête à éclater ; elle a besoin de déchiqueter, d’hurler, de mordre, de faire quelque chose. Je suis de nouveau un putain de requin marteau et je vais finir d’éclater ma voiture si je les éclate pas eux.
D’un geste bref, je renverse le reste de la bière bon marché sur le gars devant Colton. Il y avait des restes de mégots au fond, qui viennent tapisser de sucre et de cendres son tshirt dégueulasse.

« Oh bah merde merde ça alors je t’ai confondu avec une poubelle d’un côté c’est écrit sur ta gueule aussi. »

Ils s'avancent. Je constate que j'ai réussi à les provoquer. Ils nous voient. Ils me voient comme le gars qui aura été trop loin pour eux. Je souris comme un gosse heureux.
On les démonterait.
Enfin.
Colton le ferait.
Je serai derrière à jeter des cigarettes allumées en espérant toucher des peaux nues.
Je pourrai filmer aussi, et je me féliciterai d’avoir un meilleur ami comme lui, le genre avec lequel on se fait pas emmerder, le genre avec lequel on s’emmerde pas, certainement, aussi.