(Zephyr) Je sais que ce qui ne tue pas nous rend plus forts, mais moi je suis déjà mort

tw : violence parentale, drogue, overdose

C’est au cœur de la ville de Detroit que Zephyr pousse son premier cri. La ville est aussi pauvre que Daphné et Ophion, qui accueillent avec lui leur deuxième enfant. Borée a à peine quelques mois de plus et le regarde avec la curiosité d’un enfant à qui l’on donne un nouveau jouet. Il faudra se serrer la ceinture pour s’en sortir, le couple le sait, mais quand il croise le regard brillant de Zephyr, rien n’a réellement d’importance.

Quand Euros et Notos viennent au monde, c’est l’inquiétude que l’on lit dans les yeux de Daphné et Ophion. Les temps sont déjà durs depuis l’arrivée de Zephyr et ils savent que deux bébés supplémentaires ne faciliteront pas leur quotidien. C’était une erreur, ils avaient pris leurs précautions, mais le destin en avait décidé autrement et l’ironie avait fait naitre des jumeaux. A l’avenir, ils prendraient des mesures plus radicales. Il faudra économiser quelques temps, mais l’opération que subira Ophion sera leur meilleur investissement. Plus d’enfants, seulement leurs quatre vents.

Dans leur appartement peu chauffé, il est fréquent d’attraper diverses maladies. Mais l’hiver de cette année reste un exemple glaçant pour les Burrows. Dès sa naissance, Notos a montré des signes de faiblesse. Les docteurs parlaient d’un retard de développement dû à la gémellité, sa sœur ayant été trop gourmande en ressources. Alors on le protège un peu plus, on l’aime un peu plus. Mais il est aussi plus fragile. Et cet hiver, il prend froid. La maladie l’attaque dans son corps tout entier, le laissant couché pendant plusieurs semaines. Chaque soir, ses frères et sœurs s’endorment autour de lui pour le réchauffer. Borée lui tient la main droite, Zephyr la main gauche et Euros pose la tête sur son cœur. Quand la famille se rappelle ce fameux hiver, chacun se souvient à quel point la peur les a accompagnés comme le septième membre de leur famille. Mais tous se souviennent également à quel point cela a forgé pour toujours leur amour et leur solidarité.

Quand on n’a rien, on fait ce qu’on peut pour s’en sortir. Daphné est couturière. Elle travaille dans une petite retoucherie de la ville, s’abîme les yeux pour recoudre des boutons, rêvant d’un jour pouvoir porter les marques de luxe qu’elle voit passer entre ses doigts. Ophion travaille à l’usine. Il enchaine la construction de pièces qui s’assemblent ensuite dans une voiture qu’il n’aura jamais les moyens de se payer. Tous les deux triment toute la journée et se disent parfois que ça n’en vaut pas réellement le coup. Mais, quand ils croisent le regard de leurs enfants en passant la porte le soir, ils savent qu’ils ont pourtant fait le bon choix. Ophion est un dragon de vent. Rien à voir avec ces familles dont il connait les légendes. La sienne a été éparpillée aux quatre coins du monde, obligée de se cacher suite à des erreurs exposant un peu trop leur réelle nature. Daphné est une zouwu. Elle se déplace à la vitesse du vent, et c’est ce qui les a toujours rapprochés, ce qui a nourri leurs idées de prénoms pour leur descendance. Borée a suivi les traces de sa mère et c’est cette année-là que Zephyr se transforme pour la première fois. Comme son père, il sera un dragon, même si, rapidement, ses pouvoirs se révèlent plus funestes.

La petite Joyce s’en sortira. C’est ce qu’on dit à Daphné avec un air de reproche. Honteuse, elle regarde ses chaussures et feint de ne pas comprendre ce qui a pu se passer ni où son fils a pu se procurer une telle substance. Quand elle racontera ça à Ophion ce soir, il giflera son fils avec colère. C’est devenu une habitude depuis quelques mois. Il ne sait pas comment faire autrement, il ne sait pas comment appréhender les pouvoirs destructeurs de Zephyr. Alors il se fâche et choisit la colère. Il sait que ça n’aide pas, il s’en veut tous les jours, mais en attendant, quand il apprendra que son fils a faillit empoisonner la petite Joyce, il ne saura rien faire d’autre. Heureusement, Zephyr se réfugie auprès de sa fratrie. Notos et Euros sont aussi des dragons, mais leurs pouvoirs sont articulés autour du vent, comme Ophion. Borée est différente mais elle est la glue qui les maintient tous ensembles. Elle use sans honte de ses pouvoirs d’empathie pour calmer les cœurs et apaiser les tensions au sein de leur rose des vents, comme ils aiment à s’appeler. Elle est pourtant trop jeune et ses pouvoirs ne sont pas assez développés pour calmer Ophion. Dans leur cocon ils sont quatre, et, même si ça n’est pas facile tous les jours, ils se soutiennent comme ils le peuvent.

Zephyr obtient son catalyseur. Il choisit une opale comme pierre, parce que c’est Borée qui la lui a rapportée de l’une de ses expéditions. Il n’a jamais demandé d’où elle venait car les chances étaient très fortes qu’elle ait été volée. Mais il la porte avec fierté. Ses pouvoirs lui font peur, mais sa fratrie l’entoure et l’encourage. Il est différent d’eux mais il est une par d’eux et il s’en sortira tout aussi bien. Ca fait plusieurs mois qu’il ne parle plus à Ophion. Les relations sont trop tendues entre eux pour revenir à ce qu’elles étaient avant la première claque. Quand il est triste, il se réfugie seulement dans les bras de Daphné qui fait tout pour maintenir sa famille à flot et recoller les morceaux.

Joah a trois ans de plus que lui. Il a un scooter et il fume des Marlboro à la sortie du lycée. Zephyr le croise par hasard. Il ne saurait pas trop raconter comment, ni pourquoi. Il doit avoir la tête de l’emploi, quelque chose dans son regard et dans ses baskets trouées qui crient au monde entier que sa famille est pauvre à en crever et qu’il serait prêt à faire n’importe quoi pour les aider. Joah lui propose de se remplir les poches facilement. Il faudra juste porter des paquets, les poser et partir. Il faudra juste ne pas se faire prendre, mais qui irait suspecter un gamin de treize ans ? Zephyr accepte. Parce qu’il est jeune, parce qu’il est influençable et parce qu’il n’en peut plus de voir sa mère pleurer tous les soirs, penchée sur la boite des factures. Tout l’argent qu’il gagne, il le cache discrètement dans des poches de manteau, des portefeuilles ou le fond des sacs de course. Personne chez lui ne doit savoir d’où il vient. Il œuvre dans l’ombre, mais quand Daphné met une noisette de beurre sur ses épinards, le soir, avec un grand sourire, il sait que les risques qu’il prend en valent la peine.

Zephyr arrête l’école. Ca scandalise Ophion qui ne se prive pas de lui dire par les poings, mais Zephyr a bien compris que ce n’est pas en allant écouter des cours ennuyeux qu’il nourrira sa famille. Ses activités avec Joah ont pris de l’importance. Il ne porte plus que des paquets. Il vend au consommateur et il est même sur de pouvoir mettre lui-même au point un nouveau produit qui fera fureur. Il n’est pas un dragon très doué. Il limite ses transformations parce qu’il voir le dégout dans les yeux d’Ophion quand il parle de ses ailes et du liquide fumant qui coule de ses naseaux quand il s’énerve. Mais c’est sous sa forme humaine qu’il prend le mieux possession de ses pouvoirs. Il s’est renseigné, il a potassé. Il connait les poisons, il sait ce qu’il peut créer et avec de faibles doses, il est persuadé de pouvoir procurer un peu de défonce sans aller jusqu’à l’irréparable. Il se lance dans des expérimentations, teste ses premières drogues sur les gens qui l’entourent et se fait rapidement une place plus ancrée dans les rues de la ville, lui permettant de ramener plus d’argent pour sa famille.

Notos va mal. C’est ce que lui dit Daphné, les larmes aux yeux. L’état de son frère n’a jamais été optimal, sa croissance ralentie par de nombreuses maladies, son corps est celui d’un enfant alors qu’il devrait déjà être adolescent. A la maison, tout le monde le couve avec la plus grande des attentions. Euros l’étouffe presque, Borée agit avec sa tête et Zephyr tente lui d’écouter son cœur. Si son frère souffre, il veut l’aider, il veut apaiser ses douleurs et favoriser son bonheur. Pour lui il créera une nouvelle substance. Une drogue plus douce qu’il crée et fabrique seulement pour lui. Leur petit secret à l’abris des regards du reste de la famille. Ils ne comprendraient pas, déjà qu’ils réprouvent tous ses activités.

Zephyr rencontre Edwige. Il a déjà été avec d’autres filles, mais Edwige est différente. Avec elle, ça chatouille au creux de son ventre et il sourit comme un bienheureux. Il ne saurait pas dire pourquoi, ça fait partie des choses que l’on n’explique pas. Edwige étudie à la face du coin. Elle rêve de devenir avocate et de défendre ceux qui n’ont rien. Elle vient d’une famille beaucoup plus aisée que les Burrows, mais cela ne semble pas être un problème entre eux. Edwige ne le juge pas. Ni pour ses pouvoirs, ni pour ses activités. Elle est douce et attentionnée et toute la famille semble l’accepter. Elle lui fait tourner la tête et l’aide à prendre son envol. Bientôt, il ne passe plus beaucoup de temps chez lui, préfère dormir dans sa chambre d’étudiante à elle, enlacé dans ses bras, perdu dans l’odeur de son cou et la chaleur de ses draps.

Notos est mort. C’est ce que lui crache Ophion avec colère, les yeux injectés de sang et la tempe battante. Notos est mort d’une overdose. Une substance que la médecine ne reconnait pas, mais tout le monde dans la famille sait pourquoi. Zephyr est parti, Zephyr a été moins attentionné, moins attentif qu’il n’aurait dû à la détresse de Notos et les doses équilibrées qu’il préparait jadis pour son petit frère lui ont été fatales. C’est Ophion qui lui hurle de partir. Qui lui hurle de ne jamais revenir. Il lance un regard à Daphné qui ne le voit pas à travers ses larmes, qui n’a pas la force de le retenir. Il lit la tristesse et la colère sur chacun de leurs visages. La déception et la brisure de ce qu’il ne pourra jamais réparer. Il a tué Notos et aucun d’entre eux n’est prêt à le lui pardonner. Il se réfugie chez Edwige mais rapidement, l’amour qu’il lui porte pourri entre eux sous l’effet de son propre poison. Quand il la regarde, il ne peut plus voir que ce qu’il a perdu, aveuglé par son amour pour elle. S’il ne l’avait pas aimé, Notos ne serait pas mort. Alors il prend son sac et quitte la ville. Plus personne ne le regrettera à Detroit.

Zephyr ne reste jamais bien longtemps au même endroit. Où qu’il aille, il finit par décevoir quelqu’un, par faire du mal sans réellement le vouloir. Parce qu’il ne sait faire que ça, il trouve toujours un moyen de dealer un peu, ça lui brise le cœur à chaque fois qu’il tend une dose à un petit jeune. Il revoit Notos partout, se dit que ses merdes tueront encore des innocents, des fragiles et des mal dans leurs peaux. Mais il n’a pas le choix. Il faut bien vivre, il faut bien survivre. Avec ce qu’il gagne, il réussit à louer des appartements pas franchement glorieux. Il rencontre des filles, passe une heure, un jour, une semaine, un mois avec elles avant des les quitter, parce que ça ne fonctionne pas. Cette année-là il rencontre Linnéa. Pendant quelques mois, il a l’impression qu’elle lui permettra de franchir le cap, de démarrer une nouvelle vie, de passer à autre chose. Il est presque heureux avec elle, jusqu’au jour où elle se fait agresser dans la rue par un dealer rival qui accuse Zephyr d’avoir marché sur ses plates-bandes. Si elle s’en sort, Zephyr sait aussi qu’elle aurait pu y rester et que, comme toujours, ça aurait été sa faute. Alors à nouveau, il prend son sac et part sans se retourner.

Au fil des années, il a laissé tellement de gens derrière qu’il n’arrive plus à compter. Et puis ça fait trop mal, alors autant ne pas se souvenir. Il ne mérite pas qu’on l’aime de toute façon, il ne mérite pas d’être bien entouré et s’il erre seul, au moins il ne blessera plus les autres. Il a traversé beaucoup d’Etats quand il arrive finalement à la Nouvelle Orléans. La ville lui plait, elle ne sera pourtant qu’une étape comme tant d’autres, il en est persuadé. Pourtant sur son chemin, il pousse la porte de La Rose Noire. Le refuge est rempli d’autres qui comme lui sont parfaitement paumés. D’une certaine façon, ça le rassure, il n’est pas tout seul. Il n’expliquera jamais ce qui le pousse à le faire, mais il se fait engager comme bénévole. Pour la première fois, il a l’occasion d’aider les autres et ça lui redonne une légère foi en lui-même. C’est là qu’il fait la connaissance des Riverwood. Là que sa vie bascule sans qu’il ne s’en rende réellement compte. Là qu’il rencontre Faolan, qu’il lui vend de la drogue, au début, jusqu’à ce qu’ils se mettent à parler de leurs vies, de leurs problèmes. Jusqu’à ce qu’il arrive à se confier à ellui sans trop savoir pourquoi. Jusqu’à ce que Esmée lui parle de leur famille, de ce qu’ils essayent de construire, de comment ils voient le monde. Jusqu’à ce que Zephyr se dise que peut-être, il pourrait en faire partie.

Zephyr Riverwood. La première fois qu’il prononce ce nom, il a l’impression d’être le plus grand escroc du pays. Ils l’ont pris facilement sous leurs ailes, comme si c’était une évidence, comme s’il le méritait. Il sait au fond de lui que ça n’est pas le cas, qu’un jour ils le regretteront parce que, un jour, il détruira tout ça. Mais quand il se retrouve au sanctuaire, quand on l’appelle frère à nouveau, il a presque envie de pleurer. Ca lui fait penser à Borée, ça lui fait penser à Euros, ça lui fait penser à Notos. Quand ils lui ont proposé la première fois, il a été honnête. Il n’était pas une bonne personne, il avait tué son frère, il vendait encore de la drogue de temps en temps. On lui avait dit que le passé ne comptait pas, qu’avec eux, il aurait un avenir et qu’il n’y avait pas de raison que la dureté de ses pouvoirs détruise toute sa vie. On l’avait encouragé, entouré, épaulé. Après des années de solitude et de destruction, ça lui avait fait du bien. Comme un rêve duquel il s’attendait à être réveillé à chaque instant et qui se transformerait en cauchemar pour tous les autres.

On l’encourage à passer un niveau. A son âge, il n’a pas de raison d’être un niveau deux. Ca le terrifie. Il a toujours tout fait pour taire ses pouvoirs et même si les Riverwood l’aident à les maitriser mieux, ils continuent de le terroriser. Sa nouvelle famille est aimante. Ils croient en lui et ça aussi, ça le terrorise. Ils sont trop bien pour lui et il finira par les décevoir. Il ne sera jamais aussi puissant qu’eux, il ne maitrisera jamais aussi bien ses pouvoirs Ils lui conseillent de se faire aider. Même s’ils y mettent toute la bonne volonté du monde, ils savent que certains traumatismes sont enfouis et que, peut-être, en parler en dehors de leur cercle familial pourrait être bénéfique pour lui. Quand il rencontre Elijah pour la première fois, il ne sait pas quoi penser. Il n’est pas convaincu d’être à sa place en thérapie, pas convaincu de pouvoir être aidé. Mais Elijah est le meilleur, Elijah pourra l’aider. Et dans les couloirs de son cabinet, il croise souvent sa femme, Elisheva. Il ne s’explique pas ce qu’il y a chez elle qui le fait se sentir un peu mieux. A sa façon elle le comprend, à sa façon elle l’aide et l’aiguille. Il y a ce lien qui se crée entre eux. Parfois le lien le fait se sentir mal à l’aise, au début, comme si son instinct lui disait que quelque chose n’allait pas. Avec le temps, le lien devient presque vital, obsessionnel.

Elisheva l’emmène pour la première fois chez les chasseurs. Elle lui a dit si souvent à quel point il s’y sentirait bien, à quel point ça l’aiderait à accepter sa nature, à quel point ça serait bénéfique pour lui et pour tous les autres comme lui. Elle n’a pas tort, ce n’est pas de sa faute s’il est né comme un monstre, mais ça l’est s’il reste là sans rien faire. Il a l’occasion de s’en sortir, l’occasion de retrouver le bon chemin. Elisheva prend soin de lui, elle le fait depuis deux ans. Quand elle n’est pas là, elle lui manque et il espère leur prochaine rencontre. Quand il est avec les Riverwood pourtant, il cache leur connexion. Elle a un gout d’interdit et devant eux, il a honte de ce lien qui les unis. Il aime sa famille, ses adelphes, ses mères. Il tient à eux, ils l’ont aidé à sortir du noir et il leur sera toujours reconnaissant. Mais sa lumière aujourd’hui, c’est elle, c’est ce nouveau groupe prêt à l’accueillir. Peut-être doit-il partir de chez les Riverwood avant de briser ce qu’ils ont eu, comme il le fait à chaque fois. Mais Elisheva insiste pour qu’il reste avec eux, pour qu’il garde sa connexion à La Rose Noire. Il est chasseur maintenant, il n’a pas le choix d’écouter. Mais il n’a pas peur, Elisheva a toujours agi pour le mieux pour lui, il n’a pas d’inquiétude à se faire. Pour la première fois, sa vie semble suivre une voie tracée, même s’il sait au fond qu’il lui faudra un jour choisir qui trahir.