It's my party and I cry if I want to〖 Novrose II.3

Elle va oublier.
C’est obligé. Je m’étais levé avec un sourire neutre, avec un regard neutre. J’en avais plus rien à taper de cette date, avec le temps. Y a du lactose dans les gâteaux d’anniversaire, et ils périment rapidement. Je me demande pourquoi le monde entier ne le remarque pas. J’ai les mains enfoncés dans les poches de ma veste. Le froid d’un pré-hiver glacial me mord les os. Le tabac remplit mes poumons pendant qu’il me pleut sur la tronche. Même le ciel a décidé d’oublier que c’était mon anniversaire, et d’être un peu clément avec la météo pour ce jour spécial. La cigarette s’éteint, et je reçois un SMS.
Je pourrai pas, ce soir, finalement.
Putain de sa mère de bordel de merde.

Elle a oublié.
Je prends mon téléphone et panique. NB ? C’est important tu sais    / Vraiment très important / Réponds moi s’il te plaît / Vraiment j’ai besoin que tu me répondes / Tu m’aimes plus c’est ça ? / Tu m’as jamais aimé en fait    / Dis le moi    c’est plus simple  / Non mais NB sérieusement ? / Pourquoi tu réponds pas?  
Ma gorge palpite dans des rythmes obscurs. Elle a oublié.

Elle m’a oublié.
C’était certain, sûr même. Je regarde sa fréquence de réponse habituellement. Quelques minutes. Le cadran affiche 15h13 et toujours rien. Je passe une horrible journée. J’ai les yeux pochés de larmes toute la journée, et certainement que je pourrais insulter le premier con venu juste pour qu’ils coulent enfin. Mes cernes sont déjà suffisamment lourdes à porter. Je me traîne de salle en salle. On me parle de photosynthèse, et plus que jamais, je me sens pas réellement proche des plantes. Il n’y pas de soleil. Il n’y pas mon soleil ce soir. Je me dis que les nuages sont toujours là, au moins, quelque chose, attendant de me manquer de respect en gommant un peu le orange de mes cheveux pour les foncer en un brun banal.
Ils sont à ce moment mes meilleurs alliés que j’ai jamais eu. Ils m’aident à me fondre dans la masse. Avec ma main prise dans les couloirs de l’université, j’avais espéré pouvoir passer inaperçu, un énième adolescent chanceux. J’avais souri aux regards envieux, voire ceux des hommes qui me félicitaient un peu grossièrement.
J’étais mal à l’aise mais fier.
J’avais envie de les frapper mais j’étais content.

Plus que jamais, je m’étais senti à ma place. J’étais une belle vie, une copine qui m’aimait. Et là, elle répondait pas à mes SMS, et elle allait m’oublier, me tromper, me quitter, m’abandonner, me détruire, me marcher dessus, et c’était hors de question.

Elle va m’oublier
Je me dis qu’elle doit être en train de voir sa sœur. Je me dis qu’elle doit être en train de voir des amis. Je me dis qu’elle doit être en train de voir d’autres amis garçons.
Elle couche avec eux. C’est certain.
Réponds moi /        / Stp stp stp / Pitié stp stp stp je t’aime NB pitié stp      
Je me sens humilié, trahi, en colère, honteux.

Alors j’ouvre la porte de mon appartement, reniflant. Je me disais que c’était un rhume, parce que c’était plus simple à justifier. Mes papillons m’accueillent comme une présence familière. Parfois, j’aime imaginer qu’ils sont contents de me voir, alors qu’ils ignorent que c’est moi qui les nourrit sûrement.

Mes yeux se fixent.
Elle est là.
Mes iris palpitent.
Il y a des post-it de partout dans cet appartement.
Cet appartement, c’est le mieux.

Elle m’a pas oublié

Jamais, à aucun moment.
Elle m’oubliait pas, elle préparait tout. Pour que ce soit parfait. Pour qu’on soit parfaits.
Elle était là, fièrement dans un lieu qu’on avait fait le nôtre.
Mon sourire se redresse, arrêtant de se casser la gueule à chaque obstacle.

« NB mais … Mais qu’est-ce que … Mais … ? »

Je regarde autour de moi. Il y a des post-it avec des petits messages et des flèches. C’est une chasse de trésor. J’étais perdu constamment, à la recherche de tas de choses futiles. J’ai mal aux commissures et au coeur. Mes émotions sont des montagnes russes. Elles vrillent, et en un looping un peu serré, Nova-Blue se retrouve dans mes bras.

« Mais … Mais j’ai cru que t’allais oublier et que t’allais tout oublier et que … C’était horrible et … Merde mais … »

A ce moment-là, je m’en veux de l'avoir insulter dans ma tête toute la journée. J’ai envie d’effacer mes messages, qu’ils aient jamais existé que dans une réalité catastrophique. Le mal était fait, et j’ai aucune conscience de la charge mentale qu’elle porte certainement.

« Merci beaucoup et … C’est super et … Je suis désolé pour les messages et … J’ai eu ... » Je freine ma respiration qui prend de la vitesse dans des chutes libres. « J’ai eu peur. Que ça recommence encore. »

Que tu m’aies dis de bloquer ma soirée pour rien faire. J’aurai pris un pack de bières et j’aurai mis une bougie dessus, ça aurait été un joli gâteau. Pour chasser le négatif bicolore, mon visage s'éclaircit dans une hâte enfantine.

« … Je commence la chasse au trésor, alors ! » je dis en commençant à essayer d’élucider les mystères écrits en bleu sur des post-it multicolores, un large sourire aux lèvres.

J’avais hâte de vivre le meilleur anniversaire de ma vie.

 

Vingt post-it
J’écarquille les yeux. J’ai le souffle coupé à l’idée qu’elle ait inventé autant de choses en si peu de temps. Nous étions ensemble depuis très exactement quatorze jours. La date avait été soigneusement notée, décorée, agrémentée sur le calendrier. Le mois d’octobre était devenu absolument illisible, donc nous avions du installer un autre agenda juste à côté pour pouvoir noter des informations. Le 24 était entouré de papillons, de coeurs, de strass, d’autocollants, de petits bonhommes, de dessins d’étoiles, de planètes, de maisons. Maintenant, novembre était là, et je trouvais la page moins joyeuse.

Vingt ans
En vingt ans, j’avais pas réellement fais d’anniversaires mémorables pour de bonnes raisons. J’arpente mon appartement avec un large sourire, voulant tenir la main de Nova-Blue de peur qu’elle s’en aille. L’angoisse me taillade le ventre. A tout moment, la finalité est juste un tragique post-it avec juste écrit :
Notre relation n’était qu’un pari entre Samantha et moi. PS : t’embrasses mal et t’auras jamais personne qui t’aimera jamais.

Vingt bougies
Vingt bougies avec des chandelles trop éclatantes se promènent devant mes yeux pendant que des chiffres défilent. Je plisse les yeux. J’aimais bien les énigmes. C’était le genre de choses sur lesquels on pouvait spéculer sans spécialement avoir la réponse, mais passer un bon moment quand même. C’était sûrement une mentalité de gros looser, mais je préférais me dire qu’il n’y avait pas de mauvaise réponse dans ce genre d’exercice.
Je prends rapidement une feuille et écrit les lettres de l’alphabet en écrivant leur numéro dans l’alphabet en dessous. C’était sûrement ça. Les zéros étaient trop espacés et décrivaient des délimitations parfaits pour des nombres. Je souris à Nova-Blue.

« Je crois que j’ai trouvé, attends ... »

TU AS BEAU ME MARCHER DESSUS JE SERAI TOUJOURS A TA PORTE
Le paillasson. C’était la meilleure cachette pour planquer des post-it en dessous, bien entendu. J’ai le myocarde qui s’emballe parce que je me dis que j’ai de la chance d’avoir quelqu’un d’intelligent qui se déplace entre mon canapé et mon lit à intervalles réguliers. Je sourirai davantage en la voyant essuyer ses chaussures sur mon paillasson, parce que je savais qu’elle les retirait pour rester ici et ne pas repartir immédiatement. Elle ne pensait pas à fuir à toutes jambes, et jouait de temps en temps avec le vol bordélique des papillons.
Elle aimait les papillons, les énigmes, les puzzles et ensemble, on pourrait former des univers à deux pièces.

Cinq pas
De mon entrée, le post-it indique cinq pas. Je souris. Cinq. Cinq comme la marelle, et notre case trop petite pour des Big Bang en explosion. Cinq, comme les doigts d’une main, parce qu’on se dit qu’ils se sépareront pas, et j’oublie que le majeur peut s’élever seul contre l’intégralité de l’injustice de notre univers.
Cinq, parce que c’est un chiffre premier, et qu’il a le sept pas loin. On les comprend. On sait ce que c’est que d’être des nombres premiers jumeaux et de pas réellement pouvoir se toucher. Nous, on serait les cancres des mathématiques, à éclater des 6 et des 12. Ils sont multiplicateurs communs, c’était pas pour rien, et le 6 posé 3 fois avait des connotations diaboliques. C’était pour une putain de raison, et je me demandais comment l’humanité était incapable de le voir.

« … J’ai trouvé je crois et ... »

Je lève la tête vers la seule chose à côté de moi dans l’entrée et qui puisse cacher un post-it. C’est le placard à clefs. Avec un sourire, je l’ouvre. Comme attendu, un post-it tout bleu est soigneusement scotché avec un petit mot dessus.

Cinq morceaux de scotch
Ils étaient posés de manière soigné en haut de la surface collante. Nova-Blue avait sûrement peu confiance en eux. Elle craignait peut-être leur trahison ultime, qu’ils s’éclatent au sol avec son effet de surprise. Je me dis que ça lui ressemble de prendre des précautions au cas où.
Même au cas où, elle manierait la barque d’une main de fer pour que ce soit parfait.



 

EMPIRE ANTS

Novembre semble oublier l’automne. Des feuilles oranges pourraient craquer sous nos pieds que je serai peu étonné. Mes yeux se plissent légèrement face aux signaux sur le post-it. Il y en a sur le devant et le derrière tant l’énigme est longue. Apparemment, je vais y arriver. Je me mords les lèvres. J’aimais les énigmes, j’aimais les mathématiques, j’aimais les structures ADN aux formes drôles, les chiffres qui volaient sous mes yeux avec la seule certitude qu’ils n’étaient pas faillibles, qu’ils savaient où ils allaient et que de temps en temps, ils formaient des exceptions que je pouvais trouver un peu jolie, en y réfléchissant. Je nous trouve comme deux erreurs dans l’algèbre, avec des nombres premiers jumeaux qui ont osé se toucher et qui mangent tous les autres nombres. Je souris et avec le pas léger, je retombe sur la table de la cuisine.



Un code avec uniquement des points et des lignes, c’était simple. Cependant, si j’ai trouvé le code, j’essayais de comprendre pourquoi il y en avait autant. Il y avait des numéros. Je présumais que c’était le compte des post-its. J’entortille mes doigts autour d’une mèche de cheveux pour trouver la solution. Mon esprit était en ébullition.
Je prenais le problème dans le mauvais sens. Il fallait d’aborder décrypter le code, comprendre les phrases, les articuler, tracer des lignes claires, des directives évidentes. Mon téléphone est un bon allié, pendant que je griffonne sur une feuille les lettres une par une.
J’ai l’air concentré, mais mon être chantonne.

QUI  VIT  DANS  UN  ANANAS  DANS  LA  MER
QUI  T'A  ÉTÉ  OFFERT  PAR  TA  MÈRE
QUI  DEVRAIT  VRAIMENT   ÊTRE  REMISE  EN  TERRE

« … Bon désolé j’ai pris du temps, j’ai fais lettre par lettre mais … J’ai les bouts … Et maintenant ... »



Je devine le mot « éponge ». On aimait regarder des cartoons le matin, parce que c’était le moins anxiogène. J’avais découvert que c’est ce qu’on était, des éponges. Je pousse un paquet de céréales et je pose un petit morceau de feuille sur l’éponge. Il ne fallait pas la perdre de vue. Je me dis qu’elle ne risquait pas de se barrer. Bob, c’était un personnage de cartoon. Pour ce qui était du dernier, j’identifie la plante. Nova-Blue me proposait tous les dimanches de la rempoter. Elle me présentait toutes les raisons possibles et inimaginables, en me disant qu’elle ne grandira plus, alors qu’elle est déjà très grande. Je grognais, souvent. Notre appartement allait progressivement devenir une jungle, à ce rythme-là, avec des milliards de papillons comme seuls habitants quand des plantes carnivores nous auraient englouties. Avec un léger sourire, je saisis le message et note les nombres de pas sur chaque post-it.
J’essaie de sélectionner le cadeau le plus emblématique de ma mère. Il y avait bien la machine à café. C’était un cadeau étonnant, sachant que je détestais ça. Finalement, Nova-Blue se l’était appropriée, parce que ça lui servait davantage. Je me disais que je pourrais lui en toucher, elle serait heureuse de savoir que mes cadeaux servaient à ma vie sentimentale. Je pense au cendrier, qu’elle m’avait offert quand je m’étais mis à fumer. Elle m’avait engueulé, en me disant que c’était pas une bonne idée, et que la santé, c’était important. Elle voyait tous les jours des personnes crever de cancers du poumon, ou alors des complications. Finalement, elle avait préféré que je cendre dans un joli cendrier rapporté d’un de ses nombreux voyages. Il était pas très beau, mais il était tendre.

Finalement, je lève les yeux au dessus du canapé. C’était bien entendu cette horreur de pêle-mêle familial. C’était le type de cadeau que j’adorais haïr, que je présentais pas, qui me faisait rougir à chaque introduction dans mon appartement. On s’amusait de voir des photos de famille enfant, toujours. Il y avait des montages avec des papillons et des smileys laids. Ma mère avait trouvé que c’était adéquat pour un jeune adulte. J’avais trouvé ça de mauvais goût, mais elle avait deux photos où elle souriait et je trouvais ça touchant, suffisamment pour me dire qu’il avait sa place.
Puis, il faisait un bon reposoir pour mes papillons.

« Je parie que t’as passé des heures à regarder absolument toutes les photos, hein ? » Je ris légèrement. « C’est tellement moche, putain. Mais bon, c’est gentil de sa part. »

C’était toujours plus simple de prétendre être gêné de sa mère que touché par un de ses cadeaux les plus infâmes.
Je me pose quelques minutes sur le canapé en regardant le nombre de pas. Mon appartement était trop grand pour un étudiant, trop petit pour se perdre dedans. J’examine autour de moi et mes yeux se posent sur l’évidence.
La table basse.
Entre un magazine de vulgarisation scientifique et le Forbes, je trouve un autre post-it.



« Pas facile, comme triangulation, mais … Mais j’ai l’avantage de pas avoir énormément de planques ici. »

Je lève les yeux vers un post-it où une marelle est dessinée et je souris.

« T’as passé combien de temps à faire tout ça ? »

 

Sur le canapé, mes yeux structurent le papillon avec ses anneaux de Saturne et ses ailes pleine de puzzles. J’ai un sourire qui s’étire et mes doigts viennent rencontrer les siens pendant qu’elle me dévoile la septième énigme. Il fallait retrouver le même. Je ris un peu parce que je comprends pourquoi, désormais, cet appartement est devenu une pub géante pour une papeterie. Il y a des dizaines et des dizaines de dessins différents. Il y a des petits animaux, comme des tigres. De temps à autre, mes yeux croisent des papillons, de différentes formes, de différentes tailles. J’ai un soupir touché. Si je compare la construction de leurs ailes et les dessins sur leurs corps, j’identifie des espèces réellement existantes. Nova-Blue ne m’entendait pas. Elle m’écoutait quand je lui parlais de papillon lune, d’étoilés, de sylvains et d’autres détails qui semblaient futiles pour beaucoup mais qui étaient de la plus haute importante pour les passionnées de mon genre. Je me demandais parfois, avec un peu de crainte, si c’était par politesse qu’elle hochait la tête en posant des questions.
Non. Elle retenait. Elle apprenait. Elle avait cette envie de s’y intéresser, sincèrement. Si je plisse les yeux, je vois même quelques noms en latin qui sont marqués à côté.
She cares, que je me dis. She cares.
Je m’étais souvent répété qu’elle s’en foutait, mais non.

Je retrouve notre symbole, notre étendard, notre logo, notre drapeau, sur la porte du cellier. Je souris et je le lève, un peu triomphant, ayant peur de paraître un peu con, avec ma joie de gamin non dissimulée. Je me concentre à nouveau directement, l’angoisse dans le creux du ventre qu’elle découvre que je m’amuse réellement trop dans une chasse au trésor et que j’adorais chercher des indices, traquer des éléments et trouver des trésors enfouis.
She cares. A lot.

Je tombe sur une feuille avec des images dessus.
Un rébus.
Je plisse les yeux et reviens calmement sur le canapé. Mon cerveau est en ébullition. Nova-Blue s’assoit et pose ma tête sur ses genoux. Je me dis que si j’ai un contact physique, peut-être qu’on partagerait un peu la même pensée et que l’énigme serait plus simple pour moi. Je repère les signaux les plus évidents. « Nos ». « Haie ». La succession de M ressemble au verbe aimer. Le toit est un toit, ça me semble logique. Toi tu m’aimes car. Je sens le regard de Nova-Blue sur moi. Les minutes passent, et j’ose assez peu demander d’aide.
Et si elle constatait qu’en fait, j’étais incapable de résoudre tout seul un rébus ? C’était ce que faisait les enfants, c’était sensé être simple, facile, atteignable. J’étais à l’université. J’étais bon en cours. J’étais scolairement adapté. C’était impossible que j’échoue sur un rébus.
Je refusais de constater que, possiblement, je n’étais pas intelligent pour tout dans ce monde. Je savais déjà que mon intelligence sociale était limitée, mais je commence à me ronger les ongles et mon regard dérive de temps en temps pour fixer la télé éteinte de temps en temps, pour me reposer.
Pourquoi le golf, pourquoi ça veut pas dire balle. Pourquoi la vache, pourquoi ça veut pas dire vache. La vache, ça fait meuh, et le serpent, ça fait sss. J’étais en biologie, je le savais, je connaissais les animaux.
Vingt minutes passent, et le silence commence à me faire stresser.

« … Le golf, c’est pas balle, hein ? »

Je me sens idiot, débile, bête, et j’ai peur qu’elle le remarque et qu’elle se dise qu’avec quelqu’un d’autre, ç’aurait été plus simple. Elle n’aurait pas eu à donner d’indices, de petites aides. J’essaie de camoufler ma bêtise un peu plus longtemps, pendant que quelques éléments s’éclaircissent un peu devant mes yeux. C’est du rhum. C’est de la colle. C’est de l’or. C’est un U de vélo, et non pas le mot « anti-vol », qui n’avait rien à faire dans un rébus.
Il faut penser « mot court ».
« Gâteau » n’est pas un mot court. « Petit beurre » non plus. Je réfléchis aux courses. Je me revois dans des rayons de supermarché, devant le rayon gâteaux. Il y a des Oréos, il y a des tas de marques obscures.

« … Et le biscuit ? »

Chaque mot s’arrache la bouche, pendant que j’enfonce progressivement et inconsciemment ma tête dans les genoux de Nova-Blue. Un peu plus, et j’ai peur de lui faire mal. J’ai envie de m’énerver. J’ai envie de chialer. J’ai envie de quitter la pièce parce que j’arrive pas.
J’arrive pas à un putain de rébus et je me sens un peu nul.

Je me demande si c’est quelque chose qu’elle a fait exprès. Elle va me quitter le jour de mon anniversaire, et c’était une énigme vicieuse pour comparer mon intelligence à celui de son futur petit ami. D’ailleurs, j’avais pas été faire un tour de notre chambre, il se cachait peut-être dans notre armoire. Il avait peut-être une de mes chemises sur la tête, et attendait le bon moment pour sortir en criant « me voici haha c’est moi ! ».

« … Je suis con je crois. »

Un de mes bras enserre sa hanche et je me tourne, visage vers elle avec la feuille devant moi pour continuer à réfléchir.
J’attends que l’épée de Damoclès me tombe dessus, incapable de me persuader de l’évidence.

 

J’ai quelques éléments de plus, et je me rattache comme je peux. J’ai le « tee », et me dit que j’aurai peut-être plus l’avoir, si j’avais suivi mon père quand il allait faire du golf. Je voyais pas l’intérêt, à part monter dans la petite voiture pour aller chercher les balles. C’était drôle. On aurait du inventer un sport à côté. Ce serait une sorte de karting, mais où le but c’était juste de conduire jusqu’aux balles et se marrer.
Je plisse les yeux et j’ai le « Lu ». Je connais pas réellement les marques françaises. Je savais que Nova-Blue parlait la langue. De temps en temps, elle sortait quelques expressions, et elle lisait sur mon visage que c’était assez inattendu. Je comprenais rien à la langue, et elle m’avait juste appris à dire.
Pppapiyone. Butterfly en français, donc. J’espérais pouvoir dire d’autres mots, avec le temps. Elle tentait de m’apprendre d’autres termes, mais j’ai la langue qui fourchait et j’encaissais assez mal le fait de ne pas réussir du premier coup quelque chose. On serait patients. On avait pas réellement le choix.

Elle me dit que je suis pas con, que c’est elle. Je rentre dans une sale spirale.
Elle se sent mal, si c’était le cas, c’était de ma faute. De la mienne, uniquement. C’était pas de la sienne. Jamais. Je me sens encore plus idiot, de penser que je suis bête et donc de la rendre triste.
Je suis trop con. Ses lèvres se posent sur les miennes et je ferme les yeux un instant. Il fallait faire une pause dans ce rébus. J’essaie de ne plus y penser un instant, mais j’ai des images de colle collées à mon crâne.

Je me reconcentre un peu. B’ + Lu, c’est sûrement … Blue. Le rébus commence par « No » donc … No – Blue … Nova-Blue.
Nova-Blue.
Meuh + une haie. Me hait.
Nova-Blue me hait.
Je déglutis. J’espérais que ce ne soit pas un message caché. J’ai l’impression d’y voir un message de mon inconscient, des peurs profondes qui viennent cramer le rébus. Non. C’était le jour de mon anniversaire, et elle serait cruelle de m’embrasser avant de me décapiter. C’était ce que les mantes-religieuses faisaient, et Nova-Blue avait d’elles leur prestance et leur élégance. Je m’étouffe intérieurement.
Nova-Blue me hait. Toi, tu m’aimes.
Mais de qui elle parle, de qui ça parle. Je pourrais m’étouffer dans mes doutes et je commence à lire la phrase qui suit. Il y a du rhum, des serpents qui font ssss, des colles, des U de vélo. Je répète la phrase à voix haute, dans une prononciation un peu hasardeuse exprès pour laisser les mots se coller les uns contre les autres.

« Car jeux-ssss-huitrhum-u-l’-tee-colle-or… Ticolore donc ... »

Je répète la phrase en boucle puis un large sourire s’étire sur mon visage. C’est celui de la victoire. Je pourrais presque reproduire cette photo ridicule sur mon mur, avec mes doigts en V.

« NOVA-BLUE ME HAIT TOI TU M’AIMES CAR JE SUIS TROP MULTICOLORE JE L’AI. »

Je me relève d’un coup sous l’émotion. J’ai réussi. J’ai réussi son énigme. Elle ne va plus se sentir bête, mal, dire que c’est de sa faute. J’avais juste eu besoin de son aide, un petit peu. C’est difficile, de réussir des choses seul parfois. J’attrape sa main et dépose un léger baiser sur ses lèvres.

« C’est la lampe à lave, hein ? Tu râles à chaque fois parce qu’elle te distraie de la télé mais … Mais elle est vraiment super cette lampe, je t’assure. »

C’était, sans surprise, un énième cadeau de ma mère. Je l’avais eu quand j’étais enfant, et c’était le genre de cadeau suffisamment symbolique et aimé à une certaine époque pour que je me la trimballe de partout, à chaque déménagement.

Je la soulève doucement pour éviter de la casser. Il se trouve en dessous un autre post-it et je souris à Nova-Blue, fier comme un paon. Je vois des flèches qui indiquent plein de directions, et en plissant les yeux, je reconnais qu’en réalité, elles forment la bibliothèque et indiquent un étage particulier. C’était les puzzles. On faisait le même en boucle depuis les deux semaines qu’on était ensemble. C’était un gigantesque puzzle de 2000 pièces, compliqué parce que c’était sur l’espace et qu’il y avait beaucoup de pièces bleues marines et noires. Quand je l’ouvre, je trouve le dixième post-it.