Si la pâte est trop liquide, rajoutez 500g de farine. « Et tu penses vraiment que ça va régler mon gâteau, foutue recette ? » Mon cri résonne dans l’appartement vide. Je regarde mon papier avec un air désolé. Je n’aurais pas dû m’énerver comme ça. C’est pas toi le problème. C’est même pas ce gâteau. Je suis juste un peu stressée, tu sais ? Ce gâteau c’est une recette ukrainienne que mon père m’a apprise. À chaque fois que je l’ai faite pour Veronika, elle a trouvé quelque chose à redire. Les quantités, les proportions, le temps de cuisson, la qualité des ingrédients. Il y a toujours quelque chose qui ne va pas. Le dénominateur commun c’est moi, et j’arrive pas à croire que cinq cent grammes de farine vont pousser ma mère à m’accepter, vont régler ma vie.

Versez 6 œufs. Je passe ma frustration sur ces innocents produits bios et locaux avant de passer ma tête entre mes mains. J’ai plus l’âge pour ces conneries. Je dois simplement voir la visite de Veronika comme n’importe quelle mission diplomatique. Pas de questionnement incessant, juste de l’efficacité. La générale des gardes de Nydaros peut quand même avoir un peu de respect non ? Mais pour mes autres missions, je suis prévenue en avance. Là, Veronika m’a prévenue la veille qu’elle débarquait. Seule information : je dois me faire belle. J’ai soufflé. Je suis générale respectée, guerrière accomplie et chercheuse en histoire militaire. Mais non, je dois être belle pour impressionner ma douce génitrice. J’ai donc mis une robe rose, splendide car j’ai laissé Scylla faire un choix plus averti que le mien. Je ne peux tout de même m’empêcher de penser que c’est bien peu pratique pour cuisiner.

Rajoutez de la cannelle et du sucre vanillé. Je respire un peu. J’ai encore du temps de toute façon. Je regarde mon téléphone et voit un message de Llyr. Je lui ai parlé de la venue de Veronika et il m’a envoyé une image amusante sur les rapports familiaux. Un « meme » il m’a dit qu’on disait. Je lui réponds : « Très amusant, votre altesse. Merci pour ce partage. Respectueusement, Viktoria. » Qu’est-ce qui pourrait mal se passer après tout ? J’ai atteint les objectifs que le prestigieux nom Kerrias a placé sur mes épaules. Certes, je n’ai pas de compagne ou de progéniture mais mon métier explique bien pourquoi je n’ai pas le temps pour ce genre de trivialités. Tout ce qui importe c’est ma mission auprès des Van Seabrook, auprès de Scylla. C’est elle-même qui me l’a dit, c’est ce qui a guidé ma vie. Pourquoi est-ce que ça changerait ?

Enfournez pendant 40 minutes. À peine la porte du four refermée, la sonnette retentit. Déjà ? Je ne l’attends pas avant une bonne heure. Je m’élance vers la porte, tentant d’enlever la pâte de mes doigts mais en mettant ainsi un peu sur mes joues et mes bras. Génial. J’ouvre, et ce n’est pas le blond visage de ma génitrice.

« Alix ? »

Ça fait un bout de temps que je n’ai pas revu le triton. Je l’avais croisé à Nydaros mais Veronika, justement, n’aimait pas que je parle avec des tritons nés sur terre. Pourtant, j’adorais ces histoires sur les différentes côtes de l’Europe où il avait vécu. Je savais qu’il était un membre de l’Ordre mais j’avais eu très peu de contacts avec lui.

« Qu’est-ce que tu fais là ? »

La politesse réclamerait que je lui propose le confort de mon canapé, un verre de lait de coco et quelques minutes d’attention. Seulement, actuellement, je ne suis pas contrôlée par la politesse, seulement par le stress. Je me place de manière à bloquer l’intégralité de la porte, les bras croisés.

« J’attends quelqu’un, ça peut attendre ? »

Tu attendras, Alix, tu attendras que je sache quel coup fourré Veronika me prépare. Pas un instant je ne suppose que tu es partie intégrante de son plan.