M O O D
17 septembre 2013 - Phoenix - Pendant la guerre
17 septembre 2013 - Phoenix - Pendant la guerre
Mes colocataires s’agitaient contre la fenêtre. Ils formaient des fêtes à chaque instant, dans des hauteurs inatteignables pour moi. Ces petites fées casanières rassuraient mon esprit. Elles se déplaçaient entre ma chambre et mon salon. C’était des arcs à suivre des yeux chaque instant. Parfois, leur vol s’affaissait jusqu’à mon nez, et un sourire s’étirait, calme et pâle, pas plus loin que mes narines. La lumière peinait à entrer entre mes rideaux. C’était normal, habituel, depuis quelques mois. Sûrement qu’en cachant ma fenêtre, Dieu oublierait mon existence depuis Son Ciel. Je sortais souvent avec une casquette sur la tête pour me cacher de Son regard. Mes péchés me collent à la peau, et c’est sûrement pour ça qu’ils ne venaient plus, ces papillons colorés, se poser de temps en temps sur ma main avec un peu de sucre au bout de leur trompe, et de sucre sur leurs pattes invisibles. Ils faisaient de leurs vies une gigantesque joie constante, à s’envoler ensemble et tournoyer dans cet espace qui me semblait à la fois inconnu et trop vu. Ils buvaient des boissons colorés au fond d’éponges, et m’occuper d’eux était devenu ma seule activité quotidienne.
Je mentais.
J’en avais une autre, qui m’attendait au coin de ma fenêtre. J’avais installé un petit banc avec des coussins. Le danger ne devait pas quitter mes yeux. Poussant légèrement le rideau épais, mes pupilles se fixaient sur des manifestations étranges.
Dieu me punissait.
Dieu nous punissait.
Il y avait des êtres étranges avec des ailes dehors, et je me souvenais des représentations effrayantes des anges. Le Jugement Dernier était arrivé, et si je tendais l’oreille, je pouvais entendre et percevoir des musiques curieuses. J’ignorai, cependant, si l’enfermement depuis tant de temps, me faisait entendre des sons rassurants, effrayants, tant qu’ils m’évoquaient quelque chose.
Chaque jour, je passais de longues heures à fixer ma rue. Il y avait des habitués qui continuaient à aller au travail. C’était sûrement des employés de grande surface, et je trouvais ça étrange qu’à Paradise Valley, des personnes aient ce genre de travail. J’aimais me dire que c’était des maîtres du Monde, qui étaient en train de négocier avec de Grandes Forces pour obtenir un arrêt.
Un vaste arrêt de tout ce qui dansait sous mes yeux.
Hier, ou avant-hier, j’ai vu une femme parler à un homme. Il a ensuite tourné la tête puis est tombé au sol. C’était hier, ou avant-hier. Ou peut-être il y a un mois. Les jours se confondaient, et j’étais devenu témoin d’une routine extérieure et intérieure.
Nous nous étions quittés un douze avril. J’en suis pas réellement sûr. J’ai découvert quelques jours plus tard une clef dans ma boîte aux lettres. Pendant des jours, je m’étais blotti dans son coin du lit. Si je me concentrais, il y avait encore son odeur dans les draps. Quand j’ai trouvé les pièces de puzzle, je les ai empilé sur la table de chevet, de son côté. C’était à côté du jouet McDo. J’aurai pu continuer seul le puzzle. J’ai essayé quand les premières manifestations étranges et incongrues ont commencé. Si je le finissais, sûrement que mon Seigneur serait moins en colère.
Je frissonnais.
Ma bague de pureté me semblait rétrécir de jour en jour. Je refusais de la retirer, de peur de voir une trace rouge se former autour de mon doigt avec le temps. Je m’étais assuré de toujours toucher une pièce du puzzle avec mon annulaire qui la portait. La position était laide, à défaut d’être utile, ou même efficace.
J’avais fini par les laisser empiler.
Les puzzles, c’était moins amusant seul. J’ignorais si j’appréciais vraiment en faire, désormais.
L’université n’avait plus d’écho qu’uniquement dans mon crâne. C’était malsain, toxique, dysfonctionnel, inadapté, incolore, noir, désespéré, … Je regardais l’ancien emplacement de la lampe à lave. J’avais mis une peluche à la place ; moins de risques de casse. Les couloirs résonnent avec un peu de vérité dans le creux de leurs lèvres. J’avais senti une sorte de soulagement étrange, de colère imbécile, de perdition enfantine, d’effroi singulier, et de profonde incompréhension quand j’avais repris ma clef. J’avais remis l’étiquette sur ma boîte aux lettres, et préservé celle sur la clef. Parfois, le scotch me ripait entre les doigts, mais c’était pas grave.
Si c’était si mal, mauvais, absurde, méchant, toxique, alors pourquoi j’avais des regrets au fond de la gorge ? J’avais envie de faire ma vaisselle au mar de café pour avoir de l’amertume sur toutes les assiettes qu’on avait pas sorti du lave-vaisselle à temps.
Progressivement, le paradoxe s’était accentué.
Nous nous étions quitté un douze avril, mois des grandes blagues et des températures qui se réchauffaient. C’était peut-être un seize finalement, ou un dix-sept. J’ignorais quand elle avait décidé de déposer la clef. J’aurai aimé avoir commandé un colis chez Amazon, et l’avoir attendu des heures durant en fixant ma boîte aux lettres, jurant contre le facteur. Je l’aurai peut-être croisé. Elle aurait déposé la clef, et j’aurai dis « pourquoi ? », avec des points d’interrogation qui coulaient de mes cernes. On serait peut-être rentré. Si elle était venue. Si j’avais commandé à Amazon. Si j’avais eu besoin d’un super aspirateur. Si j’avais eu l’envie de racheter une lampe à lave. Je mets ma vie dans une vaste bouteille, que j’envoie dans des mers obscures.
Nous nous étions quitté un douze avril.
Rien n’avait périmé. Je le savais.
J’avais besoin de me le prouver.
J’allais au supermarché, deux fois par mois. Je prenais de quoi manger. Depuis, mon corps n’acceptait que des pâtes et des produits végétariens trop chers. Si je fermais suffisamment les yeux, c’était nos courses. J’écumais les rayons dans le but de trouver quelque chose de précis : des pâtes dont la péremption était le 24/12. C’était un mix entre la date de notre rupture et celle de notre mise en couple.
Je voulais me prouver que passé cette date, elles seraient encore comestibles. Je les mangerais, sûrement des mois plus tard. J’aurai un sourire satisfait, parce qu’il y a pas de date de péremption sur les destins. Je tomberai peut-être malade, et ce sera un signe de l’univers que même toxiques, les pâtes existaient encore. Elles ne se décomposeront pas. Elles seront là, fières, présentes.
J’en avais déjà amassé 19 sachets. Je les avais placé à côté d’une petite boîte à café, que j’avais repeinte en bleu, avec des affaires à elle dedans. Rien ne se périme, entre les brosses à dents et le café. L’alcool se périmait pas non plus, c’était sûrement pour ça que c’était un allié sûr. Dans quelques mois, personne n'aurait jamais pris ces pâtes, et elles auraient été jetées. J'étais devenu allié à leur cause, et je les comprenais bien que personne.
Je me demandais si, à ses yeux, j’avais périmé. Sept mois, c’était pas tout à fait une grossesse, ni rien du tout. Je me demandais ce que je serai, si j’étais un ingrédient périssable.
A vrai dire, pas grand-chose.
L’Humanité toute entière était détenue dans une gigantesque conserve, se protégeant contre sa propre péremption sur Terre.
Luttant contre ma peur, j’essayais un jour d’aller plus loin que l’épicerie en bas de chez moi. Les rues étaient peuplées et désertes. J’ignorais si des forces s’y promenaient, et si Notre Seigneur avait décidé de nous accorder le Pardon.
Il n’y avait pas eu d’évènements étranges à ma fenêtre depuis trois jours. La dernière fois, ça avait duré cinq jours, avant que je vois des humains se transformer en monstres poilus, puis en animaux, et j’avais eu la nausée pendant des jours entiers.
Je me dirigeais vers l’hôpital de Phoenix. J’avais besoin de la voir.
J’avais fais un journal de bord détaillé, que j’envoyais tous les soirs à ma mère, pour lui assurer que tout allait bien. En vérité, je lui envoyais des photos qui dataient de l’année dernière, pour la rassurer. Dans mes écrits, j’étais un fin cuisinier, depuis quelques mois, et mon appartement était rangé. La lampe à lave allait très bien, et je lui envoyais des photos régulières de ses changements de couleur.
Dans mes écrits, il n’y avait pas le bazar dehors.
Dans mon crâne, il n’y avait rien qui ait dépassé le douze avril.
Le passé était plus agréable. Le futur était impossible. Le présent était un cauchemar.
Je supprimais tous les SMS que je recevais, désormais. Mon portable n’avait rien qui dépassait cet ultime date.
« … Bonjour, je suis Ambrose Atkins, le …
- Oh, vous êtes le fils de Bathsheba, c’est ça ?
- Oui ! Oui tout à fait ! Elle m’a dit qu’elle était de service en ce moment et je voulais juste … La voir … Un peu ?
- Je pense qu’elle sera ravie de vous voir. » Un sourire se peint sur le visage de la dame à l’accueil. « Elle parle souvent de vous, vous savez. »
J’ignorais si je parlais souvent d’elle, mais je pensais souvent à elle, à défaut de lui dire. Je suis guidé dans des couloirs blancs, et l’hôpital fourmille.
« Il y en a, des malades, ça doit être la saison du ski …
- C’est terrible ce qui se passe dehors, on redoute à tout moment un …
- … Une tempête de sable, je comprends. »
Elle a un sourire poli, et un silence bruyant.
On m’installe calmement dans son bureau, pendant que je regarde les sachets de thé disponibles. Bathsheba Atkins n’aimait pas changer ses habitudes. J’essaie de trouver un pauvre thé vert à la menthe, quelque chose de simple. Il n’y avait rien d’autre qu’une collection hallucinante d’Earl Grey. Je finis par sourire, comprenant d’où je tiens mes fixettes.
J’ai la mâchoire serrée. J’ai envie d’oublier l’extérieur, le dehors, cette incompréhension de tout. Le passé existait, et était tangible. J’allais voir ma mère, sourire, nous allions boire un thé. Elle prendrait du Earl Grey, et moi aussi alors que je déteste ça. Je mettrais beaucoup de sucre pour faire passer le goût, et ne pas la vexer. Des années que ce rituel n’avait pas changé, et que j’osais pas lui avouer que c’était dégueulasse, le Earl Grey. Pour elle, je serai un grand acteur.
Je l’étais déjà, pour la rassurer.
Oui, Bathsheba, ton fils est heureux et épanoui, il sort quotidiennement courir dans les rues pour entretenir sa santé. On dit de lui qu’il sera une grande personne responsable, et un scientifique reconnu.
J’enterre sous le tapis des miettes de lampe cassée, et d’ampoule qui clignote.