(red widows I) bug thief

BUG THIEF

Le Cercle était une entité. Il se faufilait dans des failles, s’engouffrait, grouillait sous les sols. Il avait secrètement empreint mes CV, mes recherches d’emplois, mes capacités de botaniste, de biologiste, de scientifique. Je n’avais pas eu à débaucher des tas de mails, d’entretiens à vendre des capacités auxquelles je croyais mais d’autres non.
J’avais foi en mes capacités, et eux aussi.

Le Cercle était un soutien. Il était constamment présent, à poser des poids sur des épaules fragiles, à alléger des poitrines auxquelles il accrochait des haltères. Quand j’étais venu parler de ma situation professionnelle mi-juin, on m’avait parlé d’un poste à Phoenix. Elisheva avait besoin de quelqu’un.
Quelqu’un, comprendre quelqu’un comme nous. J’avais eu quelques échos et des correspondances par mail. Son ton était efficace. Je pourrais le qualifier de froid, mais je la pensais sincèrement de celles qui avaient besoin de ce pragmatisme jusqu’aux écrits. Il n’y avait pas de formalité inutile. Elle maîtrisait pourtant les formules de politesse. Elles étaient parfaitement écrites, indiquées au bon endroit, mais avaient pourtant cette capacité de sonner sincères et effrayantes.
Elle était de ma famille, désormais.

Phoenix était devenue la ville de la Renaissance.
Il y avait elle, et désormais un poste. J’espérais ne plus lui provoquer d’inquiétude, et dire que j’avais su me relever de cet étrange incident de juin. J’avais éclaté des voitures avec un mineur. Je m’étais fais viré.
Pourtant, j’étais incapable d’éprouver le moindre regret. J’aimais pas ce travail. L’homéopathie avait le goût de sucre. Je me voyais plus comme un chien sans laisse, à changer de ville pour traquer, à renouveler ma vie sur des envies de vengeance. Je me sentais apaisé, calme.
J’avais un nouveau travail, et pendant que j’arpente le désert au volant de ma voiture, je me dis que c’était là, qu’on la verrait, mon utilité.

La messagerie cryptée envoie quelques messages. Je tourne depuis de longues minutes et les indications sont peu claires. On m’avait parlé d’un laboratoire, mais je vois que dalle, que des stations services à perte de vue et des cactus qui ont l’air prêts à se battre, avec leurs bras arqués. J’obtiens plus d’informations et je me gare quelque part, dans ce vaste nulle part trop chaud pour un mois d’août.

J’aurai pu continuer à tourner en rond jusqu’à user, crever et dégommer les pneus de ma voiture ; le laboratoire ne se dresse pas en plein désert, mais s’y enfouit. J’oubliais que les Chasseurs se faufilait dans des failles, et j’ai été idiot de penser que la nature faisait exception.

Je suis en retard, et c’est mal. J’ai passé trop de temps à me perdre. J’enfile rapidement une blouse. Je dois avoir l’air le plus professionnel possible. Le McDo devait rester un vague souvenir honteux, d’humiliation pour mes études, … Ici, je pouvais prétendre à ce poste. Si j’en avais les capacités, je l’aurai.
Je me répète cette phrase dans les couloirs, tandis que mon coeur s’emballe. Je vais me faire buter. Elle va me détester. Mon retard fera le tour des Chasseurs. A peine racheté, je serais rejeté par les miens, et j’aurai même pas le loisir de pouvoir pleurer devant Nova-Blue parce que ce serait trop de choses à expliquer.

J’ouvre la porte et il fait horriblement froid. C’est sûrement qu’il fait plus frais sous terre. Je m’en convaincs.

« … Je ... » Je déglutis. « … Je suis Ambrose Atkins, le nouveau ... » J’ignore mon poste, et gamin trop grand plein d’espoir n'en était pas un. « … Le nouveau. Désolé du retard. »

Le nouveau, c’était parfait. J’étais nouveau sans titre, avec l’envie d’en gagner un. Ici, ça s’achetait pas. Je serre les dents, parce que je sais plus comment ça marche, cette étrange économie. Si le mérite existait, j’irai gratter la terre jusqu’à y trouver des mines et en amasser à foison. Je déglutis une nouvelle fois, parce que mon organisme semble de glace face au lieu.

C’était une première journée, et il était grand temps de faire mes preuves, de valoir un truc pour les autres.

SIAL ; icon a-child-ish

bug thief

“There is the darkness that frightens, the darkness that soothes, the darkness that is restful. There is the darkness of lovers, and the darkness of assassins. It becomes what the bearer wishes it to be, needs it to be. It is not wholly bad or good.”

Elisheva détestait les retards. C’était une façon assez certaine de la mettre de mauvaise humeur, car souvent retard rimait avec manque de respect, avec manque de rigueur, avec nonchalance. Trois caractéristiques qu’elle exécrait et qu’elle chassait presque autant que les êtres surnaturels enchaînés dans ses petites pièces à l’éclairage blafard. C’était un tout jeune à qui elle avait offert l’opportunité, un chasseur encore inexpérimenté qui compensait ses failles par une rage dangereuse. Elisheva savait la façonner, la rage. La rancœur, la colère, les regrets, tout autant de métaux permettant de forger les empires les plus solides. Elle n’était pas maternelle comme Shoshana, pas douce ni bonne ni tendre, elle ne couverait pas son petit comme on protège un œuf. Elle le rendrait indestructible comme elle, quitte à le briser en mille morceaux d’abord parce que quand on répare on a toujours le choix de la matière que l’on devient.

La biologiste ne lui tendit pas la main, et se mit en route immédiatement. Elle assena d’une voix ferme mais parfaitement calme : « Elisheva Eisenbach, je suis responsable de cet endroit et de ce qu’il contient. Cela vous inclut. » Un royaume stérile, clinique, à son image. Mais un royaume plein de ressources, un temple de connaissances et de merveilles pour qui sait les apprécier et se salir les mains pour les déterrer. « Prenez de l’avance, à l’avenir. Le laboratoire est difficile à trouver pour une bonne raison. » Parce qu’il faut toujours cacher les idées révolutionnaires, parce que le monde n’est pas encore prêt et qu’ils viendraient les trouver et les détruire s’ils savaient. On est toujours traqué, quand on est du bon côté de l’histoire. Bene vixit qui bene latuit. « Dites-moi, Ambrose Atkins, que savez-vous de ce que l’on fait ici ? » demanda-t-elle en l’entraînant dans un couloir éclatant de blanc. Elle observait les joues rosies du jeune homme, ses yeux naviguant les différentes portes devant lesquelles ils passaient, toutes numérotées à la romaine. Alors qu’un cri retentit derrière l’une d’entre elle, Elisheva ne sourcilla pas et continua d’arpenter le couloir comme si elle n’avait rien entendu. Cela faisait bien longtemps désormais que son conduit auditif s’était habitué à ces sons stridents et inutiles, sirènes d’alarme qu’on entendrait jamais, appels à une aide qui ne serait jamais apportée. Pour le plus grand bien, pour le plus grand bien, pour le plus grand bien. Faire du mal maintenant, pour guérir ensuite, guérir à grande échelle, guérir un univers tout entier. Guérir jusqu’à sa moëlle pourrie et son cœur noirci.

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Mar 6 Sep 2022 - 23:52

BUG THIEF

Les murs sont trop gris et Elisheva a une voix trop blanche. Je hoche la tête plusieurs fois. Si elle le remarque, peut-être qu’un maigre sourire va naître sur son visage, qu’elle va me donner la main et me prendre le poignet avec un air respectueux de grande personne. Elle m’emmènera signer un contrat trop blanc, que je verrai un peu jaune parce que y aura des promesses d’avenir entre quelques lignes, et j’adapterais ma signature en mettant des H au milieu de tous ces A. Elle ressemblera à un gigantesque pont sur lequel je danserai pas réellement, mais j’aurai des lueurs d’espoir qu’il me guide vers quelque chose de plus grand, entre ces murs froids et les vitres réfléchissantes.

Mais Elisheva ne sourit pas. J’évite de le faire aussi. C’était pas ce qu’elle attendait, et je déglutis en essayant de lire dans ses yeux trop fixes ce qu’elle voudrait de moi.
J’ignore si son « you » est une marque de respect, mais je peux m’empêcher de sourire intérieurement.

« On m’a expliqué. » Je réponds avec tout l’aplomb du monde. « Un peu. » J’ajoute avec le doute de la planète entière.

Tout ce que j’espérais, c’était de cesser de faire des poisons à longueur de journées. J’avais commencé par synthétiser des plantes connues comme porteuse de toxines. Avec le temps, certains mélanges s’étaient avérés utiles. J’ose espérer avoir pu aider lors de missions. Mes recherches estampillées autour de flèches, enduites sur des balles, criant sur des armes blanches. Il y avait un peu de lumière qui se créait à chaque corps tombé, un peu d’espoir pour l’humanité, un peu d’apaisement le soir quand je dormais, apaisé, à l’idée de ne pas me faire manger par des monstres.

J’entends des cris. Mon sang se glace. Sûrement que mes hurlements ressemblent à ça aussi. Ils se matérialisent contre les murs et suintent. Je pourrai les toucher que mes doigts se teinteraient de gris, de rouge, de plein de nuances. Mes veines tapent des rythmes absurdes. J’ignore si c’est réellement une manifestation intérieure ou quelqu’un d’autre. Je fixe la porte un moment pour tenter de déceler un indice.
Elle reste muette et décide de ne pas m’aider. Je hausse les épaules et tourne les yeux tandis que mes tempes courent au galop.

« J’étais en charge de la synthèse de poisons végétaux. »

Je me rends compte que c’est sûrement très peu intéressant et très peu impressionnant, vu comme ça. Mon gorge me gratte tandis que mon pouce gratte compulsivement mon index pour tenter de maîtriser mon stress. Elle va comprendre que j’ai peur de pas être à la hauteur de leurs attentes et me regarder avec son regard vide, pour me vider moi aussi. Chacun de mes pas semble brûler mes articulations et mes artères semblent bouchées à la panique.

« Globalement, j’essayais de comprendre comment faire en sorte que le ricin et le laurier rose soient plus efficaces. J’ai surtout fais des études de biologie, spécialisé en botanique. » Mes lèvres forment des figures abstraites, entre l’arc de cercle renversé et la lune à l’envers. « J’aime beaucoup les plantes. »

Ma conclusion sonne solennelle et je suis désolé d’avoir que ça à lui donner.

« J’ai travaillé en laboratoire d’homéopathie, mais je suis parti. » j’élude astucieusement la vérité. « C’était pratique pour le Cercle. J’avais plein de plantes là bas, plein de ressources, vu qu’on se base sur des poisons en microdose parfois. J’avais qu’à extraire et ramener au Cercle. Puis on a remarqué que je savais pas que couper des tiges et faire de la biosynthèse. J’ai tout de même fais des études de biologie et de la génétique. » Mon ton devient plus sérieux. « Depuis le 14 août, faire des poisons qui tuent en quelques jours … C’était … Pas ce que je voulais. Plus ce que je voulais. »

Plus suffisant, plus adapté, plus ok, plus mon idée, plus ma zone de confort. Je voulais voir l’ennemi. Eric me disait que les surnaturels étaient une gigantesque mascarade, et c’était agréable de connaître quelqu’un qui était d’accord avec moi. Mon avis n’était plus unique, désormais.

« Ces gens sont des dangers publics. J’avais besoin d’agir plus concrètement. Je pense que ça fait longtemps que cette blague continue. J’ai dis ça aux Cercles supérieurs, en disant que je voulais agir, que j’avais des connaissances, que je pourrai aider, parce que cette histoire, c’est des co--- bêtises. » je me corrige. « Je pense qu’on est en danger à cause de personnes qui ont des envies de grandes narrations, d’être quelque chose de surnaturel. J’ai besoin de comprendre, qu’ils m’ont dit. Ils pensent que j’ai faux sur des points, et de mon côté, je pense que ... »

Les cris résonnent entre les murs et je me surprends d’ignorer si ils viennent de ma propre détresse ou d’ailleurs. Je souris en moi-même.
Les deux possibilités me semblent désormais acceptables.
Je n'ai pas répondu à sa question et ma jugulaire me démange.

« La ricine tue en plusieurs heures. »

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“There is the darkness that frightens, the darkness that soothes, the darkness that is restful. There is the darkness of lovers, and the darkness of assassins. It becomes what the bearer wishes it to be, needs it to be. It is not wholly bad or good.”

Il n’a pas répondu à sa question.

Ce n’est pas très grave ; son monologue a répondu pour lui. Il ne sait pas grand-chose. Elisheva ne s’est pas attendu à autre chose, cela atteste tout simplement que toutes les précautions et la sécurité autour du laboratoire est efficace. Si son canevas est vierge, alors tant mieux ; il ne lui sera que plus facile de sortir ses plus belles nuances d’anthracite. « Il y a bien des choses que vous pourrez comprendre ici – les plantes seront bien les moindres. » Il n’y a pas de mépris dans la voix de Sheva, après tout elle aussi a touché du doigt la botanique à travers le prisme de la biologie moléculaire. Mais rien n’est comparable à ce qu’elle fait ici ; et Ambrose a l’air d’avoir beaucoup à apprendre.

La chasseuse entraîne son nouveau protégé dans les méandres du sous-sol, là où se trouvent les salles d’observation, et son bureau personnel. « Notre objectif n’est pas de tuer, ici. Il vous faudra désapprendre vos instincts les plus primaires, ceux qui sont guidés par la peur – vous serez obligé de la regarder dans les yeux. » Elle attrape une pile de dossiers sur le coin de son bureau et referme derrière elle, à clé. Inutile de perdre du temps, s’il n’a pas l’estomac assez accroché pour tailler dans le vif, il ne lui sera d’aucune utilité. Elle voudrait lui dire qu’elle comprend, qu’elle aussi a passé des années derrière un microscope à analyser le vivant pour oublier la nécrose à l’intérieur d’elle avant de devoir s’armer, mais elle se tait. Rien de tout cela ne lui servirait.

Ils s’arrêtent devant une porte blanche, dont la plaque annonce ‘9.3-B’. « Êtes-vous prêt à faire une vraie différence ? » demande la chasseuse, main sur la poignée. Il y a bien des manières de changer le monde. D’aucuns utilisent le feu, les plumes ou les flingues – Elisheva a ses seringues.

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Mar 28 Mar 2023 - 17:44

bug thief

⋆ Theorise analyse Prescrit deux trois dialyses J’y crois bien sûr tu t'marres Qu’a dit l'autre, l’érudit Que j’dorme avec mes huiles Et toi laisses-moi tranquille

Quand Elisheva parle, il semblerait que des années entières passent, que le savoir devient intouchable et qu’uniquement l’incompétence vienne nous sauter à la gorge. Elle mentionne la peur, et c’est secrètement que mon coeur cesse de s’emballer sous la terreur. Derrière son armure de vitre sans teint, est-ce que les doutes et la panique gagnaient son coeur de verre ? Terré dans le mutisme, mes yeux analysent chacun de ses mouvements. Elle ne parlait pas énormément. Il semblerait qu’il y a un monde entier à découvrir derrière chacune des portes, des corps déformés par le mensonge et la couleur de nos missions. Derrière ses pas, Elisheva n’a pas peur, pourtant. Sa voix ne tremble pas. Son arcade sourcilière reste intacte, tandis que ses gestes sont chirurgicaux. Ni la pile de dossiers, ou la lourdeur de nos portes ne semblent l’entraver. Elle semble flotter, et pendant un instant, il m’a fallu cligner des yeux pour m’assurer qu’elle ne soit pas un fantôme entre ses murs.

A défaut de trouver quoi dire, je hoche la tête. Ma voix serait empreinte d’incertitude, et elle pourrait s’agacer, être déçue. Nous nous voyions pour la première fois dans un tel contexte, et j’avais besoin d’apprendre d’elle. Elisheva était spéciale, unique, elle était non seulement la cheffe mais elle inspirait le respect à tous. Elle avait pu être instructrice, lame fatale et informatrice. Muet d’admiration et de crainte, elle pourrait m’égorger ici si je venais à souiller nos secrets.

Mes pupilles clignent trois fois devant la porte trop blanche. Elle agresse mes iris et mon coeur semble dégueuler sa peur dans l’intégralité de mon corps. Sa question est lourde de sens. Personne chez nous n’était ici par hasard. Nous portions le deuil, la douleur, l’incompréhension, l’envie de changement, l’espoir. Nous étions un bras armé au bout d’une justice que nous seuls voyions. Dans nos idéaux, nous avions collectivement envie de faire une différence, avec nos armes et nos recherches, d’ouvrir des yeux trop naïfs et d’alarmer sur des éminences que nous seuls étions capables d’anticiper.

« Oui. »

Nos méthodes étaient terribles, définitives. Nous avions regardé la peur dans les yeux, tenté de la supprimer au plus vite. Aujourd’hui, Elisheva me proposait de la comprendre, de l’observer, de l’analyser. Je déglutis.
A l’aune de ses découvertes, j’ignore si je suis capable d’endosser la réalité. Eric m’avait parlé de projecteurs qui diffusaient des mensonges, et pourtant, la théorie ne trouvait d’écho dans aucune oreille. Le nom de la porte me menace, parce qu’elle se nomme et se matérialise comme une identité dans mon crâne. Si j’en ressors traumatisé, je pourrai dire distinctement que c’était la faute de 9.3-B, et personne ne comprendrait.
Personne n’était chasseur par hasard, et parler d’une porte terrifiante ne serait pas la première étrangeté que nous dirions.

« Je me suis engagé pour ça, ici. Pour faire la différence, avec vous tous, vous savez ? Alors, je suis prêt, je pense. »

Je crois, mais il était probablement plus acceptable de penser que de croire dans un laboratoire.

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tw : expérimentation, suggestion de torture

Satisfaite de la réponse apportée par son nouvel apprenti, Elisheva actionne la poignée et les fait rentrer tous les deux dans une autre pièce blanche et grise. Assez étroite et construite plus en longueur qu’en largeur, elle contient pourtant un équipement impressionnant. Réfrigérateur, incubateur, séquenceur, aux murs des étagères contenant les réacteurs en verre, ballons, colonnes, condenseurs, béchers, erlenmeyers, éprouvettes graduées… Sur une petite table en formica, un microscope avec lamelles et colorants. Cependant, le plus intéressant se trouve tout au bout de la pièce dans une capsule verticale allant du sol au plafond. A l’intérieur, baignant dans une eau rendue ocre par les néons au-dessus, se tient une créature entièrement nue, aux traits humanoïdes, dont la nature monstrueuse est néanmoins trahie au premier coup d’œil par sa queue de poisson – quoi qu’avec une bonne quantité d’écailles manquantes. « La capsule marine s’est avérée plus compliquée à construire que prévu. 9.3-B a été notre premier invité triton, et nous a permis de la perfectionner. » explique Elisheva en se dirigeant vers le spécimen endormi, yeux fermés et tête légèrement penchée sur le côté comme en parfaite stase. De nombreuses tentatives ont été effectivement nécessaires pour trouver le parfait dosage, les électrolytes permettant de réveiller et d’endormir la créature à volonté, l’insonorisation totale et impeccable de la capsule afin d’empêcher la manipulation de la moindre onde sonore… La biologiste n’a pas honte de l’admettre – des erreurs ont dû être faites pour en arriver là, comme en témoigne sa très légère surdité de l’oreille gauche ou la cicatrice rose au niveau de sa tempe.

Elisheva se détourne de 9.3-B l’espace d’un instant pour vérifier la présence des lames qu’elle souhaite montrer à son interlocuteur. Ils ne sont que deux à aller et venir dans cette pièce en particulier, et la chasseuse est toujours satisfaite de constater que les choses sont toujours à leur place. Ainsi, elle sort deux préparations microscopiques de leur classeur avant de revenir près du spécimen faire face à Ambrose, dont l’expression faciale est indéchiffrable. Elle n’a pas souvent l’occasion de transmettre son savoir, et malgré son sang-froid exemplaire, il y a quelque chose d’exaltant à partager ses recherches, d’en donner le goût aux plus jeunes, d’observer leurs réactions, leurs peurs, leur excitation face à la vie grouillante sous leurs yeux. Elle voudrait lui raconter les histoires qui l'ont menée jusqu'ici, elle voudrait lui raconter la capture du triton et tout ce qu'elle sait sur lui. Elle voudrait lui coller le nez sur la vitre, lui faire déglutir cette boule qu’il a l’air d’avoir dans la gorge pour reprendre contact avec la réalité plus vite. Mais elle se contente de se tenir droite, de ranger les prémices de son enthousiasme dans le tiroir correspondant, là où ça ne trahira rien d'important. « Vous ne risquez rien, M. Atkins. Vous pouvez vous approcher. Cela fait bien longtemps que notre ami n’a plus ses cordes vocales. » Elles doivent bien être rangées quelque part avec les cellules épithéliales.

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tw : mention de torture potentielle, description de corps mutilé

Les murs forment ce genre de salles qu’on ne voit qu’une fois dans sa vie. On peut l’apercevoir dans des cauchemars, dans des rêves honteux, dans des recoins inavouables. Elle a le pouvoir d’accélérer le rythme cardiaque à sa découverte, si bien qu’elle en devient terriblement suspecte. Planté devant la capsule marine, Elisheva explique. C’est ici que viennent les traques qui ne meurent pas. Le coeur battant, la curiosité prend le dessus.
J’avais toujours entendu parlé de ces problèmes qui dépassaient l’humanité. Il y aurait des surnaturels, qu’ils disaient. Difficile à y croire, sans pouvoir les toucher, les regarder de plus près. Ils pouvaient recouvrir de tas d’autres problèmes. Craintif, je m’approche progressivement de la capsule pour observer de plus près. Quelques écailles manquent, et les jambes sont peu visibles. Le virus semble avoir totalement fusionner des parties du corps jusqu’à former de la peau dans les interstices. Jetant des coups d’oeil aux miens pour comparer, la maladie est impressionnante. Elle justifierait les écarts de largeur au niveau des membres inférieurs. Celui-ci devait avoir été immobilisé les jambes mi-ouvertes, puisque sa queue de poisson est large.
Je l’admets.
C’est troublant.
Les yeux plissés, mon âme de biologiste tente de trouver des justifications, des explications. La magie n’existait pas, pas plus que les dragons et les sirènes de nos contes. Je voulais continuer à croire en une rigueur scientifique, une probable dérivation de l’esprit humain produit après l’Apocalypse. Il était normal de chercher des coupables, moins d’en inventer. Les yeux fermés, le haut de son corps semble inchangé. Il n’a pas l’air de souffrir. Il flotte dans une eau marécageuse, ce qui prouve soit sa présence de branchies, soit une capacité d’oxygéner fortement l’eau et d’adapter un système respiratoire pour pouvoir attraper ces bulles d’oxygène. Scrutant ses voies respiratoires, il n’y a ni tuyau, ni masque.
Je l’admets.
C’est troublant.
Me vient en tête l’idée d’avoir de la peine. Cette maladie était monstrueuse. Quiconque en serait atteint serait obligé de se cacher à vie. Je me demande s’il arrive à marcher, s’il a besoin de fauteuil, s’il est un cas isolé à capitaliser ou si c’est un virus contagieux. A cette pensée, je tourne les talons vers le gel hydroalcoolique le plus proche. Nous n’étions jamais trop prudents, avec ces étrangetés.

« Quand est-ce que les cellules au niveau de la partie inférieure de son corps se sont fusionnées ? »

La réponse devait être là, quelque part. Par phagocytage, les cellules doivent s’être avalées les unes après les autres. Ou bien, la multiplication de kystes au niveau des genoux a pu créer une telle illusion cauchemardesque. La biologie en berne, je m’approche pour coller mon nez à la vitre. Le bas du corps fléchi, je tente de remarquer des micro-lésions quelque part, quelque chose. A part des blessures qui semblent infligées, rien ne porte à croire que le spécimen ait pu développer des complexes kystiques aussi larges.
Plus étrange encore, si les membres inférieurs avaient pu fusionner, rien n’expliquait cette excroissance au bout de la queue, parfaitement dessinée pour survivre en milieu marin. Plus troublant encore, restait le mystère incompréhensible de ses voies respiratoires. Pourtant, il a une tête d’humain.
C’est un humain. Il ne peut pas être autre chose. C’est juste une étrangeté malade, mise en stase pour lui éviter les pires souffrances. Sa vie dehors serait de toute manière impossible. Je pense comprendre le rôle de ce laboratoire : les comprendre. Identifier les causes de ces étranges déformations, développer des vaccins, tenter d’éradiquer des futures épidémies.

« Est-ce qu’il a développé un système de branchies sous l’eau, ou est-ce que c’est l’état dans lequel vous l’avez mis qui lui permet de survivre en milieu aquatique ? »

Mes yeux peinent à quitter les écailles et tout ce que ce corps famélique semble vouloir me dire. Il me fait comprendre mes erreurs, mes doutes, incarne mes peurs et détruit toute affirmation biologique. Pourquoi le milieu aquatique, en particulier. Pourquoi semble-t-il adapté en tout point à un mode de vie hybride ? Pourtant, ses muscles supérieurs ne sont pas plus développés pour permettre de marcher sur les mains. Est-ce qu’il avance comme un phoque, ou comme une otarie, sur surface terrestre ? Ses palettes natatoires sont si minuscules, à part au niveau de la queue.
Le triton
Notre invité triton.
La biologie est en berne, et il me faut cligner plusieurs fois des yeux contre la vitre.

« Triton, c’est le nom du virus, pas vrai ? »

Pas vrai ? sonne comme un sale pitié. Pitié de ne pas ébranler mes connaissances, la vérité, la logique et toutes les études pré-2013.

Jeu 7 Sep 2023 - 15:42

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tw : expérimentation, discours suprémaciste, spécisme

Elisheva reste silencieuse face aux questions de son apprenti, pour le moment. Elle l’observe observer, elle le guette pendant qu’il interroge, qu’il suppute comme tout scientifique le ferait avec de la prise de notes électronique, comme elle-même continue de le faire au quotidien. Ce n’est que lorsqu’elle l’entend parler de virus qu’elle intervient, comme une mère détournerait gentiment l’attention de son enfant pour le réorienter dans la bonne direction. « C’est une manière intéressante de voir les choses. Vous n’êtes pas le premier à penser que le gène surnaturel est un gène malade, et certainement pas le dernier. C’est néanmoins incorrect. » Sans ménager de temps pour digérer l’information, elle l’invite à se pencher sur le microscope à sa suite. Là, sur la lamelle, se trouve un prélèvement de larynx, joyau du pouvoir des tritons et des sirènes. Elle pourrait tout lui expliquer, tout lui servir sur la table en formica – que leur espèce n’a pas deux, mais huit cordes vocales imbriquées qui forment une unité similaire à un second cerveau. Elle pourrait parler longtemps des écailles dont la densité change en fonction de l’environnement et du danger. Elle pourrait expliquer les photons, la rhodopsine et le signal biochimique qui leur permet de voir dans les profondeurs de l’océan. Mais chaque réponse est une pépite d'or, minée à la pelle et à la pioche dans une caverne sombre et solitaire — elle les offrira avec la révérence qu'il se doit. « Nous parlons plutôt de mutation, avec la compréhension que certaines espèces pré-datent l’homo sapiens. En l’occurrence, le triton a développé ses caractéristiques sous-marines bien avant que les hominidés ne développent leurs jambes. » Elisheva a appris très vite que l’histoire et les traditions sociales d’une espèce étaient aussi à considérer pour informer les découvertes biologiques. Elle trace simplement une limite au folklore et aux contes de bonnes femmes. Si on enlevait aux tritons leurs croyances ridicules et cette mauvaise habitude de venir envahir le territoire humain, ils devenaient un peuple assez fascinant. « Ce qui est intéressant, c’est que la quasi-intégralité des créatures surnaturelles connues aujourd’hui peuvent adopter un aspect humanoïde, ce qui semblerait suggérer que l’humain est au minimum un standard à atteindre, et pour certains, la mutation supérieure. » Et de là, bien sûr, leurs recherches deviennent un instrument politique – potentiellement une question de survie.

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Ven 13 Oct 2023 - 17:51

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tw : peur existentielle, discours génocidaire et eugéniste

Le sol est un gigantesque terrain de glace. Les murs sont de neige. L’air est glacial.
Je cligne trois fois des cils. Il semble y avoir de la rosée sur mon front. La nuit se lève et, accumulée depuis des années, elle vient s’accumuler sous mes cernes. La langue d’Elisheva est précise et claque avec des sons de taule sur mon crâne trop rigide. Elle parle de mutation supérieure.

Mutation supérieure.

« Jamais entendu parlé des mutations supérieures à l’université, madame Eisenbach. »

Elle parle d’humain et de triton, comme si les espèces étaient drastiquement différentes. Là où elle voyait une structure, je voyais une anomalie à éradiquer. Les gênes malades allaient se propager, et notre devoir était d’empêcher cette diffusion. Mes yeux fixent la lamelle. J’ai cinq ans d’études scientifiques, et elles brillent par mon incapacité à compter jusqu’à huit. Les cordes vocales sont très larges et effilochées. Elles forment des nœuds internes dans le muscle, formant une pure illusion de multiplicité. Je déglutis. Elisheva Eisenbach ne serait pas tombée dans un piège si grotesque.
La rosée tombe dans l’oeil du microscope, qui vient brouiller ma vision et celle de toute la science. La nuit se lève au son des chants de sirène. Ma main réfrène, tant bien que mal, l’envie de me percer le tympan pour ne pas les écouter. J’aimerai me pencher vers le microscope ; la vision toute entière est trouble, désormais. A lever mes yeux, ils peinent à se fixer sur le reste de la pièce.

Il y fait terriblement froid, glacé, et quand viendra le soleil et la lumière, je claquerai de la mâchoire pour bien d’autres raisons.

« D’où viennent ces mutations … ? »

La question tremble et vient s’éclater sur le formica. Je reste pendu, craintif, à ses lèvres. Elle ne vacille pas face aux lamelles, aux monstres enfermés et aux menaces qui pourraient être invisibles. Admettre l’existence du surnaturel, c’est admettre l’injustice de ceux qui ne le sont pas. C’est hocher la tête face à la banalité du genre humain, et peut-être que ma voix changera légèrement en apprenant que mes cordes vocales sont deux au lieu de huit. Nous serons des standards à l’ancienne, un peu démodé.
Admettre l’existence du surnaturel, c’est comprendre que la menace peut être invisible, indicible, plus puissante.

Je cligne une nouvelle fois des yeux. Le soleil se lève et vient m’arracher la rétine.

« Comment elles adviennent … ? Sous quels critères ? Serait-ce qu’une question d’évolution ? Comment expliquer l’absence de mutation auprès de certaines personnes ? Est-ce que les phénomènes de malfonction peuvent être considérés comme des mutations assimilées ? »

Ma voix se fait pressante.
Je demande « d’où », « comment », « pourquoi », « de quelle manière », mais il y a cette question qui me brûle la langue.

« Qui ? »

Qui les a ordonné, quel est le premier évènement de mutation, et surtout, qui autre a ordonné une modification sur l’Humanité à part le hasard malheureux non ordonné ? Je refusais de croire en un hasard divin ; ce n’était pas Son genre à instaurer une telle inégalité. Si elles existaient, elles étaient le ressort d’un libre arbitre de chacun, une sorte d’heureux hasard et de malheureuse malédiction, en fonction.
L’idée d’avoir une aussi forte injustice dès le départ, là où notre libre arbitre n’est pas présent, et affectant les génomes d’aussi loin, me semble être un cauchemar théologique. Ma croix semble se serrer contre ma blouse, et ma clavicule brûle sous l'argent, l'or et le laiton.

Qui d’autre, à part Lui ?

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