Le reflet des diamants brille sous les rayons du soleil, éblouissant la vitrine devant laquelle se tient la gorgone. Elle a quelques minutes d’avance et ce n’est pas par hasard. A chaque fois qu’elle vient voir Dakota, elle aime flâner un instant devant la beauté et la richesse de cette vitrine. Avec le temps, elle pensait que l’attrait des belles choses finirait par la lasser. Voit-on encore à quel point brille un diamant quand on en porte tous les jours ? Est-on toujours aussi sensible au luxe quand il définit notre quotidien ? Elle n’avait pas grandi dans l’opulence, loin de là, mais elle avait passé plus de temps aujourd’hui à vivre très confortablement que le contraire. Quand on la voyait, quand on prononçait son nom c’est à sa fortune qu’on pensait en premier. Les Stonegold ont plus d’or qu’ils ne pourront jamais en créer. Les Stonegold ne manqueront jamais de rien. Elle n’aurait pas l’idée de s’en plaindre ou de chercher à prouver à quel point cette situation peut être pesante. Il faudrait être bien présomptueuse et franchement hypocrite. Non, elle aimait cette situation, elle aimait ne pas avoir à se méfier de l’avenir, ne pas avoir à se restreindre et avoir la possibilité d’aider ceux qu’elle pouvait. Mais, elle était persuadée au fond d’elle-même qu’il était aussi sain pour elle de continuer à entretenir cet émerveillement. Ne pas trop s’y habituer, ne pas le prendre complètement pour acquis. Elle avait déjà tout perdu dans la vie et elle savait à quel point ce genre de chose pouvait arriver vite. C’était à elle de rester vigilante et de ne pas laisser son cœur être complètement transformé par les richesses qu’elle possédait sans avoir même à lever le petit doigt.

L’esprit perdu dans le vide, elle reste ainsi quelques minutes à observer un bracelet scintillant avant de se rendre compte qu’à trop trainer, elle va finir par être en retard. Se reconnectant au présent, elle croise son reflet dans la vitre, replace une mèche de cheveux derrière son oreille et pousse la porte du Boss Jewel. Une vendeuse à l’allure parfaitement soignée s’approche d’elle. « Bonjour Mme Stonegold, comment allez-vous ? » Elle lui sourit, hoche la tête. « Très bien Vanessa et vous ? » Sans attendre réellement la réponse, elle jette un coup d’œil autour d’elle et l’interroge. « Je viens voir Mme Williams, elle est bien là ? » La jeune femme approuve d’un mouvement du menton et lui indique une petite porte dérobée que la gorgone ne connait que trop bien. Après un sourire poli, elle s’y dirige d’un pas svelte, tape trois petits coups sur le bois du battant et pousse la poignée. Assise derrière un grand bureau, elle reconnait instantanément la chevelure électrique de Dakota. « Hello, désolée je suis un peu en retard, je me suis laissée émerveiller par ta vitrine. » Elle lui dit alors qu’elle se rapproche d’elle et vient coller une bise sur l’une de ses joues. « Comme toujours. » Elle ajoute avec un petit clin d’œil avant de déposer son sac sur un fauteuil. « Ca me fait plaisir de te voir, ça fait une éternité, j’ai l’impression. Comment vas-tu ? Les affaires marchent toujours bien j’ai l’impression. » Admirative, elle porte un regard circulaire sur l’endroit avant de s’appuyer sur le coin d’une table, reportant son attention sur la jeune businesswoman.

Elle avait toujours trouvé ça naturel, de complimenter et d’encenser les autres femmes. Elle ne saurait dire si son habitude c’était accentué en devenant une gorgone, mais aussi loin que remontaient ses souvenirs, elle était persuadée de n’avoir jamais gardé pour elle une parole bienveillante ou encourageante. Elle était plus réservée avec les hommes, ils prenaient chaque compliment pour une invitation à engager une relation plus profonde quand elle ne soulignait que l’habilité avec laquelle ils venaient de planter un clou. Mais les femmes avaient cette capacité à recevoir les compliments pour en faire des forces et continuer à avancer en sachant que la route s’ouvrait devant elle. C’est ce qu’elle voit dans le regard de Dakota à chaque fois qu’elle lui parle de sa réussite et de son admiration pour elle. Si c’est naturel pour elle, Shoshana sait également que ça ne l’est pas pour tout le monde, ce qui renforce sa bienveillance à cet égard. Rapidement, elle a compris que dans les bonnes oreilles, ses paroles pouvaient remplacer celles d’une mère, d’une famille absente et permettre à ceux à qui la vie avait dénié d’être entouré par les liens du sang de gouter à la fierté que cela pouvait apporter. Rhaegar se moquait souvent d’elle et de son grand cœur, prête à accueillir le moindre orphelin, considérant tous les jeunes cœurs qu’elle croisait comme ses propres enfants. De son côté elle n’en rougissait jamais. Si elle pouvait être une mère de substitution pour tous ceux qui en avaient besoin, elle le serait sans hésiter un seul instant. C’était ça, au fond, elle en était persuadée, l’instinct maternel.

« Je veux bien un thé oui, merci. »  Elle répond poliment, passant une main délicate dans ses cheveux parfaitement coiffés. « Et voir ces boucles d’oreilles aussi, bien sûr, tu sais que je ne dis jamais non. » Dakota connaissait ses gouts depuis le temps et elle aurait presque pu acheter des bijoux les yeux fermés, si elle n’avait pas trop aimé les observer. La gorgone s’assoit dans l’un des fauteuils à disposition en même temps que son hôte retire une poussière de son pantalon gris d’un geste rapide. « Tu es un amour. Oui c’est l’enfer vraiment, le gouvernement est devenu fou. On essaye de tout faire pour rester dans ses bonnes grâces cela dit, on a très peu envie de finir comme les Lightstorm. » Elle lui lance un regard entendu même si son estomac se tord à l’évocation de la famille de son ex-mari. Elle n’aurait jamais cru pouvoir dire ça un jour, mais la disparition de Cadmus l’inquiétait presque autant que celle d’Alaya. Il était difficile de vivre chaque jour sans savoir de quoi demain serait fait pour sa fille et cet homme qui avait un jour tant compté. Si elle avait cherché la jeune dragonne dès les premiers jours, il était aussi très délicat pour elle de réellement se lancer à sa poursuite sans risquer de la mettre en danger. En bonne mère poule, elle ne cessait cependant de s’inquiéter. Dans un sourire un peu triste elle ajoute pour justifier son silence. « Je m’inquiète beaucoup pour Alaya, comme tu peux imaginer. Mais je pense que l’on progresse tout de même, j’ai beaucoup d’espoir dans le Pacte. C’est ce qu’il nous faut, l’espoir. » S’il était impossible aujourd’hui de savoir qui faisait partie de l’organisation, elle savait qu’elle ne prenait pas beaucoup de risque à la mentionner devant Dakota. Elle avait une grande confiance dans la jeune femme. « Malgré tout, la situation chamboule beaucoup de choses, je vois de plus en plus de détresse chez les femmes du centre. » Elle précise l’air songeur en revoyant les visages terrifiés de ces surnaturelles déjà dans des situations précaires sur lesquelles les dernières lois du gouvernement avaient eu l’effet d’une bombe.  

« Elles sont incroyables. » Elle dit alors que Dakota posait devant elle les superbes boucles d’oreilles. Sans attendre, elle ôta celles qu’elles portaient aux oreilles pour les essayer. Il y avait un certain décalage entre leur discussion et l’essayage de bijoux luxueux qui aurait pu paraitre étrange pour beaucoup mais qui lui semblait pourtant naturel. C’était peut-être l’apanage des plus fortunés, regarder le monde avec inquiétude du haut de sa tour d’argent. Shoshana passait sa vie à s’inquiéter pour les autres, mais elle ne se privait jamais de se faire plaisir. Etre misérable elle-même ne rendrait pas les autres plus heureux. Avec le temps, elle avait appris à ne pas culpabiliser de ce qu’elle avait mais à simplement chercher à ce que les autres puissent avoir leur part également.

« S’il n’y avait pas Alaya, les Lightstorm ne m’intéresseraient pas beaucoup, je peux te l’assurer. Mais je ne veux pas que mon bébé souffre, tu me connais. » Elle lui sourit avant de reporter son attention sur son reflet, subjuguée par l’imposante présence des cercles pendant à ses oreilles. Haussant les épaules, elle croisa son regard. « Je n’ai pas beaucoup d’informations sur le Pacte en réalité. Je pense comme toi, c’est ce que l’on a de mieux depuis le Conseil, mais l’organisation est trop secrète. Rhaegar tente de les approcher, mais personne ne sait réellement qui ils sont. On dit que ce sont eux qui viennent à vous. Je ne sais pas trop quoi penser, mais j’ai envie de leur faire confiance. J’ai l’impression qu’on n’a pas trop le choix. »

Pendant quelques secondes, elle se repassa des discussions avec son mari et une partie de la famille. Les Stonegold avaient décidé de montrer bonne figure, de se recenser et de prétendre aller dans le sens du gouvernement, pour ne pas faire trop de vagues. Mais personne n’était dupe, la famille gardienne cherchait un moyen de reprendre l’ascendant et de rétablir un équilibre que le Conseil leur apportait jadis. Elle soupira un peu, puis repris une posture plus droite, les yeux légèrement illuminés. « C’est vrai ? Oh Dakota ça serait super. On a toujours besoin de structures prêtes à accueillir ces femmes. Je pense même à l’une d’entre elle, Carolina, je suis sure que vous vous entendriez. Un boulot chez toi serait la meilleure chose pour elle. » Elle se leva, s’approcha de la femme d’affaire. « Elle a déjà bossé pour une grande boutique, mais son mari était un idiot qui ne voulait pas lui laisser la moindre liberté. » Une lueur de rage passa sur son visage. « Peut-être que je pourrais venir avec elle un jour ? » Elle marqua une courte pause. « Ou que tu pourrais passer au centre ? Voir un peu ce que l’on fait ? » Elle croisa son regard. Elle avait toujours décelé chez Dakota une affinité pour ce que ses sœurs et elles faisaient dans ce centre et pour la race même des gorgones. Au fond d’elle, elle avait toujours espéré la convaincre de les rejoindre, un jour.