J’avais écris des notes sur mon téléphone. Nova-Blue m’avait beaucoup parlé d’elle. C’était une personne volcanique, et elle portait bien son prénom. C’était l’enfant rouge des Herondale, avec des émotions en vrac de partout, prête à exploser. Elle avait la fierté des enfants qui avaient trouvé des personnes avec qui jouer, sans la joie en face pour réagir. Je comprenais pourquoi Nova-Blue pouvait être excédée, mais quand je me risquais à un commentaire, je me heurtais à une avalanche froide et glacée.
J’avais rapidement compris qu’en tant qu’enfant unique, je ne comprendrais pas les sœurs Herondale. J’avais tenté, j’avais essayé d’imiter le langage de Nova-Blue, en espérant que ça plaise, qu’on s’y confronte. Le positif faisait criser, le négatif hurler. Je présumais qu’en me taisant comme un clébard, ça irait mieux. Je hochais alors la tête, parce que c’est ce que faisait les chiens sur les banquettes arrière des voitures. J’étais alors en plastique, dans l’incompréhension, et depuis, les disputes sur le sujet avaient cessées.
Scarlett jouait ce soir-là. C’était une petite pièce universitaire. J’avais tenté de me documenter sur le théâtre. Sur un petit carnet, je note quelques termes techniques. Performance, organique, mise en scène, jeux de lumière, occupation de l’espace, conscience de soi. Je comprends pas réellement. On parle de performance pour des sportifs. L’organique, je connaissais, mais je peinais à voir le rapport avec la scène. La mise en scène semblait être une science que je ne perçais pas, et en tant que biologiste, c’était frustrant. Les lumières étaient artificielles, et je comptais sur des bases de la physique des couleurs pour pouvoir meubler.
Le reste, c’était flou. L’occupation de l’espace était souvent théorisée. J’avais fais des schémas sur mon carnet, dans tous les sens. On avait le cercle, les bras, les énergies, et des choses qui me semblaient abstraites et absurdes.
Les artistes étaient cons, à imaginer des choses spirituelles sur des emplacements calculés. Je comprenais le besoin de croire en des choses, mais la conscience de soi dépassait toutes les limites de ma faible tolérance. On parlait de point de gravité, de science du pas, d’élans corporels.
Mon carnet ne ressemblait à rien.
Pour me rassurer, je tourne deux pages et fixe des planches dessinées des compartiments cytosoliques. Je préférais. Il y avait quelques formules au dessus : K+, Na, Cl. J’imaginais les ions danser entre eux, les connexions moléculaires. Mon coeur s’apaise devant des schémas brouillons de la glycogénogenèse. Deux de mes doigts s’appuient au niveau de mon foie, que j’arrive à matérialiser et à comprendre le mécanisme profond. Je l’imagine respirer, synthétiser le glucose pour mon bon fonctionnement. J’ai envie de le remercier et je me sens empli de gratitude devant les flèches tourbillonnantes expliquant le cycle de production du glucose.
J’avais envie que Scarlett m’aime bien. Sans les comprendre, j’utiliserai les mots comme catharsis et néo-contemporain. Elle hochera la tête. Je l’ai lu dans des magasines artistiques. Tout le monde parle de production, d’utilisation numérique au profit d’une catharsis prodigieuse. Je parlerai de son jeu, que je qualifierai d’organique et d’époustouflant.
Je serai le meilleur critique artistique. Tout était question d’argot.
« Scarlett ! »
Je l’attendais dehors quand elle vient prendre l’air. J’écrase rapidement ma cigarette. J’ai pas envie qu’elle me voit en train de fumer. Qui sait, elle était peut-être de celles qui ne supportaient pas ça. Elle irait voir sa sœur et dirait de rompre absolument avec moi. Non mais Nova-Blue, c’est n’importe quoi, d’abord la cigarette, ensuite c’est quoi ? Le cannabis ? La cocaine ? L’héroïne ? Je tremblotte sur mes jambes trop molles pour supporter le poids de ma pression. Je tente de penser fort aux phagocytes, qui passent leur temps à avancer en recherche de spooning.
Je trouve ça plutôt mignon, les phagocytes.
« Je suis Ambrose, le copain de Nova-Blue. Je suis content de te rencontrer et ... » Je prends une inspiration et les articles de théâtre s’ouvrent devant mes yeux. « … Vraiment c’était super ce soir je veux dire … Ton jeu m’a pris aux tripes … On sentait vraiment le désespoir et le déchirement moral de ton personnage face à ses dilemmes entre pouvoir et famille … Puis tu avais une telle occupation de l'espace, tu ... On sentait que tu étais vraiment en pleine conscience de ton espace et de toi-même. Bravo. Vraiment. C’était digne d’une tragédie antique je … Mais tu vois, c’était à la fois si actuel, si néo-contemporain … Je parle de néo-contemporain parce que c’était presque … Presque dystopique. Ca nous présentait des morceaux de société future, sans pour autant rentrer dans une science fiction absolument vulgaire et sans intérêt. Franchement, j’ai failli verser ma larme à la fin tant c’était organique ce que vous nous avez présenté … Je me sens détendu là, après avoir vécu une telle catharsis. »
J’ignore tout de mon sujet, je confonds les tragédies avec les comédies, et actuellement, je deviens un bouffon malgré moi. Je nie le calme et écrase le besoin d’isolement après le jeu.
Je ressemble à un mauvais fan, tandis que j’essaie d’acheter une particule à mon nom de famille, parce qu’Ambrose Atkins-Herondale ça sonnerait bien.