feeling miserable (elisheva)

La porte est en bois et un carillon fredonne une mélodie doucereuse au rythme du vent qui agite les feuilles des arbres. Il n’a pas besoin de regarder où il se trouve. Ce n’est pas le genre d’objet que l’on accrocherait dans cette maison. La première fois qu’il était venu, il l’avait aussi entendu. Ca lui avait donné du courage, il n’avait pas bien compris pourquoi. Comme la mélodie du dernier pas, une façon de se dire, c’est bon, tu peux le faire. Il se souvient comme il était anxieux, stressé de ce qu’il pourrait trouver. Il n’avait pas pour habitude de parler de lui. Pas depuis toujours, encore moins depuis quelques années. Il était un secret pour éviter d’avoir à montrer qu’il n’avait rien de réellement intéressant à cacher. Il était la déception d’une famille, d’une race et d’une vie. Moins bien mystérieux qu’un être qui reste muet et vague sur son passé. Il n’avait rien accompli de spectaculaire, il s’était contenté de détruire tout ce qui se trouvait sur son chemin, morceau par morceau, avec la précision d’un horloger et la barbarie d’un bourreau. Mais le carillon avait sonné, comme le nouveau départ symbolique de cette vie qu’il construisait petit à petit. Les Riverwood l’avaient envoyé là. Cette famille qui l’avait choisi plus que l’inverse l’avait encouragé à se confier et c’est ce qu’il avait fait, la mémoire du carillon raisonnant à ses oreilles. Maintenant le bruit était familier. Pendant sous le porche d’en face, il lui évoquait ces quelques instants avant de la voir.

Cette fois, il n’avait pas rendez-vous. Ses mains sont moites et son souffle court, alors qu’il abaisse son poing sur le bois familier. Le carillon l’encourage mais ce sont les mots de sa sœur qui résonnent réellement dans le creux de ses souvenirs. Enroulée autour de son poignet, la chaine en or lui scie la peau alors que ses doigts sont serrés nerveusement autour d’un médaillon dont les bords rentrent dans sa chaire. S’il lâchait prise, tout partirait en miette, il en était persuadé. Tout était parti de là, il n’aurait jamais dû porter ce bijou, mais elle le lui avait offert et il y tenait presque autant qu’aux pierres qu’il portait déjà à son cou. S’il avait su, il l’aurait gardé comme un secret, comme le reste. Mais la promesse qu’il lui avait apportée était bien trop belle pour qu’il l’enfouisse au fond d’un tiroir. Il en était fier, il s’y était accroché. Et par sa faute, aujourd’hui et comme toujours, tout était sur le point d’exploser. Il espérait qu’elle trouverait une solution. Il espérait surtout qu’elle ne lui demande pas simplement de rentrer chez lui et de ne jamais revenir. Il espérait qu’elle ne lui reprenne pas cette promesse et ce lien qu’ils avaient tissé avec la plus grande délicatesse et qui lui permettait d’aller de l’avant et d’imaginer un futur. Une ombre se dessine sur le flou de la vitre taillée dans le bois et il reprend une respiration pour se donner plus de courage. Quand la porte s’ouvre, ses yeux sont rivés sur le bout de ses chaussures, prêts à laisser s’échapper les larmes de la honte et du désespoir. Elle n’aime pas quand il pleure alors il se retiendra. Il reconnait ses chaussures à elle, les noires qu’il aime bien et ça le rassure un peu. Relevant le regard, il l’aperçoit qui se tient face à lui, probablement surprise de le voir. « Désolé. » Il dit simplement, s’excusant de la déranger ou simplement d’être ce boulet qu’elle doit maintenant trainer sur le chemin autrefois tranquille de sa vie, puisqu’il s’est accroché à elle et se retrouve incapable de lâcher prise.  

« Entre » Elle dit de ce ton froid et vide qu’elle utilise toujours mais qui ne l’a jamais dérangé. Elle est cette entité que l’on ne questionne pas et qui rassure autant qu’elle effraie. Jamais un faux pas, jamais une expression plus marquée qu’une autre. Il est pathétique à ses côtés mais sa droiture l’aide à corriger les défauts de son existence désarticulée. Elle le rend à la fois plus misérable et plus heureux que jamais. S’il avait un minimum de bon sens, il questionnerait plus souvent ce sentiment d’infériorité qu’elle accentuait d’un regard ou d’un haussement de sourcil. Mais il était comme un gosse à la recherche d’un sourire, d’une attention, quémandant les miettes de rien qu’elle pouvait lui donner pour s’en faire un festin qui comblait juste assez sa faim pour le maintenir à ses côtés. Elle l’hypnotisait, si elle avait cru à la puissance des surnaturels. Elle lui offrait un cadre qui sur le moment lui semblait indispensable à son maintien.

La maison est familière mais il y s’y déplace comme un parfait inconnu. Il y est venu si souvent qu’il pourrait la voir les yeux fermés. Chaque objet à une place définie, chaque grain de poussière éradiqué avant même d’avoir pu toucher la moindre surface. Tout est familier mais rien n’est accueillant. Il pourrait se trouver dans une maison témoin ou une maison abandonnée, il n’y avait que la propreté pour faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. Et lui, droit comme un piquet, planté au milieu du passage, trop inquiet de déranger l’ordre établi ou de déranger la maitresse des lieux avec ce qu’elle devait considérer comme des banalités peu dignes de son intérêt. « Installe-toi dans le salon. Nous sommes seuls. » Il hoche la tête et prend place dans le même fauteuil que d’habitude, s’installe sans se mettre à l’aise. Il n’est pas chez lui, ne le sera jamais, pourtant il ne ressent pas ce malaise de l’inconnu. Tout ici est familier. Le verre de vin qu’elle lui apporte alors que le gout l’écœure, le regard qu’elle pose sur lui alors qu’il avale tout de même une gorgée pour ne pas paraitre malpolie. La lueur sur son visage quand elle lui ordonne « Raconte-moi. » alors qu’il commence à se tordre les doigts de gêne. Il a posé le verre sur la table basse, tend la main vers elle pour glisser le médaillon dans ses doigts blanchâtres.

Pendant un instant il garde le silence, espérant peut-être qu’elle trouvera une solution au problème qu’il n’a même pas le courage d’évoquer. Mais quand le silence s’éternise, il se décide enfin à croiser son regard et à délier sa langue. « Rhea est tombée dessus. Elle … Elle m’a encore posé des questions. Trop de questions. Elle est tenace, elle est … » Il veut l’insulter mais les mots ne sortent pas. Il ne la hait pas comme il devrait. Rhea a toujours été à ses côtés, il sait qu’à sa façon, elle tient à lui, qu’elle s’inquiète et il sait qu’elle a raison de le faire. Malgré tout elle est devenue sa sœur et au fond, ça compte aussi. « Je lui ai menti. Mais je ne pense pas que ça suffise. Pas cette fois. Elle n’est pas stupide. » Il conclu d’une voix hésitante, légèrement tremblante avant de se taire et de la fixer sans pour autant croiser son regard. Attendant patiemment que la solution lui soit livrée sur un plateau d’argent et qu’il n’ait plus à se soucier de rien.

« Peut-être qu’il est temps pour toi de partir. » Elle lui dit. Et pendant une fraction de seconde, il s’aventure à croiser son regard. Il ne pensait pas à partir. Il était parti si souvent, avant, ça avait été sa réponse à tout, pendant longtemps. Il savait que sa vie n’était pas parfaite, mais il avait eu l’impression ces dernières années qu’elle s’améliorait et qu’il n’aurait plus à partir. Partir c’était renoncer, c’était un échec. Un de plus. Il ne voulait pas partir. « Tu n’es pas un menteur, Zephyr, et je vois bien que tu t’écartèles pour faire ce qui est juste. » Elle lui parle comme à un enfant, il s’en rend compte. Ca l’apaise un peu. Il n’est pas un menteur. Il n’est pas quelqu’un de bien, mais il essaye. Il essaye d’être à la hauteur. D’Elisheva, des Riverwood, des dragons, des hommes. Il essaye d’avoir une place dans le monde qui veuille dire quelque chose, qui vaille la peine d’être occupée. Toute sa vie il n’avait fait que briser les choses, il avait envie de faire mieux. Il avait envie de compter. « T’extraire de cette situation serait sans doute un pas dans la bonne direction. » Elle avait surement raison, elle avait toujours raison. C’était pour ça qu’il se tournait vers elle, pour ça qu’il était là aujourd’hui alors qu’il n’avait pas été capable de trouver une solution lui-même. Mais il n’avait pas envie de partir.

Il gratte un fil qui dépasse sur le fauteuil avant de se rendre compte que le mouvement répétitif doit l’énerver. Il s’arrête, tête baissée il murmure. « Je n’ai pas envie de partir. » Il ne sait pas trop s’il a le droit de le dire, si elle ne va pas le rejeter après ça. Il serait prêt à changer totalement d’avis si elle le mettait à la porte. Il ne pouvait pas se permettre de la perdre. Mais il ne voulait pas perdre sa famille non plus. « C’était pas le plan. » Il rajoute en fixant l’armoire ancienne qui trône dans un coin de la pièce. Il lui faut une autre solution. Quelque chose de plus miraculeux. Il ne veut pas fuir, il ne veut pas tout perdre, encore. Il est peut-être trop gourmand, mais il a envie de croire que cette fois, il peut faire mieux. « S’il te plait Elisheva, laisse-moi rester. Je veux réussir, je veux servir à quelque chose. C’est là que je pourrais être utile, pas loin, pas ailleurs. » Il a l’impression qu’il pourrait s’écrouler sous la pression, mais il se retient bien de verser la moindre larme, elle ne le supporterait pas. Il n’était pas prêt à partir car il y avait peut-être encore de l’amour pour lui au sanctuaire et égoïstement, il était prêt à tout pour en recevoir quelques gouttes.

Il retient son souffle. Il ne s’en rend pas compte tout de suite mais le réalise alors qu’Elisheva tend sa longue main gracieuse en sa direction. Elle a pris le temps de la réflexion et chaque seconde était une torture pour lui. Un instant de plus privé d’air, rempli d’une angoisse qu’il n’avait pas anticipé. Il ne lui tenait jamais tête, il n’aurait pas osé. Elle savait mieux que lui, pensait mieux que lui, était mieux que lui. Elle aurait pu s’énerver, le renvoyer chez lui, seul face à ses problèmes et ses ambiguïtés. Mais elle était mieux que lui. Au lieu de le repousser elle l’attire vers elle, l’accueille inlassablement près d’elle et il plonge tête la première dans ce sanctuaire qu’elle crée près d’elle. Ses doigts qui courent dans ses cheveux, l’odeur luxueuse qui émane d’elle, le touché délicat du tissu de sa robe. Il est figé dans un mélange de peur et de douceur. Pris entre les phares d’une voiture qui fonce à toute allure et qui pourra ou non s’arrêter. Elisheva était mystérieuse autant qu’apaisante. Son aura l’enveloppait et le réconfortait autant qu’elle le terrorisait. Il n’aurait pas su mettre de mots sur leur relation. Il savait juste qu’il aurait été prêt à tout pour elle. Et au fond, ça devait bien vouloir dire quelque chose.

Elle mentionne Rhea et la réalité le rattrape. Le visage de sa sœur s’impose à lui. Son regard inquisiteur, ses questions qui ont frappé en plein coeur. Rhea serait un problème autant qu’elle lui était précieuse. Il n’avait jamais gagné, il aurait été étonnant qu’aujourd’hui il puisse le faire sur tous les tableaux. Il fallait qu’il choisisse. Rhea était grande, elle saurait se défendre. Elisheva ne laisserait peut-être pas passer une autre contrariété. « Ca pourrait être bien, oui. » Il dit sans oser bouger, le visage appuyé sur les jambes osseuses d’Elisheva. « Il ne faut pas lui laisser d’opportunité, elle est douée et obstinée. » Elle est super, il se dit à lui même. Beaucoup mieux que lui, beaucoup plus forte et intelligente. Elle ne méritait sûrement pas d’être jetée en pâture à la première occasion. Mais que pouvait-il faire d’autre ? Il ne pouvait pas gagner sur tous les tableaux. « Je peux aider. Je peux m’arranger pour l’amener quelque part et que tu la croises. Je peux aider. » Il répète pour la convaincre autant que lui. Il peut aider, même s’il ne sait pas bien à quoi, même s’il n’est pas totalement sûr que ça soit la chose à faire. Il aidera si elle lui demande. Il fera n’importe quoi, si elle lui demande.