you aim you attack you lose⋆ You, you play But there are no winners in the game I wanna know the final stage Where we go when the curtain fades
Tu te souviensBien sûr, que je me souviens. Maïa gît dans mon crâne comme l’image d’un échec, d’un sauvetage impossible. Elle avait été pointée comme la raison de tous nos malheurs, et comme le point de rupture de tout. Elle avait été déclencheur de ma fuite, de sa furie, de sa haine. Nous étions trois, et pourtant, il me semble impossible de distinguer de qui je parle réellement en attribuant des qualificatifs. Erin m’en parle, crache, et me hurle de me souvenir. Au fur et à mesure de ses mots, il semblerait qu’elle ait perdu la tête, qu’elle tire sur les ficelles de mes nerfs, en faire des écharpes jusqu’à venir m’étrangler, des fils pour lever mon bras, tirer sur la gâchette, ne laissant qu’un vague sentiment étrange. Est-ce que c’était supposé être comme ça que ça se passait ? Etais-je supposé tuer mes idoles, mes mentors, pour accéder à des cercles plus haut ? Erin connaissait notre organisation, et elle me faisait passer un test étrange.
Quand elle pointe son pistolet sur son coeur, c’est ce que je me dis.
C’est plus agréable que d’imaginer que les nombreuses traques lui ont fait perdre la raison.
Je me souviens de cette nuit là comme d’un plan mal éclairé, monochrome. De temps en temps, il revient dans mes cauchemars s’imprimer calmement sur mes rétines. Tout avait eu l’air surréaliste. J’ai fuis Alicia et nos fiançailles soudainement, comme si tout ça n’avait pas vraiment existé. Erin était repartie, nous faisant comprendre qu’on avait rien compris depuis le départ. Me faisant comprendre que je n’avais pas été totalement le frère qu’elle voulait avoir, peut-être. Pourtant, j’ai l’amertume au fond de la gorge d’imaginer que nous avions été liés par des circonstances macabres, par la volonté de ne pas mourir en mission, et que les moments supplémentaires passés n’étaient que de vulgaires moyens d’aiguiser nos réflexes pour se sauver l’un l’autre.
Je me souviens de Maïa, tout comme je me souviens de toi, Erin ; de tes promesses à deux balles, de tes marshmallows qui collaient aux dents et de ta chambre trop impersonnelle avec quelques photos qui semblaient trop mises en valeur pour compter pour que dalle. Je me souviens de toutes ses nuits où j’ai perdu un peu de mon innocence pour te sauver, que ce soit quand on était ensembles, dans le même camp.
Ou même quand tu clamais haut et fort n’avoir rien à faire avec nous.
C’étaient des conneries, ça. Tu le savais. On a toujours eu quelque chose de lié, que tu le veuilles ou non. Prend des bus à travers les Etats-Unis, crache ta haine aux yeux des civils, trahis les tiens au nom de ta liberté. Ma mâchoire se serre. Mais sois honnête.
Dis le, que ces moments ont pas comptés pour rien. Je te refuserai le monopole de la tristesse et de la colère.
« Un lâche ? » Le pistolet est contre sa poitrine, et si je tire, j’atteins le coeur. Calmement, je fais sauter la sécurité d’un mouvement de pouce. Mes yeux ne quittent pas les siens. J’aimerai y voir une pointe de crainte, non pas pour savoir qu’elle a peur de moi. Je m’en fichais. Au fond, j’aurai apprécié voir qu’elle avait douté, un moment, que je puisse en être capable. Elle rit, crie, pleure.
C’est de la merde, ce mélange. J’essaie d’analyser ce qui prime, entre ses dents serrées et ses larmes qui tapissent progressivement ses joues. Est-ce de la colère, de la peur de la mort, une impatience ?
La dernière option me semble terrifiante. Et pourtant, elle est celle que je retiens quand mon genou vient se nicher dans son ventre pour l’envoyer valser, allongée sur le lit.
« Un lâche ? T’étais où, Erin, quand y a eu les attentats et que le Cercle avait besoin de toi ? T’étais où, quand on était à faire des cellules d’urgence parce que ces putain d’illuminés étaient devenus incontrôlables ? T’étais où, quand on avait besoin de toi, Erin, hein ? T’étais où ? » Sienna a raison. Erin est devenue l’une des leurs. Si elle a encore la décence de ne pas clamer des miracles, elle en porte des signes. Elle ose jouer avec sa vie, comme si elle avait le pouvoir de revenir d’entre les morts par la suite, miraculeusement. Je fulmine. Sans hésiter, je tire dans son épaule en guise de mise en garde. Dans le même geste, je dis adieu à tout espoir de voir une once de doute dans son regard. J’avais changé, elle aussi.
Elle n’aura ni le bénéfice de mourir en martyr, ni de s’ériger en victime sacrificielle. Entre les murs de ce motel, les coups de feu ont sûrement déjà résonné. Elle sera une énième retrouvée sur un lit, dans des circonstances étranges, et on se pressera de se questionner sur l’origine, voguant entre le conflit de gangs ou le trafic.
Erin ne sera qu’une épitaphe sur le journal. Si elle souhaitait mourir en héroïne, nous ne sommes pas de ceux qui vivent suffisamment pour avoir un rôle important. Mourir jeune n’en fera pas une exception. Peut-être qu’on trouvera ses dates un peu tristes, tout juste macabres, puis on passera à l’actualité sport sur la page suivante.
« J’attends que tu fermes ta gueule et que t’arrêtes de te prendre pour une putain d’héroïne, Erin. T’es pas mieux que nous. T’as jamais été mieux que nous. Tu t’es barrée d’un camp en trahissant, en abandonnant, en les rejoignant. Tu crois que c'est des putain de valeurs, ça ? Le monde va crever, et ça sera de ta putain de faute, Erin. Alors, considère juste qu’on arrête les frais ici. » Mes genoux écrasent un de ses bras contre sa poitrine, et l’autre contre le matelas. Je respire fort. J’ignore si c’est la peur de tirer, l’adrénaline qui tape contre mes tempes, ou l’anticipation de l’horreur.
Parce qu’elle me brise en deux, Erin. Je fulmine et crache de colère pour cacher ma culpabilité. Je l’avais pas tué, Maïa, ou du moins, pas tout à fait. J’avais assisté à la scène, mais je n’avais rien fais contre. J’avais été au courant, mais je n’avais rien fais contre. Alors, pourquoi j’ai sans cesse la sensation d’avoir porté le premier coup, d’avoir été à la place d’Alicia ce soir-là. Elle ne m’avait fait le récit exact de ses sensations, mais je les imagine, parce que je l’avais vécu, moi aussi.
Moi aussi, j’avais eu les mains pleines de sang en pensant sauver Erin.
Et pour ça, Erin est une putain d’ingrate.
« Ouvre la une dernière fois et c’est la gorge que je vise. » Le canon vient trouver son front.
Ne t’inquiète pas, Erin, ne n’oublierais pas de te regarder dans les yeux. Une part de ma mémoire y cherchera une lueur d’affection, histoire de chérir ta mémoire et d’imaginer qu’au final, t’étais pas une si mauvaise sœur que ça. Je me souviendrai de la sale sensation du sucre sur les dents, et me dirait qu'au moins, ça partait au dentifrice. Les mauvais souvenirs, eux, j'attends encore de les transformer, de les déformer, d'en faire une histoire qui sera plus douce à raconter.
Je me souviendrai que fut une époque, tu pouvais être douce, gentille, courageuse et admirable.
Je me souviendrai que j'ai vu cette Erin là, le jour où j'ai tenté de tuer l'autre pour ramener l'ancienne dans mon crâne.