CW : envies suicidaires, fin de déni
La terre est bleue comme une orange.
Le monde l’avait murmuré, sur le bout de vos lèvres. Si t’étais aussi orange qu’elle était bleue, avec de l’ammoniaque entre les phalanges et de phénoxyéthanol dans vos cheveux, les couleurs étaient sauvées. Des parterres de lycoris de mauvaises couleurs et de roses bicolores pourraient jaillir, que vous n’auriez jamais assez pour vous contenter de quoique ce soit.
J’ai les yeux fatigués de voir la terre continuer de tourner alors que je me sens tomber. Je ressens l’intégralité de la gravité sous mes jambes tremblantes. L’eau pénètre mes tympans et me voici sourd. La voix de Nova-Blue est déformée et parle entre le bleu des océans, le bleu de la mer, tandis que je suis qu’une minuscule, ridicule, absurde petite
orange assoiffée.
C’est alors que la vérité me frappe.
C’était extrêmement graveIl n’y avait rien de dérisoire dans cette affaire. Nova-Blue pourrait m’abreuver de ses poisons, m’étrangler de ses serpents, me figer de ses yeux,
je le savais déjà. Je l’avais senti.
Durant neuf ans, j’avais été pierre à ses pieds. Durant neuf ans, mes neurones avaient été esclaves de son image. Durant neuf ans, ma gorge avait été aussi muette que sa voix.
Le monde est bleu et orange.
Il est aussi vert, il est aussi rose, il y a du blanc dans les nuages et du gris entre les tempêtes. La vérité me frappe en plein visage et ma joue pourrait se déformer, tandis qu’elle tressaille nerveusement.
L’eau est claireQuand je regarde à travers elle les explications d’éternité à pleurer. Il y a quelque chose d’inexplicable chez Nova-Blue. Des années à le dire à qui voulait l’entendre, à être considéré comme un obsessif, comme un cas un peu triste, une tragédie amoureuse de mauvais goût. J’avais été acteur déchu, déçu de toutes les tentatives de rejouer nos scènes. Il y avait quelque chose d’exceptionnel chez Nova-Blue, et j’aurai aimé l’expliquer par sa formidable manière de tresser mes cheveux, par sa marche aérienne et sa voix éthérée. Il y avait de la grâce dans la façon dont elle tenait la anse de sa tasse le matin. Quelque chose d’étrange se passait quand elle me remerciait pour avoir fait les courses, quelque part au creux de mon ventre. Des feux d’artifices éclataient dans mon crâne et dans mon myocarde à chaque bonjour Ambrose, à chaque bonjour, à chaque Ambrose, à chaque tu as bien dormi, à chaque j’ai préparé le petit déjeuner, à chaque tout va bien, comme si elle n’était qu’une allumette prête à faire détonner des kilos d’explosifs.
Pourtant, depuis, rien n’avait explosé.
Nova-Blue se tenait face à moi, allumette enflammée, à répandre l’apaisement dans mes envies de violence.
Rien n’avait explosé, quand elle s’inquiétait de mes bleus. Ils avaient progressivement disparus, et j’ai le coeur lourd d’imaginer que c’était que j’avais du un peu l’abandonner en même temps.
Parce que Nova-Blue est bleue comme la Terre, comme l’eau et comme le ciel. Elle s’étend sur des astres inaccessibles que même les astronautes tueraient pour atteindre.
Parce qu’Ambrose était orange, et que j’étais prêt à pouvoir l’atteindre qu’au coucher du soleil, qu’aux moments cachés, qu’aux instants volés.
Jamais une erreur les mots ne mentent pasL’allumette glisse de ses doigts. Elle sourit calmement dans mon crâne. Elle murmure qu’elle est désolée, Nova-Blue. Ses paupières tressaillent. Il semblerait qu’elle ait des épines entre les cils pour les avoir aussi longs, pour cligner ses yeux de façon aussi douloureuse. Il y a des feux d’artifice dans mon crâne à chaque « je suis désolée », et j’aimerai qu’elle continue à le dire avant que je n’explose.
Pourtant, la lumière tapisse ma vision.
Sa mère n’était pas folle. Sa mère était une gorgone. Elisheva n’était pas folle. Les monstres de sous mon lit existaient. Ils étaient communs, partout, dans mon quotidien, à faire valser des équipages et à frapper du talon sur le pont.
Nova-Blue n’était pas folle. Nova-Blue était une gorgone.
Et au milieu de tout ça, j’ignore où vraiment me situer.
Mes yeux refusent de se fermer, et c’est sûrement la première fois en des années.
Ce soir, j’irai à ma falaise, le coeur lourd. J’oublierai que le paradis est au bout de grandes montagnes, et que j’étais incapable de considérer qu’il y ait des descentes possibles du haut des sommets. Pourtant, l’oxygène me revient lentement à la tête, et chaque respiration sonne comme un shoot non consenti. J’ai la tête qui tourne, le corps qui craque, les jambes faibles. J’aimerai m’asseoir mais elle saurait.
Nova-Blue saurait que je regarderai sous mon lit à la recherche d’autres monstres affamés. Ses cheveux me semblent enflammés mais j’ai pourtant envie de les tresser,
comme avant. J’ai peur qu’ils se mettent à me hair, à me mordre, à se venger. J’ai envie de pouvoir la fixer dans les yeux, constater qu’on a ça en commun, le bleu de nos yeux. J’abandonne nos seuls points communs dans des peurs absurdes. Qu’elle me transforme en pierre pour m’établir en trophée ...-
J’en serai plutôt heureux.
Ouch, ma tête est douloureuse. Ouch, mes yeux sont noyés. Ouch, ma nuque est tordue.
J’aimerai qu’elle puisse ramasser les morceaux de moi, me transforme en pierre pour me reconstruire, être sa Galatée, accepter les Pygmalion et hocher la tête si elle me dit
accepte.
Ils ne vous donnent plus à chanterJe suis une statue boursoufflée et étrange depuis de longues minutes. Une vieille dame vient de me rentrer dedans et elle me sort de mes songes.
J’ouvre les yeux et il n’y a ni falaises, ni feux d’artifices, ni quoique ce soit.
Devant moi, il y a Nova-Blue Herondale, et j’aimerai que ce soit le cas encore un peu de temps, si elle le voulait bien.
« C’est un peu trop sucré, les churros, tu penses pas ? » Elle prenait son café avec un seul sucre. Je déglutis.
La fête foraine est orange, bleue, mais aussi verte, blanche, et a des nuances dégueulasses que j’aurai préféré ignorer. Elle a des écailles marrons et des courbes verdâtres qui me donnent le tournis. J’aimerai rentrer, que cette blague s’arrête. J’irai, par dessus les falaises, pour retrouver un peu de notre innocence dans le creux de nos enfances.
Je deviendrai le plus grand herpétologiste, abandonnerait ma carrière de lépidoptériste.
Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non. Non.
Au tour des baisers de s’entendreJ’ai des envies de maison hantée. Qu’on prenne un putain de train et qu’on se fasse peur. Il y aurait des papillons sur les murs, des clefs données, des meubles démontés, des journées à se prélasser et un milliard de choses en -er qu’on avait fait et qui sont salies.
J’ai des envies de maison hantée, alors je demande.
« Est-ce qu’on peut rentrer ? »
Je serai le fantôme et elle serait un monstre qui sort des cercueils après neuf ans. Je serai un peu envieux, de mon côté.
Qu’elle me demande d’aller sauter dans une fosse aux lions pour les contrôler, de me bouillir les mains pour m’insensibiliser, d’aller m’asphyxier dans l’espace jusqu’à ne plus voir la Terre, d’oublier les couleurs en me perçant les yeux pour oublier que je ne suis pas bleu, que j’étais une contrefaçon trop cabossée, une imitation placide, qu’elle s’attendait à des nuances ressemblantes.
Ambrose est orange comme les explosions, comme les balles, comme le soleil qui brûle un peu trop fort, comme le coucher de soleil qui se barre pour ramener la douce fraîcheur du soir, comme le plastique trop malléable, trop tordu et trop chauffé.
Nova-Blue est bleue comme la paix, la justice, le ciel, la mer, les serpents arc-en-ciel et des tas d’autres choses.
Mes cernes sont noires. Mon sac est noir. Le sol est noir.
Un enfant joue à tirer sur des canards en bois avec un fusil à air compressé. Son arme est noire, et je me souviens que mon revolver est noir également. Mes gants sont noirs. La fumée de ma cigarette me semble noire. Les canards sont noirs. Son sourire est noir.
Nous sommes noirs.
Et on aurait du le savoir.
Qu’elle me demande d’aller sauter dans une fosse aux serpents pour les aimer, de m’empoisonner les mains pour la toucher, qu’un boa m’asphyxie de par trop d’affection, d’oublier les couleurs en me perçant les yeux pour oublier qu’elle est bleue et verte, que j’étais une contrefaçon trop ailée, une imitation plate, qu’elle s’attendait à des nuances opposées pour mieux aimer.
Les fous et les amoursMa gorge se serre.
Je le ferai. Elle pourrait me tuer, me dévorer, m’aveugler, me tétaniser,
j’étais prêt. Elle l’avait déjà fait.
Je lève les yeux vers elle et plonge mes iris dans les siens. Mon coeur semble s’arrêter et mon sang ne fait qu’un tour. J’ai des frissons dans tous mes membres et mon pouls s’accélère. Je respire à travers ses poumons, regarde à travers ses yeux, et j’y vois de grands avenirs dans lesquels j’ai de la peine à croire.
Je t’aime. Et le son devient strident. Moi aussi, et c’était certainement ça, le putain de problème.
Il y a 23269 étoiles dans les prunelles de Nova-Blue, et j’aimerai en trouver encore plus à les regarder. Ma tête tourne et me voilà asphyxié.
Il y a 23251 doutes au creux de mon crâne, et mes yeux peinent à se fermer.
Je préfère certainement regarder les étoiles à m’aveugler l’hippocampe.
J’oublierai que ce sont des astres déjà morts.
J’ai toujours été bon pour voir de la poésie dans les tragédies.
Depuis ce jour, j’imagine mal fermer mes yeux. J’attendais qu’elle le fasse elle-même, avec de la pierre et de l’argile.
Ce serait une meilleure mort que sauter d’une falaise.
Elle sa bouche d’alliance