On est des gamins qu'une seule fois ♦ Odalie & Gérard

On est des gamins qu'une seule fois

Odalie | Gérard

13 août 2004

Les épines de pin longeaient les sentiers
Les mêmes chaque année, l'odeur provençale
Parfumaient l'été même le Mistral
Souvenirs d'Azur jamais mieux je le jure

« ODALIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIE !!! »
Tout le monde se sent obligé de crier, dans cette maison. Nichée sur le toit, elle se dit que ce serait quand même plus simple d’avoir une maison plus petite pour pouvoir s’appeler sans crier. Mais quelque part, elle ne va pas se plaindre d’avoir autant d’espace à elle, d’endroits pour déplier des ailes qu’elle n’a jamais réellement eues.
Dans un soupir, la petite brune détourne son regard de la mer qu’elle contemplait d’un air rêveur, et se met à crier aussi.
« QUOI ?! »
Le ton est sec, presque agressif. Elle a filé sur le toit aussitôt la journée finie et son stage de harpe achevé. Odalie aime la musique, vraiment, du fin fond de son cœur. Mais passer six heures par jour, cinq jours par semaine, à en jouer pendant les vacances, ça commence à faire trop, même pour elle. Alors elle a grimpé sur les tuiles chaudes d’une journée passée en Provence et s’est plantée face à l’immense horizon des flots bleus et flous.
« TU SAIS OU EST TON FRERE ?! »
La sirène lève les yeux au ciel. Pourquoi est-ce qu’elle saurait où est son frère ? C’est lui l’aîné, pas elle. Elle a dix ans, elle est pas responsable de lui. Responsable de personne, d’ailleurs. Alix doit être à la piscine, au basket, quelque part ailleurs. Peut-être même qu’il lui a dit mais qu’elle n’a pas trop écouté.
D’un geste souple, l’adolescente repasse par la fenêtre, ses pieds bruns nus sur le rebord. Elle saute sur le parquet usé, échappant du même coup du sort à la brûlure douce du soleil. Elle aurait préféré rester dehors. Fugacement, son regard se perd dans le miroir de la chambre d'amis. Short mauve, haut de maillot blanc ; elle a l'air d'une enfant sauvage dans une tenue de vacanciers. Ses jambes et ses bras sont si fins qu’elle s’étonne elle-même quelquefois de ne pas les avoir brisés. La fiole, autour de son cou, agrippe la clarté du ciel bleu sur sa peau déjà bien bronzée.
Odalie est une jolie gamine. Elle le sait, et tout le monde le sait.

En quelques pas, elle rejoint le haut de l’escalier pour avoir à crier moins fort.
« Non, je sais pas ! Il est peut-être à la piscine ! »
« Tu peux descendre, s’il te plaît ? »
La voix de sa mère ne laisse aucune place pour négocier. Son s’il te plaît n’est qu’apparence, une ébauche brève de politesse. Mais Odalie a bien conscience que si elle refuse de descendre, elle risque bien de s’attirer les foudres d’Anjela ce soir.
Alors, levant les yeux au ciel dans une contestation muette, elle dévale les marches d’escalier dans un boucan de tous les diables, prête à rejoindre la figure rousse qui hurlait depuis le salon.
« Qu’est-ce qu’il y… » débute-t-elle d’un ton excédé, avant de s’interrompre net.
Car Anjela n’est pas seule dans la pièce. A ses côtés, un adolescent se tient droit, jetant son regard intrigué dans tous les recoins de la pièce. Le cœur d’Odalie, dans sa cage, décide de manquer un battement tandis qu’elle sourit, nerveusement.
« Ah, salut, Gérard … » lance-t-elle, heureuse de pouvoir compter sur son bronzage pour qu’on ne voie pas que ses joues sont soudain plus rouges.
Gérard est un ami d’Alix, qui vient en vacances les étés. Durant le reste de l’année, ils s’envoient des cartes postales, de Saint Raphaël et d’Albi, comme s’il n’y avait pas qu’un seul Sud et que la distance les tuait. Parfois, Alix la laisse jouer avec eux, la traîne sur la plage derrière eux, manger des glaces, parler de films. Elle a l’impression d’être une grande, un peu. Et c’est pas vraiment de sa faute si elle trouve Gérard super beau, super drôle et intéressant : il a ce halo des aînés qui paraissent toujours intouchables.
Elle rit un peu face à Gérard.
« Alix est pas là. » Elle annonce, avec un coup d’œil pour sa mère. « Tu veux qu’on l’attende ? Ou on peut … euh, on peut aller manger une glace ? »
La question est autant pour leur hôte que pour Anjela, qui n’est certainement pas dupe du manège de sa fille chérie. Une glace, ça n’a pourtant rien d’indécent, simplement pour se rafraîchir dans une chaude journée d’été.
Alors, en défi à sa mère, Odalie croise ses petits bras sur sa poitrine inexistante, dans l’expectative d’une réponse qui changera son début de soirée.

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On est des (sale) gosses qu'une fois

CW : masculinité toxique infantile et objectification de filles mineures

« Je… peux rentrer ? S’il vous plaît, m’dame ? »

T’es pas un vampire, Gérard, t’es un autre genre de créature ailée considérée par Tolkien comme un laquais de Morgoth. Pourtant, face à la mère d’Alix, t’es pas sûr d’être capable de t’aventurer plus avant sans une autorisation orale. Tu sais pas ce que c’est chez cette femme mais tu as l’impression qu’elle dégage plus d’autorité et de froideur que l’intégralité des Pyrénées. Elle a le sourire de Mace Windu, la tolérance d’une dame du CDI et la douceur du professeur Severus Rogue. Tu sais pas ce que tu lui as fait, mais t’as l’impression d’avoir commis un truc effroyable pour la mettre dans une colère noire. Tes parents t’ont bien dit que sirènes et dragons avaient quelques soucis ancestraux mais tu pensais pas que ce serait à ce point. Et puis, c’était aussi ça qui donnait de la saveur à tes aventures estivales avec ton ami Alix. Quel autre endroit que la côte d’Azur pour simuler des instincts rebelles de pré-adolescent ?

Après qu’Anjela t’ai laissé entrer, elle se lance dans une série de cris avec les étages supérieurs. Tu restes bien droit, à l’entrée du salon, pas sûr d’avoir l’autorisation de pénétrer plus avant dans les terres hostiles. Tes yeux se posent sur chaque détail de famille, sur chaque choix esthétique, tissant immédiatement des comparaisons avec les autres intérieurs de maisons que tu avais vu pour faire une classification sommaire basée sur l’apparence de qui sont la famille d’Anjela. Résultat de ton étude très peu scientifique ou tolérante : cette famille est définitivement inclassable.

« Ah, salut Gérard... »

Oh. Tu t’étais déconcentré, Gérard, et tu n’avais pas vu la sœur d’Alix arriver. T’avais rigolé quand ton ami t’avait dit son prénom, Odalie, puis tu t’étais rappelé que Gérard, en 2004, n’avait rien à dire sur les prénoms des autres. Ton regard passe clairement à travers elle. Elle a huit ans, elle est en primaire, de l’autre côté de la barrière, autant dire invisible. Si on était dans un jeu vidéo, ce serait un PNJ qui n’a même pas de quête, seulement une ligne de dialogue que tu passes en appuyant sur X, sans plus d’attention. Tu lui réponds donc avec l’air détaché.

« Yo. »

Pourtant, Alix te parlait souvent avec affection d’elle alors tu étais prêt à écouter cette version patchée de la petite fille à qui, visiblement, on avait ajouté des lignes de dialogue et de l’importance scénaristique. Elle veut manger une glace. Évidemment : plus les êtres sont jeunes plus leurs besoins sont primaires. Elle en est encore aux premières nécessités : boire, manger, dormir et peut-être un peu d’air frais. Toi, qui recherche les besoins évolués que sont l’aval de tes camarades, les bonnes notes aux interros surprises de math et les victoires à Smash Bros Melee contre Marguerite, tu sais que l’âge t’as apporté une supériorité indiscutable.

« Ouais, on peut aller à la plage. Il nous rejoindra, on est le genre à toujours savoir où l’autre est, t’sais ? »

Tu te la racontes, pas vraiment pour Odalie, parce que tu n’es pas sûr qu’on sache vraiment ce qu’est l’amitié à huit ans, mais surtout pour Anjela, afin de lui rappeler encore la puissance indestructible de cette amitié qu’elle refuse. Tu commences à partir, ton maillot de bain est déjà sous ton short, évidemment, car c’est la seule façon de vivre ses vacances correctement. Tu as quand même une chemise, même si elle est turquoise au lieu du traditionnel blanc, car ta mère insiste pour que son fils reste beau en toute circonstance.

« Alors, Odalie, comment ça se passe tes vacances ? Enfin, toute la vie c’est des vacances quand on habite ici j’imagine. Tu dois... »

Tu t’interromps. Vous êtes arrivés sur le bord de mer. Et ici, il y a : des filles. Des femmes, même, tu as envie de dire. Elles doivent être lycéennes, mais du haut de tes treize ans, c’est comme si elles étaient un groupe de naïades sorties d’Hollywood. Ta mâchoire manque de se décrocher quand elles passent devant toi en maillot de bain. Tu te dis être supérieur, mais les nouveaux désirs que t’apportent la puberté te laissent sans ressources, sans astuce, sans compréhension. Ton cerveau est vide, ta gorge sèche, tes yeux grands ouverts. Tu te rappelles de ta petite copine d’Albi, Sylvie. Qu’est-ce qu’elle fait pâle figure à côté d’elles ! T’as pas honte de le penser parce que t’as jamais trop aimé cette blonde qui se parfume beaucoup trop. Mais c’est votre tradition : tous les ans, en septembre, vous vous réunissez avec tes potes, et vous décidez quelle fille aura le droit de sortir avec toi, le chef des mecs les plus cools du collège privé le plus cool d’Albi, la plus grande ville du Tarn. C’est pas une réunion de la moindre importance, ça non. Pourtant, cette année tu penses que tu mettras un peu plus de temps dans la négociation commune. Parce que, une première dame, c’est important pour un chef. T’espère qu’elle sera aussi belle que les princesses maritimes de Saint-Raphaël. Pourtant, tu as complètement oublié celle à qui tu étais en train de parler.

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Odalie | Gérard

A peine un sourcil haussé face à la remarque de Gérard. Il a l’air de sembler présumer qu’Alix est aussi cool que lui, et Odalie en poufferait presque : Gérard a plus de classe dans son ongle d’auriculaire qu’Alix dans son corps tout entier. Croire le contraire, ce serait bien mal connaître son frère, ce grand échalas maladroit qui oublie d’enlever ses chaussures en rentrant dans la maison et arrive souvent en retard à ses concerts de violoncelle.
Mais elle accepte, la sirène, parce qu’elle se dit que peut-être qu’elle elle aura la chance d’atteindre le niveau de cool de Gérard, et peut-être qu’il s’en rendra compte en passant du temps en seul à seul avec elle. Alors, d’un regard implorant qu’elle dirige vers Anjela, elle demande l’autorisation.
« Je peux y aller, Maman ? »
Sa question n’est accueillie que par un haussement d’épaules.
« C’est à toi de voir, Odalie, si tu préfères rester ici et travailler ton morceau de harpe ou si tu préfères aller à la plage avec … Gérard. »
Difficile de mettre un ton plus méprisant pour prononcer le nom de leur invité. Odalie, loin de s’en formaliser, mais également loin de comprendre la tentative de culpabilisation de sa mère, se contente d’un sourire radieux.
« Merci Maman ! »
Ils n’habitent pas très loin de la plage, ce qui est pratique pour nager. Même pas besoin de mettre des chaussures : en deux minutes à peine, ce sont de larges galets qui assaillent sa voute plantaire, et le délicat parfum d’iode qui vient lui ravir les narines. Ils sont arrivés.
Le menton haut, la petite brune se promène avec le dédain des enfants que l’on autorise à faire des trucs de plus grand qu’eux. Comme se promener seule. Avec un garçon. Un garçon de cinq ans de plus. A la plage. Au vu et au su de tous. Secrètement, Odalie espère qu’il y aura cette garce d’Andréa, qui fait trop la belle dans la cour, et qu’elle verra comment Oda est bien vingt mille fois plus stylée.

Gérard lui pose une question, et elle lui répond de bon cœur.
« C’est super, en plus il fait super beau ! Hier, avec Alix, on a été faire un pique-nique à Boulouris, juste à côté du CRAPA, c’était troooooop bien, et Maman a dit que peut-être l’année prochaine j’aurai le droit de faire un stage de musique au Conservatoire l’été, si je travaille bien. »
Il ne l’écoute pas.
Il. Ne. L’écoute. Pas. La sirène fronce les sourcils et suit le regard de son camarade pour voir ce qui attire ainsi son attention, et ce qui peut être suffisamment important pour le distraire de leur conversation tout à fait passionnante.
Des filles. C’est juste un groupe de filles, en bikini, qui joue au volley sur un terrain un peu plus loin. C’est juste ça, son excuse ? Indignée, la Maelström se plante devant lui, les bras croisés sur la poitrine, un air furibond sur les traits.
« Eh, oh ! »
Elle secoue une main devant ses yeux, résistant à l’envie souveraine de lui coller une gifle au passage.
« La Terre à Gérard, a l l ô ! »
Quand ENFIN il daigne reposer les yeux sur elle, la sirène campe ses poings sur ses hanches et le fusille tout à fait du regard.
« Tes parents t’ont jamais appris que c’était malpoli de poser des questions aux gens et de pas écouter la réponse ?! »

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Mer 28 Sep 2022 - 16:07

On est des (sale) gosses qu'une fois

CW : masculinité toxique infantile et mâle gaze sur de jeunes filles mineures

C’est comme si les Grâces de Pradier était sur une plage avec la Vénus de Botticelli, les Odalisques d’Ingres et les Saisons de Mucha. C’est comme si Monica Belluci, Brigitte Bardot, Marie-Antoinette et Cléopâtre s’était données rendez-vous sur la plage de Saint-Raph. T’as la même impression que quand tu regardes en cachette des clips de Britney Spears (ta maman veut pas) : cette sensation de regarder un spectacle qui ne t’est pas destiné mais qui est un délice dont tu ne peux détacher les yeux. Bref : tu croises à peine deux filles en maillot de bains décathlon, et tu as l’impression d’avoir atteint le Paradis. Jusqu’à ce que la voix d’Odalie te ramène à la réalité.

La gamine a l’air sacrément en colère. T’as peut-être un peu beaucoup décroché. En vérité, tu n’avais pas vraiment pensé au fait que tu devrais l’écouter si elle te suivait. Tu pensais encore que c’était un PNJ. Toad vient pas interrompre Mario quand il est sur le point de secourir Peach après tout. Mais s’il y a bien quelque chose qu’on t’ai appris à faire, c’est à te sortir de ce genre de situations avec un sourire et un brin de ruse.

« Bah, si, tu me parlais du pique-nique avec ton frère à Boulouris et de la musique que tu vas jouer ! »

Tu bluffes un peu. Tu as capté quelques mots et recousu avec ce que t’a dit Alix auparavant. Après tout, tu n’as pas menti : tu es vraiment très ami avec le triton et tu aimes écouter tout ce qu’il dit. Et lui, aime beaucoup Odalie et te parle beaucoup d’elle. Tu devrais écrire un livre en fait, tellement t’es intelligent. Pas besoin d’écouter les gens ennuyeux comme Odalie quand on peut écouter les gens intéressants qui aiment ces gens ennuyeux.

« Tu fais de la harpe c’est ça ? Tu penses que tu vas devenir artiste plus tard ? Comme Brit… euh Dalida ? »

Enfin, vous êtes au stand de glaces. Tu prends une glace à la violette, même si elle ne sont pas aussi bonnes qu’à Toulouse. Tu en tends une à Odalie mais tu te commences à te rendre compte du piège : Alix ne va visiblement pas venir. La brune est trop vieille pour ne pas comprendre que tu n’as aucun intérêt pour elle mais trop petite pour t’être un tant soit peu utile. Tu tentes quand même le coup.

« Dis, toi qui connaît bien Saint-Raph ! Où est-ce que vont les filles comme toi pour se baigner. Enfin… Les filles comme toi mais comme moi en âge, tu vois ? »

Diplomate, ça, Gérard.

KoalaVolant

Mer 5 Oct 2022 - 15:06

On est des gamins qu’une seule fois

Odalie | Gérard

Tu penses que tu vas devenir artiste, plus tard ?
Odalie voudrait bien rétorquer quelque chose de bien pensé, de bien censé, quelque chose qui moucherait la chandelle d’une admiration excessive. Mais la vérité, c’est que , elle aimerait devenir artiste plus tard. Et si Gérard comprenait l’art, il arrêterait de regarder vers un horizon des possibles pour réaliser qu’à ses côtés se trouve déjà une artiste.
Elle n’en a pas conscience, la brune, mais chaque pas qu’elle esquisse un peu, chaque soirée au Conservatoire tisse un peu plus la trame épaisse de ses grandes ambitions futures. Odalie sera une artiste, ça semble évident à quiconque voit la courbe gracile et tendre du poignet de l’adolescente lorsqu’il se plie contre les cordes. Ça semble évident à quiconque l’a déjà regardée, regardée vraiment, jouer avec cette lueur vive des âmes que l’on a habitées. Ça semble évident qu’elle réussira : elle a du talent dans les doigts, et dans son regard l’étincelle qui fait qu’elle ne lâchera jamais.
Alors oui, c’est ce qu’elle voudrait, et le fait que Gérard le voie remplit son corps d’escarcelles blêmes qu’elle a bien du mal à faire taire.
« Je … »

Mais déjà il ne l’écoute plus.
Car les grandes personnes sont comme ça ; elles font mine de s’intéresser aux coquillages et aux étoiles, mais tout ce qui les fascine au fond ce sont les chiffres qui s’alignent sur des tracés trop mécaniques. Elle pensait que Gérard n’était pas adulte, pas encore ; elle découvre avec effarement qu’elle s’était trompée sur son compte.
Il ne parle pas de statistiques, de dates ou d’autres choses de grands. Mais lui, tout ce qui l’intéresse, ce sont les âges et les tours de poitrine. Comme Odalie le réalise, des vagues se pressent dans sa poitrine ; de la colère, un peu, surtout. De l’admiration pour Gérard qu’elle ne parvient pas à faire terre malgré toute sa bonne volonté. Et de la jalousie, surtout, d’être estimée un peu trop jeune pour être digne des mêmes regards.
Interdite, elle fixe Gérard et son sourire d’ado raté.
Est-ce qu’Alix pense aux mêmes choses, concernant les filles du quartier ? Elle est certaine que c’est pas le cas ; son frère est trop gentil, trop doux, et beaucoup trop respectueux.
Blessée dans son orgueil d’enfant et sa certitude achevée d’être invincible au quotidien, elle plante son regard furibond dans les yeux de Gérard, plus haut.
« Je pense que tu devrais laisser tomber. » elle assène, plus sûre d’apparence qu’elle ne l’est intérieurement. « Les filles de ton âge, elles s’intéressent pas aux gros nazes qui portent des chemises même à la plage pour cacher qu’ils ont plein d’acné. »
Et, non contente de sa répartie, elle décide de tourner les talons et de filer vers la maison sans lui jeter un mot de plus. Le cœur plein de désillusions, elle arpente les rues de la ville jusqu’à retrouver son chez elle, où elle a l’étrange certitude que Gérard ne se pointera plus.
Ça lui apprendra, à idéaliser les gens.
Ça fait mal quand l’innocence se fracasse sur la toxicité du monde.

« Te voilà déjà rentrée ? »
« Oui … »
« Et Gérard ? »
« T’avais raison, je ferais mieux de travailler ma harpe. »

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