birds fly in different directions ◊ Juni

Malgré l'amertume présente dans l'air, le petit sourire de Jude se révèle communicatif. En effet, sans pouvoirs particuliers, il t'aurait fallu un sacré anti-rides pour garder à peu près la même allure qu'il y a trente ans. C'était peut-être une précision inutile après votre discussion, mais faut dire que tu t'es empressée de combler le silence, suite à tes paroles précédentes. Suggérer de laisser vos routes se séparer à nouveau a été tout sauf facile, mais tu ne vois pas d'autre solution. Vous devez toutes les deux garder le contrôle de vos existences. Tout le monde se remet d'une rupture. Tout le monde finit par couper les ponts, surtout après tant d'années. Alors, pourquoi pas toi ? Pourquoi pas vous ? À croire qu'une autre malédiction vous affecte, et vous force à vous retrouver peu importe le temps et la distance. Ce trait d'humour est en tout cas inattendu, bien que bienvenu. L'atmosphère est suffisamment lourde comme ça... Tu relèves toutefois un sourcil lorsque Jude évoque la manière dont elle imaginait à quoi tu ressemblerais si t'avais vraiment vieilli. Donc, elle pense à toi, de temps en temps ? Remarque, ça n'a sans doute rien de spécial... tu t'es posé les mêmes questions pour elle, et pour d'autres personnes de ton passé. Quand on a une espérance de vie exceptionnelle, on a tendance à s'interroger là dessus. Tu préfères ne pas répliquer, craignant de faire pire que mieux, et tu continues sur ta lancée initiale. Certes, dire ça n'est peut-être pas si mieux, mais c'est également la vérité. Ta solitude sera moins grande, en sachant que la brune vit plus ou moins la même chose. Bien que, tu ne comptes pas la recontacter.. n'est-ce pas ?

Jude ne semble pas totalement d'accord, ceci dit, et elle ne tarde pas à t'expliquer pourquoi. Cette foutue sorcière a donc pensé à tout, et plus tu en sais, plus cette malédiction te semble horrible. Pour toi qui vit avec la connaissance constante des années qu'il te reste, pouvoir disparaitre du jour au lendemain a de quoi être angoissant. Et ça t'angoisse, d'ailleurs. Ça pourrait très bien être la dernière fois que tu la vois, dans cette mesure. C'est censé être ce que tu souhaites, mais... la simple idée te donne la nausée. La mâchoire contractée, tu finis par lui répondre. « J'ai beau être une sorcière, j'en ai aucune idée. Généralement, une malédiction ne s'annule pas, pas sans de grands pouvoirs ou de grands sacrifices. » Et tu ne maitrises pas le type de magie qui pourrait l'aider. À moins que tes intuitions ne le puissent ? Mais pour l'heure, tu n'as reçu aucune vision à ce sujet. Parfois, il y a des causes perdues, ou des choses sur lesquelles tu ne peux influer. C'est frustrant, mais aussi normal. Personne ne peut tout contrôler, et heureusement dans la plupart des cas.

Le téléphone de la brune se met à vibrer, mais elle n'y prête pas une grande attention. À la place, elle se prépare à partir, pour espérer être chez elle dès demain. Elle te remercie, et tu ne sais trop pourquoi. Tu n'attendais pas de la reconnaissance de sa part en tout cas. Tu t'attendais pas non plus à ce qu'elle décide de partir, mais après tout c'est logique. Tu lui as toi même dit qu'il n'y aurait rien de plus que cette discussion. Et la discussion est de toute évidence terminée. Vous pourriez rajouter des détails, mais ça ne vous avancerait pas, ce ne serait que retarder l'inévitable. Pourtant, tu ne peux te résoudre à simplement lui ouvrir la porte. Tu sens que ça sonnerait totalement faux. « Donc c'est goodbye forever ? » réponds-tu en la toisant alors qu'elle s'est sensiblement rapprochée de toi. T'as cité naturellement ces paroles, et elles sont bien à leur place ici, à part qu'il n'y aura pas de next time. En tout cas, vu ce qu'à dit la brune, c'est le risque... « Je n'ai jamais aimé ces paroles. » Et c'est la vérité. Il s'agit d'une bien triste conclusion, même si inévitable parfois. « Mais je comprends, tu as du travail à faire, et il se fait tard. J'voudrais pas que tu tombes de fatigue sur la route. » Tu mets pas trop de coeur dans tes paroles. En fait, tu te montres juste polie et raisonnable, à défaut de savoir quoi faire d'autre. Tu l'as dit toi même, le mieux est d'en rester là, et ce même si toutes les intuitions du monde commençaient à te crier le contraire.

code par EXORDIUM. | Images par
daily-hundred

Jude ignorait si les paroles de Dani étaient là pour la rassurer ou si c’étaient juste des faits. Mais en un sens, savoir que cette partie là des menaces de Vanessa était probablement faux la rassurait. Il lui arrivait trop souvent de ne pas réussir à dormir à cause de l’idée de disparaitre d’une seconde à l’autre. A vrai dire Jude ignorait l’étendue des pouvoirs de son ex. Elle n’avait jamais eu la présence d’esprit de demander à voir ou de constater, à l’époque où elle sortait avec. Donc elle était parfaitement incapable de savoir si sa menace était du chiqué ou pas du tout. Dans tous les cas, ça ne changeait rien au reste.

Jude finit par se rapprocher, dans le but de chopper sa veste sur le siège. Mais en même temps, Dani sorti les mêmes mots que ceux que Jude avait pensé plus tôt, sur sa moto, et elle se figea, le souffle de la blonde sur son épaule. Elle se sent toisée par cette dernière, mais ne pu dire un mot que quand cette dernière poursuivit.


Elle n’avait jamais aimé ces paroles. Leur prémonition funeste, leur signification, synonyme de solitude, d’au revoir définitif. Non, Jude n’avait jamais aimé ces paroles. Elles sonnaient comme un glas abominable dans ses oreilles. Elle saisit la veste, reculant, frôlant Dani au passage avant de s’écarter presque à contre cœur du souffle de la blonde. Elle devait s’en aller. Dani est compréhensive,  courtoise. Mais… Mais il y a quelque chose. Un truc.

Jude ne le comprend pas tout de suite. Elle fait trois pas en arrière, affichant un sourire crispé face aux paroles de la blonde.


Pas être fatiguée sur la route, il était tard, y’avait du travail à faire.


Il fallait dire, en plus de cinquante ans sur une moto, Jude avait bien appris à ne plus laisser sa fatigue la dominer quand elle conduisait. Mais… Elle fit quand même demi-tour, se dirigeant vers la porte d’entrée, n’enfilant même pas son blouson de cuir. Posant la main sur la poignée, elle jeta un œil vers la blonde. Elle voulut dire au revoir, ça ne su même pas franchir ses lèvres.

Pas de putain de Goodbye forever.

Elle ouvrit la poignée, laissant le vent froid toucher sa peau. Elle fit un pas en traversant le palier. Mais à moitié dehors, elle s’arrêta.


Elle n’avait jamais aimé ces foutus paroles. Elle n’était pas obligée de s’y soumettre. Elle tourna la tête vers Dani.


Son cœur rata un battement, mais Jude ne bougea pas, le vent sur elle, son blouson toujours sur le bras. Le garagiste ne pourrait même pas lui en vouloir de pas venir demain, vu le cachet qu’il se prendra grâce à la simple visite de Jude. Il y avait une tension dans l’air. Mais pas une tension détestable…
Après tout, Dani n’avait que posé la question. Est-ce que c’était un goodbye forever ? Voilà la réponse de Jude. Non ça ne l’était pas.


Et elle n’allait pas partir pour toujours alors que la vie leur avait clairement dit que ça suffisait. Elle n’arrivait pas à faire le pas qui la ferait sortir définitivement. Elle le devait, mais n’en était plus du tout convaincue. Elle n’arrivait pas à enlever cette pensée de sa tête. Comme elle n’arrivait pas à enlever Dani de ses pensées. Elle la regarda, d’un regard qu’elle n’avait jamais montré ce soir-là. Elle secoua la tête lentement.


Alors elle ne bougea plus, à moitié dehors. Malgré toute la déchirure que partir lui provoquerait, elle regarda Dani, à la recherche d’une approbation. A vrai dire rien ce soir ne lui avait fait penser que Dani ne voulait plus la voir. Sinon… Pourquoi aurait-elle accepté toute cette discussion ? Ce verre ? Elle ne lui avait même pas posé la question…  Probablement parce qu’au fond d’elle elle se doutait de la réponse, mais qu’elle ne voulait pas se l’admettre.

Tu vois Jude s'éloigner, crispée, comme si t'avais touché une corde sensible avec tes dernières paroles. Elle semble tout aussi gênée lorsqu'elle te regarde enfin, un sourire étrange à la place des lèvres, pour confirmer tes paroles raisonnables. Ce qui suit la raison n'a en général rien d'amusant, et c'est aussi le cas ici, mais il en va de votre bien à toutes les deux. Tu vois ensuite la brune se tourner pour aller vers la sortie sans même avoir enfilé sa veste. Est-elle pressée à ce point d'échapper à ta présence, à la sorte de tension qui s'est instaurée entre vous ? Tu n'en sais rien, mais tu remarques que ton coeur s'est serré à l'idée de la voir partir. Pourtant, tu t'y prépares depuis tout à l'heure, mais cette sensation désagréable, ainsi que familière, est bien présente. Et tu devrais la laisser partir. De toute manière, si elle s'en va, c'est aussi sa décision. Autant ne pas lui rendre la tâche plus difficile, n'est-ce pas ? Le vent glacial te frappe juste après qu'il ait touché Jude, mais tu remarques que celle-ci ne bouge plus. Dans d'autres circonstances, tu lui demanderais si son cerveau est congelé, mais ce n'est clairement pas le moment. La brune reste immobile quelques instants, puis elle se retourne vers toi, et te prend de court avec ses paroles. Ton coeur rate un battement, te faisant également réaliser qu'il voulait entendre cela, mais... ça ne change rien à la situation. Tu sais comment ça finira, si ce ne sont pas des adieux ce soir. Et puis, en connaissant la « condition » de la dragonne, il est évident que ça ne ferait du bien à personne. Apparemment, ni l'une ni l'autre n'est en état de s'en rendre compte, toutefois.

« Tu as raison... »  souffles-tu à la fois avec honnêteté, et presque à contre coeur, lorsque la brune se montre convaincue que vous vous êtes retrouvées pour une bonne raison. Même tes intuitions t'ont mené à cette rencontre, alors il est évident que ce n'est pas pour rien. Mais après votre discussion, vous pourriez penser que tout ce qui était à dire l'a été. Pourtant, Jude partage le même sentiment d'inachevé que toi, semble t-il. Pourquoi ? Que peut-il manquer ? Vous êtes pratiquement des inconnues, après tout ce temps. La preuve, la discussion n'a tourné qu'autour du passé. Vous n'avez pas de place dans un futur commun, du moins tu essaies de t'en convaincre. Quelque chose a changé dans le regard de ton interlocutrice, toutefois. Comme si cet instant, vos décisions à venir, seraient décisives pour l'avenir. Tu te croirais presque dans un jeu vidéo avec des choix à effets papillon. Putain, t'as toujours perdu à ces trucs là. Tu restes donc presque bouche bée, inerte, face à la situation. Est-ce que toi aussi tu regretterais à vie le départ de Jude ? C'est déjà le cas, depuis un paquet d'années à vrai dire... mais maintenant c'est différent. Maintenant tu connais la vérité, et ça change tout. Un soupir finit par t'échapper. « Oh chérie, pourquoi m'avoir emporté dans ta chute ? » Et par là tu évoques tout. Depuis le début. Ce début où votre avenir -ou du moins son absence- était déjà tracé. Et ses dernières révélations, qui rendent tout plus difficile. Tu peux facilement rejeter quelqu'un qui t'a fait du mal, mais à présent... ce n'est plus exactement la vérité. D'où tes paroles, presque pleines de désespoir, car tu ne sais que faire.

Si t'écoutais tes simples pulsions, tu la ramènerais en la tirant par les vêtements, et tu goûterais ses lèvres. Lèvres que tu te forces à détacher des yeux juste à l'instant. Quel mal cela peut-il ajouter, après tout ? Vous n'avez plus rien à perdre. Jude va repartir demain, et tu ne la reverras sûrement jamais, faute de proximité. Parce qu'elle ne sera peut être plus là. Est-ce que que tes intuitions ont voulu te faire comprendre ? Que cette nostalgie n'était pas en rapport avec des moments passés, mais bien cette même soirée ? Jude est toujours là, comme pour attendre ta sentence. De toute évidence, elle n'a pas envie de partir, sinon ce serait déjà fait. Les regrets qu'elle craint éprouver si elle s'en va doivent être vraiment énormes, faut croire. De toute façon, ton cerveau n'est plus en assez bon état pour interpréter quoi que ce soit. Ni ce qui est juste, ni ce qui est mal. Pour une fois, ce n'est pas la faute de la boisson, mais c'est presque si les révélations de Jude ont eu le même effet que l'ivresse sur toi. « Peut-être que c'est moi qui le regretterai à vie mais... » Merde ! Tant pis ! T'es pas une sainte. Clairement pas un génie non plus. Tu aides peut-être autrui, mais ta vie à toi a toujours été un bordel, que ce soit dans les faits ou sentimentalement parlant. Alors ouais, t'as vraiment rien à perdre. Tu sors à ton tour pour venir chercher la brune, l'attirant comme imaginé par les vêtements pour la faire revenir à l'intérieur. Tu viens ensuite plaquer tes lèvres aux siennes avec envie, sans réaliser que tu la repousses contre le bar tout en ce faisant. Goodbye forever ou pas, tu ne comptes pas oublier ce moment.

code par EXORDIUM. | Images par
daily-hundred

A vrai dire, Jude avait agis plus par instinct que par réflexion. Après tout, si elle avait réfléchi trois secondes, elle se serait rappelée pourquoi elle avait quitté Dani, des raisons qui l’avaient poussé à lui briser le cœur, de toutes ces conneries quoi. Mais… Non, l’instinct avait juste fait un fuck magistral à trente ans d’éloignement, et avait décidé de reprendre les choses en main. Donc Jude s’était arrêté sur le pas de la porte, dans le froid glacial, et s’était retournée vers la sorcière.

Alors Jude lâcha sa bombe. Dani n’avait rien dis, rien fait pour la retenir de partir, elle était prête à la voir s’en aller sans plus un autre mot. Dans d’autres circonstances, dans un autre contexte, Jude aurait respecté ce silence, elle aurait enfourché sa moto, et aurait disparu dans la nuit. Dans d’autres circonstances.

Elle remarqua le trouble sur le visage de la musicienne. Cette dernière devait certainement avoir une tornade dans la tête, autant que Jude d’ailleurs. Mais quand la motarde évoqua ce coup du destin, Dani approuva et Jude sentit comme un soulagement la gagner. Jude était-elle prête à mettre tous ces efforts, toute cette douleur, au placard avec seulement quelques mots ? Ho oui. Elle avait l’impression que son ex la sondait du regard, lisant en elle comme dans un livre ouvert, et pourtant rien ne fit disparaitre ce silence qui s’installait.

Rien, à part le soupire de la blonde, qui déstabilisa Jude. Elle voulu répondre, elle voulu donner une excuse, mais qu’aurait-elle pu faire de mieux ?


Jude avait passé une existence entière à subir sa malédiction, à subir ses effets, à donner à Vanessa exactement ce qu’elle voulait. Cinquante ans à s’isoler, à oublier le sens du mot famille, à oublier l’euphorie des soirées festives, l’adrénaline des rendez vous imprévus, ce sentiment d’extasie quand on aimait quelqu’un qui nous le rendait. Tout ça, sans rien faire pour le changer. Jude ne s’était pas plains, pas beaucoup. Elle n’avait plus grand monde pour ça. Alors, à part mentir à Dani pour la quitter, pour la faire s’éloigner, pour la sauver des effets des erreurs de Jude, qu’aurait-elle pu faire de mieux ?

Probablement travailler d’arrache-pied pour trouver une solution.

Elle remarqua le regard de Dani, comme bloqué à hauteur des lèvres de la brune. Si elle avait pris le temps de réfléchir à une solution, peut être n’aurait elle pas gâché toutes ces années de sa vie. Même si elle avait prospéré, même si elle était devenue un peu plus quelqu’un qu’elle ne l’était avant.

Finalement, Dani brise enfin le silence, quittant les lèvre de Jude du regard. Et après quelques mots, une phrase suspendue, laissée à l’abandon sans la finir, la blonde franchis la distance séparant les deux femmes. Il lui fallu à peine plus de temps pour que Jude sente les mains de Dani sur son t-shirt, se faire tirer en avant vers la chanteuse. Elle ne résista pas. Ho bon sang elle laissa Dani l’attirer à l’intérieur. Et comme deux aimants, leurs lèvres se rejoignirent. Jude ferma les yeux, refermant la porte d’une main, tenant Dani de l’autre, ne se rendant pas compte du bar derrière elle alors qu’elle laissait tomber sa veste. Alors que son corps brûlait tout entier, elle avait probablement enfin trouvé la raison, la force de se battre. Et elle n’allait certainement pas oublier ce moment, ni cette nuit.



Le soleil s’était levé depuis plus de deux heures à présent. Jude, face à une fenêtre donnant sur l’arrière de la maison, mis son téléphone en silencieux. Elle avait prévenu le garagiste, en se réveillant, qu’elle aurait du retard. Comme à son habitude, elle s’était levée tôt, trop tôt sans doute. Elle avait mis un petit temps à se souvenir d’où elle était, mais quand les souvenirs furent revenus, elle s’était sentie heureuse, comme rarement elle l’avait été.

Certes, ça n’était qu’une nuit. Probablement la seule mais... elle y pouvait rien, Jude, si pour la première fois depuis trente ans, elle s’était sentie à nouveau vivre. Elle avait d’abord pensé laisser un mot, avec son numéro, son adresse, quelque chose qui ne signifiait pas  goodbye forever, pour qu’elle aille tôt au garage finir le travail. Mais la crainte de partir à nouveau sans prévenir, de laisser Dani seule au réveil, sur le fait, l’avait empêchée de bouger. Alors, sans un bruit, elle avait appelé un café du coin de la rue pour se faire livrer. Donnant l’ordre explicite de ne pas frapper à la porte, ni de sonner.  Elle avait réceptionné sa commande dix minutes plus tard, laissant un large pourboire qui avait fait sourire le livreur jusqu’aux oreilles. Elle ignorait tout du rythme de la sorcière aujourd’hui, ni même de ses plans pour la journée. Mais une chose était sûre, Jude ne fuirait pas. Elle attendrait le réveil de Dani. Alors, le paquet de croissants sur la table, elle tenait son café dans la main.

Elle avait décidé de se battre, elle voulait trouver un moyen de rompre le sort de Vanessa. Elle avait une raison de le faire. Et probablement l’une des meilleures… Elle voulait que Dani le sache.

Le réveil est difficile. Pourtant, la nuit a été douce. Plus douce que celles que tu as pu vivre au cours des dernières années. Le truc est, que t'as peur que tout ça n'ait été qu'un rêve. Alors, t'as pas envie de sortir de cette sorte de transe entre le sommeil et l'éveil. La vérité est que s'il ne s'avère que d'un songe, ça en serait un bien cruel. Un que tu as déjà fait plusieurs fois. La fatigue finit par cesser de voiler ton regard, et tu es bien obligée de te redresser dans ton lit. La réalité te frappe quand tu remarques que la couette est bien défaite des deux côtés. Que l'autre oreiller porte encore le parfum doux et familier de Jude. Tu sais que tu ne dois pas t'y faire, que ce serait te blesser d'avance, mais t'y peux rien. Tu viens à peine d'émerger, et t'es faible. Tu remarques de suite l'absence de la brune, et un soupir t'échappe. Il ne serait pas étonnant qu'elle ait foutu le camp. Vous avez fait quelque chose de certes agréable, mais qui ne vous rendra pas les choses plus faciles à l'avenir. Jude a déjà fui une fois, qui plus est, alors... Un bruit provenant du salon attire alors ton attention. Personne ne vient ici, alors il n'y a qu'une seule explication : Jude est toujours ici. T'aimerais ne pas ressentir un tel soulagement, alors tu essaies de l'ignorer, et tu te lèves pour enfiler quelque chose. Une préparation mentale devrait s'imposer, mais tu ne prends pas le temps de réfléchir avant de rejoindre la pièce à vivre.

Une odeur de café vient immédiatement à tes narines, juste avant que tu remarques Jude, installée avec sa tasse et ce qui ressemble à un petit déjeuner sur la table. Autant dire que ça te rappelle de nombreux et très vieux souvenirs, mais tu les chasses pour esquisser un léger sourire. « Salut... » T'es sans doute un peu gênée, car tu sais pas trop comment te comporter. T'as l'habitude des coups, mais généralement l'après est très clair. Ici, t'as beau savoir que ça ne se reproduira certainement pas, tu ne sais pas ce qui peut se passer dans la tête de la dragonne. « T'es levée depuis longtemps ? C'est gentil d'avoir pensé aux croissants. » rajoutes-tu, forçant un accent français dégueulasse sur le dernier mot. Tu te tournes vers le plan de travail pour te préparer un café. Ça te fera certainement le plus grand bien, car t'as la sensation d'être sur un petit nuage depuis tout à l'heure. Comme une putain d'ado qui vient de tomber sur le prince charmant. Mais ce n'est pas le cas.Tu viens simplement de te taper ton ex. Ex qui subit une malediction plutôt mortelle. Heureusement, ça n'a apparemment rien changé, même si t'as l'impression du contraire. Si ça avait ravivé des sentiments, ton espérance de vie serait réduite, d'après ce que Jude t'a dit. Là, ce n'est pas le cas. Tu te rassures donc en te disant qu'il ne s'agit sûrement que de l'euphorie du moment...

Malgré tout, tu as du mal à soutenir son regard lorsque tu te retournes vers elle. T'y peux rien. Vous avez été plus que proches cette nuit, mais une fois le jour levé, tout change. C'est un retour à la raison forcé. Après tout, si tu t'es laissée aller hier, c'était bien avec la certitude que Jude repartirait par la suite. La certitude que vous ne retomberez pas dans une spirale dangereuse. T'as aussi du mal à la regarder car tu sais que des flashs de la veille vont te revenir à l'esprit. Et même si ça ne serait pas désagréable...et bien, comme tu le sais il faut revenir à la réalité un jour ou l'autre. « Quoi de prévu aujourd'hui ? » La question semble logique. Tu sais qu'à la base, Jude a un planning chargé, qu'elle voudra certainement honorer. Et tu ne pourras pas lui en vouloir. Elle a attendu que tu te réveilles, et en réalité, elle ne te doit plus rien. C'est ce que tu te répètes sans cesse, sans doute pour ne pas être tentée de lui en réclamer plus.

code par EXORDIUM. | Images par
daily-hundred

Des bruits de pas la tirèrent de sa rêverie, et Jude tourna la tête de la fenêtre vers le couloir. A la vue de Dani, rien ne put empêcher la dragonne de sourire, révélant des petites fossettes au coin des lèvres. Elle sentait la gêne de la sorcière, probablement autant qu’elle  était gênée elle-même. A vrai dire, elle venait de coucher avec son ex dans un appart de la Nouvelle-Orléans… elle ne l’aurait probablement jamais cru, si quelqu’un le lui avait dit.


Répondit-elle simplement au salut de la musicienne, mais elle rit un peu bêtement en entendant son accent abjecte.


Tenta-elle, imitant de manière tellement déplorable le mot français. Elle fronça même du nez, comprenant à peine elle-même le mot qu’elle venait de prononcer. Elle suivit alors Dani du regard lorsque celle-ci la dépassa pour rejoindre le comptoir et la machine à café.


Qu’elle s’était faite  violence pour ne pas regarder Dani dormir. Elle était encore gênée d’être toujours là, alors si en plus elle l’avait maté… Alors elle avait longtemps pensé à la soirée. A comment elles s’étaient arrêtés juste pour parler, puis comment Jude avait voulu s’expliquer, sans plus d’attentes, juste une conversation… Cela valait-il le coup ? Revenir comme trente ans en arrière ? Dans quoi s’était-elle embarquée ? Et la voilà. Dani, son café fait, se retourne vers Jude. Cette dernière voit, constate que la musicienne fuit le regard de la brune, ou du moins, a du mal à la regarder. C’était un moment étrange pour elles deux, et peut être ne l’exprimaient-elles pas de la même manière, mais Jude respecta sa difficulté, et redirigea son regard vers la fenêtre à côté d’elle, profitant de l’occasion pour répondre à la question de Dani.


Elle sirota une nouvelle gorgée de son café.


Elle glissa un regard vers Dani, tentant de voir si sa curiosité était piquée. Mais elle avait bien trop réfléchi pour attendre de poursuivre. Alors elle poursuivit.


Après tout… Elle avait vachement aidé Vanessa là, dans sa putain de malédiction, la subissant comme un gentil petit toutou qui ne pleurait pas qu’on l’enchaine. Mais c’était fini. Enfin, elle s’en était convaincue… maintenant il fallait qu’elle arrive à s’y mettre. Et qu’est ce que c’était dur, quand elle ne savait pas par où commencer. Le sujet était dur à évoquer, tant les idées se mêlaient encore dans sa tête. Alors elle changea juste de sujet.



Elle imagina Dani, sur une scène face à une foule, peut être qu’elle pourrait aller la voir, si elle trouvait une date.

Tu ne retiens pas un sourire en entendant l'accent de Jude. Sur ce point, elle est apparemment aussi douée que toi. Une autre réflexion ne tarde cependant pas à emporter ton esprit, lorsque tu réalises que la dragonne est réveillée depuis déjà des heures. Tu te concentres sur la préparation de ton café pour ne pas montrer que ça te perturbe, mais c'est pourtant bel et bien le cas. La brune n'a jamais été du genre à faire d'énormes grasses matinés, il est vrai... mais ça signifie qu'aujourd'hui, elle a attendu tout ce temps juste pour pouvoir te voir avant de partir. Tu te mords l'intérieur de la joue, coupable d'avoir dormi autant de temps. Faut dire qu'hier soir, t'as pas forcément pensé à te mettre un réveil, mais bon... Ce n'est pas sans valeur, en sachant que Jude a bien d'autres choses à faire. T'essaies de ne pas épiloguer mentalement là dessus, et ton café enfin prêt, tu te retournes vers l'autre femme sans pour autant vraiment la regarder. Putain, il était évident que cette nuit n'allait pas vous rendre les choses plus simples. À quoi t'attendais-tu ? T'as cédé au plaisir d'une nuit, et il va falloir en assumer les tourments. Tu te contentes de hocher la tête lorsque Jude t'explique avoir posé un lapin à son garagiste, et qu'elle devra aller terminer son travail un peu plus tard. C'est aussi logique que ta question après tout. C'est la principale raison de la venue de Jude à la Nouvelle-Orléans. Quant à ce motel, et bien... il n'aura pas servi à grand chose au final, mais tu te gardes d'en faire le commentaire.

C'est l'ajout de la dragonne qui pique d'autant plus ton intérêt. L'avenir ? Pour toi, il est en soi plus incertain qu'un réel sujet de réflexion. Tu ne l'avoues pas, mais il t'effraie, en ce qui vous concerne toutes les deux. T'essaies de te convaincre qu'il n'y aura pas de conséquences après ces révélations et cette nuit, mais au fond de toi.. c'est une toute autre réalité. Cette fois, tu ne détournes pas les yeux lorsque ceux de Jude les croise. Malgré toi, tu voudrais savoir ce qu'à donné cette réflexion. « L'avenir ? » répètes-tu alors, avant de la laisser poursuivre. À vrai dire, tu ne t'attendais pas à ça. T'as presque cru qu'elle allait parler de vous, mais il est sans doute préférable qu'elle ne l'ait pas fait. Apparemment, votre rencontre et tout ce qui a suivi lui a donné envie de se battre pour changer les choses. Même sans savoir si une solution existe, tu es contente pour elle. Quelque soit la finalité, la brune sera sans doute plus heureuse de vivre avec le souhait et l'espoir de pouvoir changer les choses. Après tout, c'est aussi ce que t'as essayé de faire. Acheter une nouvelle vie, pour ne plus rester enlisée dans le passé. Avec un peu de chance et de persévérance, ça devrait lui être bénéfique. « Je te souhaite de parvenir à changer les choses, dans ce cas. » réponds-tu dans un léger sourire, et avec sincérité. « Si je peux faire quelque chose pour t'aider, aujourd'hui ou à l'avenir, n'hésite pas à me le faire savoir. » Après tout, elle est celle qui t'a dit ne pas vouloir faire d'adieux, ça veut dire ce que ça veut dire... pour autant, ça ne signifie pas qu'il y aura plus entre vous. Ça se trouve, elle ne te recontactera jamais. Mais qu'importe, tu espères qu'elle s'en sortira. Après tout ce que tu viens d'apprendre, il est certain qu'elle le mérite.

Son changement de sujet te surprend un peu, mais tu comprends que tout comme toi, Jude est sûrement un peu gênée. « Je fais de petites scènes, principalement dans le secteur. Ça me suffit, et c'est sûrement mieux en considérant ma... condition. » expliques-tu simplement. Être une star connue mondialement, c'était un rêve d'adolescente. Mais une véritable star qui ne vieillit pas ferait bien trop parler. Tu préfères t'en sortir tranquillement, plutôt que d'être accusée de conspirer avec les reptiliens. Une vie simple te sied bien, et tes intuitions ne te laissent pas vraiment le temps d'en faire plus, de toute façon. Tout en parlant, tu t'es approchée de la table pour y voler un croissant. Après tout, il serait impoli de ne rien prendre alors que Jude les a ramené exprès. Tu croques dedans tout en lui jetant une oeillade, avant de revenir au sujet initial. « T'as une idée de par où commencer ? » Malgré toi, son avenir t'intéresse. Vous n'en aurez pas un commun, mais... et alors ? Il n'est pas si anormal de te demander ce qu'il va advenir d'une personne qui a un jour partagé ta vie. C'est sûrement ta seule occasion de le faire, avant qu'elle ne reparte, qui plus est. Ou bien est-ce un moyen de faire durer la discussion pour la retenir encore un peu ? Ça, pas question de l'admettre !

code par EXORDIUM. | Images par
daily-hundred

L’avenir. Jude hocha la tête suite à la répétition de Dani, confirmant ses dires comme si ces simples mots étaient si lourds de sens que cela les rendaient impossible, ou presque, à déchiffrer. Alors elle poursuivit, développant ce que ces heures de calme à l’aube lui avaient permis de conclure. Mais la proposition de Dani fit pencher la tête à Jude, qui la regarda.

Peut-être n’avait-elle pas été assez précise dans son développement. Après tout, des années de quasi-silence n’avaient pas amélioré son sens de la communication. Mais avant de préciser sa pensée, elle ne pu s’empêcher de poser la question qui lui brûlait les lèvres, curieuse de la vie que menait Dani à présent. Jude hocha lentement la tête.
Des petites scènes, c’était bien. Une pointe de fierté naquit dans son cœur. Dani méritait les plus grandes scènes du monde, la mi-temps du Superbowl, la tête d’affiche sur tous les billboards new yorkais. Mais si la situation actuelle lui suffisait… alors tant mieux. La sorcière saisit un croissant sous l’œil de la dragonne, se rapprochant de cette dernière par l’occasion. Maintenant que le sujet avait tourné sur Dani, Jude ignorait comment revenir sur la proposition de la blonde à son sujet, craignant d’être trop brusque à changer à nouveau de sujet pour le recentrer sur elle. Elle sirota donc son café pour se donner le temps de trouver une approche plus douce, ne quittant pas Dani du regard alors que cette dernière ne cessait de lui jeter quelques petits coups d’œil.

Finalement, c’est Dani qui lui offrit le moyen de préciser ses pensées. Jude secoua la tête.


Elle allait certainement commencer par des recherches internet. Jude, qui n’était absolument pas douée avec cet outil, en dehors de ce qui concernait ses commandes de matériel et sa paperasse obligatoire en ligne, l’effort d’utiliser un moteur de recherche pour lui donner une piste ou l’autre lui semblait incroyable. Mais bon… Si elle s’y prenait bien, cela serait peut-être utile.


Elle se leva, posant sa tasse à moitié pleine sur la table près des croissants, et se rapprocha de la blonde un tant soit peu. La dragonne planta son regard dans celui noisette de la musicienne.



Hier soir le lui avait fait prendre conscience, cette nuit l’avait convaincue, ce matin l’avait décidé.


Jude en avait besoin. Elle avait besoin de cette force que Dani pouvait lui donner en restant près d’elle. Elle le sentait, elle le savait, mais elle savait aussi que cela demanderait à la sorcière un sacrifice qu’elle pouvait refuser de donner. La mécano l’accepterait, mais elle tentait le coup malgré tout. Et puis… peut-être y avait-il même une chance que cela n’affecte pas du tout Dani. Jude ignorait pourquoi elle avait tenu si longtemps. De ce qu’elle savait, les sorcières n’étaient pas systématiquement douées d’une longévité plus élevée. Mais ses connaissances s’arrêtaient là. Peut être qu’avec un peu de chance, ce qui permettait à Dani de vivre plus longtemps, tiendrait les effets de la malédiction à l’écart ?

Par où commencer — c'est la question que tu te poses pour Jude. Après trente ans passés à fuir cette malédiction, tu imagines qu'il sera dur de faire les premiers pas pour la combattre. Mais, ça ne sera certainement pas plus difficile que d'accepter de vivre en solitaire et de rejeter tous les êtres qui lui sont chers. Tu n'oses imaginer ce que ça a pu lui coûter, durant tout ce temps. Avec un peu de chance, une solution sera trouvée et la brune sera libérée de son fardeau. Elle ne tarde d'ailleurs pas à t'expliquer qu'elle ne se souvient plus du nom de famille de la concernée, ce qui te fait largement sourciller. Si on t'avait maudit, t'aurais jamais oublié la moindre information, rien que par rancoeur. Ça montre bien à quel point Jude a accepté cette situation, ce qui est d'autant plus triste. Tu hoches doucement la tête à la suite des paroles de la brune. Elle a donc plusieurs pistes, mais celles-ci sont plutôt floues. Il lui faudra certainement en essayer plusieurs avant d'obtenir de premiers résultats. Après tout, il a toujours été évident que ce ne serait pas une quête aisée. Il y a difficilement pire qu'une malédiction, à tes yeux de sorcière. En réfléchissant aux solution possible, tu t'égares un peu dans ton esprit, et c'est à nouveau la voix de la dragonne qui te fait revenir à la réalité. La manière dont elle a prononcé ton prénom, et dont elle s'est levée pour se rapprocher de toi te laisse penser qu'elle va dire quelque chose d'important. Après toutes les révélations de la veille, ça ne peut certainement être pire.

Alors tu soutiens ce regard qu'elle t'a lancé, et tu te contentes de lui laisser la parole. Malgré toi, tu sens ton visage se décomposer en comprenant ce qu'elle voulait dire depuis le départ. Tu te sens un peu idiote, mais peut-on te blâmer ? Après trente ans, qui aurait pu deviner qu'une seule nuit suffirait à tout changer pour Jude ? Qu'elle s'y déciderait si rapidement ? Ça te parait presque irréel. Qu'elle trouve la force de se battre pour sa propre liberté est parfaitement plausible, mais pour vous ? Dire que depuis hier soir, tu t'efforces d'être raisonnable, de faire ce qui est de toute évidence le mieux pour toi... tu as bêtement imaginé qu'il en serait de même pour la brune, et si tu es gênée, tu ne saurais dire s'il s'agit d'une bonne ou d'une mauvaise nouvelle. « Ne plus me fuir ? Tu veux dire que tu... tu ressens toujours quelque chose pour moi ? »  réponds-tu avec hésitation, ne sachant réellement comment réagir. Ne s'agit-il pas simplement d'une euphorie liée à la nuit précédente ? À cet instant, ton esprit semble prêt à trouver toutes les excuses, toutes les craintes possibles. « Tu me prends un peu de court. » avoues-tu en lâchant un rire nerveux. En même temps, pour ce que tu connais de Jude, tu ne l'as jamais vu aussi déterminée qu'à cet instant. Pourtant, ça ne signifie pas que les choses sont aussi simples. Il y a un paquet d'années, t'aurais sans doute foncé tête baissée, mais tu n'es plus cette fille là. « Et comment peux-tu être aussi sûre de toi ? Trois décennies se sont écoulées, nous ne sommes plus les mêmes qu'autrefois. » Vous vous êtes fréquentées quelques temps, beaucoup moins que le temps qui vous a séparé depuis. Même si vous avez des souvenirs communs et plus ou moins la même apparence, une vie entière s'est écoulée depuis.

Tu ne lui expliqueras pas, mais en plus de ça, si quelque chose avait changé, tu le saurais. N'est-ce pas ? Toi qui a une telle visibilité sur le temps qu'il te reste, tu aurais été la première à remarquer un changement. Si des sentiments pour elle existaient de nouveau, la malédiction devrait se faire ressentir. Un soupir finit par t'échapper, alors que ton esprit est aussi embrouillé qu'hier soir. « Tu peux rester dans les parages, et je veux bien t'aider. Mais pour le reste, il est trop tôt pour affirmer quoi que ce soit. » Tu ne veux pas la blesser, loin de là, mais même si t'as la sensation que rien n'a vraiment changé au fond, cette situation est effrayante. Tu sais pas trop pourquoi. Peut-être car t'es habituée à vivre dans ta bulle, à l'abri du moindre tourment. Tu t'imagines bien faire ta vie avec tes plantes, de la bonne musique, et quelques bons livres. Tout peut être aussi simple. Pourtant, et malgré ta résistance, t'as la sensation que Jude va venir chambouler tout ça.

code par EXORDIUM. | Images par
daily-hundred

Jude est déconcertée par la question de Dani. Elle pencha légèrement la tête, la fixant. Elle pensait que ses actes de la veille, ou même de ce matin, avaient pu donner la puce à l’oreille de Dani mais… Il était vrai qu’après tout ce temps, il était normal que l’idée soit difficile à imaginer… Alors, puisqu’aucun mot ne pu sortir de la bouche de la mécano en ce moment précis, elle hocha la tête, lentement, trop faiblement pour cacher la crainte de la réaction de la blonde qui faisait bruler les veines de la brune. Mais suite au rire nerveux de Dani, Jude fit un pas en arrière. Cette réaction ne présageait pas grand-chose de bon pour la suite de la conversation, mais… Elle aurait pu, elle aurait dû s’en douter.  La question, rhétorique semblait-il, de la musicienne, finit de montrer à Jude qu’elle aurait dû anticiper cette réaction.

Mais elle ne l’avait pas fait. Et maintenant elle ne pouvait pas ignorer la pointe douloureuse qu’elle ressentit. Mais pouvait-elle blâmer Dani ? Pas vraiment. Elle avait raison après tout… Tant d’années avaient passés, qui lui garantissait qu’elle retrouverait la Dani qu’elle avait quitté autrefois ? Même si elle avait l’intuition que cela était possible, il fallait se rendre à l’évidence, Dani était bien plus prudente qu’elle.

Même en reculant, Jude n’avait pas pu quitter la sorcière du regard. Penchée à ses lèvres en attendant la décision finale. En fin de compte, elle ne sut même pas interpréter comment elle se sentait suite à cela.

Son soupir sonna comme une résolution, comme une concession plutôt qu’une véritable offre d’aide. Aussi, le sourire que Jude afficha suite à ça ne pu cacher le reflet de sa peine. Pour le reste, elle hocha la tête, compréhensive. Elle n’allait pas forcer la main de Dani, après tout… c’était une situation si compliquée.


Fut la seule chose sincère qu’elle pu répondre. Plus que tout, elle ne voulait pas que Dani se retrouve coincée dans ces reflets du passé. Et maintenant que Jude avait pris sa décision, elle comptait bien tout faire pour remédier à sa situation. Même si Dani finissait par prendre un chemin différent, encore. Même si aujourd’hui, Jude faisait ça pour elles, elle savait qu’elle le faisait aussi pour elle-même. Au final, elle avait appris à vivre avec le poids si lourd de cette foutue sorcière, si bien qu’elle ne le sentait plus. Mais maintenant qu’une possibilité de se libérer de cela avait frôlé son imagination, elle avait hâte que ce poids s’envole. D’une manière ou d’une autre.

L’atmosphère était lourde. Jude, dissimulant un nouveau pas en arrière par le mouvement qu’elle fit pour saisir un croissant, décida qu’il fallait l’alléger un peu. Même si… Il n’y avait pas grand-chose qui puisse dissiper l’émotion qu’elle ressentait actuellement.


C’était de l’humour, elle avait essayé. Mais elle-même n’y croyait pas trop. Putain qu’elle était pathétique. Tenant le croissant entre ses dents, elle tourna le dos à Dani pour lui cacher ses yeux humides, se ressaisissant en fouillant dans la poche de sa veste pour y trouver un petit bloc-notes et un vieux crayon. Elle y nota son numéro et après une hésitation, l’adresse de son garage.  Si Dani estimait qu’il était trop tôt pour affirmer quoi que ce soit… il était peut-être mieux de noter ça plutôt que l’adresse de son appart. Elle pris une grosse inspiration et se retourna pour déposer le papier sur la table, près des croissants, après avoir arraché la page du bloc-notes.


Peut être que Dani finirait par se souvenir d’elle ne savait quelle manière de conjurer un mauvais sort. Toutefois, même dans la réalité alternative où Dani n’était ni sorcière ni surnat, Jude savait que le soutien de la musicienne l’aiderait. C’était sa motivation, après tout… mais ça, elle se garda bien de le lui dire.

Elle jeta un œil à sa montre des années 90.


Elle était peut être la meilleure mécano de l’état, si l’autre garagiste remettait pas la voiture à temps, Jude pourrait dire adieu à ses honoraires. Elle releva le regard vers Dani, maintenant qu’elle avait pu reprendre un peu le contrôle. Et là, les mots lui manquèrent à nouveau.  Comment dire au revoir à la blonde sans lui dire adieu ? Sans mettre trop d’affectif dans ses mots ? Sans pour autant paraitre trop froide, ou même blessée par le rejet ? Était-ce seulement un rejet ? Bordel, Jude s’isolait depuis plus de trente ans, ça aidait pas pour trouver les mots.

Tu sens bien que ton attitude, ainsi que tes réponses, ont attristé Jude. T'aurais bien voulu lui épargner ça, mais la situation est compliquée. Tu ne t'es pas préparée à un tel revirement de sa part, alors elle a eu droit à une réaction à chaud de ta part. Adoucie, peut-être, mais toujours à chaud. Elle ne répond pas à tes quelques questions, mais tu ne lui en veux pas. Peut-être qu'elle ne détient tout simplement pas les réponses, ou bien elle juge préférable de les garder pour elle. Tu respectes cela, puisque tu as toi-même choisi la prudence par dessus le reste. Le sourire que la motarde affiche ne te dupe pas. Sa tristesse est palpable, et tu ne peux t'empêcher de la partager. Malgré tout, ça ne te fera pas changer d'avis, et la brune s'en doute certainement, puisqu'elle se contente de te remercier. Tu restes persuadée qu'il s'agit de la meilleure décision pour le moment. Parfois, ce qui est bon n'est pas tout de suite agréable. En plus, tu l'as répété un millier de fois aux personnes qui ont croisé ta route : parfois, le problème est que les gens ne changent pas, et d'autres fois c'est l'inverse. Le risque d'en souffrir -ou pire- à cause d'une décision prise sur un coup de tête te parait trop grand.

Tout comme la tension qui vous entoure, d'ailleurs. Pourtant il n'y a aucune colère, ça ne te semble être que du dépit. Jude essaie sans doute d'y échapper, lorsqu'elle recule d'un pas et se lance dans une tentative d'humour. Tu souris gentiment en retour, légèrement attendrie. Après tout, il est difficile de trouver la force de faire rire, quand on est d'humeur maussade. Toutefois, Jude ne vit pas ce sourire. Elle était déjà dos à toi, en train de fouiller dans sa veste. Pendant un instant, tu te demandes même si elle cherche un mouchoir pour camoufler son émotion, mais tu comprends finalement qu'elle t'a noté ses coordonnées sur un bout de papier. Quelque part, ça te soulage de savoir qu'elle ne se sent pas aussi mal, mais au fond ça ne veut rien dire. C'est juste ce qu'elle montre, pas la vérité. « Merci. Je t'enverrai un message, pour que tu aies mon numéro. Il a changé depuis... un bail en fait. » expliques-tu en prenant le papier entre tes mains. Avec ça, vous êtes sûres de garder un contact, même si tu ne sais pas encore comment tout ça va se passer. Peut-être que tu devrais rester distante, pour vous préserver. Au fond de toi, ce n'est pas de ça que tu as envie, mais tu crains de causer plus de souffrances que nécessaire.« J'vais tâcher de me renseigner, pour cette histoire de malédiction. Peut-être que d'autres sauront quoi faire. » expliques-tu ensuite, pour donner une perspective positive à l'avenir. Tu espères vraiment dénicher une solution, mais il te semble peu probable que ça soit aussi simple.

Jude jette un oeil à sa montre, et juste comme ça, tu sais qu'elle va partir. Pas pour aller à son rendez-vous, mais certainement pour échapper à cette tension qui vous entoure. Ça ne te ravit pas, mais son départ sera sans doute un soulagement. Tellement de choses se sont passées, en si peu de temps... il va t'en falloir un peu pour l'avaler et aller de l'avant. Pour savoir quoi faire de l'avenir, toi qui le pensais déjà tout tracé. Tu ne sais plus s'il va continuer à te sourire, ou se briser. Une pointe d’anxiété est née dans le creux de ta poitrine, depuis hier, et tu sens qu'elle va t'étouffer si tu ne respires pas un peu. Croisant enfin son regard, tu hoches doucement la tête. « Bien sûr... je comprends. Tiens moi au courant de quand tu quitteras la ville, dans ce cas. » réponds-tu, un peu gênée de la voir se diriger vers la sortie. Tu ne sais pas si elle le fera, mais au moins elle saura que tu as été sincère. Que tu veux bien rester en contact et l'aider, même si ça se limite à ça. Tu la raccompagnes donc vers la porte, hésitant à l'embrasser sur la joue, mais tu t'en gardes finalement, ne souhaitant pas la rendre triste. Lorsqu'elle met un pied dehors, tu lances en élevant un peu la voix. « Fais attention à toi ! » avant de la regarder partir, non sans une pointe d'amertume. Tu souris toutefois à l'idée qu'au moment où elle montera sur sa moto, elle recevra ton message, comme promis. Pour ça, elle n'aura pas à attendre. De ton côté, ce sont des recherches qui t'attendent. À côté de ça bien sûr, tu sais que tu vas cogiter, à te parler des nuits entières sans aboutir à une solution. Les choses ne sont jamais simples avec toi, tu le sais. Trop de questions, trop de craintes. Personne à qui les exposer. Mais, on ne te changera plus, n'est-ce pas ?

code par EXORDIUM. | Images par
daily-hundred

Elle fit un pas de plus en arrière, le cœur battant lourdement dans sa poitrine, mais pas pour les mêmes raisons. Pour la première fois depuis longtemps, Jude sentait un chagrin si dense l’envahir. Elle devait sortir d’ici, le plus vite possible. Mais elle prit sur elle. Dani croyait déjà qu’elle fuyait, Jude en était sure. Elle ne voulait pas renforcer cette impression. Jude lui tend le petit papier, où elle avait noté toutes les infos importantes. Son doigt frôla celui de Dani quand la  sorcière s’en saisit. Elle ne douta pas de sa parole. Elle avait mal, elle se sentait mal, mais elle ne doutait pas des paroles de la musicienne. Au même titre qu’elle l’avait cru quand elle lui avait dit qu’elle l’aiderait si elle le pouvait. C’était un stupide SMS, mais là Jude s’en allait, et elle n’avait aucun moyen de recontacter Dani si l’envie ou la nécessité le lui prenait. Elle ne connaissait même pas le nom de sa rue pour dire. Jude hoche la tête. Probablement que cela l’aidera. Et ensuite… ensuite on verrait. Elle n’est même pas sûre de ne pas être rattrapée par les années une fois sa malédiction tombée.

Jude n’a plus la force de parler. Une boule s’est formée dans sa gorge, mais elle fait de son mieux pour la contenir, de même qu’elle fait de son mieux pour ne pas montrer à Dani la rougeur qui apparait sur ses joues, dans ses yeux. Elle saisit à nouveau son cuir, le jetant par-dessus l’une de ses épaules alors qu’elle ouvre la porte et retrouve le froid glacial du matin. Sa moto n’a pas bougé, l’attendant fidèlement. Elle sort les clés de son Jeans. Dani l’interpelle, et Jude ne peut retenir un sourire. Elle retourne à demi la tête et lui fait un signe de la main. Elle a toujours fait attention à elle.

Il ne lui faut que quelques secondes, son cuir enfilé, pour enfourcher sa moto, insérer la clé, et la démarrer d’un mouvement du pied. Sans attendre, Elle fait aller les gaz et Jude file tout droit, retournant au magasin de la veille pour retrouver ses repères jusqu’au garage de son contractant. Le vent permet de faire s’envoler les larmes qu’elle ne retient plus .Elle aurait pu se douter d’une telle fin. Était-ce la fin ? Peut-être. Dani allait l’aider, mais ça s’arrêterait là. Elle devait l’admettre mais son cœur avait trop mal pour ça. Elle aurait dû s’y attendre. Elle avait nourri trop d’espoirs en si peu de temps.  Et puis… Dani avait raison, le temps l’avait probablement changée, les avaient certainement changées.

Arrivée au Garage, Jude avait cessé de pleurer, et avait pu mettre, en toute crédibilité, les rougeurs de son visage sur le froid de l’air. Elle ne sut interpréter l’émotion ressentie quand elle vit le message de Dani. Elle enregistra derechef le numéro pour ne pas avoir à le chercher à l’avenir.

Il lui fallut quelques heures pour finir son travail sur la corvette. Il faisait presque nuit quand elle sorti. Elle avait travaillé plus vite, plus fort qu’elle ne l’aurait dû, mais ça avait été nécessaire. Le garagiste fut ravi, la voiture ronronnait mieux qu’avant même. Il paya Jude, et appela le client qui n’arriva pas assez vite pour voir la mécano. Cette dernière avait l’impression que la ville entière l’étouffait. Elle avait rapidement retrouvé sa moto, et s’était rendue au Motel, où elle avait  pris une douche rapide, avait emballé ses affaires, puis avait réglé sa note. Sur le parking du motel, assise sur sa moto, elle sortit son téléphone, et retrouva le message de Dani pour y répondre.



Elle fixa l’écran de son blackBerry un instant, puis effaça la dernière phrase pour la remplacer.


Elle pris une grande inspiration, puis appuya sur la touche envoi.

Quelque part dans la nouvelle orléans, le téléphone de Dani venait probablement de vibrer au son de la notification, alors que plus loin au nord, un nuage de poussière suivait l’ancienne Indian sur les routes de terre qui ramenaient Jude à la maison.