Let be Mechanical! [Rogus&Jude]

Les jurons, comme à leur habitude, sortaient tous seuls. Jude était rarement observée, et donc rarement entendue. Là maintenant, la mécano avait la tête sous le châssis d’une Toyota bien trop récente à son goût. Ce qui l’énervait avec ces voitures récentes, c’était la propension de plastique monstre que ces foutus constructeurs mettait dans leurs bagnoles. Avec ça, le métal était tout perturbé, il en répondait plus, ou pas assez. Et encore fallait-il que ça soit une pièce d’alu ou d’autre qui nécessite réparation. Quand c’était ce maudit plastique qui était en cause, Jude redevenait une mécano banale, et le silence la frustrait.

Elle prit la torche entre les dents pour saisir à deux mains cette plaque de plastique. C’était la dernière tentative de Jude avant de soulever l’auto pour détacher la rebelle de force. Se stabilisant avec ses pieds, elle tira de toutes ses forces sur la maudite plaque. Elle la sentit lâcher lentement mais malgré ses efforts, elle ne tomba pas.

Jude devait accéder au conduit d’échappement qui se trouvait en dessous, mais les attaches étaient bien plus solide que prévu. Maudites voitures japonaises et leurs solidités monstre à base de plastique… Si la dragonne était spécialisée en vieilles voitures, elle devait bien être forcée d’en accepter de plus récentes si elle voulait manger le soir. Non pas que se payer fut un problème, elle avait bon espoir de bientôt pouvoir engager un nouvel apprenti. Elle était ici depuis déjà suffisamment longtemps pour que son habileté lui fasse une bonne pub. Mais si ces maudits constructeurs commençaient à préférer le plastique au simple, doux et parfait métal, elle aurait tôt fait de devoir changer de métier !



Finit-elle par rager en se dégageant de sous le véhicule. Elle n’aimait pas surélever ces machins-là trop haut mais là elle n’aura pas le choix pour cet engin. Alors qu’elle réajustait la bretelle de son bleu de travail sur l’épaule tout en appuyant sur la manette permettant de lever la plateforme sur laquelle le véhicule trop récent pour elle était posé, un bruit venant de l’arrière-boutique attira son attention. Mais presque au même moment, une voix criarde surgit de l’embrasure de la porte et avant qu’il n’entre pour la voir, Jude ferma les yeux, se pinçant l’arête du nez en poussant un long soupir exaspéré.

Nul doute à présent que Rogus se satisfaisait beaucoup de la réaction de la mécano face au surnom. Elle ignorait comment il avait su qu’elle était une dragonne, mais au moins elle savait qu’il était sorcier, donnant donnant. Au moins, il ne se doutait pas de l’âge réel de la mécano… elle avait moyennement envie d’ébruiter l’affaire.



Finit-elle par demander en s’éloignant de l’engin de malheur qui l’occupait depuis bien trop longtemps. Elle n’y pouvait rien la petite Jude. Malgré l’allure peu fringuant du jeune et cet usage beaucoup trop intempestif de ce maudit surnom, il était quand même un peu attachant, assez pour qu’elle ne le remballe pas à chacune de ses visites. Ça lui arrivait quand-même de ramener des trucs intéressants.

Elle leva un sourcils à la vue du baluchon mais ne dit rien. Cet enfant était toujours plein de surprises. Alors en attendant la réponse, elle alla chercher un torchon de papier pour s’essuyer les mains, et tenter d’enlever la trace de cambouis qu’elle s’était faite sur la joue. Jetant le papier dans une poubelle, elle quitta l’atelier pour se diriger vers l’arrière-boutique, se rapprochant de sa visite surprise qui, elle l’espérait, serait bien plus distrayante que sa Toyota à la con. Ouvrant le mini frigo, elle en sortit une canette de bière qu’elle ouvrit d’un doigt tout en lançant une petite bouteille de jus à son invité surprise. Peu importe le taf qu’il faisait, il restait jeune, et il ne boirait pas une seule goute d’alcool dans ce garage avant d’atteindre la majorité.

Après avoir à moitié vidé sa cannette ,en même temps qu’elle s’était à nouveau frotté les mains sur son bleu de travail, Jude reporta son attention sur son visiteur surprise. Elle apprécia qu’il ne tourne pas autour du pot, c’est qu’elle avait à faire avec sa foutue Toyota.

Au mot « Coccinelle », Rogus réussit à capter l’entièreté de l’attention de la dragonne. Elle tendit le bras pour baisser le son de sa radio, d’où tournait une playlist AC DC.


Demanda-t-elle, tout le sérieux revenu dans sa voix.  Sans attendre, elle suivit le ptit qui, d’un instinct probablement bon, avait décidé de déballer son paquetage sur la terre battue du parking à épaves. Elle ne dit rien, laissant le sorcier s’affairer à son travail, à sa démonstration. Il était comme ça, enfin c’est ce qu’elle avait compris du personnage. Il aimait bien l’extravagance, quand il pouvait en créer. Elle ne pu retenir le haussement de l’un de ses sourcils, presque tic quand elle ne pouvait s’attendre à quelque chose.

Après tout, un infime espoir la caressait actuellement, mais des modèles de coccinelle il y en avait des dizaines, sans parler de leurs variantes !  Il y avait une chance infime que….

Il posa son baluchon au sol, puis fouilla dans ses poches comme quelqu’un qui avait perdu ses clés… Jude ne dit toujours rien. La première fois, elle avait beaucoup douté. Mais depuis, elle s’était habituée. Une fameuse fiole refléta soudain la lumière du soleil et le sourcil de Jude se leva d’autant plus. Elle avait déjà vu le sorcier utiliser cette méthode de magie là, mais c’était bien le seul sorcier à sa connaissance à utiliser des fioles… m’enfin, ce n’était pas comme si l’austère dragonne côtoyait beaucoup de sorciers.

La goute tomba comme au ralenti, lentement appelée par la gravité qui la voulait pour elle. Mais quand elle toucha le contenu du baluchon, un nuage de fumée fit reculer la tête de Jude, fermant un instant les yeux pour éviter qu’ils ne piquent.

Quand elle rouvrit les yeux, elle découvrit une demi-douzaine de pièces, toutes variées, mais qui au premier coup d’œil venaient en effet d’un seul modèle. Elle entendit le ptit décrire le contenu, elle n’en avait pas besoin, elle voyait bien ! Elle entendit aussi le font de son jus se faire aspirer, mais toute son attention était désormais tournée vers ces beautés.

Ho ça, si y’en avait qui avaient des étoiles dans les yeux face à leur star favorite, ho Jude était sans aucun doute dans un état relativement similaire face à ces pièces. Un sourire perçant légèrement le coin de ses lèvres, elle se dirigea vers le capot, qu’elle retourna. Bingo !

À peine eut-elle saisi la pièce qu’elle l’entendit chanter dans ses mains. Ho Rogus n’entendrait rien du chant si doux du capot de coccinelle, c’était un privilège réservé à Jude. C’était un chant calme, la pièce était vieille. Très vieille, d’origine sans aucun doute. Et certainement aussi vieille que…

Elle reposa aussi délicatement qu’une fleur fragile le capot avec le reste des pièces, et se dirigea à larges enjambées vers l’arrière-boutique, où elle saisit, suspendu à un crochet au-dessus du lavabo, un trousseau de clés de toutes tailles et de tout format.

Le terrain de Jude était réparti en plusieurs endroits. Il y avait certes, le garage avec l’atelier, ‘l’arrière-boutique et le bureau, en plus du parking pour les clients, et du parking des voitures en attente de réparation un peu plus en arrière. Mais en plus de cela, le dernier tier du terrain était occupé par un large parking de terre battues où se trouvaient ses voitures à vendre mêlées à celles qu’elle gardait pour les pièces détachées. Et au fond de tout ça, son petit bijou délicatement rangé dans l’écrin de tôles qu’était son petit entrepôt. Lui-même était divisé en deux, d’un coté les pièces, de l’autre…

Elle ouvrit d’un geste habitué malgré la lourdeur du bois, la porte qui gardait jalousement cette partie de l’entrepôt. La lumière du jour dévoila lentement une carcasse, qui ne signifierait probablement rien pour beaucoup, mais que Jude regarda avec autant d’amour que si cela avait été un animal de compagnie.

Des projets persos, elle en avait peu, et elle mettait toujours énormément de temps à les finir. Il lui arrivait de garder le résultat final, mais souvent elle le revendait. Le plus intéressant pour elle c’était l’étape de réparation, ce moment où la carcasse devait finir compressée en un petit cube à la décharge, mais où Jude l’avait prise sous son aile, pour la chouchouter, la restaurer et la remettre sur la route. Souvent, c’étaient les motos qu’elle gardait, et si elle ne savait pas ce qu’elle ferait de celle-là, elle adorait bosser dessus, le peu de fois où elle avait le temps.

Son petit bijou actuel, c’était une magnifique Coccinelle de 1950. Ho magnifique, il n’y avait qu’elle pour voir ça, pour le moment, il s’agissait d’une carrosserie rouillée -bien que nettoyée- sans vitre, sans presque aucun intérieur, et sans la moitié des parties mobiles qui composaient son extérieur.

Ce modèle avait plus de 70 ans, et elle avait eu énormément de chances de trouver rapidement les roues d’origine, chez un revendeur dans l’Arkansas. Ces dernières étaient délicatement posées contre le mur du fond, prête à rouler.

Elle l’avait senti la première fois qu’elle avait posé la main sur le vieux châssis du véhicule, il voulait encore rouler, et il était en parfait état. Un châssis tordu, c’était la mort d’une voiture, à moins d’en trouver un autre et de lui transférer la carrosserie entière. Elle retourna vers les pièces toujours par terre, et porta sans encombre le gros capot courbé sur son épaule.


Trouver autant de pièces compatibles ensemble, c’était rare. Oh elles étaient décrépies, les chromes auraient tous besoin d’être refait, et il lui faudrait passer des jours au ponçage du capot pour lui enlever sa rouille, mais …

Sans attendre plus elle se dirigea vers sa carcasse chérie et y déposa délicatement le capot. Le numéro inscrit à l’intérieur l’avait confortée dans l’idée, mais elle voulait toujours être sûre, le numéro ayant pu être altéré avec la rouille et l’usure. Après une demi seconde, le capot s’emboita parfaitement dans l’ouverture dépourvue de moteur de la coccinelle, et Jude leva les bras en poussant un cri de victoire.


Elle avait certainement souffert du manque d’utilisation, l’épave de Rogus, pour finir à la casse sans qu’on prenne le temps de la réparer. Si Jude l’avait vue, elle l’aurait probablement sauvée elle aussi, mais savoir qu’au moins une partie des pièces – les plus utiles en plus – était ici, c’était une bonne chose. Son projet perso venait de progresser considérablement.

Pendant tout le temps où Jude était concentré sur la sublime trouvaille du gamin, ce dernier l’avait suivi, comme un chaton curieux, sans faire aucun autre son que le bruit de sa paille aspirant le fond de son jus. Peu importait pour la mécano. D’ordinaire, elle aurait trouvé ce bruit plus qu’agaçant, et aurait réagi en lui donnant un deuxième jus, ou en lui arrachant son berlingot des mains pour le jeter dans la poubelle la plus proche, dépendant de son humeur. Mais actuellement, elle était bien trop euphorique pour même songer être dérangée par lui…

Mais fallait avouer que la référence de Rogus à ce film fit lever un sourcil à Jude. Elle ne répondit pas de suite, concentrée à porter la pièce jusqu’à son bijou. Finalement, après son éclat de joie en constatant que le capot fitait parfaitement avec son vieux châssis décrépi, Jude tourna la tête  à demis vers le mino, répondant enfin à sa tirade par une autre ref du même flim.


Un sourire en coin, et elle refit fasse à son futur petit bolide. Ho ça oui, elle en ferait une voiture d’exception. Elle savait qu’elle la revendrait. Jude ne roulait pas dans des voitures pareilles, et elle préférait la voir chez un collectionneur, ou dans un musée – là où on prendrait soin d’elle, au final. Plutôt que sur son parking privé. Ses voitures, elle les aimait et les réparait jusqu’à les voir quitter le nid du garage, c’était sa petite poésie personnelle.

Elle leva un sourcil d’amusement, refaisant face à son petit revendeur privilégié, s’appuyant contre l’un des poteaux en métal du hangar. Elle croyait bien à la théorie du « tout et n’importe quoi » jeté dans les déchetteries. Elle avait déjà sauvé des carcasses entières de voitures à la déchèterie de Waco. En théorie, elle n’y avait pas accès, et à l’époque le responsable revendait ça une fortune, mais plus depuis qu’il avait appris à connaitre Jude,  et surtout depuis qu’elle lui avait réparé sa vieille Cadillac arthrose et toussant.  

D’ailleurs, Rogus ne tarda pas à parler de prix. La valeur de ces pièces, Jude la connaissait. Son visage se fit sérieux, quand il était question de prix, Jude était implacable.


Malgré son laïus, son prix restait dans le marché. Elle ne tenait pas à tirer parti de la potentielle ignorance de son revendeur. Elle restait honnête, mais aurait volontiers lâché deux cent dollars de plus si les pièces avaient été en bon état. L’ancienneté et la rareté de ces trois pièces ne justifiaient malheureusement plus, rouillées et décapées comme elles étaient, un prix plus élevé que normal.

Mais ça, elle n’en dit rien à Rogus. Implacable, imperturbable, s’il pouvait avoir réussi  à la faire sourire avec ses références, Jude était redevenu un mur impassible. Au tour de Rogus à présent d’en démordre. Avec le temps elle avait compris que la négociation, c’était son petit plaisir à lui.

Le problème des chiffres. Jude détestait parler d’argent, bien que ses moyens financiers n’étaient plus un problème depuis longtemps. Alors dès qu’elle eut énoncé son prix, une face d’homme d’affaire se montra chez Rogus. Enfin…. Autant que Rogus pouvait l’être, c’est-à-dire le regard un peu moins farceur, le sourire plus perçant. Ho rien ne changerait chez ce mome, Jude ne l’avait jamais vu vraiment, réellement sérieux.

ça n’empêcha pas la mécano de rester stoïque. Elle leva un sourcils quand il proposa son prix, il y croyait vraiment ? Nan, Jude allait pas lui lâcher 500 dollars pour ces pièces, c’était bien trop ! Elle se garda de dire que son premier prix était plus généreux que normal, elle savait que le jeune vivait seul et avec ses propres moyens.

Mais ce qui la fit presque ricaner fut la proposition maladroite du ptit brun pour l’aider. Son sourcils toujours levé, c’est d’un air parfaitement sérieux qu’elle répondit.


Ho ça oui, Jude travaillait seule. Les fois où elle engageait un apprenti, elle lui laissait les projets récents, ceux qu’elle n’aimait pas gérer, ou lui donnait un travail entier. Jamais ses apprentis n’intervenaient sur les bagnoles qu’elle retapait elle. Ça, le travail en groupe, c’était vraiment pas sa cam, alors si elle supportait relativement un apprenti rôdé à son caractère, Rogus lui était bien trop BIEN TROP excentrique pour la dragonne. Elle se retint de soupirer de fatigue rien qu’à l’imaginer bosser sur son taf.


C’est vrai qu’au moins les tâches ménagères seraient faites. Un garage, ça n’est jamais vraiment propre. Enfin ça l’était, dans la mesure d’un travail. Le cambouis avait imprégné le sol, et les lieux sentiraient toujours le vieux cuir, le caoutchouc neuf, et la rouille. C’était la douce flagrance de son atelier. Et si Jude était pas estampillée «Parfum vieux garage » C’était une odeur qui restait agréable à ses oreilles, elle changeait rarement, et depuis presque soixante ans qu’elle bossait, ça restait quasiment la même qu’à ses débuts. Sa proposition bien que sérieuse, avait malgré tout été dite avec une pointe d’humour, elle ignorait encore si elle préférait faire le balai seule ou le déléguer au ptit.

Néanmoins, elle retourna vite sur le sujet qui fâchait, pas destabilisée le moins du monde par les grands yeux tout lumineux et le sourire rayonnant que Rogus lui offrit pour la supplier. Enfin, à peine destabilisée… mais ça il n’en verrait rien.


Implacable, fallait pas sous-estimer la dragonne. Ho elle avait vécu assez pour savoir se positionner sur ses idées. Surtout quand on est une fille mécano dans les USA des années 60. Pire époque pour faire ce taf en étant pourvue d’un utérus, ça c’était clair et net. Camper sur ses positions, Jude l’avait maitrisé. Son prix avait claqué sec comme le bâton sur les planches d’une scène de théâtre, qui par sa simple résonnance provoquait le silence complet et pesant dans le public. Elle fixait Rogus, regard froid mais sûr.


Ok, elle avait cédé.

Mais juste un peu, pour un truc qu’il n’avait pas ramené sur le tapis.

Ça allait encore, non ?

Pour jouer avec, pour emporter, pour en faire ce que diable lui semblerait. Parmis tous ses parkings, une zone de son parking de carcasse était réservé à celles dont elle ne pouvait –encore- rien tirer. Elles étaient délimitées par des montagnes de pneus usagés, dressant comme des phares les quatre coins de la zone. C’était cette zone là que Jude évoquait, et elle savait que Rogus le comprendrait, ça ne serait pas la première fois qu’elle en parlait avec lui.

Y’avait pas à dire, Jude était surprise que le ptit soit si enclin à nettoyer l’atelier de quelqu’un d’autre. S’il y avait bien quelque chose que Jude aurait pas du tout apprécier, c’était de passer derrière le bordel de quelqu’un d’autre !

Elle haussa mentalement les épaule. Borf ! une main d’œuvre presque gratos, tant qu’elle devrait pas le faire elle-même, ça lui allait ! Alors elle ne recula pas face aux étoiles qui étaient si soudainement apparues dans les yeux du minot. Et sans surprise… Il accepta. Elle retint son « et merde » et hocha la tête d’un air entendu. Mais avant qu’elle ne puisse faire un seul pas pour sortir du hangar, le ptit vint lui serrer la taille en une étreinte rapide qui n’empêcha pas Jude de lever les bras, ne sachant pas véritablement comment réagir autrement que le fixer jusqu’à ce qu’il la lâche. Heureusement, il le fit vite et Jude retrouva rapidement sa bulle personnelle pleine et saine.

Alors elle se décolla du pilier de métal et se dirigea d’un pas vif vers la sortie, entrainant Rogus derrière elle comme une vague entrainait les bateaux. Dehors, elle mit rapidement les nouvelles pièces achetées à côté de … de Choupette. Elle les nettoierait et les rangerait plus tard. Là, fallait qu’elle bosse. Alors une fois ça fait, elle se dressa sur la pointe des pieds pour saisir la poignée de la lourde porte avant de la faire glisser vers le bas avec un bruit fort et à peine désagréable. Il ne tarda pas à vouloir se mettre au boulot et d’un geste de la main, Jude l’invita à la suivre. Elle parcouru son terrain à grandes enjambées, ne se préoccupant pas de la démarche dont le ptit devrait faire preuve pour le suivre.  La première porte qu’ils franchirent les fit entrer dans l’arrière-boutique, qui servait aussi de cuisine à Jude. Elle suspendit à l’un des murs le trousseau qu’elle avait pris plus tôt pour ouvrir le hangar, avant de traverser la cuisine, franchir une autre porte pour se retrouver dans l’espace de vente où la MG bleu électrique était toujours dans l’attente d’un nouveau propriétaire. Sans y accorder un regard, elle longea le mur à sa droite pour entrer dans son bureau et se diriger vers la porte du fond, qui donnait elle sur les vestiaires. Fallait vraiment qu’elle fasse installer une porte entre le vestiaire et la cuisine… elle aimait pas trop que d’autres rentrent dans cet espace.

Le bureau, étonnement, contrastait énormément avec le reste du bâtiment. Il sentait bon la rose, et une large fenêtre de toit lui apportait une lumière conséquente. Jude avait veillé à ce que son isolation soit la plus optimale, aussi même si quelqu’un travaillait dans l’atelier, on ne pourrait pas l’entendre dans la pièce. Le long du mur de la porte desservant l’espace de vente, il y avait une bibliothèque énorme, reliant les deux coins de la pièce et allant jusqu’au plafond. Dedans, tantôt des maquettes, tantôt des livres sur les autos, tantôt des manuels mécano et pour le reste, tous ses dossiers et administratifs. Il y avait quelques cadres, mais aucune photo de proches, ni de famille. Les espaces vides étaient comblés par des plantes vertes, dont l’une tombait presque jusqu’au sol. Le bureau en tant que telle était positionné près du mur du fond, entre les deux portes qui se faisaient face. C’était un vieux meuble en bois sombre et massif, dont les pieds larges étaient remplis de tiroirs. Le fauteuil paraissait simple à côté de la complexité du bureau en lui-même, mais il avait des roulettes qui roulaient super bien sur le fin tapis bordeaux qui couvrait une partie du lino. Elle se dépêcha de conduire Rogus au vestiaire.

Dedans, elle ouvrit le petit cagibi, et en sorti sa serpillère et son seau ainsi que tout le bordel qui allait avec. Les produits ménagers étaient tous sous l’évier de la cuisine, donc il ne faudrait pas grand-chose en plus. En plus de cela, elle pris un balai et avec une légère hésitation, elle saisit un petit tablier vert menthe avant de refermer le cagibi. Elle l’avait jamais mis, ce foutu tablier, mais ça serait marrant de voir le ptit avec.

Finalement, elle sortit avec Rogus et lui donna le tout, avant de fermer son bureau avec la clé qui pendait de son bleu de travail.


Expliqua-t-elle alors qu’elle remplissait le seau de l’eau et des produits. Une petite odeur de propre s’en dégageait déjà, et ça f’rait certainement pas de mal pour la vente de sa MG tiens. Finalement, après s’être assurée que Rogus avait bien compris sa tâche, elle retourna dans l’atelier par la porte qui le séparait de l’espace de vente. Elle laissa d’ailleurs la porte ouverte. Elle était chiante à ouvrir et…. Elle se doutait que Rogus serait curieux.

Elle se reconcentra sans difficulté sur sa maudite voiture récente bourrée de plastique et réenclencha le bouton de levage du pont qui soutenait la voiture. Elle fut rapidement à une bonne hauteur pour que la mécano tente à nouveau de retirer les protections sans se péter le dos ou les coudes.

En effet, ce fut plus facile, et ce plastique à la con fut rapidement par terre, la réconciliant presque avec les voitures récentes. Elle était entrain de chipoter aux conduits d’échappement quand elle perçu du coin de l’œil la tête de Rogus dépasser de l’encadrement de la porte de l’atelier. Bingo… elle l’aurait parié qu’elle serait devenue encore plus riche qu’elle ne l’est déjà.

En effet, la voix du ptit raisonna rapidement dans l’énorme atelier et Jude pris soin de terminer de visser un boulon avant de surgir de sous le pont levant. Une habituelle nouvelle tache de cambouis était apparue sur son front, qu’elle s’essuya du revers d’une manche pour au moins y retirer un peu de sueur.


En même temps une caisse pareille, c’tait chiant, puis ça faisait bien ses affaires à Jude.


Elle sourit de manière espiègle, elle savait bien que non, Rogus n’avait pas terminé la pièce. Mais elle pouvait pas vraiment le blâmer. Ça faisait partie de …. Son charme ? nan, de lui tout court, d’être curieux.

Cette fois, elle ne retint pas son sourire quand il fila à toute allure vers la salle de vente, pour récupérer son balai et s’afférer à nouveau au travail. Elle l’avait bien vu mimer mais…. S’était retenue. Le self contrôle ça allait, pas éclater de rire ça allait. Rester Pro-fe-ssio-nnel. Après tout, ce ptit n’était qu’un… fournisseur ? Elle savait pas vraiment par quelle magie il arrivait à la faire le tolérer. Elle qui ne supportait plus depuis longtemps qu’on envahisse son espace personnel, qu’on s’incruste dans sa bulle sociale, qu’on touche de trop à ses affaires à elle. Sans doute l’esprit léger de l’ados lui permettait à elle de lâcher du leste un peu. De se souvenir de son propre passé où elle était à peine plus sage que lui, de cette époque où elle pouvait faire des conneries et en assumer les conséquences en riant, presque par bêtise. C’était pas grave, elle était jeune. Aujourd’hui elle s’était pas mal calmée, mais même si Rogus ne restait qu’une connaissance de travail, il faisait peut être du bien à l’ambiance morose du garage, et l’alimentait de sa bonne humeur constante juste assez, le temps qu’il revienne.

A vrai dire souvent, même si elle pouvait acheter les pièces qu’il lui ramenait, ailleurs et pour pas grand-chose, elle n’hésitait pas à les lui acheter à lui. Sans qu’elle se force, si ça pouvait motiver Rogus à revenir.

Mais… le coup du balai ça, elle lui avait jamais fait comme ça. Elle avait bien compris que son unique motivation au ptit, c’était de farfouiller. Après tout, il faisait ça dans sa casse, c’était son gagne pain. Il farfouillait, dénichait des trésors ou des trucs inutiles , et en faisait des trucs un peu moins inutiles. Enfin, c’était comme ça qu’elle l’avait compris, parce que même ça c’était pas encore très clair pour elle.

Peut être qu’un jour elle prendrait sa camionnette remorque pour rouler jusqu’à sa casse et aller dénicher elle-même ses petits trésors. Parce que jusqu’ici, il venait toujours.

Le garçon retourné à son affaire, Jude se concentra à nouveau sur sa voiture. C’était fou comme maintenant que le plus chiant était fait, elle allait bientôt avoir fini. Elle finit de serrer un boulon, remit les caches, les fixant avec autant de hargne que nécessaire, comme pour se venger de leur rébellion au moment où elle avait dû les déboiter. Ça fait, elle descendit la voiture du pont, et sorti de l’atelier. Un spectacle déroutant la saisit, alors que Rogus… faisait un spectacle de danse avec son balai ? Elle savait pas trop. Elle haussa les épaules et se dirigea dans son bureau qu’elle referma derrière elle.

Rapidement, elle trouva le numéro du client et l’appela pour qu’il vienne récupérer sa voiture. Seulement, elle tomba sur sa boite vocale et finit par laisser un message avec ses heures d’ouvertures et son numéro. Il ne restait plus qu’à sortir la voiture de l’atelier pour qu’elle attende sagement son propriétaire sur le parking, mais alors qu’elle raccrochait, des bruits de fracas raisonnèrent de la salle de vente. Sans attendre elle ouvrit la porte.


Mais alors qu’elle sortait du bureau, elle ne pu qu’admirer les dégâts. Rogus était dos à elle, tenant de deux mains fermes le balai. Un peu plus loin, une colonne de tiroir était renversé, son contenu administratif répandu tout autour. De l’autre côté, le seau avait répandu son eau quasi propre en une large flaque qui glissait à moitié sous la MG de présentation.

Un sentiment de lassitude la pris alors qu’elle se voyait déjà tout ranger. Elle poussa un profond soupir en se frottant le front. Heureusement pour elle, les factures et les devis en cours que le tiroir contenait en majorité n’étaient pas tombées dans l’eau.

D’un geste visiblement contrôlé pour ne pas laisser éclater son exaspération, elle referma la porte de son bureau. Presque délicatement alors qu’elle aurait bien voulu la claquer et pester contre la terre entière.

S’il y avait bien une chose que Jude n’était pas, c’était patiente. Et bien qu’elle contrôle sa force comme elle le pu, ses yeux prirent la teinte glaciale de sa dragonne quand elle se tourna vers Rogus. Elle resta des plus calmes en apparence.


Elle n’attendait pas de lui qu’il finisse de nettoyer. A ce point-là, Jude n’aspirait qu’à boire un café, et attendre dans son fauteuil confortable la venue du client qui revenait chercher sa voiture de l’enfer, avant de lui envoyer une facture à la hauteur de l’ennui qu’elle a eu à réparer son problème. Mais s’il pouvait au moins retirer le plus d’eau possible par terre, ça serait déjà ça.


Peut-être qu’à arracher les mauvaises herbes il foutrait pas le boxon dans son bâtiment ! Elle en voulait pas tant à Rogus, après tout elle aurait pu s’en douter, que ça finirait plus ou moins comme ça. Mais pas question de lui donner d’autres taches  à l’intérieur. Dès qu’il aurait fini d’absorber l’eau par terre, elle l’inviterait à rentrer à la casse avant qu’il ne fasse trop nuit. Après tout, c’était pas son problème s’il prenait les portails pour aller plus vite…

Sans réellement attendre de réponse de la part du ptit, elle se dirigea à nouveau vers son bureau, ouvrant son coffre pour y sortir les billets pour les pièces que Rogus lui avait rapporté. Malgré sa lassitude et sa frustration face au bordel de la salle de vente, elle ne put s’empêcher de glisser une barre chocolatée dans le baluchon, qu’elle avait récupéré plus tôt en guidant Rogus vers son matériel. Finalement, elle en sortit à nouveau, posant le ballotin de tissu sur le bureau blanc aseptisé qu’elle utilisait pour les négoces et les entretiens avec les clients, avant de se pencher  vers le meuble à tiroir, le redressant avant de commencer à ramasser ses factures et devis. Elle était bonne pour passer deux heures à trier tout ça.

Le mioche fila vers la cuisine tandis que la dragonne se penchait et rassemblait en un tas les piles de documents. Elle se rendit compte assez vite qu’ils n’avaient pas volés n’importe comment, et s’étaient juste répandus sur le sol, comme si le tiroir avait vomi d’un trop plein. Bon, fallait avouer, ils étaient certainement surchargés, ces tiroirs. Si elle ne devrait pas faire un tri aussi conséquent qu’elle l’aurait pensé dans un premier temps, elle pourrait peut-être en profiter pour classer les plus anciennes factures. Si ça se trouve, y’aura bien un client ou deux en défaut de paiement qu’elle pourrait rappeler… Bon. C’était un mal pour un bien. Elle se pencha sur le bureau de verre alors qu’elle entendait Rogus dans l’arrière-boutique, fouillant gentiment les placards à la recherche de ce que  Jude lui avait demandé. Ce temps fut suffisant à la dragonne pour se calmer, c’est con mais un accident pareil, ça aurait pu lui arriver aussi. C’était injuste de sa part de mettre en colère contre le sorcier, qui était plus apprenti qu’autre chose vu la maitrise de ses talents.

C’est en silence que  Rogus commença à éponger l’eau du sol, temps que Jude utilisa pour faire un premier tri dans les factures. Elle refermait le premier tiroir quand le silence se brisa. Elle se retourna vers Rogus et lui ébouriffa le crâne en souriant.


Mais, chose inhabituelle, Rogus fut soudain bien plus sérieux alors qu’il se confiait à Jude au sujet de sa principale inquiétude. Et la mine de Jude se fit sérieuse, non pas fâchée. Quand ce putain de sérum était sorti, elle avait juré sur sa vie que jamais elle n’en prendrait une seule goute.


Elle soupira, consciente de la manière dont elle s’était emportée. Elle s’appuya sur la tablette de verre du bureau de vente.


Elle lui fit un clin d’œil et parti chercher dans son coffre, un billet de 100 dollars qu’elle glissa avec les autres dans le baluchon du gamin. Il n’avait personne pour l’aider, personne à part Jude.


Elle ferma le baluchon en même temps que Rogus remit les torchons trempés dans le seau auparavant remplis d’eau. Le sol restait trempé, mais au moins il n’y avait plus cette flaque énorme… Jude arrangerai le reste plus tard. Elle poussa le seau contre un mur, histoire d’éviter un nouvel accident. Elle rit.


Et puis, Une ptite virée à moto, Jude ne dirait jamais non. Elle prendrait sa grosse moto, celle avec les coffres à l’arrière. Elle manquait cruellement de petites pièces détachées, et si Rogus commençait à avoir l’œil pour les parties de carrosserie à force de travailler pour elle, la dragonne doutait qu’il ait suffisamment appris pour pouvoir reconnaitre un arbre de transmission en état de fonctionner. Elle sourit à nouveau, que ce gamin ait trouvé quelqu’un qui l’aime était une bonne chose, lui qui avait passé sa vie tout seul ou presque. Il avait parlé tellement vite que la dragonne n’avait même pas le temps de tout assimiler, alors elle hocha à nouveau la tête. Tout cela était une bonne idée. Elle récupéra sa pile et continua à tout classer, quand rogus l’interrompit à nouveau. Alors elle ne répondit pas tout de suite, le temps de séparer sa pile au bon endroit et de la reposer sur le bureau. Elle haussa les épaules.


Elle ne s’étala pas plus que ça. Jude avait connu le monde avant qu’il ne tourne comme il était aujourd’hui. Avant la guerre, avant la révélation du surnaturel, à une époque où il était aisé de se cacher parmi les humains, étant donnés qu’ils ignoraient tout de leur existence. Elle était un peu nostalgique de ce temps-là, mais personne était venu la faire chier depuis. C’était le principal. Et comme Rogus ignorait l’âge réel de la dragonne… c’était pas plus mal qu’il ne se contente que de cette réponse.


Ho elle viendrait pas le tabasser pour ça mais… Elle viendrait.