Auction to action.

Aurore n’aimait pas sortir sans ses chiens. Mais ce soir, elle n’avait pas le choix. Elle était en mission pour les chasseurs, et elle devait aller à une vente aux enchères. Bien sûr, elle n’était pas toute seule ; les salles d’enchères n’acceptaient pas des gamines de 18 ans comme acheteuse, alors elle était venu en tant que plus one. Et finalement, c’était plus convenant. De cette manière, elle pouvait quitter la salle discrètement et quand elle le voulait, sans avoir besoin d’interrompre les ventes ou que son absence pendant la durée des enchères paraissent trop étrange.

Si les chasseurs étaient là, c’est parce qu’il y avait eu des rumeurs. Évidemment qu’il y aurait des objets rares en ventes – c’était là le principe d’une enchère. Mais on avait parlé d’artefact magiques, et cela avait tendance à attirer les créatures. Peu étonnant dans ce cas que le cercle des chasseurs vienne surveiller ce qu’il s’y passe… C’est pour ça qu’Aurore était là, ce soir, habillée avec un des vêtements élégants qu’elle avait choisi pour l’occasion. Elle avait tenter de choisir les moins inconfortable, mais… C’était quelque chose de compliqué, surtout pour une femme. Elle avait donc un tailleur, le plus luxueux mais pratique possible, mais elle n’avait pas pu passer outre les talons qui était qui était une obligation pour toute tenue féminine raffinée. Alors, elle avait quand même emmené dans son sac des chaussures de rechanges plates, en espérant pouvoir enfiler celle-ci rapidement si jamais elle se retrouvait à la poursuite de quelqu’un.

Et c’est d’ailleurs ce qu’elle cherchait dans la foule à ce moment là : une cible. Parce que le reste, la vente, le faste, tout cela c’était un monde dans lequel elle avait toujours du mal à se sentir à sa place. Un monde qui lui semblait tellement éloigné de la réalité qu’elle avait vécue. Alors elle concentrait son esprit sur autre chose, pour ne pas se perdre une fois de plus dans des émotions qu’elle ne voulait pas ressentir – ou bien qu’elle voulait canaliser.

Observant la foule, détaillant intensément toutes les personnes présentes, elle put se rendre compte d’une chose. Il y avait peu de femmes. Un détail qu’elle ne put s’empêcher de mépriser, encore une fois, mais c’était aussi un inconvénient : ça voulait dire qu’elle était plus repérable. En tout cas, il n’y avait manifestement pas de gorgones intéressées par les objets vendus ce soir, sinon la présence féminine aurait été plus forte. Aurore avait un peu entendu parler d’elles. Elle aurait pu les admirer si elles n’avaient pas eu ces pouvoirs magiques qu’elle haïssait tant. Quel dommage…

Néanmoins, à cause de ça, son regard s’attarda sur l’une des rares femmes présentes. Une belle femme qui minaudait à coté d’un homme riche qui devait faire deux fois son âge. Une belle femme avec un regard de louve… et un pendentif en forme de fiole. Aurore avait appris à remarquer ce genre de chose. Chose qui n’indiquait pas forcément une appartenance au peuple de la mer - après tout, tout le monde pouvait porter des pendentifs, elle en était bien la preuve, et sur cette pensée elle porta la main autour de son cou, là où se trouvait l’épée que son père lui avait payé il y a peu de temps-, mais qui pouvait être un indice, tout comme un bijou avec une pierre précieuse pouvait être le symbole que c’était un dragon avec son catalyseur. L’un comme l’autre était les points faibles des races respectives qui les portaient, alors c’était un élément auquel il fallait faire attention.

La possible sirène capta le regard d’Aurore et lui sourit. La blondinette lui rendit un sourire polie avec un signe de tête, comme pour montrer une solidarité féminine envers elle, mais elle n’en pensait pas moins. Elle devait se renseigner sur cette femme et sur l’homme au bras duquel elle était accrochée.

Alors que les lumières baissaient, Aurore en profita pour faire un signe discret à l’autre chasseur qui l’accompagnait. Un signe qui voulait dire Je vais chercher des infos. Je reviens.

Au moins elle n’était pas toute seule – si elle ne revenait pas bientôt, quelqu’un irait la chercher. Enfin, à priori. Elle avait du mal à accorder sa confiance et préférait n’avoir à se reposer sur personne.

L’homme qui s’était peut-être fait embobiné par une fille de l’océan était arrivé sur le tard et il était vers l’entrée. Ce qui arrangeait Aurore, car ainsi, elle put passer devant lui et le détailler de plus près sans avoir besoin de faire un détour qui paraîtrait bizarre. Il avait un costume avec des boutons de manchettes, et Aurore put également apercevoir la forme d’un portefeuille, mais elle ne pouvait pas tenter de l’attraper sans que la femme qui était collé à lui ne s’en aperçoivent. Et si elle était vraiment une sirène comme la chasseuse le soupçonnait, alors il ne valait mieux pas qu’elle tente ce geste. Mais il avait des boutons de manchette en faire de W, ou était-ce un M ? En tout cas, vu le type d’homme, ça devait être son initial. Il avait bien l’air d’être le genre de riche à vouloir qu’on sache qui il était, à aimer se faire bien voir.

Elle se dirigea vers l’entrée, là où il avait une hôtesse pour accueillir les clients qui étaient sur la liste, arrivant derrière elle. Entendant le cliquetis de talon, celle-ci se retourna vers Aurore.

-Vous avez besoin d’aide, mademoiselle ?

C’était là que les talents, à la fois d’actrices mais aussi de langues, de la blonde rentrait en action. C’est en français qu’elle répondit, avec un sourire gêné du plus bel effet. Elle espérait gagner assez de temps pour pouvoir lire les noms qu’il y avait sur la liste.

-Oui, je cherche, hmm… Les commodités, s’il vous plaît.

Le temps qu’elle finisse par se faire prétendument comprendre, elle avait réussi à apercevoir quelques noms. Il y en avait qui pouvait correspondre, effectivement, mais aucun n’avait d’accompagnatrice, pas dans la liste en tout cas. Elle s’était donc invité au dernier moment, ce qui renforça les doutes d’Aurore à son sujet.

La jeune fille se dirigea vers les toilettes et décida de se préparer. Vérifier le chargement de ses armes, enlever la sécurité. Et puis…

Observer. Attendre.

S’il y avait bien un endroit où elle pourrait piéger la midinette sans son infortuné mécène, c’était les toilettes des femmes. Elle s’installa dans une cabine, trouvant une position pas forcément confortable mais de laquelle elle pourrait avoir un aperçu des personnes qui arriveraient, et ainsi piéger sa cible…

La patience d’Aurore avait porté ses fruits. Malgré une fausse alerte, à un moment, quand la gentille dame de l’accueil était passée elle aussi, la petite blonde n’avait pas bougé et sa patience était maintenant récompensée.  

Et au bout d’un moment, elle entendit de nouveau des pas légers derrière la porte, une démarche chaloupée qu’elle mémorisa, au cas où cette fois-ci, c’était sa cible...  

Gagné.

La magnifique brune venait de rentrer, et sitôt qu’elle eut passé la porte, elle fronça les sourcils, comme si elle se doutait de quelque chose – comme si son instinct lui dictait qu’elle était en danger.  

Ce sont vraiment des animaux, songea Aurore, évitant soigneusement de penser au fait que les humains en étaient eux aussi.  

De là où elle était, elle pouvait très clairement voir la fiole qui pendait au cou de la beauté, dont le contenant aqueux reflétait la lumière jaunie de l’endroit où elles se trouvait. Ça lui suffisait, comme confirmation, à la jeune chasseuse. Elle bondit.

La nouvelle arrivée eut à peine le temps de dire “bonjour” qu’elle se fit plaquer par terre, le dos sur le carrelage froid et les bras retenu par les genoux d’Aurore... Qui sortit de sa ceinture un minuscule pistolet muni d’un silencieux. Et le pointa sur le front de la créature.

La blonde avait un rictus menaçant, à la fois colérique et victorieux. Encore une qui essayait de se payer leur tête, de les utiliser. Encore une qui profitait de ses pouvoirs aux dépends des humains comme elle. Elle en tremblait, Aurore, de rage autant que d’excitation. C’était la première fois qu’elle était si proche d’abattre un être surnaturel, si proche d’assouvir sa fureur, sa haine. Si proche de se venger de leur existence même. Peut-être que cette habitante des profondeurs ne lui avait rien fait personnellement. Peut-être qu’elle n’avait rien fait du tout, qu’elle était juste amie avec cet homme, qu’elle l’accompagnait juste le plus innocemment du monde. Mais tant pis. C'était une créature, et elle payerait pour toutes les autres.

Peut être qu'elle tremblait d'indécision aussi. Peut être qu'elle n'était pas prête à devenir une femme qui tuait des personnes innocentes, malgré toute sa colère. Mais...

La vie était injuste, après tout.  

-Qu’est-ce que tu fous ici, enfoirée de sirène ? T’essaies de t’amuser avec les humains ? T’aurais mieux fait de rester barboter dans l’océan... fit l’adolescente alors que sa main glissait avec un mélange de répulsion et d’envie vers le pendentif d’eau de mer, prête à l’arracher au moindre mouvement.

Aurore avait gagné. La minute d’avant, elle avait gagné, le canon de son arme contre la tempe de sa victime, sa main sur le collier d’eau de mer qu’elle s’apprêtait à lui arracher, à lui voler en même temps que sa vie. Peut-être que ce pendentif serait utile aux Cercles, peut-être qu’il pourrait faire des recherches dessus…

La blonde s’apprêtait à célébrer, en tout cas c’était ce qu’elle voulait, fêter cette mort même si elle était innocente, mais qui assurerait sa place à la jeune blonde. Avec ça, elle les impressionnerait tous, peut-être même qu’elle passerait directement dans le deuxième cercle, tout le monde l'apprécierait et puis surtout… ça atténuerait sa douleur, non ? ça apaiserait un peu sa colère, ce vide qu’elle ressentait au fond d’elle, qu’elle semblait prête à combler avec du sang surnaturel - parce qu’elle ne savait pas quoi faire d’autre, parce que c’était le plus simple, comme voie.

Mais Aurore n’était pas comme ses camarades chasseurs, elle. Elle n’était pas une meurtrière, pas encore. Et c’est sans doute pour ça que, lorsqu’Odalie lui révéla son nom, elle s’arrêta un instant avant de lui ravir sa fiole si vitale.

Grossière erreur - la sirène vit l’hésitation, elle vit la faille et elle s’y engouffra, avec un monologue si bien construit qu’on aurait dit qu’elle l’avait dit mille fois. Et après tout peut-être que ça n’était pas la première fois, qu’elle savait comment s’y prendre à force de déjouer les pièges qu’on lui avait tendus. Aurore avait raison sur un point : les sirènes étaient bien moins en danger quand elles étaient au fond de la mer.

Alors qu’elle hésitait, la petite chasseresse, elle fronça les sourcils et sa poigne se resserra quand l’autre, sûre d’elle, l’appela “ma jolie”. Son doigt posé sur la gâchette une fois de plus, elle voyait de nouveau rouge et était prête à lui exploser la cervelle. Comment osait-elle, dans une situation comme ça, se moquer d’elle ? Comment osait-elle la provoquer ? Elle devait vraiment avoir envie de mourir.

Et puis Aurore fut déstabilisée de nouveau, quand la brune lui demanda son prénom. Qu’est-ce que ça pouvait lui faire ? Pourquoi une telle chose lui importait ?

-Tu veux savoir le prénom de celle qui va te tuer ? Cracha la blonde, qui répondit néanmoins. Aurore. Aurore la Ferté, chasseresse du premier cercle. Maintenant…

Elle allait l’achever, achever sa vengeance, achever son innocence aussi en quelque sorte.

Aurore avait gagné, la minute d’avant, elle avait gagné, et…

Maintenant, elle avait perdu. Quand elle reprit ses esprits, la première chose qu’elle sentit était le serflex qui attaquait la délicate peau de ses poignets. Elle était attachée au radiateur, elle n’avait plus son arme entre les doigts, et la sirène à la vie sauve et libre avait un regard posé et une lueur triomphante au fond de celui-ci.

Celui qu’Aurore lui lança, par contre, était rempli de haine. Elle ne comprenait pas vraiment ce qu’il s’était passé, mais une chose était sûre, elle s’était faite ridiculisée. Et elle la laisserait pas gagner une seule chose de plus, ne serait-ce que la bonne réponse à sa question.

-Qu’est-ce que tu m’as fait, espèce de pétasse !? hurla jeune femme en se débattant, essayant de comprendre comment la situation avait pu se retourner comme ça.

Elle ne comprenait pas, Aurore, elle se sentait stupide et faible et impuissante, et elle détestait ça avec chaque fibre de son être. Cette salope ne payait rien pour attendre. Si elle n’avait pas réussi ce soir alors elle la traquerait, elle la trouverait, elle réussirait la prochaine fois.

Odalie.

Sa colère envers les créatures n’était plus sourde et aveugle, en cet instant, elle était dirigée, concentrée envers ce nom, ce visage aux traits gracieux, ce visage qui paraissait inoffensif, ce visage d’ange derrière lequel se cachait une démone. C’était ce qu’elle se disait, Aurore, sans comprendre qu’elles avaient ça en commun, et que c’était peut-être ça qui la mettait encore plus hors d’elle. Non, la blonde, elle, n’était pas une démone ; rien de plus qu’un ange un peu trop vengeur, à ses yeux en tout cas. Elle était dans le vrai, dans le juste, elle faisait ce qu’il fallait faire et l’air goguenard de la sirène ne faisait que lui prouver raison…

Elle continuait de se débattre, de grogner en vain, elle s’épuisait toute seule à force. Au bout de quelques minutes elle arrêta de mettre toute son énergie dans quelque chose qui n’arrivait à rien. Elle devait se calmer, réfléchir, comprendre comment elle était arrivée là et comment elle pouvait s’en sortir. La fille de l’océan attendait posément, comme une provocation de plus, trop loin pour qu’Aurore puisse l’atteindre d’une quelconque manière, même seulement pour lui cracher dessus. Cette dernière imagina son crachat atterrir sur la jolie joue d’Odalie et eut un rictus cynique. Comme si ça allait changer quelque chose.Mais au moins la vision avait le mérite de l’apaiser un tout petit peu. De ridiculiser l’autre dans sa tête comme elle l’avait humilié.

-Mon problème c’est ton existence, sale enfoirée de surnat, persifla finalement Aurore avec toute la haine dont elle était capable.

Vaine tentative de blesser, mais déverser sa colère par les mots, c’était tout ce qu’elle pouvait faire, dans cette situation...

Aurore bouillait de rage. Elle ne comprenait pas, et elle détestait ne pas comprendre - elle détestait être neutralisée de la sorte, elle détestait le sourire goguenard de la sirène qui venait de la piéger, elle détestait l'entièreté de cette situation.

Et d’un coup, à travers sa colère, elle sentit l’angoisse, aussi. Et si c’était la fin ? Et si, maintenant qu’elle avait cru pouvoir tuer Odalie, c’était elle qui le faisait ?

Le doute s’insinua dans son esprit, retors et insidieux, mais elle ne devrait pas, elle pouvait pas laisser la créature voir que ses menaces faisaient leurs effets. Alors elle continua de se débattre avec férocité, parce que c’était sa seule manière de ne pas céder au désespoir - elle ne se laisserait pas faire. Elle résisterait, jusqu’au bout s’il le fallait, elle ne partirait pas sans se battre.

Odalie mentionna les chasseurs sur un ton si léger, si désinvolte que c’était à se demander si elle-même les connaissait bien. C’était vrai que l’adolescente en face d’elle en faisait un bien piètre exemple, à l’heure actuelle ; c’était vrai qu’Aurore avait foncé sans réfléchir, sans savoir la moindre chose, et que grâce à ça la sirène avait su retourner la situation à son avantage. C’était vrai aussi que la française n’avait qu’une vague idée des pouvoirs des sirènes, avant ce soir-là, parce qu’elle ne s’y était jamais vraiment intéressée.

Alors sans doute qu’en dehors d’Aurore, la brune n’avait jamais croisé d’autre chasseurs - parce que peu était aussi inexpérimenté que l’adolescente, peu aurait agi de manière aussi inconsciente. Ou alors c’est qu’elle l’était tout autant que la gamine qu’elle continuait de provoquer à ce moment-là.

Pendant un instant la blonde crut qu’elle allait partir, la laisser là, la laisser hurler à la mort jusqu’à ce que quelqu’un d’autre la trouve dans cette situation pour le moins humiliante. Mais apparemment elle n’en avait pas terminé, apparemment elle avait d'autres choses à dire à Aurore, des choses que la jeune fille n’avait pas nécessairement envie d’entendre.

Les premiers mots tombèrent comme des couperets, précis et aiguisés, et Aurore blêmit soudain, tira plus mollement sur ses liens qui commençaient à lui entamer les poignets. Oui, pendant ces quelques minutes d’amnésie qu’elle n’arrivait pas à s'expliquer, si Odalie avait su l’attacher, alors elle aurait pu la tuer aussi.

Si elle ne l’avait pas fait… Eh bien il y avait un tas de raisons pour lesquelles elle ne l’avait pas fait, pas encore fait. Mais Aurore refusait la solution la plus évidente. Les créatures étaient de véritables monstres - non, ça n’était pas possible que l’une d’entre elles la laisse en vie par simple compassion ou pitié. Si elle la laissait en vie pour le moment, c’était pour mieux s’amuser, pour mieux savourer l’esprit brisé de sa victime et ses cris de douleur.

L’esprit de la jeune fille préférait se dire ça, préférait choisir la voix de la facilité plutôt que de se mettre face à ses propres paradoxes. Une grimace d’incompréhension, de colère, de trop de sentiments mélangés tordit le visage d’Aurore alors qu’elle refusait de voir la cuisante vérité en face. Si elle l’avait voulu, elle aurait pu la tuer.

Une fois de plus Aurore était mise face à la faiblesse de sa propre espèce, à la fragilité de son humanité : la sirène s’était jouée d’elle si facilement que c’en était risible. Et alors, presque avec soulagement, son cerveau se dit qu’elle avait bien raison d’avoir rejoint le Cercle, finalement. Que les chasseurs étaient les seuls capables de lutter contre ça.

On peut cohabiter, avait dit la créature, mais elle ne disait ça que parce que le rapport de force était en sa faveur. Pourquoi les humains devaient-ils se forcer à vivre aux côtés de monstruosités qui pouvaient les tuer selon leur bon vouloir, en un claquement de doigt ? Pourquoi devaient-ils dépendre d’eux ? Pourquoi devaient-ils accepter d’être ainsi en danger, pour toujours, sans pouvoir espérer lutter ou se défendre contre eux si jamais l’un d’eux décidait de les anéantir ?

C’était ce qui était arrivé avec Dark Dragon, après tout. Si certains les avaient défendus, ils n’avaient pas pu sauver tout le monde - et après tout le meilleur moyen que ça ne recommence jamais, c’était de tous les tuer avant que ça n’arrive à nouveau. Le meilleur moyen c’était de se défendre soi-même sans avoir à compter sur eux, alors même que leur protection était aussi révocable, aussi précaire, aussi enchaînée à leur propre volonté et leurs humeurs, alors qu’ils pouvaient décidé de la retirer à tout moment, sans que leurs soi-disant protégés ne puissent rien y faire.

À un tel stade il n’y avait pas de bons ou de mauvais humains ; il n’y avait que des humains qui essayaient de survivre. Il y avait ceux qui malgré tout s’appuyaient sur qui voudrait les protéger, et puis il y avait ceux qui étaient prêts à faire entendre leur mécontentement de cette situation, ceux qui voulaient lutter contre, se dresser contre cette injustice. C’était commode de parler de bon ou de mauvais quand on était dans la situation du plus fort. C’était facile, c’était toujours plus aisé pour ces êtres aux pouvoirs si puissants d’avoir une vision aussi manichéenne.

Aurore n’était définitivement pas la mieux placée pour lui reprocher de choisir la voie de la facilité - que ce soit littéralement ou métaphoriquement parlant. Aurore avait rejoint les chasseurs, elle avait failli tuer la sirène, tout ça parce qu’elle ne savait pas comment gérer ses émotions, qu’elle ne voyait pas d’autres solutions que de haïr les surnaturels comme s’ils étaient responsables de tout. Elle aussi était persuadée que son côté était le bon, qu’elle était une bonne humaine qui défendait les autres humains contre la menace du surnaturel, parce que c’était plus facile de cette manière. On est toujours plus enclin à se battre pour une cause quand on est persuadé que c’est la bonne.

C’était vrai qu’Odalie était une personne à part entière aussi, au-delà de son statut de créature, qu’elle avait son propre nom, son propre visage, sa propre vie. Qu’elle n’y était sans doute pour rien dans ce que la jeune fille avait vécu par le passé.

Mais elle n’était qu’une représentante de ce qu’on lui avait appris à haïr.

Alors, même si une part d’elle lui disait de ne pas faire ça, même si au fond elle avait encore envie de se mettre à pleurer, Aurore choisit la seule voie qu’elle connaissait : elle choisit la rage, l'agressivité, la violence.

-Qu’est-ce que ça peut bien me foutre !? répondit-elle à la dernière phrase de la brune, décidant d’ignorer les précédentes qui la troublaient trop, qui la percutaient trop.

Elle avait cessé de se débattre pour de bon, mais son corps était tendu, alerte, prêt à lutter de toutes ses forces si jamais la sirène s’approchait encore. Les lèvres tremblantes, le regard fuyant, quelques larmes qui pointaient au coin des yeux et que la jeune femme s’efforçait de retenir, elle siffla entre ses dents serrées :

-Tu me le payeras.

C’était comme une promesse à laquelle elle ne croyait pas vraiment ; c’était un murmure de désespoir étouffé derrière sa colère. Dans le cataclysme de son esprit, c’était le seul sentiment auquel elle arrivait encore à s’accrocher...