CIAELAN ◑ let the light guide your way

Il n’y avait pas une seconde qui passait sans que les images de l’évènement ne reviennent se planter dans sa mémoire. La nuit, le jour, tous ses instants étaient bercés de colère et de douleur, lui donnant l’impression qu’il ne pourrait plus jamais sourire, plus jamais rire, plus jamais vivre. Il n’y avait plus que ces souvenirs, ces quelques instants où tout avait basculé. Cet ancrage dans le temps qui lui faisait dire qu’il y aurait un avant et un après. Avant ils étaient trois, aujourd’hui ils n’étaient plus que deux. La malédiction planait au-dessus de leurs ombres avec encore plus d’intensité qu’au long de ces années. Il n’arrivait plus à penser, car tout était flou. Quand il tentait de se concentrer il voyait Casey, il voyait Ciarán, il voyait Caliban. Et puis il les voyait disparaitre. Casey n’était déjà plus là. Ciarán avait la menace de la malédiction gravée dans la peau. Caliban finirait surement par suivre le même chemin, il n’y avait pas de raison qu’un peu de bonheur lui soit finalement accordé. La vie s’était rappelé à lui, mettant fin brutalement à son espoir récent de ne pas finir ses jours seul et malheureux.

Ils sont en Irlande mais jamais il ne s’est senti plus étranger à une culture. Le pays qu’il avait tant aimé lui semblait bien fade à présent. Les traditions qui étaient les leurs étaient plus douloureuses quand il fallait les appliquer à celui qui avait été si longtemps son modèle. Casey ne reviendrait pas. Il n’était plus qu’un souvenir et ce soir Ciarán et lui se préparaient à lui dire adieu. « On a oublié le feu »  Dit son frère et il pourrait éclater de rire tellement ça paraissait ridicule. Ils n’ont rien oublié, le feu est mort à présent et il faudra qu’ils s’y habituent, car, parait-il, la vie continuait. « Tu saurais faire avec des brindilles, toi ? » Mais les brindilles ne suffiraient pas à alimenter le brasier que Caelan souhaiterait allumer. Il serait prêt à faire brûler la Terre entière, pour imposer à tous sa tristesse et sa douleur. « Ouai. » Il répondit d’une voix triste en jetant un regard à Ciarán. Il avait appris beaucoup de choses en étant plus jeune, plus débrouillard. Il savait allumer un feu, il avait juste pu l’oublier avec le temps.

D’un pas lourd, il attrapa quelques brindilles, un bâton plus épais, une pierre pour le soutenir et il s’avança vers le centre du cercle qui leur faisait face. Aucun d’entre eux n’avaient eu l’audace de dire à voix haute que c’était ridicule de brûler du vide. Que s’ils ne récupéraient jamais le corps de Casey, leur cérémonie avait moins d’impact. Parce que là, au milieu du cercle de pierre, il y avait tous ces moments complices passés à trois, invisibles à l’œil nu et qui brûleraient devant leurs regards pour tenter de libérer un peu de place dans leur cœur.

Après plusieurs minutes passées à pester et à frotter pierres et brindilles, une étincelle finit par jaillir et embraser les premiers morceaux de bois. Caelan se releva, attrapa le bras de Ciarán et l’emmena en dehors du cercle. « Je crois qu’il faut dire un truc. » Il se contenta de dire en observant les flammes prendre de la hauteur et s’attaquer à tous les objets qu’ils avaient sélectionné. Devant le silence de Ciarán, il rajouta. « Casey, si ce feu vient jusqu’à toi, sache que tu seras toujours avec nous. Et que nous ne reculerons devant rien pour venger ta mort. » Une larme roulait sur sa joue alors qu’il resserrait son étreinte sur le bras de son frère. « Je t’aime. » Il murmura à l’adresse du feu qui avait été son frère. Car si les mots n’étaient pas faciles à prononcer, il savait que ça serait la dernière occasion de les lui faire entendre.

« C’est bien qu’on ait fait ça tous les deux d’abord, tu seras rôdé pour la prochaine fois. » La voix monotone et sans espoir de son frère vient briser le silence jusqu’alors seulement perturbé par le crépitement du feu qui se consume doucement sous leurs yeux. « C’est moi le prochain, après tout. » Le coup l’attaque à la nuque, au coeur et au fond de l’estomac. Il a beau l’aimer de tout son coeur, Ciarán a toujours les mots pour rendre tout plus dur, plus terrible. Comme si la peine d’avoir perdu Casey n’était pas suffisante, il fallait qu’il lui crache à la figure la prophétie qui avait toujours hanté leurs vies et leurs relations. « Ferme la. » Il répond du même ton neutre sans détourner le regard. Pas d’agressivité, pas vraiment un ordre, pas vraiment une demande. Juste un fait. Si Ciarán avait besoin de ça pour faire face à la réalité, il ne rentrerait pas dans son jeu. Pas aujourd’hui. Pas devant la sépulture sans corps de leur aîné alors que leur futur partait lui aussi en fumée. « M’oblige pas à te rendre le coup que je te dois. » Il rajoute en souriant légèrement, repensant à leur altercation dans la forêt. Rien n’est guérit, rien n’est oublié. Ils ont changé d’air, de pays, de continent, mais la douleur et la même et le refus de la réalité entoure encore leurs esprits. Y aura-t-il un jour où la perte semblera actée ou continueront-ils longtemps à rêver de ce qui aurait pu être ?

« Y’aura pas de prochaine fois. » Il dit cette fois-ci avec force. « Et t’as pas intérêt à faire comme si c’était la seule option qui nous restait. » Il sent la colère l’envahir, l’envie de se battre aussi, de ne pas s’enterrer lui aussi au beau milieu de l’Irlande. «  Ciarán il faut qu’on le fasse pour lui. Il doit nous détester là, maintenant, à pleurer sur sa mort et à baisser les bras. On doit se battre, on doit continuer et on le fera ensemble. Ca me semble impossible aujourd’hui mais c’est ce qu’on doit faire. » Il hoche la tête pour se convaincre, croise enfin le regard clair de son grand frère. « Et je serai là à chaque fois que t’oublieras ça. J’espère que tu feras la même chose pour moi. » S’il ne devait rester qu’eux, ils devaient savoir qu’ils pourraient toujours compter l’un sur l’autre. Deux, c’était moins bien que trois, mais toujours mieux qu’un.