uprising⋆ This is what happens when you leave it to someone else If you want it done right you should just do it yourself You oversaturate your world with nothing but machines You might make everyone happy but you're dead inside, just like me
La cohue continue, grince, hurle. Il me suffit de tourner légèrement la tête pour voir quelqu’un frapper une chaise, l’envoyer au sol. Mes paupières clignent. De l’autre côté, il y a ce type qui veut inscrire les raisons de notre colère sur un mur. Mes sourcils se froncent. Qu’il le fasse, mais qu’il s’enterre seul. Qu’il intègre au burin nos revendications, notre peur panique de l’oubli, notre sensation d’impuissance et nos phobies d’avenir qui se métamorphosent, nous laissant inlassablement sur un côté. Nous étions trop aveugles pour en déterminer le centre, incapables de comprendre que nous y étions encore, et que quelques autres individus, ça forme des coins dans lesquels on a pas envie de se fourrer.
Alors, qu’elle gueule encore, cette sourde révolte de chiffon. J’aime imaginer qu’elle fera mal, qu’elle sèmera la peur dans le coin des crânes des employés, qu’ils cesseront de parler de super-pouvoirs comme des banalités, qu’ils se pencheront sur leur mortalité comme nous autres, sur leur banalité comme nous autres. C’est le bordel, et avec Eric, on sourit.
Sûrement qu’il les remarque, mes pupilles qui sourient alors que le reste de mon visage reste impassible face à la déferlante d’informations devant moi. J’ai des merci qui se paument au creux de mes lèvres, et des rosaires à égrener au fur et à mesure que je réciterai des louanges. Je penserai prier Celui qui nous a réuni alors que je me perdrais dans mes images mentales.
L’impossible arrive.
Flash.
Un de nous se transforme en pierre.
Elles disparaissent, les étoiles de mes prunelles. Elles vont se nicher dans les failles de ma crédulité, dans les restes de mes doutes, dans la naissance de ma peur. C’est pas censé arriver,
un humain qui se transforme en pierre. Au fond de moi, la sensation de chaleur contre la fenêtre de mon salon pénètre mes phalanges progressivement et l’odeur de souffre envahit mes narines. C’est pas censé arriver non plus,
des enfants qui se transforment en souris. On était pas dans un conte de fées, il n’y avait ni fées, ni dragons, ni petites souris soldates. Je déposerai mes dents pétées sur l’autel de nos combats, et non pas sagement sous un oreiller en attendant que se passe des miracles. Je suis juché sur ma banquise trop glissante, et j’observe une ombre se dessiner sous mes pieds.
Et
ça fait chier, parce qu’il faisait bien trop blanc, tout autour de moi. Le gars statue a pas une dégaine commode. Il est franchement moche, avec ses dents mal branlées et sa tenue de clochard. Je soupire d’un air las. Même en statue, il ne serait pas plus glorieux.
C’était peut-être un effet de groupe, quelque chose. Il y avait une solution logique. Il y avait des phénomènes effrayants, des combustions spontanées, des arrêts cardio-vasculaires soudains. Rien ne pouvait prédire des phénomènes jusqu’à qu’ils arrivent. Sûrement que c’était un de ces évènements étranges et fantastiques les premières fois, et qui deviendront juste explicables bien qu’horribles les prochaines fois. Je pourrai dire fièrement que j’étais témoin de la première fois où un gars s’est statufié en face de moi.
J’imagine des milliards de papiers à faire, et j’ai froid aux pieds à force de rester immobile sur ma banquise. Pourtant, il fait bien chaud, tout autour de nous. L’été a décidé de se calmer progressivement et les flammes de la colère pourraient nous réchauffer les os.
Pourtant,
j’ai atrocement, horriblement, désespérément froid.
Eric prend la parole et soudainement, tout prend sens.
« Oh bordel. » je dis doucement en levant les yeux vers les projecteurs.
Des putain de projecteurs. J’inspire longuement, expire plus longtemps encore. Un frisson me parcourt. Ces malades allaient jusqu’à installer des projections dans la rue, quittaient joyeusement les studios où ils déclaraient avoir des pouvoirs pour voler le travail des autres. La peur me broie les os. Ils étaient capables et avaient les moyens de faire ce genre de choses, alors qu’imaginer du reste ? Est-ce qu’ils pourraient financer la modification de nos visions pour nous faire accepter leurs délires, voire jouer avec les hormones de notre consentement pour qu’on hoche sagement la tête comme de vulgaires clébards quand ils nous diront, tous joyeux, qu’ils ont des pouvoirs et pas non ? Est-ce qu’ils nous forceront à nous inventer, à nous aussi, des particularités surnaturelles, jusqu’à faire imploser la planète Terre et créer encore et encore des incohérences ?
J’ai froid aux neurones et le souffle court.
« Ils vont jusqu’à là. Jusqu’à là ils vont pour nous mettre leurs conneries dans le crâne mais … Mais c’est pas possible mais c’est … C’est complètement mais … C’est des putain de monstres, c’est même pas légal leurs conneries j’en suis sûr ! » Je continue à tourner en boucle avant de percuter la banquette arrière du taxi. Mes yeux parcourent le paysage qui défile sous nos yeux. J’ai mis mon adresse,
notre adresse. Je sais qu’
elle voudra pas qu’Eric dorme à la maison. Au moins, il saura où me trouver, désormais.
« New York ? » Je m’en fiche d’être secoué, d’avoir les yeux dans le vague et que les images de ce soir jouent en décalé dans ma tête. J’ai le corps dans du coton et je me tourne vers Eric, abasourdi. Il a l’air de parler une langue que je ne comprends pas.
J’y suis attendu comme le Messie. J’ai un milliard de questions et j’espère que le chauffeur ne parle pas anglais, ou qu’il soit suffisamment idiot pour ne pas trop nous entendre. S’il pouvait passer un appel sur haut-parleur à un pote, ou parler à sa femme, ça m’arrangerait.
« … Tu leur as parlé de moi ? » Ils sont revenus, les fracas de fierté et d’enthousiasme. J’ai cinq ans et j’apprends que j’ai fais quelque chose de bien, de grand, d’inspirant. J’ai souvent été à New York, mais cette fois, ce serait pour faire autre chose que de parler de biotechnologie et de synthèse du pavot. Je souris en mon for intérieur, tandis que je me mords les joues pour éviter d’exploser en confettis multicolores. Mon coeur bat à la chamade et mon genou tambourine nerveusement contre le sol du taxi.
Je me demande si à New York, le nom d’Ambrose Atkins a des lueurs d’espoir ou des ombres de désillusion. Avec ce que j’ai vu ce soir, je me dis que je pourrai en parler, de ces projecteurs à ciel ouvert pour projeter des illusions. J’ai peur, et eux aussi. On a plus en commun que quiconque, et on a à parler.
L’adresse brille sur le cadran et je regarde sur mon téléphone. Le visage de Nova-Blue sur mon fond d’écran vient causer une déflagration dans mon crâne.
Il n’y a plus de taxi, plus de peur, plus de New York, plus d’homme statue, plus d’Eric, plus de chauffeur qui parle trop fort, plus le bruit des pavés sous les roues, plus les roues de lumières qui alternent et dansent à chaque fois qu’on passe un lampadaire, plus les indications du GPS à voix haute.
Pendant trente secondes, mon téléphone m’absorbe et je détaille à nouveau ses fossettes, sa bague de rubis que je préférerai d’ambre, et son sourire sincère alors que je la prenais en photo derrière un gigantesque plat. Je me souviens, pendant ces trente secondes, de tous les détails de la scène, de nos rires, de nos remarques sur le fait qu’elle allait jamais finir, de nos hésitations à appeler le serveur, et mon rythme cardiaque s’accentue calmement, paisiblement, pour venir se nicher de l’estomac à la poitrine.
« Je pourrai pas trop venir enfin, je … Je suis pas sûr. » New York me semble moins accueillante, au final. Phoenix a été une ville fantôme, une ville dégueulasse dans mes souvenirs, un peu poisseuse, jamais vraiment un souvenir heureux. Elle avait l’odeur de la crème solaire et des burgers trop gras, la sensation du sable dans les chaussures et de la pollution sur la peau. Elle brûlait mes yeux à chaque été et déglinguait ma vision avec des lunettes de soleil qui foutait un sale filtre entre la réalité et moi.
Et pourtant, à ce moment précis, Phoenix semble être la plus belle ville du monde.
« Tu te rappelles quand on s’est rencontré ? J’étais perdu dans un temple, à chialer beaucoup de choses. » Je marque une pause.
« Vraiment beaucoup de choses, tu sais ? » J’ai envie de fumer, mais je présume que ça se fait assez peu, de fumer dans un taxi. Pourtant, on a toujours plus de prestance quand on parle d’évènements horribles avec une Winston au coin des lèvres. Je pourrai me cacher derrière les volutes, occuper mes mains, et avoir l’air un minimum sûr de moi. Parler à Eric de ces sujets-là, c’était donner une force de frappe. Il ne me trahirait pas. Eric ne ferait pas ça. Définitivement, ce serait plus simple
avec une cigarette. Je me sentirai moins con et vulnérable.
« Avant le bordel de 2013, j’aimais une fille. C’est ma première copine, le schéma classique, le genre avec qui on a envie de tout plaquer, faire un crédit immobilier, adopter un labrador et avec deux enfants qui s’appellent Jake et Sally. Sauf qu’on s’est séparés. J’ai pas compris sur le coup, et le bordel est arrivé. Les années ont passées, et vraiment, plus j’y réfléchissais, plus je me disais que c’était quand même mieux, avant. Avant tout ça, avant les projecteurs -ils vont jusqu’à mettre des projecteurs, tu te rends compte ?-, les conférences de surnatural studies, enfin, c’était plus doux, plus simple, plus … Plus … Mieux. Mieux. Vraiment mieux. » A défaut d’avoir de quoi avoir de la prestance, je me suis posé contre la portière, le regard vaguement dans le vide à fixer les paysages trop lumineux pour ma rétine. De temps en temps, je regarde Eric, je souris, j’essaie d’animer l’histoire, qu’il comprenne, et qu’il la trouve, lui aussi, véritablement heureuse.
C’est pas parce que j’allais mieux que j’avais plus besoin de lui,
au contraire.
« Puis on s’est rencontrés, toi et moi. C’était un beau bordel aussi, cet été. Je sais pas trop ce que j’ai branlé, mais c’était un peu n’importe quoi. A la fin, j’ai vraiment cru que j’allais péter un câble, partir m’isoler je sais pas trop où, dans sûrement un pays où ça parle pas anglais et que j’aurai eu l’air d’un con. Mais elle me manquait. Quelque part, elle me manquait, toujours, encore, parce que toutes les filles avec lesquelles j’avais tenté un truc, ça avait pas trop marché, parce qu’elle était là, toujours. Puis j’ai été à un mariage. Elle était là. Bourrée. On s’est revus. Ca s’est bien passé. » Je déglutis, passe les détails. J’évite de faire dans le trop sentimental, des fois qu’il trouve que ce n’est pas un comportement de leader, d’homme. Pourtant, mon sourire me trompe pas. J’aimerai raconter la version longue jusqu’à lui tirer quelques expressions d’approbation, qu’il trouve ça
mignon.
« Bref, j’habite chez elle, maintenant. On est de nouveau ensembles. Je suis pas sûr qu’elle voudra que je te suive à New York, ou alors, est-ce que je peux l’emmener, tu crois ? »