dans les froids dans les flammes ♚ hearts & diamonds

Lun 26 Sep 2022 - 15:43

Dans les froids dans les flammes

Jasper | Morrigan

Tu hais cet endroit.
Tu hais cet endroit pour tout ce qu’il renferme, tout ce qu’il pourrait renfermer. Tu hais cette odeur de mort qu’on anesthésie avec du chloroforme, ces couloirs immondes avec du lino dégueulasse sur lequel les néons vomissent. Tu hais ces bipers, ces infirmières qui passent d’un air pressé avec leurs lunettes sur le nez, piaillant d’une voix haut perchée que l’on puisse attendre le docteur. Tu hais cette chaise molletonnée, que certains prétendent imbouffable quand, dans ta longue vie, Jasper, t’as rarement vu plus confortable. Tu hais même le cliquetis familier du Rubik’s cube qui s’agite entre tes mains sans même que tu ne l’analyses.
Tu hais tout de cet endroit.
Plus que tout, tu hais ce mur en face de toi, en face de ton pantalon en velours côtelé et ton vieux chandail déformé. Tu hais cet obstacle entre elle et toi, tu hais de ne pas avoir le choix que de ramasser ton angoisse à la petite cuillère sur le sol, de devoir lécher leurs godasses pour quelques miettes d’informations, d’avoir à implorer ces autres qui ne savent même pas ce qu’ils font.
Ils y connaissent rien, les autres.
Ils savent pas qui est dans la pièce, savent pas qui repose dans le lit. Ils savent pas que cette blonde, là-bas, c’est bien la plus précieuse du monde. Et qu’on vienne pas te parler de Lahire, tu t’en cognes bien de Lahire. Dans la forteresse imprenable de ton angoisse désincarnée, tous les drapeaux ont son visage. Ils flottent comme des haubans dans l’air et, aveuglé par leurs éclats, tu tombes à genoux pour ta reine. Les carreaux de couleur s’alignent sur les faces de ton petit cube. Tu sais plus depuis combien de temps t’es là. Tu l’as ramenée dès que tu l’as trouvée, là, sur le bord de la route, le crâne sur le tableau de bord. T’as même pas réfléchi. Tu l’as portée jusqu’à ta caisse, et t’as foncé à l’hôpital le plus proche. Tout ça pour qu’on te carre dans un couloir d’attente merdique face à une cloison en toile à peindre, et des odeurs de cigarette qui émanent de tous les bureaux.
Tu hais cet endroit de toutes tes forces.
Ils vont vraiment rien lui faire, là ? Ils vont la laisser dans son lit, sans être à son chevet, sans lui parler, sans la distraire, sans même savoir qu’elle aime les roses rouges et pas les dégueu de l’hôpital ? Ils vont vous séparer par un mur pendant encore combien de temps ? Pourquoi t’as pas le droit de la voir ? Tu saurais, toi. Tu lui apporterais ce qu’elle aime manger, ce qu’elle aime boire, tu lui raconterais des histoires jusqu’à ce qu’elle éclate de rire. Et alors, tu sourirais, Jasper, et vous seriez un peu heureux. Alors pourquoi ? Pourquoi ils te laissent dans ce couloir de pacotille avec ces gens moins importants qu’elle qui gémissent dans leurs douleurs vives pourquoi ils sont pas encore venu te chercher pourquoi pourquoi pourq-
Le Rubik’s cube tombe sur le sol.

« Monsieur Lynch ? »
Tu t’es fait passer pour son frère, puisqu’apparemment ça compte pas les sentiments qui vous ont liés.
« Votre sœur s’est réveillée. Vous pouvez entrer. »
« M-merci.»
Tu reconnais même pas le balbutiement qui a quitté les lèvres pâles. Ça fait tellement longtemps que t’attends que t’avais presque cessé d’attendre. Elle est réveillée. Tu vas pouvoir la voir.
T’as songé un milliard de fois à ce que tu pouvais lui dire : vous alliez où ? pourquoi t’es partie ? pourquoi tu m’as laissé cette note, si t’étais si heureuse avec lui ? et mon frère, il est passé où ? putain, Morrigan, explique moi !, ça a tourné en boucle sous ton crâne comme un vieux xylophone usé. Mais tu sais que tu diras rien. Au fond, ce qui t’importe, c’est qu’elle soit vivante. Qu’elle soit vivante et que tu sois là, puisque ton imbécile d’aîné a visiblement déserté.
Dans un état second, tu ranges le cube dans ton sac à dos et suis une infirmière cinquantenaire sur le lino décoloré. Elle t’ouvre une porte, la 307, et tu ressens soudain l’envie de prendre tes jambes à ton cou.
Est-ce-que t’es vraiment prêt à affronter ce qu’il y a là-dedans, Jasper ?
Il est sans doute un peu tard pour se poser la question, tandis que le caoutchouc de tes chaussures vient heurter le sol de sa chambre. A contre-jour face à la grisaille, tu ne distingues qu’une silhouette dont le visage t’es détourné. Et tu dis rien.
Parce qu’au fond, c’est même pas si grave, les réponses à ces questions-là.
Elle est vivante, tu es vivant, faudra se contenter de ça.
« Morri ? »

code by underratedboogeyman

Dim 9 Oct 2022 - 20:08

Dans les froids dans les flammes

Les lumières blanches agressent tes prunelles, alors que tu ouvres péniblement les yeux. Un brouillard se forme dans ton esprit, et tu entends un léger sifflement dans tes oreilles.

Tes yeux sont un peu embués, et tu ne reconnais pas où tu te trouves, ni même ne comprend tout de suite que tu t’es réveillée d’un long sommeil. Ce sentiment d’incompréhension te prend à la gorge et tu t’agaces, Morrigan. Tu ne sais pas où tu es, ce qui t’est arrivé, mais une chose est sûre : ce n’est pas normal. Ce n’est pas ce qui était censé arriver. Tu n’es pas censée être là.

Tu tâtonnes autour de toi et te rend compte que tu es dans un lit : pas le tien, ni même celui de Jade ou Jasper, mais un lit froid et solitaire. Les draps trop blancs t’agressent. Ils sont laids et rigides, ce n’est sûrement pas toi qui les as choisis.

Les fleurs sont laides, elles aussi. Tu remarques sur une console en face de toi un vase avec des roses jaunes séchées, sûrement là depuis longtemps. Tu détestes le jaune. Il faut cruellement manquer de goût pour ne pas savoir que la seule couleur valable pour les roses c’est le rouge vif, le rouge sang, et qu’une fois ternies elles ne sont bonnes qu’à jeter.

Un rictus de dégoût se forme sur ton visage et tu ressens une douleur. Ta peau tire, elle est inconfortable, pire que la fois où tu n’avais pas pu mettre ta crème hydratante pendant des jours parce que le magasin était à court. Ce souvenir et la sensation désagréable t’agacent et tu portes la main à ton visage par réflexe. Pas de doute : ce n’est pas ta peau soyeuse que tu sens sous tes doigts, mais le toucher rugueux de bandages. Et tu commences à paniquer, tes yeux s’ouvrent en grand.

C’est malheureusement sur un miroir que tu tombes et un cri sort de ta gorge alors que tu constates les dégâts. La moitié de ton visage et ton menton sont enrobés de bandages qui grattent et tu as une balafre sous l’œil gauche. Le cri s’accompagne de souffles répétés alors que tu réalises de plus en plus quel sort t’a été jeté : tu es laide, dans un hôpital, seule.

Une malédiction a été jetée sur ta beauté, sur ta vie, tu en es persuadée. Quelqu’un de jaloux, de toi, de toi et Jade… Jade. Affolée, tu regardes tout autour de toi, mais les murs blancs sont désespérément vides et leur sentence est implacable : Jade n’est plus dans ton champ de vision, et tu sais que quelque chose ne va pas.

Tu essaies de rassembler tes souvenirs, mais ton visage brûle et gratte en même temps et tes pensées sont désordonnées. C’est presque tant mieux que Jade ne soit pas là : ainsi, il ne voit pas sa princesse se transformer en monstre.

Ce sont sans doute tes cris qui ont alerté l’infirmière qui fait irruption dans la pièce. Par réflexe, tu caches ton visage. Elle accourt vers ton lit et tu sursautes, comme si sa vitesse de mouvement t’agressait. Tu fais un rictus quand tu entends ses excuses pour t’avoir fait peur, tu n’as jamais peur. Tu n’as jamais eu peur, Morrigan, car tu te disais que rien ne pouvait t’arriver tant que tu avais Jade à tes côtés. Mais où est-il, à présent ?

Tu sursautes de nouveau quand ton nouvel ange gardien rentre dans la pièce. Ou est-ce celui qui veillait sur toi depuis tout ce temps ? Dès que tu entrevois son visage, tu détournes le tien. Tu ne veux pas que Jade te voie comme ça, et tu veux encore moins que Jasper te voit ainsi. En aucun cas tu ne veux redescendre du piédestal sur lequel il t’a confortablement placée. Sans que tu le veuilles, tes yeux s’embuent quand tu entends sa faible voix, implorante.

L’infirmière tente de remplacer tes bandages, et tu agrippes ses mains de toutes tes maigres forces.

Laissez-nous ! Tu tempêtes, d’un ton qui ne laisse aucune place pour la négociation.

Surprise – elles le sont toujours, au début – elle tourne les talons. Tu te redresses, essayant de rattraper un peu de ta dignité qui semble t’avoir abandonnée, elle aussi.

Ne me regarde pas, tu ordonnes une nouvelle fois, mais d’une voix plus faible.

Car les larmes dans tes yeux se forment aussi dans ta gorge, et tu te prends la tête entre les mains. Comment en es-tu arrivée là, Morrigan. Qu’est-il arrivé à la golden girl, la belle blonde qui était si fière d’annoncer à tout le monde qu’elle allait quitter l’université et se marier avec son prince charmant, ce bad boy qui ne semblait vivre que pour elle.

Qu’est-ce qu’il s’est passé ?

Tu relèves les yeux, pour ne pas croiser le regard de Jasper. Tu ne sais pas si tu auras l’aplomb que tu as d’habitude avec lui, tu te sens si vulnérable. L’hôpital n’est pas un lieu où l’on reconnaît ta supériorité. Et tu n’as pas…

Où est Jade ?

@Jasper Griffin-Knight

Ven 28 Oct 2022 - 15:15

dans les froids dans les flammes

Jasper | Morrigan

Il te semble qu’elle n’a jamais été aussi faible ; à la lumière blafarde des vilains néons d’hôpital, Morrigan semble translucide. La reine de ton château de cartes est dessinée à l’aquarelle, couleurs fanées comme le bouquet qui se trouve sur sa table de chevet. L’infirmière tente de l’approcher et tu pourrais lui sauter à la gorge si elle touche à ta souveraine, déjà abimée par la vie. Mais elle n’est pas rose sans défense, elle est rouge et munie d’épines ; la soignante recule et s’efface, tandis que sous tes pas troublés s’ouvre le chemin jusqu’à elle.
Un bandage lui couvre les traits, une tâche de gouache étalée sur la pureté de son visage. Tu ressens une peine immense à l’imaginer, seule, dans cette voiture explosée où tu l’as trouvée inconsciente. Et comme une valse habituelle, la colère la prend par le bras, et dans le tribunal du monde ton esprit ne voit qu’un coupable.
Jade. Jade l’a arrachée à tes bras. Jade l’a emmenée loin de toi. Jade l’a faite dévier de sa route, au propre comme au figuré ; et la voilà dans le fossé, crâne en sang, peau comme une toile brûlée. Jade l’a laissée là à pourrir, comme il pourrit tout ce qu’il touche. Et à la peine qu’elle soit blessée succède la rancœur pour ton frère, illustration vive des années qu’il a tenté de leur voler.
Ne me regarde pas, qu’elle dit, mais comment ne pas la regarder ? Morrigan est une œuvre d’art par laquelle tes yeux sont happés. Quelque part, sa fragilité ne fait qu’accroître ton désir de passer tes bras autour d’elle, d’enfouir ton nez dans ses cheveux et lui dire que tout ira bien. Sa vulnérabilité te rend fort, et tu voudrais le lui montrer. Mais ce n’est pas ton rôle, Jasper. Ça n’a jamais été ton rôle. Tu es le cavalier d’argent, toujours second à toutes les courses, qui attend avec impatience qu’enfin la reine t’accorde un regard flou.
Précautionneux, tu t’assieds sur le bord du lit, les yeux rivés sur tes genoux pour ne pas lui désobéir. A tâtons, tu cherches sa main pour la presser entre tes doigts. Tu n’es pas seule, Morri, je te jure.

Où est Jade ? Sa voix suppliante te bouleverse.
« J’allais te poser la même question. » Ton ton est dur, plus dur que tu le voudrais. Mais il n’est pas dur envers elle ; c’est la seule mention de ton frère qui te pousse à le détester.
Instantanément, tu regrettes. Morrigan va penser que tu es en colère contre elle, que tu lui en veux de t’avoir laissé cette note et d’être montée dans la voiture. Au fond de toi, si t’es honnête, y a sans doute une partie de vrai. Sauf que c’est plus noble pour toi d’en vouloir à ton frère aîné qu’au tableau parfait d’une reine que tu as bien trop retouché. Alors, tu portes ses doigts blancs à tes lèvres pour y déposer un baiser, caressant sa paume de tes doigts.
« Je ne sais pas, Morri. » tu admets, la gorge nouée. « J’ai trouvé ta note et j’ai voulu vous rattraper. Quand j’ai retrouvé la voiture, elle était dans un sale état … »
Les mots semblent faibles pour exprimer la tôle froissée, le verre brisé et le carburant enflammé qui recouvrait tout l’habitacle. Tu sais très bien qu’une part de toi verra ça en boucle pour toujours, représentation du chaos, de l’apocalypse faite terrestre.
Elle n’a pas à affronter ça.
« Et tu étais seule. »
Elle était seule, Morrigan, seule car ton frère se moque bien d’elle. Elle était seule et tu ne veux pas insister, mais il faudra bien qu’elle comprenne que Jade ne sera jamais son roi. Que devant l’adversité, il a choisi de fuir son côté. Et que le seul à se tenir, là, tout près d’elle, au moment où elle a besoin, c’est celui dont elle s’éloignait.
« Mais je suis là, maintenant. »
Un nouveau baiser sur ses doigts, et tu croises enfin son regard. Qu'elle le sache, ta reine d'aquarelle, que tu te moques bien des couleurs étalées sur son innocence. Et que tu prendras tes pinceaux pour qu'elle retrouve tout son éclat, si elle est prête à t'écouter.

code by underratedboogeyman

Dim 15 Jan 2023 - 18:37

Dans les froids dans les flammes

Tu clignes des yeux, toujours désorientée. Tout cela ne peut être qu’un cauchemar, ce n’est pas possible que tu sois là, et pas lui. Ton carrosse s’est transformé en citrouille ardente et t’a brûlée. Le prince convoité par toutes s’est volatilisé, comme s’il n’avait jamais existé.

Jasper ne sait pas non plus où il est, ce qui signifie qu’il n’est pas ici. Ce n’est pas lui qui t’a sauvée.

Quand il porte tes doigts à sa bouche, tu te dis que tu te serais d’habitude dégagée avec un rire malicieux, par peur que Jade vous voit, voit le petit jeu que tu mènes. Mais il n’est pas ici. Jasper est ici.

Tu finis par le regarder en face, les yeux larmoyants, et tu écoutes ses douces explications.

C’est toi, tu murmures faiblement.

Est-ce que tu te serais trompée depuis le début, Morrigan ? Est-ce que tu as pioché la mauvaise carte, et celui que tu pensais être ton valet était en fait ton roi ?

C’est toi qui m’as sauvée.

Tu as presque un sourire, car ton instinct de survie prend momentanément le dessus sur ta peine. Les cartes sont rabattues, et si tu veux rester la reine, il faut que tu t’y fasses. Valet ou roi, tu as besoin de Jasper en ce moment.

Tu lui prends sa main et la caresses doucement. Tu ne sais pas si tu retrouveras ta beauté, et si tu pourras réellement vivre sans. Mais pour l’instant, il s’agit de survivre. Tu ne sais pas quelle sera ta vie, mais tu ne veux pas que ton château de cartes s’effondre complètement. Tout ce que tu sais, c’est qu’il est hors de question que Morrigan Lynch meure seule dans un hôpital infâme d’un banal accident de voiture.

J’ai besoin de toi, Jasper.

Tu chasses les vraies larmes de désespoir par celles à moitié fausses de la demoiselle en détresse, un rôle qui plaît tant à Jasper. Tu es prête à lui donner le rôle de ton chevalier, au moins pour un temps. Tu ne sais si tu as encore la beauté d’une princesse, mais tu n’as pas oublié tes répliques.

@Jasper Griffin-Knight

Jasper Griffin-Knight

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Morrigan Lynch

dans les froids

Je trouverai des langages pour chanter tes louanges, je ferai nos bagages pour d’infinies vendanges. Plus brillante et plus belle, pour une autre étincelle. Je me changerais en or.

C’est toi.
Oui, c’est toi. Tu aimerais lui dire que ça a toujours été toi, mais Morrigan n’y croira pas. Pourtant, c’est une triste vérité. Jade ne voit d’elle qu’une colombe, une gracile rose prête à se faner. Toi, tu la vois pour ce qu’elle est : déesse des corbeaux aux ailes sombres, ronces prêtes à labourer la chair. Tu la vois avec ses fêlures et la force de ses tourments. Tu la vois avec ses mensonges d’adolescente, son insatiable vouloir de plus, tu la vois qui crois te duper comme elle semble duper ton frère.
Mais tu n’es pas ton frère, Jasper.
Et toi, tu l’aimes pour ce qu’elle est.

Tu l’aimes pour les reflets dorés qui s’accrochent à ses cheveux d’or quand le soleil est au déclin. Tu l’aimes pour le sourire timide pour cacher sa voracité. Tu l’aimes parce qu’elle n’est pas un as, et certainement pas un valet. Elle est la reine du château de cartes et elle le sait et tu le sais.
Alors qu’on te laisse tomber à genoux devant sa gloire, à t’en éclater les rotules. Qu’on te laisse embrasser ses pieds, courber l’échine devant son sceptre, être le page le plus soigneux lorsqu’il fait briller sa couronne. Qu’on te laisse être à ses côtés, quand le cercle de métal d’or n’est plus joyau mais auréole et que, malgré les apparences, Morrigan n’est qu’un ange déchu.
Ce n’est pas parce qu’elle est bancale qu’elle en est moins parfaite ; ce n’est certainement pas pour ça que toi, tu l’en aimeras moins. Sans doute même que tu l’en aimes plus, car elle est peinture d’une bergère au lieu d’être celle d’une déesse. Qu’on te laisse la prendre par la taille, la faire tourner, la soulever pour l’asseoir sur un trône de marbre où tu poliras du jaspe pour paver un long tapis rouge. Elle marchera en conquérante sur les pierres qui portent ton nom ; s’il le faut, tu deviendras elle pourvu qu’elle ne touche pas le sol.
Elle est la souveraine des futurs, la mortalité incarnée, elle a pris tout dans l’éphémère ce qui sublimait sa beauté.
Et tu l’aimes, Jasper.

C’est toi.
Oui, c’est toi qui l’a sauvée, qui l’a tirée de la tôle froissée et du cuir des sièges en fumée. En cela, tu vaux mieux que lui, lui qui n’était son souverain que dans les contrées verdoyantes qui menaient au palais d’Emeraude. Morrigan a voulu tenter de suivre un chemin de briques jaunes et ça l’a menée au fossé. Alors qu’elle tente une autre route, celle que tu traces d’une craie tremblante à ses pieds nus que tu embrasses.
« Oui, c’est moi. » tu dis simplement.
La caresse de sa peau sur toi est semblable à un rêve moiré, et tu souris avec tendresse lorsqu’elle dit son besoin de toi. Tu voudrais rester en colère, mais il y a cette fascination qui t’empêche de voir qu’elle te ment. Alors, pulsion irrépressible, tu t’assieds près d’elle sur le lit pour la serrer délicatement. Pas trop fort, jamais assez fort ; il ne faudrait pas que la rose te plante ses épines dans le ventre.
Tu murmures contre son oreille.
« Je suis là, Morri. Je suis là et je te laisserai pas. Je serai toujours là si t’as besoin de moi. »

Alors que tu t’écartes pour la regarder dans les yeux, au-delà des bandages tâchés qui barrent son visage de poupée, tu es pris d’une vaste émotion qui t’arrache la voix lentement.
« Bon sang, qu’est-ce-que tu es belle. » Un baiser posé sur son front. « J’ai cru … j’ai cru que je t’avais perdue. J’ai cru que tu avais rendu les armes, rendu l’âme, et je … je t’ai sortie comme j’ai pu, je me suis fait mal, un petit peu. » Tu découvres tes avant-bras pour lui montrer les griffures rouges faites par le pare-brise explosé. « Mais c’est rien. C’est rien, parce que t’es vivante, et … je sais pas ce que j’aurais fait si ça avait pas été le cas. »
Tu finis par la serrer de nouveau, conscient qu’à chaque seconde passée ses lianes s’enroulent autour de toi. T’as déjà renoncé, à ça. Tu veux pas de ton libre arbitre ; si le prix qu’il faut pour l’aimer est d’être à jamais son pantin, tu seras la meilleure marionnette que l’univers ait pu créer.
« T’es tellement, tellement belle. »
Un souffle à peine articulé. Les tiges de roses prennent ta poitrine. Tu n’en sortiras pas indemne. Mais peu importe la liberté ; tu renonces à avoir des ailes si tu peux être ses racines.

gitano

Dans les froids dans les flammes

TW : mutilations, description de blessure

Tu fermes un peu les yeux alors qu’une fatigue sourde commence à te faire tourner la tête. Tes oreilles bourdonnent, et des images te reviennent de l’accident.

Tu riais, Morrigan, quand la voiture a dévié de la route. Tu étais heureuse, tu avais eu ce que tu voulais. Car ton génie personnel ne t’avait pas encore donné tout ce que tu voulais, avant hier soir : c’était lui que tu voulais, lui rien que pour toi, lui rien qu’à toi. Tu voulais pouvoir tenir son coeur entre tes mains et savoir qu’il t’appartenait. Et sur cette route, dans la nuit étoilée, tu le tenais, Morrigan.

Puis il était parti. Tu ne sais pas comment, ni pourquoi, mais tu ne sens plus son coeur près de toi et tu te fais une promesse : tu n’abandonneras pas tant que ce ne sera pas le cas. Et si tu ne peux régner sur son coeur, tu le tiendras encore battant entre tes mains comme un trophée.

Pour l’instant, c’est ton valet de coeur que tu as près de toi. Tu sens que cet accident et ton petit jeu a fini de le convertir à ta religion, qu’il a complètement laissé les épines de ta rose s’enrouler dans sa poitrine. Et pour l’instant, tu acceptes de te lover dans son coeur comme un chat devant un feu de cheminée, le temps de retrouver toute ta vigueur. Car tu la retrouveras, un jour, il ne peut en être autrement pour la reine que tu veux devenir, que tu dois devenir.

D’ailleurs, tu poses une main sur l’épaule de Jasper tandis qu’il s’agenouille à ton côté. Tu veux adouber ton chevalier avant qu’il ne mène ta croisade.

Tu ne me laisseras pas, tu répètes d’une voix frêle.

Tu lui montres que tu as compris ce qu’il a dit, mais tu assènes ainsi ton premier ordre de reine. Après cet adoubement, il ne pourra plus te laisser.

Quand il te montre ces cicatrices, tu as d’abord un petit mouvement de recul. Tu n’aimes pas la chair blessée, la chair autre que parfaite. Mais ta chair à toi n’est plus parfaite non plus, Morrigan, et peut-être que tu peux trouver de la beauté dans ces cicatrices. Tu ne sais pas si tu hallucines, après toutes ces émotions, mais tu as envie de planter tes ongles dans cette chair déjà entamée comme des épines, afin de renforcer encore plus ta prise sur lui. Mais tu te contentes de tracer du doigt les cicatrices qu’il te montre, sans un mot.

Tu souris au compliment et caresse la joue de Jasper du bout du doigt, comme pour le remercier sans jamais prononcer le mot « merci ». C’est un mot que tu ne dis jamais, puisque tout t’est dû, Morrigan. Même ce compliment, que tu penses faux, que tu sais faux. Mais tu te réconfortes en te disant que c’est temporaire. Tu es faite pour être belle, et ta beauté reviendra, tôt ou tard.

Mais tu sens le sommeil te rattraper et tu fermes les yeux, en attendant le nouveau chapitre de votre histoire.

@Jasper Griffin-Knight

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