Aube de Lune

Il s'appelait Galéno autrefois, un nom que ses parents avaient choisi, par dévotion pour la déesse des mers calmes, des lacs et des océans pleins. Ce soir là, a lieu une célébration rituelle importante dans le royaume sous-marin, une fête sacrée qui pourrait ressembler à Noël pour les humains. Pendant toute son enfance et son adolescence, Tristan a partagé ces moments importants avec sa famille et leurs amis et il en garde secrètement une certaine nostalgie. Cela fait bien longtemps qu'il a coupé les ponts avec sa famille et qu'il a marqué la rupture jusqu'à changer de nom et de prénom, pour ne plus rien avoir en commun avec ces gens là. Galéno Sulmanath n'existe plus et il n'y pense que rarement. Mais ce soir là, il a délaissé ses chers amants, errant dans les rues de Washington pour se perdre tout seul dans les rues animées de Adams Morgan. Chiara et Aaren ne connaissent que peu la culture des sirènes, comment pourraient-ils deviner qu'il s'agit d'un jour sacré pour le peuple des mers ? Tristan ne leur en a rien dit. Il leur a  dissimulé sa mélancolie et il a prétexté une course à faire pour les quitter et s'en aller traîner son spleen dans la nuit.

Le déconseil de la Nuit. Un nom amusant pour ce club, tenu par des sirènes. Ce soir là, Tristan se sent attiré par ce lieu et c'est d'un pas nonchalant qu'il y pénètre, déterminé à se saouler très proprement. Il s'est déjà rempli les narines de poudre blanche avant de venir et la drogue lui ôte une bonne part de sa peine. Elle la remplace par une attitude plus énergique et presque euphorique. Tristan se sent d'humeur bavarde et quand il s'impose devant le comptoir, tel le maître des lieux, ses yeux brillants se posent aussitôt sur la barmaid. Aspen. Il la connaît celle là. Oh oui, il la connaît très bien. Alors, sur un élan spontané, il bondit lestement sur le zinc pour mieux la toiser de haut. Les gens le dévisagent : qu'est ce que ce type fout là, debout sur le comptoir, à presque renverser les consommations tellement il se tortille ? C'est que Tristan danse. La musique est bonne et il n'a pas envie de se contenter du sol, comme n'importe quel gueux. Oh non. Il préfère voir le monde d'en haut, tout en renvoyant des sourires provocateurs à la barmaid. Quoi, oh quoi, elle aurait quelque chose à dire là dessus ? Merde, c'est la fête ce soir.

- Héhéhé. Un rire torve, c'est tout ce qu'il a à répondre aux protestations des clients qu'il dérange, en donnant des coups de pieds faussement maladroits dans leurs verres.

C'est l'attention d'Aspen qu'il cherche à attirer. Est-ce qu'elle se souvient d'autrefois, quand ils étaient gamins, quand ils n'étaient que d'innocents bambins qui ne pensaient qu'à jouer pendant que leurs parents festoyaient ? A Nydaros, ils se fréquentaient souvent, amis naturels dès leur naissance, quand leurs familles s'invitaient respectivement, pour d'interminables réceptions. Quand Tristan voit Aspen, il respire l'odeur de l'océan, il se sent aussitôt envahi par mille souvenirs émouvants d'enfance, par ces joies naïves, par ces rires tellement sincères, par ces blagues infantiles. Mais il se souvient aussi de ces moments d'égarement, quand elle s'est imposée comme une amie d'Aaren, à la rose noire. Comment avaient-ils pu se connaître ces deux là, alors que chacun d'eux lui appartenait à LUI, d'une certaine manière. Il en avait souffert mille morts à l'époque, jusqu'à ce que la sirène réapparaisse auprès de lui, au sein des membres de l'Ordre de Cain. Il n'a pas eu l'occasion de lui parler récemment. Peut-être craignait il une plongée trop douloureuse dans un passé révolu. Mais ce soir, c'est la fête. Ce soir, Tristan veut noyer sa peine. Et s'il ne peut pas aller voir sa mère, ni sa sœur, il peut parler à Aspen et déverser sur elle, toute sa rancœur. Il ramasse un cocktail qui ne lui appartient pas pour en savourer quelques bonnes lampées avant de lui lancer, dans un gloussement sardonique.

- Alors, c'est la réunion des sirènes décadentes ce soir ? De celles qui ne vont pas au temple et qui boivent au lieu de prier Galène. Viens blasphémer avec moi, si tu l'oses.

Belle intro pour aborder une amie d'enfance. Et Tristan lui dédie son verre d'un geste avenant, avant de le terminer, cul sec.


@Aspen Van Seabrook

Codage par Magma.

Ce n'était pas par hasard que Tristan avait choisi ce lieu pour y faire la fête. Il aurait préféré mourir plutôt que de l'avouer tout haut mais la présence de son peuple lui manquait. Aspen lui manquait. Même les cérémonies dévotes envers la déesse mère lui manquaient. Alors ce soir, il voulait trinquer à la nostalgie, il voulait chanter, danser et s’enivrer jusqu'à rouler sous la table, il voulait compenser ce manque dans le stupre et la décadence. Que de belles résolution pour un soir comme celui-là ! Les yeux du triton pétillaient d'allégresse quand il la vit grimper, une pleine bouteille à la main. Ses bras levés en l'air, il s'étira dans une exclamation enthousiaste. Elle ne disait jamais non et ça tombait bien parce que Tristan détestait les refus, les contradictions et les rabats-joie. Mais Aspen n'avait jamais été ainsi et c'était avec un certain ravissement qu'il constatait qu'elle n'avait pas changé.

- Je reconnais que tu ne m'as jamais déçu à ce niveau.

Pas à ce niveau, non, mais sur d'autres points, peut-être. Il laissa planer l'allusion sans insister, la laissant comprendre ce qu'elle voudrait. Tristan aurait très bien pu lui faire une scène, pour un motif futile, là sur ce comptoir. Et quoi ? Bien-sûr qu'elle le méritait ! Pourtant, les humeurs de Tristan oscillaient comme les marées et sans prévenir, une vague de rire le submergea. La musique était démente et il se laissa emporter par son rythme. Un demi-sourire aux lèvres, il l'observa se déplacer jusqu'à lui, d'une démarche dansante sans se sourcier des râleurs qu'elle bousculait. Leurs regards se toisèrent jusqu'à ce que la sirène ne se penche pour lui murmurer des mots provocateurs à l'oreille. Des mots qui lui rappelaient une réalité bien trop cruelle pour s'y arrêter. Tristan ferma les yeux et se raccrocha aux notes de musique. Elle n'était pas censée savoir qu'il avait déjà perdu des écailles dans la honte et la douleur,  et il se garderait bien de lui en parler – ni d'en parler à qui que ce soit - aussi, il choisit de faire semblant de rien.

- Parle pour toi ma chère. En ce qui me concerne, la soirée ne se finira pas tant que je serai encore conscient.

Ce ne serait ni la peur ni la raison qui l'arrêterait, encore moins l'instinct de survie. A croire que Tristan n'en possédait pas beaucoup. Tandis que son corps suivait le rythme de la musique, il narguait son amie d'enfance par une danse lascive. Il ignorait tout de la vie privée d'Aspen et de ses liens avec sa famille adoptive mais après tout, selon la mythologie des sirènes, les Van Seabrook étaient de sang divin. Quoi de pire que de cracher sur leurs noms, en ce jour béni ?

- Il y a beaucoup de sirènes dans cette boite et probablement un bon paquet de royalistes. Tu oserais insulter la famille royale tout haut ?

Est-ce qu'elle les détestait ? Au de là de ce petit défi, Tristan était curieux de connaître les ressentis de son amie d'enfance, ses émotions, ses rancœurs... Tout ce qui faisait d'elle ce qu'elle était aujourd'hui. C'était l'occasion ou jamais, ce soir. Vide ton sac, Aspen, c'est la fête après tout. Dis-moi ce que tu ressens, dis moi tout ce que j'ai loupé, depuis toutes ces années.

@Aspen Van Seabrook

Codage par Magma.

Tes yeux scintillent comme la crête des vagues au halo lunaire, Aspen. Tu me rappelles l'océan. Balancement. Cadence. Oscillations. Tristan danse et sourit. Ses railleries masquent la mélancolie qui reste trop accrochée à ses poumons. Il a beau respirer très fort, elle ne s'en détache pas et il lui faudra encore noyer tout ça à grand renfort de défonces, mais ce soir, il s'en ira faire les quatre cents coups avec Aspen, comme dans leur enfance, et il s’enivrera au passage, dans l'espoir d'oublier ses noms et ses surnoms, de tout oublier en dehors de l'instant présent. Il ignore vers quoi diriger leur folle soirée : un exploit, une bêtise, une prouesse ou un crime. Tout lui correspond, pour l'heure et la curiosité habille ses yeux d'une lueur vivace, tandis qu'il attend la réponse de la sirène. Elle semble ménager ses effets et c'est avec étonnement qu'il se penche vers elle, pour mieux accueillir ses confidences. Un secret ? Quel secret ? Tristan se tait, il retient son souffle, pour mieux entendre les murmures qu'elle lui souffle au creux de l'oreille.

- Oh quel sale... phoque ?

Tristan se redresse lentement, une moue indécise aux lèvres, attendant presque qu'Aspen lui confesse qu'elle ne lui faisait qu'une blague. Il n'aime pas les mots vulgaires qui écorchent sa langue trop noble mais il les pense quand même très fort. Ses pensées s'emmêlent un moment, pendant qu'il dévisage la sirène. Elle ne lui mentirait pas, surtout pour un sujet aussi grave. Une certaine distance s'est installée entre eux, depuis ces dernières années, surtout après cette histoire avec Aaren. Mais rien ne peut effacer ce qu'ils ont vécu ensemble, on ne peut pas leur enlever cette complicité qu'ils ont partagées. Ils sont amis. Et ce que leurs familles ont vécu les rapprochera toujours.

- Je te crois. , dit il enfin, dans un hochement de tête, même si je suis complètement dégoûté de réaliser à quel point on nous manipule... C'est sale comme histoire, Aspen, c'est extrêmement sale. A mesure qu'il assimile l'information, Tristan réalise l'ampleur de l'injustice qui s'est jouée, sous son nez. Lui-même s'est fait berner et il se sent personnellement atteint. Tout à coup, c'est comme s'il n'avait jamais quitté l'océan et voilà que son cœur tambourine, au rythme de sa passion. Est-ce que la famille royale le couvre ? Les infâmes marsouins en seraient capables. Cette information pourrait causer une révolution, si le peuple était au courant ! Par Varuna... c'est grave, très grave... Dans tous les cas, tu as raison, Silas doit payer et je suis prêt à t'aider pour ça.

Troublé, Tristan expulse l'air par le nez. Lui-même a cru à la responsabilité d'Aspen, lorsque l'histoire du miroir brisé est arrivée à ses oreilles, par le biais des divers contacts qu'il maintient avec Nydaros. Elle aurait eu ses raisons, après avoir subi tant d'humiliations, ce n'est pas Tristan qui l'aurait jugée. Malgré tout, son cœur saigne. Sans doute en raison de cette vision romanesque et idéalisée qu'il s'est construite de son royaume, quand il était encore enfant. A croire qu'il n'a pas encore accepté la déchéance de sa propre famille.

@Aspen Van Seabrook

Codage par Magma.

Le son sourd et vibrant des basses résonne dans l'air, comme un battement de cœur qui pulse sans relâche, et les lumières étincelantes, à la fois vives et sombres, sont comme les éclats d'une âme en proie à ses émotions. Au milieu de la foule enfiévrée, Tristan se tient face à Aspen, contemplant l'effervescence ambiante qui tranche avec les informations dramatiques qu'il vient d'apprendre. Il sent l'énergie électrique qui parcourt son être et se laisse emporter par la musique hypnotique qui s'accorde à ses pulsations de révolte. Aspen lui tend la bouteille et c'est sans se contenir qu'il la porte à ses lèvres, pour boire quelques gorgées à même le goulot. Le feu de l'alcool le galvanise. Après avoir trinqué à leur future révolution, les voilà qui s'échappent, main dans la main, pour rejoindre les étages d'où la foule leur est toujours visible. En dessous d'eux, les corps se meuvent en un ballet effréné, au rythme des sons entêtants qui se succèdent, et l'ivresse de la nuit les enveloppe doucement, comme un élixir de vie qui les transporte ailleurs, dans cette alcôve d'intimité.

"Bien-sûr, je suis toujours là pour la fête, mais ta bouteille est presque vide." Tristan fronce un sourcil intrigué. Elle lui propose un défi ?  Les lumières tourbillonnent dans la salle, créant des ombres mouvantes sur les murs et le sol. Toujours dans l'ambiance, mais un peu en retrait dans les hauteurs, le triton peine à apaiser son cœur trop ardent, qui bouillonne encore d'indignation. Néanmoins, la répartie de son amie d'enfance le trouble, tant il ne s'attendait pas à ce genre de provocation. Sa langue claque contre son palais, un signe d'agacement pour masquer son désarroi. "N'importe quoi." Son regard se porte à la fiole d'eau de mer au poignet d'Aspen, qu'elle caresse négligemment. Une œuvre de sa mère, à ce qu'il croit reconnaître. Tant de choses les relient tous les deux, aussi bien dans leur passé commun à Nydaros, que dans les injustices qu'ils ont tous deux vécues, blessés dans leur âme par les trahisons de leurs proches. Le prénom qu'elle prononce a le don de l'achever. Aaren ? C'est toujours la faute d'Aaren.

Le regard de Tristan se fait plus piquant. Voilà pourquoi il a toujours préféré choisir action que vérité, à ce genre de jeu. Sa réponse claque sèchement. "Je ne sais pas." Mensonge. Il redresse la tête avec arrogance mais ce qu'il trouve dans les yeux de son amie d'enfance le ramène au présent. A l'injustice féroce dont elle a été victime. Elle mérite au moins une réponse un peu plus élaborée. "La majorité des amis de mes parents nous ont tourné le dos. Dans ces conditions c'est normal que je sois méfiant, toi même tu sais ce que ça fait. Et puis, tu aurais pu revenir vers moi toi aussi. Au lieu de cela, tu as préféré traîner avec... d'autres personnes." Il s'interrompt pour regarder ailleurs. Il n'a pas envie de prononcer le nom d'Aaren. Leur histoire avec Chiara est compliquée, lui-même ne sait pas exactement où ils en sont tous les trois, à l'heure d'aujourd'hui. Peut-il considérer leur triade comme sérieuse et stable ? Le poids sur son cœur se fait soudain plus lourd, l'égarement marqué sur son visage. "Qu'est ce qui te fait penser que c'est à cause de lui, de toute façon ... ?" Un murmure sur une voix plus douce et triste qui se perd dans la musique ambiante.

@Aspen Van Seabrook

Codage par Magma.