TW : harcèlement scolaire en filigrane
Les portes du temple s'ouvraient et une centaine de fidèles sortaient. En tête de file, mes longs cheveux roux viennent se bousculer avec des paires de bras trop hauts pour ma taille. Je suis un gamin duochrome avec ma petite chemise blanche bien repassée et mon pantalon noir endimanché. J'entends la voix de ma mère crier de ne pas bousculer tout le monde. J'ai 11 ans et mes dents sur le côté sont tombées. On dit que c'est les canines et que ça sert à croquer les choses. Sautillant dans la joie d'avoir vu tout le temple, je dis bonjour à quelques fidèles qui repartent. Il y a la voisine qui est gentille, vient nous piquer des oeufs et qui nous donne du gâteau pour nous remercier. Papa tirait bien la gueule et elle plongeait jusqu'au sol. J'en avais rien à faire ; elle faisait de bons gâteaux.
Le serment parlait de belles choses aujourd'hui. On avait parlé de partage, et c'était un thème récurrent à chaque fois que j'allais au temple. Sur le papier, je comprenais. En vérité, je me voyais mal partager mon goûter avec les autres. C'était pas ma faute s'ils n'en avaient pas. J'imaginais mal des parents qui n'en donnent pas.
Le temple était à quelques minutes de la maison. Il fallait marcher un peu, passer par le square, par la rue avec la maison aux volets moches et ensuite tourner. Notre rue était jolie, résidentielle, et c'était avec une fierté certaine d'enfant tardif et de pré adolescent que je la regardais ; elle faisait partie des plus grandes du quartier. J'imaginais que je grandirai vite et que je pourrai inviter des tas de personnes. Ils verront que j'avais une belle maison, disait papa. C'était toujours plus simple de se faire des amis quand on avait des choses à offrir.
Depuis la rentrée, j'avais compris qu'il en fallait, des trucs à donner. Je refusais de donner mon goûter alors on riait fort. Je présumais que si je riais plus fort, ça couvrirait les leurs. Étonnement, on finissait par rire ensemble, et ça continuait. A ce moment précis, j'ai compris que l'amitié n'était pas tout à fait celle que j'avais vu dans les dessins animés. Maman aurait pu s'inquiéter, mais elle était contente de me voir parler à d'autres choses que des larves.
Alors chaque matin, on riait et je comprenais pas vraiment pourquoi. C'était sûrement malgré moi, et je préférais devenir rouge d'asphyxie en riant qu'en honte pour le moment.
Un jour, je trouverai quelqu'un pour rire pareil, et on sera amis à notre tour.
Tout petit, la vie semblait bien longue.
Sur le toboggan, il a cette grande fille. Elle est plus vieille que moi. Elle est en huitième et j'étais en sixième. Les gamins de l'école rigolaient aussi bizarrement avec elle. Pourtant, elle était grande. J'avais l'impression que ça la faisait moins rire, elle. Certainement que j'avais indéniablement compris quelque chose qu'elle n'avait pas encore compris. Ou qu'elle croyait encore que les amitiés font des super héros.
Alors que ça consiste juste à rire très fort. Et à faire tout très fort.
« HeeeeeeEEEEEEEY !!! »
On est les deux seuls de l'école dans le square. Elle a l'air de pas jouer avec grand monde. J'ignore quel âge elle a. Je sais qu'elle a pas l'âge d'être en sixième, parce qu'elle est grande comme une presque adulte mais pas tout à fait. Certainement qu'elle voudrait pas jouer au tobbogan mais elle a l'air d'être assise là depuis un long moment.
« Je t'ai pas vue au temple ! Tu devrais venir, on chante des chansons et y a des gens gentils ! »
J'aimais y aller parce que c'était agréable, les personnes qui arrêtaient de rire de temps en temps.