for what we know, we might not get tomorrow ♫ astraea III

Mer 16 Nov 2022 - 15:23

for what we know we might not get tomorrow

Don't care what they say
Or what games they play
Nothing is enough 'till they handle love
Let's do it tonight

Les moments se sont comprimés et étirés dans le même temps.

Depuis un ou deux mois à peine, depuis cet après-midi d'août où on a sorti sa guitare, Orpheus s'est fait attirer dans un tourbillon incessant d'instants qui deviennent des trous noirs. Les souvenirs se sont massés contre les portes de son espace comme autant de clés déformées. L'Orpheus amnésique est mort. Mais est-il réellement mort ? Tout le monde n'est il pas mort, au fond, et dans la fusion magnifique qu'est le retour de ses souvenirs, le brun est une nouvelle personne dont les contours sont encore flous.
Les moments se sont comprimés, lorsque tous les évènements semblent d'enchaîner sans accoups, portant leurs lots de conséquences sans tellement s'en soucier. Les retrouvailles avec le passé. La célébration des Accords. Le deuil d'Artemis et l'obscurité de Fao. Le sérum dans les veines de Xas. Et Cléo, Cléo faible et Cléo souriante, résignée face à ce destin qu'on lui impose et lui oppose.
Les moments se sont comprimés, et au milieu de la pression que leur inflige cet avenir dont on n'est pas sûr qu'il viendra, Orpheus a appris à les étirer. À saisir, de toutes ses prunelles, la beauté dans chaque goutte de pluie. Il a eu un surplus de vie, et Cléo un sursis de mort. Dans cet intervalle magnanime qui se trace les doigts mélangés, ils doivent trouver leur équilibre, faire de chaque instant une guimauve qu'ils auront la force d'étirer.
Leur espace-temps a des limites floues, des bords rongés par l'inquiétude de matins qu'ils ne vivront pas. Mais c'est tout ce qu'on leur a donné, alors même les jambes flageolantes et la tristesse dans le myocarde ils ont décidé, tous les trois.
Ils ont enfilé un bracelet, un petit bracelet brésilien, le premier d'une nouvelle série. Il est jaune, violet et orange parce qu'ils n'ont pas su décider. Et ils ont décidé, ensemble, que s'il ne restait pas longtemps ils feraient de ces instants-là une immensité pour eux trois.
Ils feront le tour de la terre et regarderont le soleil jusqu'à s'en abîmer les yeux. Ils saisiront l'instantané pour en remplir des boules à neige qu'ils secoueront avec vigueur pour se rappeler qu'ils sont vivants.
Ils respireront, tant qu'ils le peuvent.
Tant qu'ils le veulent.
Tant qu'ils le doivent.

Orpheus a le souffle court, l'oxygène qui manque, les yeux las. Chaque fois qu'il expire, un petit nuage de condensation s'échappe de ses lèvres gercées. Son sac est lourd mais son esprit léger.
"Pourquoi on fait ça, rappelez moi ?" qu'il maugrée, et les jumeaux viennent lui sourire pour lui rappeler les raisons.
Si ça n'avait tenu qu'à lui, ils auraient été dans des festivals de musique, des restaurants, ils auraient dévalé des pentes au lieu de les escalader. Mais il a dû se plier devant la volonté des deux autres et accepter, mauvaise grâce et bon cœur à l'oeuvre. Le Kilimanjaro les assaille depuis de nombreuses heures déjà ; l'humain semble avoir oublié depuis combien de temps ils montent. La roche, couverte de neige éparse, crisse sous ses chaussures de marche aussi pleines d'ampoules qu'un rayon luminaire d'Ikea. Et même s'il aimerait se plaindre, il le ferait de mauvaise foi, tant l'adrénaline le remplit et le subjugue tranquillement.
De longs moments s'écoulent encore avant qu'ils atteignent le faîte du mont crevant la Tanzanie.
Là, plus haut que le Shira à l'est et que le Mawenzi à l'ouest, l'horizon s'ouvre sous leurs pas depuis le promontoire du Kibo, le pic Uhuru.
Et ahuri, Orpheus l'est, tandis que des rayons dorés semblent nimber toute l'atmosphère d'une magie particulière. À court d'haleine, il regarde l'Afrique s'étendre à perte de vue, prunelles remplies d'une émotion qu'il ne pourrait pas exprimer.
Il pense à Faolan, à Artemis et à leurs fous rires tous les trois. Il songe qu'il a trop souvent suivi le mouvement, se contentant de marcher derrière et composer des sérénades. Il se dit qu'on lui a donné un supplément d'éternité et qu'il doit le dévorer sans mesure, parce que les regrets viennent trop vite et que la douleur attendra.
Alors, interrompant la conversation baragouinante de leur guide avec Abraxas, arrachant Cléo à l'hébétude que lui inspire cet univers de beauté absurde et intense, il prend les jumeaux sous ses bras et les plante face à l'horizon. Sa joue doucement se repose sur le front légèrement trop blond de celle qui restera sa sœur jusqu'à ce que les étoiles s'éteignent, tandis que sa prise se resserre sur l'épaule d'un Phoebus perdu.

Les mots ne viennent pas.
Les mots mentent.
Les moments sont étirés et comprimés dans le même temps.

Comme souvent, c'est une mélodie qui retombe dans l'air étourdi.
"♫ Almost heaven, West Virginia ... ♫"
Il attend que l'un des jumeaux viennent prendre le relais pour chanter. Car, puissants et indivisibles, c'est à trois qu'ils se sentent plus fort et leur boule à neige se remplit d'instants qui ne se faneront pas.
"♫ Country road, take me home ... ♫"
Alors, sur le sommet du monde, les Astraea voleront encore les dés d'un destin trop cruel. Et ils respireront, encore.

Tant qu'ils le doivent.
Tant qu'ils le veulent.
Tant qu'ils le peuvent.

we might not get tomorrow

“But between the drinks and subtle things
The holes in my apologies, you know
I'm trying hard to take it back
So if by the time the bar closes
And you feel like falling down
I'll carry you home”

Heureusement que leurs parents les ont aidés dans leur projet, Xas n’est pas certain de comment ils auraient pu faire autrement. Ce n’est pas sa petite échoppe de luthier qui lui rapporte des millions et Cléo ne gagne pas beaucoup plus à la boutique ésotérique. Quant à Orphy, ce n’est pas pendant ses six ans dans le coma qu’il a eu l’opportunité d’investir en bourse. Mais c’est important. Crucial, même. C’est la dernière fois, c’est la seule occasion qu’il leur reste de créer des souvenirs pour une éternité, assez pour que l’absence prochaine de leur benjamine ne leur coupe pas complètement l’envie de vivre. C’est pour ça qu’ils sont seuls – après ça, ils iront probablement passer du temps à San Francisco en famille, mais cet instant leur appartient, ce tombé de rideau leur appartient.

C’est Xas qui a choisi cette destination ; après le Kilimandjaro il a fait promettre aux deux autres de ne plus faire la moindre randonnée pendant au moins une semaine ou deux. Ils ont mis les voiles pour Hawaï, au nord de l’île plus précisément. Il fait si doux pour un mois de décembre – ou peut-être que c’est l’alcool qui les réchauffe. La journée a été belle. Les observatoires du volcan Mauna Kea ne sont pas ouverts au public, d’ordinaire, seulement aux étudiants en astronomie qui s’engagent sur plusieurs mois. Orpheus et Abraxas ont déployé des trésors d’imagination et de persuasion pour plaider leur cause, et leur sœur a pu y observer la voûte céleste dans toute sa splendeur ; planètes, constellations, nébuleuses, astérismes… Puis le coucher de soleil, à quatorze mille kilomètres au-dessus du niveau de la mer, irréel, d’une beauté telle qu’encore maintenant, attablés à l’extérieur d’un bar sur la plage, les étoiles semblent imprimées sur leurs peaux.

Ils ont commandé l’intégralité des cocktails de la carte et demandé à ce qu’on les surprenne avec des créations originales. Des dizaines de goûts à découvrir, à évaluer comme des experts pitres. La robe de cette tequila est vraiment intense. Oh oui, c’est très rond en bouche. Orpheus est bien évidemment le plus familier avec l’alcool, des trois, il n’est donc pas étonnant qu’il soit sorti gagnant de leurs multiples petits jeux ; quand bien même Cléo se découvre excellente au Flip Cup. Ils ont de nouveau treize, quatorze, quinze ans à rire comme des benêts et siroter leurs verres presque sous cape, comme si c’était interdit d’être aussi heureux. Comme si l’inimaginable ne rôdait pas autour d’eux, n’attendant qu’un seul instant d’inattention pour grimper dans leurs dos, planter ses canines empoisonnées dans leurs nuques. Mais ils ne lui font pas ce plaisir.

Il n’y a pas de place pour la tristesse, sous leurs étoiles.

CODAGE PAR AMATIS

Abraxas & Orpheus Astraea

Cléophée Astraea

I got all I need
when I got you and I

I'm not afraid when the rain won't stop 'cause you light the way

Elle ne sait même plus depuis quand ils sont partis. Les images défilent dans sa tête à chaque fois qu’elle ferme les yeux pour reprendre son souffle. Le Kilimandjaro, Hawai, tous ces paysages à couper le souffle et ces instants gravés dans sa mémoire. Il n’y a rien de plus beau. Si la vie devait se résumer à une chose, ça serait celle-là. Les instants passés avec ses deux frères à travers le monde, dans l'insouciance et les rires. Personne n’évoque l’après. Pas parce qu’il n’y en aura pas, mais parce que pendant leur voyage, il n’existe pas. Ils s’accrochent tous les trois au présent pour le vivre plus pleinement. Leurs sens sont constamment en éveil et ils se laissent le droit de leur donner le temps de tout apprécier.

Les plaines du nord de la Finlande s'étendent devant eux. C’est elle qui a choisi la troisième destination. Après la douceur des plages hawaïennes, ils ont été saisis par le froid polaire du pays. La nuit est omniprésente, mais elle s’en moque, c’est comme ça qu’ils voient mieux les étoiles. Abraxas a des flocons de neige coincés dans les cheveux alors qu’il continue à s’obstiner de ne pas mettre de bonnet, lui qui n’a jamais eu une tête à chapeau. Orpheus regarde l’horizon et elle s’attend à le voir pointer du doigt la forêt pour leur indiquer que là, il doit bien y avoir des cerfs sauvages. Elle est assise sur le traîneau qui les a conduit là, entourée des six chiens loups qui les ont tirés jusqu’ici, l’un d’entre eux pressé contre elle réchauffant délicatement l’intégralité de son corps. Elle est un peu essoufflée tant par la beauté que par l’effort qui lui devient de plus en plus pénible, mais elle ne s’en plaint pas. L’air glacé se faufile dans sa gorge alors qu’elle lève la tête vers le ciel. Ils resteront là jusqu’à ce qu’il se teinte de vert et de violet offrant à leurs regards émerveillés une aurore boréale comme on n’en voit qu’en photo d’habitude. Ils sont perdus au milieu de nul part, entourés du silence et du bonheur d’être ensemble, ébahis par la grandeur de la nature.

Quand ils rentreront, Orpheus préparera son fameux chocolat chaud et ils se glisseront tous les trois dans le canapé-lit déplié devant la télévision. Couverture remontée jusqu’au bout du nez, ils regarderont des programmes en finnois, commentant chaque image sans comprendre la moindre parole. Elle sera bien, là, lovée entre eux, parfaitement au chaud, parfaitement heureuse. Parce qu’il n’y avait pas que l’immensité qui lui plaisait dans ce voyage. Il y avait ces instants suspendus où ils étaient à nouveau enfants, pleinement eux-mêmes, libres de rire, de râler, de partager. Il n’y avait rien de plus précieux à ses yeux, rien de plus rassurant. Si elle devait partir une dernière fois à leurs côtés, c’était ces souvenirs là qu’elle voulait leur laisser, ceux avec lesquels elle voulait affronter l’avenir.

. . .

gitano

Âge : 31 ANS (01/02/1990) ♫ trop longtemps passés à dormir

for what we know we might not get tomorrow

Don't care what they say
Or what games they play
Nothing is enough 'till they handle love
Let's do it tonight

L’eau est n’est pas froide lorsqu’ils se jettent dedans comme des louveteaux éperdus. Pourtant, elle lui arrache un petit cri, puis un immense éclat de rire. Il a couru plus vite que Xas, cette fois, et c’est dans son visage ravi que les vagues sont venues jeter leur écume. Son short de bain flotte encore un peu autour de ses jambes de poulet, mais il s’en moque. Les jumeaux lui ont dit que c’était, de très loin, le pire vêtement de sa garde-robe ; c’est précisément la raison pour laquelle il l’a glissé dans sa valise. Rose avec des motifs floqués, bien trop vif pour être discret, l’habit est d’un mauvais goût tel qu’il ne revient pas de lui-même de l’avoir un jour acheté.
Cathedral Cove, prise d’assaut la journée, leur a ouvert ses bras nocturnes. Si quelques oiseaux de passages picorent les galets et les coquillages, il n’y a que trois grands abrutis pour s’être jetés dans l’eau noire.
Ils rient, les Astraea.
La Nouvelle-Zélande est la scène de leur plus grand show qui ne compte aucun spectateur. Orpheus sursaute violemment quand quelque chose effleure son pied, déclenchant l’hilarité de ses cadets. Xas met beaucoup trop longtemps à rentrer dans l’eau, justifiant qu’il a toujours eu le ventre plus sensible que ses adelphes. Et Cléo, allongée sur le dos, cheveux d’or autour de ses yeux écarquillés sur l’univers, Cléo est la raison pour laquelle ils sont là.
Il n’a pas envie de rentrer.

Rentrer, c’est admettre que leur sursis n’était que cela : un sursis. Qu’ils ont vécu sept ans d’enfer et qu’ils vont reprendre perpète. Bancals, clignotants dans toute leur détresse, les trois décident malgré tout de se repaître du cosmos. Si il leur devient familier, sans doute que ce sera moins lourd d’imaginer Cléo dedans, nageant avec les aurores boréales et les ceintures d’astéroïdes.
Pour l’instant, c’est dans l’eau qu’elle nage, chahutée et coulée par Xas, tandis qu’un Orpheus trempé commence à penser sa vengeance.

Il n’a pas envie de rentrer.

Dim 26 Nov 2023 - 19:21

we might not get tomorrow

“But between the drinks and subtle things
The holes in my apologies, you know
I'm trying hard to take it back
So if by the time the bar closes
And you feel like falling down
I'll carry you home”

Il a bien fallu rentrer.

Quand ils ont embarqué pour le Chili pour admirer les étoiles une dernière fois, aucun d’entre eux ne l’a dit, mais l’idée du retour pesait déjà dans leurs esprits. Rentrer, c’était admettre que c’était terminé, que leur grand projet, leur parenthèse enchantée touchait à sa fin et que désormais il faudrait être forts. Abraxas pensait laisser tous ses sourires sincères dans le désert d’Atacama – mais il y a de l’espoir au creux de son ventre, désormais.

Il a bien fallu rentrer, mais ils ne reviennent pas les mains vides.

Pelotonnés dans le canapé du salon de leurs parents à San Francisco, ils regardent un film qu’ils ont déjà vu environ un milliard de fois : personne n’entend vraiment le film, puisque tout le monde cite les répliques à l’unisson. Ils ont commencé leurs pizzas favorites – quatre fromages pour Orpheus, quatre saisons pour Abraxas, savoyarde pour Cléo. Ils ont même ramené le plaid moche de l’appart pour l’occasion, parce que c’est réconfortant, parce que leurs trois paires de fesses sont imprimées sur ce canapé bleu élimé, parce qu’ils ont déjà tant vécu ce moment et qu’il y a une infinie beauté dans la routine de leur amour. Autant, sinon plus, qu’au Kilimandjaro, qu’à Hawaï, qu’en Finlande, qu’en Nouvelle-Zélande et toutes les découvertes qu’ils ont fait ensemble.

Ils forment une mélodie parfaite, où chacun connaît la partition, où chaque note s’égrène avec douceur et familiarité. Donne-moi la main, réveille-toi, mille aurores t’attendent et tu ne faneras jamais, le solstice dansera la où ton cœur bat si tu le laisses faire.

La seule fausse note, c’est la silhouette endormie recroquevillée dans un fauteuil qu’ils ont présenté comme un ami musicien des garçons – ils ne sont plus à un mensonge près – et qui tient dans ses mains maladroites tous les espoirs des trois étoiles fusionnées sur le canapé. Il ne connaît pas la musique, mais il tiendra la coda à bout de bras.

Il a bien fallu rentrer, mais ce n’est pas fini de briller pour les Astraea.

CODAGE PAR AMATIS

for what we know, we might not get tomorrow ♫ astraea III

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