GRIFFIN KNIGHTS ÷ if we survived the great war

T’as cru voir un fantôme du coin de l’œil, et t’es pas très loin de la vérité. T’es pourtant habitué aux miroirs brisés et à ton reflet déformé, mais le sourire mielleux que ton ancienne vie te renvoie… Il a quelque chose de pervers, de profondément dérangé. Un sourire que t’as jamais vu sur ta gueule à toi, un truc de l’ordre de la jubilation, de l’excitation. Est ce que t’es en train de devenir dingue? Est-ce que t’hallucines? Est ce que c’est la voix de Scarlett qui te propulse des années en arrière, à l’époque où t’avais pas encore complètement tout foutu en l’air? “I have to go” tu lâches, déjà ailleurs. Tu sais que tu regretteras plus tard le manque de cérémonie, mais tu dois en avoir le cœur net. Et puis, c’est peut être pas plus mal ; si elle te méprise dès le début, tu seras moins tenté de refaire les mêmes erreurs encore et encore comme si t’avais le moindre espoir d’en sortir sans les regrets harnachés au cœur et au corps.

Tu lui cours après pendant ce qui pourrait être des heures, souris prise au piège dans un labyrinthe aux murs touffus de déni et d’appréhension. Tu sais ce qui t’attends de l’autre côté, n’est ce pas? Ça te prend au ventre, le jugement dernier que t’as évité tout ce temps, la bête que tu poursuis sans jamais avoir le courage de pénétrer son antre.

Maybe it was ego swinging.
Maybe it was her.

Tu le rattrapes à une intersection ; peut-être qu’il t’a laissé le rattraper, est-ce que ça a la moindre importance, tant que ton avant-bras bloque son cou contre le mur nu et froid? “What the fuck is this?” tu feules, comme un animal menacé, comme un animal effrayé. Le sang ne ment pas, et l’étincelle dans les yeux de ton frère non plus — plus jumeau aujourd’hui qu’il ne l’a jamais été. Tu le tiens pourtant tu sens pas la pression de la chair contre la chair, à vrai dire plus les secondes filent et plus tu t’éloignes, et tu finis par regarder la scène depuis une poutre, quelques mètres au-dessus. Est-ce que c’est ça que les autres voient? Tu veux pas le regarder dans les yeux, tu sais que tu y trouveras pas ce que tu cherches, tu ferais que te rendre malheureux.
   

CODAGE PAR AMATIS   

Le seul truc qui te rattache à la réalité, la seule chose qui te prouve que t’es pas complètement fou, c’est que t’as jamais vu cette expression là sur ta gueule. C’est pas toi, c’est lui. C’est pas toi. C’est pas toi. Rentre-toi ça dans le crâne. T’as bien des défauts, mon pauvre Jade, mais t’es pas cruel. Ce rictus ne t’appartient pas, il ne te reflète pas. T’as beau le regarder dans les yeux, tu ne vois que ça. T’as l’image de la photo de classe, de ce visage qui était le tien avant et qui se tient à côté de celui de T.J., au sourire un peu tiré. C’est dégueulasse que ce soit tout ce qui te vienne, et tu comprends pas comment c’est possible. Cette existence-là, elle s’est faite sans lui. T’es allé te promener dans les bois pendant que le loup y était pas. Et maintenant il est revenu pour te bouffer. “I’m you, but better” tu craches entre tes dents, le regard rivé sur ton passé. Peut-être que t’es quelqu’un de cruel, finalement, parce que tu sais très bien l’écho que ça fera dans son crâne quand tu balances ça. Pourtant c’est sa main à lui qui t’a amené au bord du précipice et qui te tape dans le dos pour t’y précipiter.  Somewhere in the haze, got a sense I'd been betrayed.

Il est revenu pour te prendre autre chose, quelqu’un d’autre, et cette fois tu réussiras à défendre ce qui est à toi. Il a ton ancien visage mais ça veut dire que t’as un coup d’avance, si tu joues bien tes cartes. Ne lui permets pas de te laisser sur le carreau, il faut que tu sois celui qui pique. “I shouldn't be surprised, you have never been able to be your own person. What are you after, this time?” Les questions te brûlent les lèvres mais tu les laisseras pas sortir. Scarlett n’est pas si loin et Jasper porte les traits que t’arborais quand t’en es tombé amoureux. C’est elle qu’il veut. Il n’y a pas de coïncidence, chez vous, il n’y a que le jeu et la manière de le remporter. Et votre toute dernière partie vient de commencer.

   

CODAGE PAR AMATIS   

Le ballet que vous dansez est macabre, un tango qui vous fait bouffer de la cendre, puis un pas de bourrade qui t’imprime un motif brique tellement fort sur les épaules qu’il va t’arriver aux clavicules. Jasper a jamais raison sur rien pourtant il a raison sur ça : c’est une putain de roue qui s’arrête pas de tourner et qui s’arrêtera pas avant qu’on la brise, à mains nues s’il le faut. Vous avez dansé longtemps sur cette roue, maladroitement, alors que tout brûlait autour de vous, pourvu que l’un parvienne à se tenir au-dessus de l’autre. Mais tu comprends que c’est pas toi, le cavalier qu’il voulait, et que la piste qu’il est en train de dessiner, c’est le fantôme de celle qu’il n’a jamais pu arpenter. Il est pas là pour Scarlett, non. Pas vraiment. Il est là pour elle. Et le visage qu’il conjure de force dans ton esprit te coupe le souffle plus certainement que ses putain de mains autour de ton cou, qui pressent et qui s’en vont.

Une peau pâle, presque translucide, et son rire, son rire parfait avant la cacophonie du métal et du verre qui explose. “You don’t get to talk about her.” Tu te décolles du mur, à deux doigts de lui arracher sa clope, de griffer ce que tu peux atteindre, de mordre comme un animal sauvage. “You don’t get to talk about her, she wasn’t yours to mourn.” Tu laisses échapper un feulement, parce que maintenant t’es de retour dans la voiture et tu sais ce qui va se passer. Flashes of the battle come back to me in a blur. Morrigan a trop bu, t’aurais dû prendre le volant mais elle a insisté, et elle a l’air tellement heureuse. Elle rit à gorge déployée et les fenêtres sont baissées, ses cheveux volent autour d’elle dans une valse folle, et tu t’acharnes à replacer chaque mèche derrière son oreille. Regarde la route, Morri, on va au-delà de l’horizon. Je te protègerai, tu verras, ce sera juste toi et moi, mes erreurs du passé ne viendront plus nous rattraper, tu seras en sécurité. Elle voit pas le camion arriver, et toi tu le vois trop tard. Vous avez même pas le temps de crier – la voiture le fait à votre place.

T’as eu le temps d’y repenser, toutes ces années dans le noir. T’aurais dû conduire, certainement. T’aurais dû être plus rapide, te jeter sur elle, protéger son corps avec le tien. T’aurais dû attendre le lendemain. Mais t’avais trop peur que ce soit trop tard. T’avais trop peur que d’ici là, ton frère mette en œuvre sa vengeance et que tu puisses pas la défendre. Il t’avait promis que tout était derrière vous, que vos batailles d’enfants ne se transformeraient pas en guerres d’adultes. Mais tu savais, toi, tu savais que c’était impardonnable. Tu savais qu’on ne revient pas de ces choses-là, on n’absout pas le frère qui a tué la mère.  Il n’y a pas de grâce, pas d’amnistie pour les raclures comme toi. Tu savais que c’était forcément un mensonge, forcément une stratégie pour porter le coup de grâce quand tu t’y attendrais pas. Alors t’es parti comme un voleur avec ton bout de cœur restant. “I didn’t mean for her to die. I was keeping her safe. She was all I had at the time.” Et le pire, mon pauvre, c’est que tu le penses vraiment.
   

CODAGE PAR AMATIS   

Swear to me.

Tu pourrais jurer beaucoup de choses, Jade, mais ça n’aurait aucun sens. Ça supposerait que t’es quelqu’un de parole, sauf que tu peux pas vraiment te faire confiance. Et précisément à cause de ça, personne d’autre ne le peut non plus. T’es parti avec Morrigan par amour, bien sûr. Mais pas par amour pour elle – par amour pour l’idée que tu avais de toi-même, pour les cycles que tu allais briser, les erreurs que tu n’allais pas répétées, les choses que tu étais prêt à sacrifier pour t’assurer que t’allais pas foirer, cette fois. Par amour pour l’assurance que les ponts que tu étais en train de brûler étaient justifiés. Probablement que si tu pouvais retourner en arrière, remonter les aiguilles du putain de chronographe à rattrapante de ta vie, tu ferais les choses différemment, mais ça ne change pas le présent.

La vérité, c’est que tu peux rien jurer du tout. Tu peux même pas jurer que tu as compris, à l’époque, l’amour que Jasper lui portait, ses nuances, son degré de dévotion, le rouge de son regard transi. T’as juste vu le bleu de ta peur et le noir qui t’engloutirait si jamais elle devenait son arme contre toi. Il le sait, ton frère, il a pas besoin que tu répondes, il le voit dans tes yeux. Vous avez les mêmes. Probablement qu’il comprend pas non plus tes nuances, ton degré de dévotion, le violet de ton cœur meurtri. Probablement qu’il voit juste le vert de son dégoût et le blanc du silence qui vous déchire depuis si longtemps. All that bloodshed, crimson clover.

La fumée qu’il te crache au visage te fait l’effet de la belladone. Tu le sens dans tes jambes, dans tes poings ; la paralysie, le son strident du sous-entendu qui s’enroule autour de ta gorge comme une vipère. Tu t’avances comme un pantin, comme lui, un, deux pas vers lui jusqu’à ce que vos visages se touchent presque. Comme des putain de boomerangs, à dégager pour mieux revenir vous sauter à la gorge, incapables de vraiment partir. “What the fuck does that mean?” T’entends rien d’autre que le sang qui bat à tes oreilles, tu sens rien d’autre que la chaleur qui se diffuse dans ton corps raide. Tu serres le briquet dans ta poche jusqu’à ce que le motif s’imprime sur tes phalanges. Il sait quelque chose que tu ne sais pas, il sait le truc le plus important de la terre, t’es l’exilé parfait de cette blague d’initiés. “Jasper, I swear on our mother’s grave that if” Quoi? Tu vas faire quoi, Jade, si jamais il te répond pas ? Tu vas le buter ? L’égorger, l’éviscérer, le lacérer jusqu’à ce qu’il parle ? Tu vas jurer un fratricide sur la tombe de ta mère, elle qui crèverait sûrement une deuxième fois de vous voir comme ça ?

Tu sens tes genoux qui lâchent, et finalement tu recules contre le mur pour ne pas t’effondrer. T’as peur de la réponse avant même d’avoir posé la question. Mais si la partie continue, il faut que tu le saches, même si t’as dix manches de retard et que Jasper a gardé son as. “She survived the crash?”
   

CODAGE PAR AMATIS   

Bien sûr que t’as regretté au moment même où t’as parlé de votre mère. C’était votre première bataille, après tout, celle que personne n’a pu gagner parce que t’as pas pu la sauver. Tu l’as pas poussée du haut de l’opéra, mais c’est quand même toi qui l’as tuée ; avec tes errances, tes maladresses, tes raccourcis et ta jeunesse. T’as eu le temps de t’en mordre les mains entière les années qui ont suivi au Purgatoire, mais c’est pas toi qu’est resté en bas et qui a dû regarder ton petit frère dépérir, pieds et poings liés par le destin et par l’absence du jumeau dans le miroir. Tu voudrais rester de marbre mais tu tressailles quand même quand les phalanges de Jasper s’écrasent à côté de ton crâne sur la brique nue – à quoi ça servirait de prétendre que t’as pas peur de lui, alors que c’est précisément pour ça que t’as fait tout ce que t’as fait ? N’est-ce pas ça que tu as attendu toute ta vie, qu’il corresponde enfin à l’image que tu te fais de lui ? Qu’il admette enfin qu’il ne t’aurait jamais pardonné quoi que ce soit et que tu ne mérites rien ? Qu’il n’y à rien à sauver et qu’il valait mieux fuir, que si tu lui en avais donné la chance il aurait déchiré tous les pans de ton avenir ?

Tout ce temps, tu as laissé ta reine de cœur entre les mains de la vengeance personnifiée ; une enclume de plus à porter, un regret à ajouter à ta collection bien rangée. On pourrait penser que la nouvelle t’aurait soulagé, que quelque chose se serait dénoué dans ton estomac à la pensée de savoir Morrigan vivante, de savoir que ta témérité ne lui a pas coûté la vie, mais ce serait trop doux pour l’enfer personnel que tu t’es construit. T’es parti sur le coup, t’as même pas eu le temps de voir la voiture s’enflammer, et t’as toujours pensé que c’était sa mort à elle qui t’avait renvoyé – tu t’es consolé comme tu pouvais en te disant qu’elle n’avait pas souffert. Si c’est ton corps à toi qui a été détruit, évidemment que ça change tout ; maintenant les images défilent dans ton esprit malade, psychédéliques et infernales, de chair brûlée et de cris restés sans réponse. Tu l’as pas tuée, tu l’as abandonnée ; et malheureusement, c’est encore pire.

Cent-cinquante ans d’expérience, et maintenant tu peux le croire : ton seul talent, c’est de décevoir. Tu pourrais presque sourire maintenant, parce que l’issue est évidente – et tu te dégages avec une lenteur insoutenable, tu lui tournes le dos pour que son poignard t’atteigne mieux, et d’une voix aussi blanche que le fantôme que tu deviens, tu lui fais une ultime promesse avant de partir. “If you ever do anything to hurt either of them, Jasper, mark my words, I will kill you.” T’aurais eu envie de hurler, de frapper les murs, d’avoir la tempête au corps que ton frère fait pleuvoir sur ta misérable tête. Tu voudrais avoir la force de défendre ton château, de reprendre ta reine, de livrer bataille pour être un meilleur roi, mais en vérité, est-ce que tu penses pas un peu qu’avec tout le gâchis que tu traînes, Jasper ferait peut-être un meilleur Jade que toi ? Au moins y’a pas de défaite quand y’a pas de combat.

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