who let the dogs out ♫ orpheus & cass

who let the dogs out

Orpheus & Cass

Il faut bien se rendre à l’évidence : son plan de vie d’adolescent est depuis longtemps dépassé. Ils avaient leurs chances en musique quand ils étaient plus jeunes, arpentant les rues de Nashville en se pavanant comme des paons. Sauf que, voilà, Abraxas était devenu sourd, Faolan était occupé.e avec sa mission de gardien.ne, et Orpheus ne savait même plus quel était le prénom de leur batteur.
Ça aurait été facile, une fois ses souvenirs retrouvés, de se glisser dans cette peau-là, celle qu’il avait toujours vêtue ; celle du guitariste charmeur, dont le sourire rapportait plus que tous les éboueurs du monde.
Alors, c’était plus compliqué.

Il a passé de longues soirées à sillonner internet, les jambes de sa sœur sur les genoux, ou bien la tête de Faolan sur son épaule à peine musclée, ronflant copieusement tandis que le brun pianotait sur son clavier. Et il a fini par trouver.
Dog-sitter. C’est pas le métier le plus noble, pas celui qui rapporte le plus, mais si on peut pas lui retirer quelque chose, à Orpheus, c’est qu’il a envie de bien faire. Il aime les animaux, il a un bon contact avec les gens, et ce malgré les lourdes séquelles que lui ont laissé l’aphasie. Il se dit que pour recommencer à faire quelque chose de ses journées, arrêter de traîner en pyjama dans les pattes de Cléo ou Xas, c’est un bon début.
Alors il s’est inscrit sur le site, il a complété son profil, mis une photo qui date d’avant l’accident, et c’est comme ça qu’il s’est retrouvé avec Sauge.
Sauge, c’est un amstaff bleu bavouillant qui manifeste son affection par de longues léchouilles appuyées. Orpheus a beau lui expliquer qu’il n’a pas très envie d’avoir de la salive de chien partout, Sauge s’en moque. Sauge est dans une belle baraque, avec trois maîtres et maîtresses qui l’adore. Celle qu’Orpheus a rencontré s’appelle Cassandra -du moins, c’est ce qu’il suppose, vu qu’elle s’appelle Cass. Elle fait sa taille et sa carrure, mais avec des cheveux blonds et courts. C’est l’affaire d’un week-end, pas plus. Un week-end où Orpheus loge dans cette baraque avec le chien, et puis ses proprios reviennent.
Facile.

Oui, ça aurait pu être facile.
Mais Sauge est un chien hyperactif, Sauge est un toutou affectueux, Sauge aime mâchonner tout ce qu’il trouve. Il a mené la vie dure à Orpheus, a renversé l’énorme paquet de croquettes qui se tenait en équilibre sur le comptoir de la cuisine, obligeant l’humain à se mettre à quatre pattes pour tout ramasser. Il a tiré sur sa laisse, fort, jusqu’à donner des courbatures aux pauvres biceps de l’humain. Il l’a réveillé tôt le matin en lui inondant le visage d’une bave loin d’être méritée.
Conclusion : le brun est épuisé, éreinté, et attend le retour de Cass comme la survenue du Messie.

Lorsque la clef tourne dans la serrure, il est recroquevillé sur le canapé, Sauge ronflant tranquillement contre lui, et les deux bêtas dorment de tout leur soûl. Le salon, autour, est un chaos au milieu duquel il est ardu de marcher sans écraser quelque chose ; Orpheus voulait le ranger, mais il s’est assoupi avant.
Jamais au monde un canapé n’a paru aussi confortable.

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Orpheus & Cass

Il est en train de faire un rêve très chouette, dans une maison de pain d’épices peuplées d’ogres et de méchants exs. Contre lui, le corps de Sauge ronfle un peu, et Orpheus a passé le bras autour de ses muscles puissants.
Il met un petit moment à réaliser que la voix et le claquement de porte qui résonnent dans son crâne obtus ne font pas partie de son rêve, qu’il est en train d’émerger doucement et de manquer à tous ses devoirs. Il entend d’ici la voix de son père qui lui lance, dans un sourire taquin, qu’il fait preuve d’un furieux manque de professionnalisme.
Alors, quand la voix ressurgit, le brun saute bien droit sur ses pieds, les paupières encore lourdes et teintées de la sieste qu’il vient de faire. Ce faisant, il heurte quelque chose, par terre, qui fait un affreux bruit de vaisselle cassée ; n’ose pas baisser les yeux, de peur de s’apercevoir qu’il a encore foiré quelque chose.
Peut-être bien que dog-sitter n’est pas un métier facile, après tout.

Tout en sourires embarrassés, le guitariste se relève sous les yeux ébahis de Cass qui vient de rentrer de week-end.
« Ah, euh, bonjour ! lance-t-il d’une voix mal assurée qui se veut pourtant enthousiaste.
Et il étouffe un colossal baillement, incapable de dissimuler sa fatigue après leurs escapades de la journée.
« Je suis désolé désolé désolé, j’avais prévu de ranger, mais Sauge voulait absolument qu’on sorte, et après j’étais épuisé … je vais rester, je vais vous aider, je suis vraiment désolé. »
Peut-être qu’il en fait un peu trop, mais il est vraiment désolé. Il voulait faire bonne impression, s’était dit qu’une cliente ravie attirerait sans doute les suivants, mais il réalise qu’il a encore pris les choses de travers. Peut-être qu’il n’était pas prêt à reprendre le travail, qu’il aurait dû continuer à suivre Cléo comme un chiot encombrant plutôt que de se croire capable d’en promener des bien moins grands.

Orpheus jette un regard à Sauge, assis gaiement sur ses pattes, la langue pendante. Un sourire tendre tord ses traits. Bon, il n’est peut-être pas l’employé idéal, mais ils se sont bien amusés, le chien et lui. Ils ont passé du temps à lutter pour récupérer l’espèce de corde nouée qui lui sert de jouer à mâchonner, ils se sont promenés, ont mangé. On fait pire, comme week-end à deux. Ils se sont endormis ensemble en regardant Beethoven 4, chacun apaisé par la douce chaleur corporelle de l’autre.
Et puis, il se remémore la question de Cass, qu’il avait passablement oubliée.
« Ah non non non, il n’a pas du tout été terrible, enfin … c’est ma faute, dès qu’il y a un chien dans les environs, je redeviens un enfant, et du coup ce n’est pas très efficace pour … » Petite grimace contrite. « Asseoir son autorité. »

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Orpheus & Cass

Pas terrible pour un dog-sitter.
Orpheus adopte la pose embarrassée d’un personnage de dessin animé qui se gratte le haut de la tête. Bien sûr que non, il ne fait pas un dog-sitter terrible. Mais la vérité, c’est qu’il ne sait pas faire grand-chose. Même avec ses souvenirs revenus, il a pas fait de hautes études, étudié l’anatomie humaine ou la composition d’un ordinateur. La seule chose qu’il sait faire de ses dix doigts, c’est de la musique ; autant dire qu’avec leurs perspectives et le climat actuel du pays, il est mal barré.
Alors non, il est sans doute pas un dog-sitter terrible, mais certainement nettement meilleur qu’il ne serait caissier ou ingénieur. Et puis, lorsque ses yeux penauds tombent dans ceux enthousiastes de Sauge, il se dit que c’est pas si mal.

Cass offre de ranger avec lui, mais il réagit avec la vivacité d’un éclair.
« Non, mais pas du tout ! C’est à moi de le faire ! » Lorsqu’elle lui propose un café, il se mord la lèvre, gêné. « Je veux bien un café, mais je range d’abord. J’en ai pas pour longtemps. »
Et, de fait, en un peu moins de cinq minutes, le salon retrouve une apparence acceptable : la vaisselle utilisée rejoint le métal de l’évier, les croquettes éparpillées sont sagement balayées avec tout les autres déchets et tout ce qui devait rejoindre la poubelle est consciencieusement jeté. Les jouets de Sauge, ainsi que ce bâton qu’ils ont trouvé leur de leur promenade de la veille, regagnent quand à eux la niche du chien, qui oscille la tête de droite à gauche en voyant son nouvel ami s’affairer.
Lorsque l’odeur délicieuse du café se met à embaumer la pièce, le salon ne porte presque plus de traces de l’incompétence de l’humain, et celui-ci se laisse tomber sur une chaise en face de son employeuse.
Reconnaissant, il lance un sourire franc à la propriétaire de Sauge, prenant sa tasse entre ses mains.
« Merci beaucoup. »

Après quelques gorgées silencieuses, le cœur battant encore à ses tempes d’avoir dû s’activer ainsi au réveil, il décide que, quitte à passer pour un idiot, autant engager la conversation. Après tout, un emploi comme celui-ci permet une flexibilité que n’ont pas un caissier ou un ingénieur.
« Comment était votre week-end ? Votre conjoint n’est pas rentré avec vous ? »

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Orpheus & Cass

Orpheus n’a jamais été dans les Appalaches. A vrai dire, il n’a pas beaucoup voyagé. Il était de ceux qui voyagent en restant sur place, dont le salon pouvait devenir la plus grande des chasses au trésor et la compagnie de ses adelphes la plus douce des reconnaissances. Theia et Hector ont toujours fait de leur mieux pour que les trois enfants ne manquent de rien, mais Orpheus a vite compris qu’ils n’étaient pas les plus aisés de la ville de San Francisco. Trois enfants à charge, ça rend chaque tentative de vacances plus compliquée : trois fois plus de valises, de doudous, de choses à se préoccuper. A part les quelques colonies de vacances qu’il a eu la chance de faire et son déménagement à Nashville, il n’a rien vu de son propre pays.
Et il n’a pas exactement pu profiter des portails zouwus depuis la guerre, vu qu’il a passé le plus clair de son temps à faire la sieste.
Cass évoque Country Roads et l’humain a un grand sourire.
C’est leur chanson, à tous les trois. L’une des premières qu’il ait apprises à la guitare, et celle qu’il a le plus jouée. Il y a une sorte de mélancolie dans les paroles, de douceur dans la mélodie, ça lui évoque toujours les jumeaux. Il se dit qu’il pourrait monter au sommet du monde, gravir le Kilimandjaro, que ce serait ça sa bande-son pour accompagner tous ses pas.
« J’adore cette chanson. » murmure-t-il, soudainement ému.

Et puis, elle évoque ses amis. Enfin, ses partenaires. Alex et Ocie. Le brun se sent tout à coup affreusement réac d’avoir pensé que Cass était forcément en relation monogame et exclusive. Artemis et Faolan lui ont souvent seriné qu’il n’était pas très déconstruit, mais il a souvent un peu de mal à prendre la mesure d’à quel point.
Une ombre passe devant ses yeux lorsqu’il pense au merdier qu’il a généré en les laissant seuls tous les deux. Maintenant, leur trio est bancal, il rame à éroder la roche. Sans qu’aucune solution n’apparaisse parfaite.
« Oh, euh … c’est un peu compliqué. » Un rire gêné s’échappe de sa gorge, mais les doux effluves du café l’encouragent à continuer. « En fait, j’ai été hospitalisé pendant très longtemps, ça ne fait pas longtemps que j’ai le droit de sortir, alors … pour l’instant, j’habite avec mon frère et sa copine. J’essaie de trouver un moyen de me rendre utile, mais je suis encore un peu faible, alors … »
Un sourire s’échappe de ses lèvres quand il pense que leurs projets d’adolescents ne reverront jamais le jour. Il ne sait pas ce qui s’est passé entre Abraxas et Faolan, mais ils ne sont ni l’un ni l’autre en état de retourner sur scène. Et lui … lui, il n’est qu’une pâle imitation de l’homme qu’il aurait voulu être.
« Et ma copine, elle habite loin. A Washington. J’ai toujours été amoureux d’elle, je crois, mais je ne lui ai dit que récemment, et. Enfin. J’ai l’impression d‘avoir un peu ruiné mon trio de potes en agissant comme ça. »
Il n’ose pas poser les questions sur le fonctionnement de Cass, Alex et Ocie, mais tout ça lui démange les lèvres à mesure qu’il se dit que, peut-être, c’est là que se trouve une réponse.

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Orpheus & Cass

Tu es jeune. Ouais, il est jeune. C’est ce que le médecin a dit. Il l’a même ponctué d’un encore : vous êtes encore jeune, monsieur Astraea. Et il lui a jeté ce regard de condescendance qu’ont les adultes plus vieux que vous. Celui qui cache avec grand peine une jalousie du temps restant, une envie face aux muscles noueux et aux estomacs qui se remettent d’une cuite en vingt-quatre heures.
Tu es jeune. Peut-être bien qu’il est jeune, Orpheus, et que c’est Cass qui a raison. Sauf qu’il est plus jeune qu’il ne le devrait, plus jeune même qu’il ne peut se permettre de l’être. Il s’est réveillé et, sans même se souvenir des épisodes d’avant, il a juste appuyé sur l’avance rapide de sa vie pour se manger sept ans dans la gueule. Jeune, peut-être, mais avec un corps de trente ans, l’impression d’en avoir vingt-trois, et la mémoire d’un nouveau-né.
Tu es jeune. Ouais, il est jeune mais ça n’excuse pas tout. Ça n’excuse pas de ne pas réfléchir, de mettre les pieds dans le plat, de blesser les autres. Et, Orpheus, il sait qu’il a blessé Faolan. Et Artemis. Et sans doute lui-même, au passage, puis le reste de l’univers si on lui demande réellement. Ça n’excuse pas d’être un crétin, un imbécile, un mauvais dog-sitter.
Alors peut-être qu’il a le temps de voir venir, mais ça lui suffit pas, comme excuse. Il avait le temps de voir venir quand il avait 23 piges et du jour au lendemain, comme ça, il s’est retrouvé sur un lit d’hôpital à plus savoir qui il était. Même quand on voit venir, on peut pas tout voir venir. Si demain un.e de ses meilleur.e.s ami.e.s lui est arraché.e, il devra faire le deuil fantôme de quelqu’un qu’il ne connaît même plus.

Malgré tout, il hoche la tête au pep talk de son employeuse et lui sourit même franchement quand elle parle de son hôtel. Arte lui dit sans cesse qu’il se prend trop la tête, pour quelqu’un qui n’a pas de cerveau ; elle a sans doute raison.
« Ouais … » fait-il en regardant dans son café. « J’espère, mais c’est un peu difficile par moments. »
Un instant de silence s’étire entre eux, comme un long ruban serpentin qui retombe après carnaval. Puis, timidement, il ose relever ses yeux bruns pour croiser ceux de Cass.
« Cass … est-ce-que je peux vous poser une question un peu indiscrète ? »
Attendant qu’elle opine du chef, il poursuit respectueusement.
« C’est que … enfin. Je ne connais pas beaucoup de gens qui ont cette dynamique, avec plusieurs partenaires, et … je me demandais comment … enfin, comment vous avez su ? »

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Orpheus & Cass

N.B. Orpheus parle mal du métier des psys, ce n’est évidemment en rien un reflet de ce que je pense des psychologues

J’ai passé beaucoup de temps à ignorer mes propres sentiments.
Ça le ferait presque sourire, Orpheus, s’il ne se sentait pas aussi intimidé et penaud en la présence de son employeuse. Déjà, il se dit qu’il a sacrément de la chance d’être tombé sur elle, parce que tout le monde n’est pas aussi ouvert pour parler de sa vie sentimentale avec des inconnus. C’est donc ça que doivent ressentir les psychologues ? Peut-être qu’il pourrait se reconvertir là-dedans si rien d’autre ne fonctionne pour lui. Ça n’a pas l’air très compliqué. Il suffit de s’asseoir et d’écouter et les gens veulent bien se confier.
Bon, la partie plus difficile, c’est qu’il devrait aussi écouter les douleurs et les peines des gens. Ça, c’est plutôt quelque chose qui a tendance à le mettre mal à l’aise ; il n’aime pas trop voir les gens malheureux, préfère jouer à faire l’imbécile pour voir de grands sourires éclore sur les visages de ceux qu’il aime.
Ceux qu’il aime.

Derrière les mots de Cass, il reconnaît la profonde tendresse qu’elle accorde à ses partenaires, Alex & Ocie. Elle se qualifie elle-même de pas très romantique, et le musicien secoue la tête. Il n’y a rien de pas romantique à être dans la simplicité. Lui-même, parfois, il aimerait que les choses soient plus simples. Sans doute qu’elles l’ont été, avant ; mais il ne sait plus dire avant quoi. Il se rappelle juste de l’évidence des feux d’artifices avec eux ; Faolan et Artemis avaient les yeux rivés sur les grandes déflagrations colorées, mais lui il ne regardait qu’eux. Cet émerveillement passager qui transfigurait leurs traits fatigués, c’est ça qui le rendait heureux. Beaucoup plus que des explosifs ou des fusées multicolores.
« Vous savez, en 2021, je crois que tout le monde se moque du romantisme. » fait-il en haussant les épaules.
Les mots de la propriétaire de Sauge le laissent quelques instants songeurs. Les deux, ou personne.Orpheus n’est pas certain de savoir réellement ce qu’il souhaite pour l’avenir. Ce dont il est certain, c’est qu’il veut que personne ne souffre : voir un de ses amis en peine par sa faute serait une souffrance bien trop grande pour qu’il accepte de la voir naître.
Aussi se fait-il la promesse : si un jour il vient à comprendre qu’il est l’unique chose qui se tient entre Faolan et Arte, il s’effacera. Il ne leur proposera pas une vie à trois qui ne serait que le prolongement de ce qu’ils vivent depuis l’adolescence. Non, il préférera les regarder se sourire comme s’ils étaient heureux et laisser son cœur se remplir de la félicité des autres.
« Mais merci, en tous cas. J’espère que vous vivrez encore plein de moments heureux avec vos compagnons. »

Ils restent encore un petit moment à discuter dans la cuisine presque rangée, Sauge allongé à leurs pieds incapable de décider s’il préfère renifler les chaussettes de son dog-sitter ou bien celles de sa maîtresse. Le café se refroidit doucement, mais jamais la conversation.
Quand Orpheus rentre chez lui, ce soir-là, il a acquis des certitudes qu’il pensait ne jamais trouver. Et, si Cass ne le rappelle jamais pour s’occuper du grand chien surexcité, ça fera déjà ça de pris.