Tired and Angry / Dakaure II

I'm tired and angry but somebody should be

Mes poings tremblent de manque de cible. Une fureur noire comme seule l’injustice et la haine savent provoquer, le désespoir de ne pas pouvoir se manger des pathétiques. Ma boutique à Seattle a à peine quelques mois aujourd’hui et j’étais ravie de venir y travailler pour l’améliorer encore, lui apporter le niveau de détail que des années dans celle de Phoenix ont apporté. Alors c’est une surprise que de trouver ma devanture recouverte de lettres rouges, avec des messages comme « Pute à surnat’ » et « CollaBoss ». La cible entourée d’un cercle en bas à droite de laisse pas beaucoup de doutes sur les sympathies politiques de ces artistes engagés.

J’ai pas envie de l’admettre, mais la colère est loin d’être la seule émotion qui m’étouffe en cet instant. La peur, compagne perpétuelle de la guerre, est revenue. Combien de jours vont s’écouler avant que les lettres deviennent actes, avant que les menaces ne se fassent réalité et que mes employé.e.s soient mis en danger par mes choix ? Car c’est bien joli d’être Papesse du Pacte de l’Ombre, de recruter les âmes perdues de Shoshana Stonegold et tout ça, mais si les seules personnes que je dois protéger, ma famille de pierres précieuses, sont en danger, tout ceci est pour rien.

Ma colère n’est que renforcée par ma certitude d’avoir raison. Je ne suis peut-être pas historienne ou sociologue, mais j’ai lu assez de livres avec Sol, j’ai subi assez d’injustices à cause de mon genre et de ma couleur de peau, depuis le bac à sable jusqu’à aujourd’hui, pour savoir qui sont ceux qui agissent poussés par la peur, qui sont les faibles dangereux qui veulent rester dans leur grises habitudes. Je ne baisserai pas la tête, je ne transigerai sur aucune de mes valeurs.

À peine me suis-je dit ça que j’entends des pas sur ma droite. La blondeur renfrognée d’Aurore est de circonstance. Elle m’avait dit qu’elle voulait me parler aujourd’hui et c’était l’élément le plus surligné en rouge sur mon calendrier. Cela faisait bientôt un an que nous avions fait ce fameux shooting après un recrutement pour le moins inhabituel. Mes équipes de com avaient fini par accepter que je lui propose des contrats de temps à autre, surtout des ventes de boucles d’oreille où la préparation était moindre avec un simple plan serré sur son visage altier. Quelques uns d’entre eux m’encourageaient même à en faire la modèle principale de l’entreprise, mais je savais que ses études étaient trop importantes.

Je détourne le regard pour essuyer une larme de colère avant de m’efforcer de m’adresser à elle de manière calme et professionnelle.

« Hey frenchie, désolée pour la déco rouge-brune là, il faut croire que tous les nazis vivent pas ensemble au Texas, mince alors. » J’essaye de plaquer un sourire sur mon visage mais je ne suis même pas moi-même convaincue du résultat. « Je vais passer un coup de fil à la police puis je suis à toi. Tu… Tu vas bien ? Tu voulais me parler de quoi ? » Même la sociabilité est difficile, alors j’enchaîne vite. « Tiens, je t’ouvre, prends toi un café et je te rejoins. »

Quel merdier.

Mar 17 Jan 2023 - 9:35

tired and angry but somebody should be

aurore & dakota II

Le pas léger, Aurore se dirige vers son avenir. Ça a mis du temps à monter, mais désormais elle en est certaine : un shooting avec Boss Jewels sera toujours plus lucratif que n’importe quelle étude socio du monde. Alors, voilà : Aurore a un plan, aujourd’hui. Et c’est peut-être bien le seul plan qui vaille la peine d’être bâti.
Aujourd’hui, elle a demandé à Dakota de lui parler, parce qu’elle voudrait la prévenir avant de poser sa démission de la fac. Juste lui dire que, voilà, maintenant, elle va quitter les études et qu’elle voudrait signer un contrat à temps plein dans la boite de bijoux.
C’est pas tant qu’elle aime ça, Aurore, mais si elle peut être payée pour faire la gueule devant des flashs, elle se dit qu’il y a pire moyen de payer son loyer sur terre.

Dans son sac à dos, y a pas grand-chose, comme d’habitude. Mais dans ses poumons de sportive, elle a préparé ses arguments. Elle se doute que Dakota essaiera de la convaincre de poursuivre ses études ; c’est ce que font tous les adultes. On dirait qu’ils ont pas encore compris que les diplômes servaient à rien, qu’on était dans un monde de brutes où les requins bouffaient le reste sans une ombre de ménagement.
Aurore, elle a compris.
Elle a compris depuis un petit peu trop longtemps sans doute, depuis qu’elle a collé le front sur la vitre pendant la guerre et qu’elle a vu que, pour survivre, il fallait juste taper plus fort. Alors elle tape fort, joue des coudes, et s’il faut qu’elle soit sans diplôme pour gagner 4k dollars par mois, elle aura pas vraiment de scrupules.

Quand elle arrive au point de rendez-vous, elle réalise très rapidement que quelque chose ne tourne pas rond. Dakota a sur les traits cette rage sourde, cette colère immense qu’elle-même croise souvent dans le miroir. Aurore fronce des sourcils interrogateurs ; c’est pas le genre de sa patronne d‘être hors d’elle, quel que soit le contexte. Dakota est toujours bien habillée, bien préparée, prêt à dégainer son sourire pour faire les meilleurs deals commerciaux. Elle fait pas partie de ceux qui grognent, ceux qui frappent, et d’ailleurs elle tend un sourire quand la frenchie se rapproche d’elle.
Aurore ouvre la bouche pour lui répondre, mais Dakota est trop rapide. Avant qu’elle ait compris comment, elle se retrouve à l’intérieur, une tasse de café à la main. Et elle ne boit même pas de café.

Les yeux plissés, de l’intérieur, elle tâche de déchiffrer les tags à l’envers sur la devanture. Pourquoi est-ce qu’ils mettent Dakota si en colère ? Elle aura juste à nettoyer, et puis ça ira, non ?
Les lettres se retournent dans son esprit comme dans une centrifugeuse folle.
Pute à Surnat. CollaBoss.
Elle a beau ne pas tout comprendre, Aurore saisit vite le message : quelqu’un a tagué la boutique de Dakota parce que cette personne croyait qu’elle travaillait avec des Surnaturels. Aurore a un petit rictus fier. Clairement, ces gens-là ne connaissent pas sa boss. Elle n’a jamais vu quoi que ce soit de bizarre, lors des shootings. Tous les employés sont des humains, bien comme il faut. Dakota est réglo, sympa : et, faut dire, elle paie vraiment bien.

Alors, quand la bleue la rejoint à l’intérieur, Aurore veut la réconforter, lui montrer qu’elle est pas dupe, elle, et qu’elle voit bien tous ses efforts.
« C’est des crétins, ceux qu’ont fait ça. » Elle lance d’entrée de jeu. « Ils y connaissent rien à rien. J’veux dire, c’est des conneries, ces accusations. »

Et qu’elle s’en fasse pas, Dakota ; elle est pas toute seule dans ce merdier.

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Par réflexe, j’appelle Scarlett avant qu’elle ne me rappelle que ce n’est pas sa juridiction. J’ai le temps d’être dévisagée par une trentaine de passants avant que la police de Seattle finisse par me répondre. Dans leurs regards se mélange la méfiance et la pitié et je m’en ficherai, habituellement, si ce regard n’était pas aussi pour mon entreprise. Boss Jewels passe avant tout, même mes convictions. J’ai longtemps hésité à publiquement assumer le soutien aux salariés surnaturels que je fais déjà dans mon recrutement, mais cela ne paraissait pas à mes équipes de com le bon environnement médiatique pour une telle initiative.

Je prends quelques secondes pour respirer avant de retrouver Aurore. Face à elle, mon sourire doit être impeccable, mon ton aussi calme et serein que d’habitude. Hors de question que je laisse cet enfant souffrir des guerres qui ne la regardent pas. Déjà que je vends son image comme une adulte, pour des millions de regards bien trop adultes posés sur elle, je me dois bien de me rappeler que derrière elle reste ça : une enfant dont j’ai la garde, même si celle-ci est auto-proclamée.

La blonde est immédiatement dans le réconfort, et je pourrai la prendre dans mes bras si notre relation ne devait pas rester professionnelle. Je souris : je suis sûre que les autres sens que peuvent avoir sa phrase sont des illusions. Après tout, elle n’est pas native anglophone : cela doit être difficile pour elle d’exprimer sa colère contre les Chasseurs. Je soupire à l’idée que mon pays ne montre à cette belle Marianne que son racisme le plus bas, à elle qui vient du pays où l’universalisme et les droits de l’homme sont nés.

Merci Aurore, tu es adorable. Oui, ils ne comprennent rien à rien, le pire c’est que je sais que la plupart sont persuadés d’être du bon côté, d’être des héros.

Je chasse de mon esprit le souvenir de Sienna pour me concentrer sur la tâche du jour. Aurore a quelque chose à me dire.

Bon, pas la peine de parler de connards pendant toute la journée. Tu voulais me parler, ma belle, qu’est-ce que je peux faire pour toi ? J’allais te proposer de nouveaux contrats justement, on lance une nouvelle collection de colliers, mais je sais que la saison des exams approche alors je veux pas t’inonder.

Je ne vois pas à quel point mon positionnement est malsain : à la fois mère de substitution, boss, agente et conseillère d’orientation. Je me contente de faire comme toujours : espérer le meilleur pour celle qui devrait briller comme je ne l’ai pas pu.

Mar 14 Mar 2023 - 17:31

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aurore & dakota II

C’est plus une petite fille, Aurore.
Elle est pas très grande, pas très vieille, mais elle voit dans le regard des autres qu’ils en ont autant conscience qu’elle : pas assez. De toute façon, les enfants ne sont pas restés enfants quand les monstres sont sortis de sous les lits, qu’ils ont rampé dans les allées et renversé toutes les certitudes. Les enfants ne sont pas restés des enfants quand le feu de la cheminée est devenu celui de l’immeuble d’en face, et que la mort est une copine avec qui ils ont joué aux billes.
Dakota, elle essaie de la préserver ; mais c’est déjà trop tard pour ça.
Elle a vu des balles et des carreaux d’arbalètes s’enfoncer dans des cous écailleux, des lames trancher des membres humanoïdes, des yeux exorbités de peur partir plus tôt dans les enfers. Alors même si elle revêt son sourire ou son air renfrogné pour poser avec des bijoux, y a rien qui pourra effacer cette enfance qu’on lui a volée.
« Franchement, je serais toi, je leur collerais un procès pour diffamation. Y a une fille de ma promo qu’a f… »

Mais sa boss change de sujet, elle revêt le masque glacé de l’entrepreneuse pleine de succès, celle qui a des articles sur elle dans des magazines d’économie. Polie, affable, le sang-froid, Dakota reprend les affaires.
La colère tapie dans ses côtes rôde toujours, quel que soit l’horaire. Elle accepte de battre en retraite le temps d’une vraie conversation.
Aurore pose la tasse de café sur une petite table et noue ses mains sur ses genoux comme pour se donner du courage. Au poignet, elle a un petit bracelet tout fin, le seul qui a résisté aux traitements détestables qu’elle fait subir à son corps à force de pas assez dormir. Un petit bracelet Boss Jewels qui scintille dans sa direction, comme pour mieux montrer à la blonde vers où mieux orienter ses pas.
« Je veux quitter les études et travailler avec toi. » elle lâche.

On peut trouver de nombreux défauts à Aurore ; la franchise n’en fait pas partie. Clignant des yeux, comme surprise par sa propre déclaration, elle reprend une inspiration.
« J’ai réfléchi. » confirme-t-elle. « Je sais plus trop ce que je fabrique en socio, de toute façon, et les quelques shootings par mois couvrent déjà large mon loyer. »
Dans un haussement d’épaules stressé, elle attend la réaction de son employeuse.
« Voilà. »

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Elle a l’air d’une poupée pour petite fille, Aurore. Avec ses traits parfaits mais rigides, ses longs cheveux qui brillent sans soin apparent et ses yeux où la douceur partage son lit avec une froideur et une noirceur aussi envoûtante qu’effrayante, elle a tout de la princesse qui ferait chavirer mille navires et fondre cent glaciers. Alors, quand elle me dit qu’elle veut passer à temps plein, mon sourire ne faiblit même pas. Je prends tout de même quelques secondes pour réfléchir avant de répondre.

Je vais être honnête, ma belle, plus tu peux travailler avec moi, le plus content je serai. Mais, tu y as bien réfléchi ? Parce que, je vais pas te mentir : mannequin, c’est vraiment pas un métier à carrière longue. À partir de trente-cinq ans, ça va commencer à devenir compliqué de trouver des contrats.

J’imagine bien que ça doit lui paraître loin, mais à moi qui ai fêté mon trente-deuxième anniversaire six jours plus tôt, c’est clairement un nuage dont je peux déjà sentir le froid et l’ombre. Je rajoute un peu de sucre dans mon café avant de mettre un peu de miel dans mes paroles.

Enfin, à parti si tu veux attirer l’œil d’un milliardaire, mais, je sais pas toi mais j’ai un peu la flemme d’aller flirter avec Ezra ou Erebos Stonegold.

J’imagine avec malice la petite poupée française au milieu des dragons gardiens et autres surnaturels ancestraux. C’est à la fois tristement comique et terriblement redondant avec ma propre histoire. Je me demande combien de femmes m’ont déjà regardé comme une poupée charmante mais limitée, à utiliser dans leurs jeux d’échecs pipés pour se faire une place dans le monde. Je sais que c’est ce que je dois toujours éviter avec la belle Aurore : que je dois être une patronne à son service, et pas l’inverse.

C’est sûr que pour le moment ça paye bien, mais t’as déjà réfléchi à ce que tu aimerais faire ? Genre, pourquoi t’avais choisi la socio ? Tu veux travailler avec les gens ? Faire de la recherche ? De la politique ?

J’avais pas prévu de commencer ma journée avec un petit conseil en orientation mais, après tout, pourquoi pas. Si je peux un peu aider à guider cette poupée vers un château où elle serait rayonnante et accomplie, j’aurai peut être mérité mon titre de la Boss fée.

Âge : 20 ANS (26/06/2001) ◬ trop jeune pour tout comprendre

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Quand Aurore était petite, elle s’est dit qu’à dix-huit ans, elle serait au top de sa vie. Qu’elle aurait tous les meilleurs amis, un travail formidable, sans doute qu’elle parviendrait même à être rugbywoman professionnelle à côté si elle entretenait suffisamment son potentiel. L’avenir, c’était pas trop quelque chose qui lui faisait peur. Elle avait plutôt hâte de grandir pour pouvoir le dévorer à pleines dents, que plus personne ne remette en cause sa légitimité et tout ce qu’elle pouvait apporter.
Et alors, elle aurait été heureuse.
Hélas, la guerre est passée par là. Des amis, il n’en reste plus, elle a dû galérer pour enchaîner les boulots de merde et surtout, sa vie de princesse n’existe plus que dans ses rêves. Les princes charmants ont tous choisi de lui tourner le dos -ou elle l’a fait, mais c’est pareil- et les monstres se sont tapis dans chaque recoin du quotidien. Même ici, sur son lieu de travail, la devanture porte les sévices de créatures immondes qui n’essaie que d’embêter Dakota.
Elle est pas heureuse, Aurore, et elle s’en rendrait sans doute compte si elle était assez lucide pour pouvoir réfléchir à ça. Ce qu’elle cherche, c’est pas un métier, pas de la reconnaissance, pas de l’argent. Ce qu’elle cherche, elle saurait même pas le dire, sans doute que ça a l’apparence de ceux qu’elle aurait pu aimer si elle s’était donné la peine de voir en-dessous des écailles.
Elle était pas heureuse à dix-huit ans, elle l’est pas tant à vingt ans, et quand Dakota lui évoque ses trente-cinq ans elle se demande jusqu’à quand il va falloir qu’elle courre pour enfin atteindre l’arrivée.

La blonde s’attendait à ce que Dakota dise oui desuite, pas à un rendez-vous avec une conseillère d’orientation de bon matin. Elle se rencogne, les bras croisés, et lâche simplement un « Jamais, ça va pas ou quoi. » quand sa boss évoque les dragons.
Un soupire passe ses lèvres tandis qu’elle actionne ses neurones.
« J’sais pas. » qu’elle finit par avouer. « Moi, j’voulais faire du rugby, mais on m’a dit qu’il fallait que je continue les études, que je pouvais avoir genre une bourse et tout. »
La discussion date d’hier, avec la CPE de son lycée qui lui expliquait qu’elle ne pourrait pas se reposer sur ses notes en sport pour partir à l’université. Aurore lui avait rétorqué qu’elle se moquait bien de partir à l’université. Et puis, elle s’était laissée convaincre. Des heures sur son lit, avec Oliver, à éplucher les programmes des cours sans qu’aucun ne l’intéresse vraiment.
Elle avait opté pour la socio, mais la vérité c’est que ça aurait pu être complètement autre chose, de la physique appliquée ou de l’histoire de l’art, que ça n’aurait rien changé pour elle. Peut-être qu’elle s’était dit qu’au moins, ça l’aiderait à comprendre les gens.
Nerveuse, Aurore hausse les épaules.
« J’ai jamais su ce que je voulais faire, alors je me dis si je peux faire un truc pas trop compliqué et qui marche, bah c’est cool, tu vois. Juste si y a encore les monstres comme en 2013, ça va être chaud. Mais bon … »
Ses points de suspension traînent encore dans la pièce tandis qu’elle adresse un sourire contrit à son employeuse.
Mais bon, voilà.

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Les histoires de bourse d’Aurore me font faire un flashback dont je me passerai bien ? Devoir abandonner ses rêves sportifs pour une société qui ne veut pas de nous : c’est un souvenir trop récent, une marque que même les illusions d’Isra n’effacent pas vraiment. J’écoute Aurore en silence mais mon cerveau travaille autant qu’il le peut. Comment est-ce que je peux aider la petite ? Parce que je suis pas sûre que la socio ce soit « pas compliqué », et encore moins que « ça marche ». Pas sûr non plus que le mannequinat et la carrière de rugbywoman soit absolument parallèle, même si bon je vois l’intérêt.

Je réfléchis quand Aurore dit un mot qui me fait tiquer. « Monstres. » C’est pas un terme sociologique ça. Bourdieu ferait la gueule, Hannah Arendt soupire et les portes de la Sorbonne se referment face à un obscurantisme dépassé. C’est le genre de termes que j’ai plus l’habitude de lire sur les lèvres de ce petit con d’Ambrose ou des brutes dans son genre. C’est pas du tout ce dont je m’attendais de la petite poupée française. C’est vraiment pas ce que j’espérais de la part de l’égérie que j’ai choisi personnellement pour ma marque. Aurai-je du plus me renseigner sur cette nana que j’ai croisée dans un Starbucks ? Oui, probablement. J’aimerai vous dire que c’est parce que je suis ascendant bélier mais je sais même pas ce que c’est.

Je marche sur des œufs, cachant ma tension montante derrière une sollicitude sur l’orientation :

Ah, oui, les fameuses bourses sportives. Mais, frenchie, qu’est-ce que tu fabriques ici si tu aimes le rugby ? On a même plus de compétition nationale depuis avant même la guerre… Déménages juste une heure au nord et t’arrivera à Vancouver, là bas ils kiffent ça, votre sport d’européens là.

L’air de rien, je feuillette le dossier que j’ai sur Aurore. Au milieu des factures, des photos-tests et des idées de Simon du marketing (qui doit clairement avoir un crush sur la blonde pour proposer aussi souvent qu’elle fasse la promo de bracelets en maillot de bain), je cherche désespérément une rubrique « opinion politique désastreuse ». Je continue, sur le ton de la conversation :

Enfin, de toute façon, si le rugby est ton rêve, c’est maintenant ou jamais, ma belle. Dans une carrière sportive, t’as plus que quelques mois avant de ne plus pouvoir rentrer en pro là. Et si la fac te suffit pas en terme de bourse, on peut sans doute t’aider… Enfin, faut voir quoi…

Merde. Mes hésitations vont se voir. Faut que je tente un truc pour voir si je me trompe.

Et puis, pour les dangers, t’inquiète pas trop. Je sais que la fin du conseil est effrayante, mais les familles gardiennes sont toujours là pour veiller sur nous. Sans parler des gorgones, des covens, du Pacte, de tout ça là. On est pas seules, ma grande.

Je souris gentiment, espérant me tromper, mais mes yeux scrutent les siens à la recherche du moindre signe.

Âge : 20 ANS (26/06/2001) ◬ trop jeune pour tout comprendre

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aurore & dakota II

Le regard est sombre entre les paupières blanches d’Aurore. Si elle avait eu le choix, elle serait jamais venue aux États-Unis, elle. Elle serait restée à Toulouse, sa mère ne serait pas partie, ils auraient joué au rugby avec son père dans le club le plus stylé de l’univers intergalactique du rugby (parce que oui, si un jour le rugby conquiert la galaxie, il est absolument certain que Toulouse restera la meilleure équipe). Elle n’aurait pas eu à affronter l’enfer de rester, le front sur la vitre, enfermée des mois dans l’appart à regarder les ombres tristes dessiner du sang dans sa rue.
Si elle avait eu le choix, elle aurait pas du tout eu cette vie-là. Mais c’est pas exactement son choix, et elle sait même pas si elle regrette. Parce qu’il y a eu les Shail, et Ambrose, et toutes ces amitiés qu’elle forge avant que tous ne l’abandon… oui, elle regrette. Elle regrette d’avoir franchi l’océan et, même si elle aimerait rentrer, elle préfère ronchonner ici que de réaliser, peut-être, qu’elle idéalisait la France.
On peut sans doute t’aider. Le visage d’Aurore se radoucit un petit peu. Ça, ce serait vraiment cool. Enfin, les étoiles s’aligneraient, elle pourrait être rugbywoman et mannequin dans le même temps, gagner assez d’argent pour arrêter ses études, ne plus avoir à travailler ailleurs que devant un photographe ou en maillot rouge sur un stade.

On est pas seules, ma grande.

Dakota comprend rien, ou quoi ?! Les traits de la blonde se rembrunissent aussi vite qu’ils s’étaient allégés. Peut-être que les tagueurs de ce matin avaient raison, finalement, en écrivant sur la devanture. Peut-être que son employeuse est effectivement une p*te à Surnats. Rien qu’en se rappelant les baisers qu’elle-même a échangés avec Oliver, Aurore a des frissons de dégoût. Sa bouche se tord en un rictus contrarié.
« Mais Dakota, c’est eux le danger. » énonce-t-elle comme si c’était la vérité la plus simple du monde, tellement persuadée d’avoir raison qu’elle ne saisit même pas pourquoi sa remarque est problématique. « Alors ouais, ils sont pas tous aussi véners que Sapphire Nightshade, mais t’arrive à dormir sur tes deux oreilles, toi, en sachant qu’il y a des gorgones qui peuvent te rentrer dans la tête par télépathie, des sirènes qui peuvent t’obliger à faire ce qu’elles veulent et des zouwus qui peuvent se téléporter dans ta chambre ? »
Rien que d’en parler, un tourbillonnant vertige fauche les tempes d’Aurore, et elle est obligée de se taire une petite seconde pour continuer à parler.
« Tu vas pas me faire croire que c’est des crétins avec des cartes à jouer qui vont nous protéger de ça. »

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Envolées les réminiscences du passé. Dépassées les parallèles avec la jeune étudiante paumée et désargentée. Brisés les espoirs d’avoir tort, pour une fois. Devant le laïus de la blonde, je me contente de mettre mes lunettes et un air sévère. Quelques secondes de silence, je la fixe juste en silence, lui laissant la possibilité de tout retirer, de s’excuser, de ne pas partir sur cette voie. Un soupir cherche à exprimer les dix années qui nous séparent et qui devrait, selon moi, la pousser à m’écouter.

Elle choisit de finir en se moquant du Pacte et un temps, un horrible scénario passe dans ma tête. Qu’est-ce qu’Aurore sait ? Comment se fait-il qu’elle évoque précisément cela alors que cela ne fait même pas une semaine que je suis devenue Papesse ? Elle est bien trop renseignée pour être une simple blondinette terrifiée par la guerre de son enfance ou un surplus de vidéos Youtube complotistes. Toute pitié devient difficile à avoir.

Tu ne sais pas ce que tu dis. Si je me tiens, en vie, face à toi aujourd’hui, c’est seulement grâce à l’aide de surnaturels. Si cette boite fonctionne, c’est grâce aux dévouements de travailleurs et travailleuses comme les zouwus qui s’occupent du transport. Juste, tu t’étais pas rendu compte que la fille qui te maquille avant chacun de tes shootings est une sirène ? Leurs dons ne font pas d’eux des menaces ou un danger.

Nerveusement, je range tous les dossiers sur ma table en une seule pile avant de reposer mes yeux dans ceux de la blonde. La peur est claire, accompagnée par ses amies colère et rejet mais qu’est-ce qu’il y a derrière ? Ce sentiment qui, moi, m’avait paralysé et plongé dans la léthargie, qu’est-ce qu’il fait à une guerrière comme elle, à une exilée perdue, isolée et fière ?

Ce n’est pas la fin du monde, juste une nouveauté de plus. Chaque révolution demande un temps d’adaptation : pour le moment on peut avoir peur mais tu verras que bientôt on trouvera des moyens pour nous prévenir de tous ces dangers. La solution n’est pas la haine, c’est l’innovation, toujours. C’est comme ça qu’on peut avoir des opportunités, sinon on ne fait que s’enterrer.

Même si mon ton est conciliant et rassurant, mon regard, lui, reste fixe et mes mains, sous le bureau, se serre de stress et d’anticipation s’il fallait que les choses dégénèrent. J’ai passé assez de temps avec des extrémistes, je ne subirai plus leur dommages collatéraux.

Sam 23 Sep 2023 - 11:45

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aurore & dakota II

Tu ne sais pas ce que tu dis.
Aurore manque de lever les yeux au ciel. Encore, on la prend pour une gamine qui n’a rien compris à la vie, qui dit des choses qu’elle ne pense pas. L’excuse est toujours la même ; la vie, c’est plus compliqué que ça. mais peut-être que ce sont eux, les autres, qui se rendent la vie compliquée à se faire des nœuds au cerveau. Parce que, du point de vue d’Aurore, c’est très simple : y a les gentils et les méchants, y a les bons et les mauvais, y a les monstres et il y a les autres.
Ce n’est pas la fin du monde.
Elle a envie de hurler.
Bien sûr que c’est la fin du monde. La fin du monde s’est abattue sur eux en 2013 et depuis, tout le monde fait semblant. Les profs se voilent la face, les adolescents se voilent la face, Dakota se voile la face. Tout le monde fait comme si c’était normal, ce qui se passe, alors que y a rien de normal là-dedans. Y a rien de normal à prendre le bus en craignant que quelqu’un se transforme en énorme lézard à écailles, que sa musculature puissante soit prête à broyer des mâchoires tandis qu’elle déforme la tôle des parois du bus.
Des scénarios, Aurore s’en fait mille fois par jour depuis qu’elle sait qu’ils sont plus seuls.
Face à la tirade de Dakota, elle baisse nerveusement les yeux. Pas par honte, non ; elle est certaine d’avoir raison. Mais soudainement, les mandibules d’acier de l’angoisse viennent de se refermer sur elle. Non, elle n’avait aucune conscience qu’elle se faisait maquiller par une sirène. Sinon, elle serait partie. Désormais, toutes les personnes qu’elle a croisées ici revêtent des costumes de fantômes, leurs visages deviennent des grimaces qui trottent dans le moral d’Aurore comme des employés d’une maison hantée.

« Tu comprends rien. » elle marmonne, juste assez fort pour ne pas avoir la certitude que son employeuse l’ait entendue. Du bout des doigts, elle tire sur les fils de son sweat usé jusqu’à en faire de petites boules qu’elle projette sous le bureau, entre les chaussures parfaites de Dakota.
C’est facile, pour elle.
« Tu comprends rien. » Elle répète, en levant finalement la tête. « Tu ferais quoi, toi, si t’avais la capacité de faire faire aux gens ce que tu veux ? »
Parce que c’est de ça qu’elle parle, en fait. Il n’y a rien qui lui fasse plus peur que l’idée qu’on rentre dans sa tête, qu’on la départisse de sa volonté propre et qu’on fasse naître des désirs qui ne sont pas vraiment les siens.
« Moi, je me débrouillerais pour que ma vie soit facile. Que j’aie des bonnes notes, que je gagne toujours au rugby, que j’aie le job que je veux, que mon crush m’aime … et j’ai même pas de délire de pouvoir ou quoi. Alors eux tous, là, avec leurs super-pouvoirs, qu’est-ce qui va les arrêter ? Pour l’instant, ils sont tranquilles, mais qu’est-ce qui va se passer le jour où ils en auront marre ? »
Elle marque une pause. Son menton tremble. Tout son univers tremble aussi.
« Tu vas pas me faire croire que ça tiendra juste parce que certains sont gentils. Sapphire, elle était toute seule, et rien qu’à elle elle a réussi à bousiller les vies de tout le monde. Il se passera quoi le jour où ils seront dix, vingt, cinquante ? » Aurore secoue la tête, et la pointe de sa queue de cheval vient lui chatouiller brièvement le visage. Du plat de la main, elle frappe le bureau devant elle. « Ils vont tous nous tuer, ou nous faire des esclaves, Dakota. Et si tu crois l’inverse, c’est que t’es complètement conne. »

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Mer 22 Nov 2023 - 22:41

I’m tired and angry but somebody should be

Je ne peux m’empêcher de laisser un petit rire s’échapper.

Ma grande, je crois que t’as pas bien suivi. Laisse moi te rappeler. Ce pouvoir dont tu parles : je l’ai.

Pas besoin de faire jouer mes muscles pour expliquer mon point. Pas besoin de crier pour me faire comprendre. Pas besoin d’être la plus forte, seulement de sortir mon chéquier.

J’écris trois zéros ici et t’auras les meilleures notes de ta fac, pouvoirs ou pas. J’en rajoute un et ta crush pensera plus jamais qu’à toi, sorcière, sirène, vampire ou je ne sais quoi, ça changera rien. Un match de rugby, une panthère de compagnie, un hôtel le long de la Garonne : j’ai pas besoin de cracher du feu pour les avoir.

Je fixe les yeux de la blonde, un peu exaspérée. On leur apprend pas ça, en socio ?

C’est comme ça depuis la nuit des temps. Leur magie, ce n’est qu’un des pouvoirs que tu peux avoir. Et contre le leur, en une dizaine d’années à peine, on a trouvé un sérum, un recensement, tout ce que tu veux et t’as encore plein d’autres trucs en préparation. T’en connais un de sérum toi, pour se débarrasser des milliardaires véreux, des mafias tentaculaires, des médias réactionnaires et des sectes xénophobes ? Parce que eux, pour le coup, je peux t’assurer qu’ils peuvent te faire faire ce qu’ils veulent.

Mon regard se fait plus mauvais, clairement agacé.

Tu es d’ailleurs assez mal placée pour m’expliquer à moi qui veut faire de moi une esclave. Crois-moi, je les connais. Et, ma belle, tu peux être sûre qu’ils sont plus là pour en parler. Parce que j’ai bien fini par comprendre que leur pouvoir c’était d’abord la peur que j’avais d’eux. Alors maintenant, j’ai le pouvoir, celui d’aider les autres à l’avoir mais surtout celui de dire aux pestes qui me traitent de conne qu’elles peuvent retourner servir des Starbucks. Au revoir, Aurore.

J’ai perdu assez de temps avec tout ça. Je ne la regarde même pas partir tandis que j’ouvre le dossier avec les remplaçantes potentielles pour son poste.

Tired and Angry / Dakaure II

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