adieu les fruits〖 nova-blue & colton (G.I.)

Âge : 31 ANS (28/08/1990)〖 grandie trop vite et sans prévenir

adieu les fruits

Nova-Blue & Colton

été 2016

Il est en retard.
Tu aimerais te dire que ça ne fait rien, qu’il a sans doute été retenu par quelque chose indépendant de sa volonté. Mais ça t’agace réellement plus que ce que tu voudrais que ça t’agace, et vu qu’il est en retard, il n’est pas là pour t’empêcher.

T’aimerais te dire que t’es un tout, une femme forte et indépendante, de celles qu’ont pas besoin d’être en couple pour être tout à fait épanouies. Sauf que t’es pas vraiment comme ça. Chaque seconde, t’entends dans tes tempes ton horloge biologique qui tourne, sa grande aiguille bien assez tôt pointant le triste chiffre douze. Elle aura fait un tour entier, une année de plus, et c’est encore une année de plus où tu es ta propre déception. C’est comme si Jared, en partant, avait emporté un bout de toi et maintenant tu n’es qu’une moitié, une partie attendant son tout sans jamais sembler le trouver.
T’as la sensation, depuis les gorgones, que ça devrait pas être comme ça. Qu’une femme seule est une femme quand même, et qu’elle est entière à chaque fois. Ton cerveau refuse d’enregistrer l’information, et cherche sur chaque mâchoire carrée de nouvelles zones à embrasser. T’es incapable de rencontrer la moindre personne masculine sans entrer, désespérément, dans un rapport de séduction.
C’est le genre de sujet que t’abordes jamais avec personne ; t’as bien trop peur de réaliser, encore une fois, que c’est bizarre et qu’il y a que toi qui fait ça. Rentrée dans la deuxième moitié de ta vingtaine, tu as un petit peu trop conscience que le temps t’es déjà compté, qu’il te reste qu’une poignée d’années avant de rentrer définitivement dans la catégorie des vieilles filles, auxquelles personne fait attention et qui ne parlent qu’à leur chat.
Bien sûr, pour parler, t’auras toujours tes sœurs gorgones. Mais pour le reste …

Il est en retard.
Les questions finissent par surgir : est-ce qu’il t’aurait posé un lapin ? Peut-être que c’était une mauvaise idée, le parc, le petit lac tranquille où nagent des cygnes et des poissons. Ce serait tout de même un comble, si un triton n’aimait pas l’eau.
Ça fait pas très longtemps que tu le fréquentes, deux ou trois semaines, grand maximum. Tu as un peu du mal à te voir en robe de mariée à son bras ; ce sera en faisant des efforts que tu pourras tout faire fonctionner.
Il s’appelle Colton. T’aimerais vous inventer une histoire incroyable, à base de regards échangés, de nuit à parler sur le balcon d’un éventuel pote commun. Hélas, la vérité est tout autre.

T’en avais marre de tourner en rond pendant que l’horloge avançait, t’en avais marre de contempler les aiguilles sans rien pouvoir faire. Alors, sur le conseil d’une de tes sœurs, t’as fini par installer l’une de ces applis de rencontre comme on en fait de plus en plus. T’étais assez hostile, au début ; ça te semblait pas naturel, étrange même, comme façon de se voir. Et puis, tu t’es laissée avoir par ses arguments et la petite icône s’est bien sagement installée sur l’écran d’accueil de ton smartphone. T’as rempli ton profil avec des infos souvent vraies, quoique parfois enjolivées, et t’as commencé à swiper. Tu te rappelles avoir sursauté lorsque l’appareil a émis un son inhabituel, t’annonçant ton premier match.
Colton, donc. Triton. Un mètre quatre-vingt sept, bien que tu ne voies pas bien en quoi cette information aurait pu t’être utile. Un peu plus jeune que toi. Sourire charmeur, clope au bec. Quelques tatouages assez jolis.
Vous êtes allés boire un verre, intimidés et l’un et l’autre par cette nouvelle situation ; il t’a dit que, pour lui aussi, c’était la première fois. Une petite poignée de rendez-vous plus tard, vous étiez chez lui, ou chez toi, et tu découvrais naïvement qu’il était beaucoup plus tatoué que tu ne l’avais d’abord pensé. Vous avez fait l’amour, c’était bien sans être extraordinaire, pourtant vous avez recommencé plusieurs fois. Jusqu’à ce que tu sois épuisée, et Colton aussi, et que vous vous endormiez comme des bienheureux. Le lendemain matin, tu lui as demandé ce que vous étiez ; il savait déjà que les trucs pas sérieux, ça t’intéressait pas. Vous vous êtes donc mis ensemble, assez naturellement, et revu une ou deux fois par semaine depuis.
Tu l’aimes bien, Colton.

Si seulement il n’était pas aussi en retard.
Lorsque sa longue silhouette pressée apparaît à l’autre bout de la pelouse, un sourire éclot sur tes lèvres et tu lèves le bras pour attirer son attention. Il te rejoint en quelques enjambées et tu te lèves pour l’embrasser.
« Coucou, toi. » que tu dis d’un ton qui frôle le gloussement. « T’as pas eu trop de soucis pour trouver ? »
Bien sûr, tu lui fais aucune remarque sur le fait qu’il soit en retard ; tu te dis que c’est pas la peine. Tu préfères te rasseoir, ta main dans la sienne, et sortir de ton sac les victuailles que tu as rassemblées pour le pique-nique.

Tu l’aimes bien, Colton. Alors si tu fermes les yeux et les plisse suffisamment fort, tu pourras bien t’imaginer pendue à son bras pour toujours, et peu importe en fin de compte si t’as pas de papillons dans le ventre.

Spoiler:

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Il est en retard.

Il l’est souvent, c’est pas inhabituel, y toujours un dernier truc à faire ou un oubli de dernière minute, une idée de cadeau à la con qui lui traverse l’esprit alors qu’il passe devant un magasin. D’habitude ça le fait chier de pas être à l’heure, après il se rattrape en roulant trop vite et une fois arrivé il s’excuse d’un sourire et avec ce qu’il vient d’acheter sur un coup de tête. Mais les coups de tête, il essaye d’arrêter ; il voit bien où ça l’a mené la dernière fois. En plus il sait même pas quoi faire comme cadeau, c’est bien pour ça qu’il est en retard.

Il sait pas ce qu’elle aime, Nova. Elle a l’air de tout aimer et rien à la fois. Quand elle le remercie et qu’elle sourit y' a rien qui s’illumine vraiment, elle a l’air à la fois trop heureuse et pas assez de le revoir ; il a pas l’impression que ce soit spontané, ou naturel, entre eux. Mais c’est peut-être juste lui qui comprend pas Blue, pas encore - qui est pas habitué à elle, qui capte pas quand elle est vraiment sincère juste parce qu’elle l’est pas de la même manière. De la même manière qu’elle.

C’est difficile, de pas penser à Odalie. Ça a pris quelques rendez-vous d’ajustement pour arrêter de manquer de lui commander des desserts glacés à la framboise à chaque fois, ou de proposer des sorties à des concerts ou des festivals à l’autre bout du monde, ou de vouloir acheter des vêtement et des bijoux qui serait plus au goût ou à la taille de la sirène. Pas qu’elles aient une si grande différence de gabarit - elles sont fines toutes les deux, mais c’est une sportive Nova, une combattante, ses doigts n’ont pas la même délicatesse que ceux d’une musicienne.

C’est difficile, d’aimer Nova-Blue. C’est difficile parce que c’est différent, parce qu’il est pas habitué à devoir aimer quelqu’un d’autre, ou peut-être juste parce qu’ils sont moins compatibles que l’application voulaient bien leur faire croire. Parfois, le feeling passe pas, sans que personne sache pourquoi ou soit vraiment responsable. Mais il se dit que ça vaut le coup d’essayer, quand même. Parce qu’il est pas du genre à arrêter de faire un truc juste comme ça, parce que même s’il est pas le mec parfait il aimerait bien l’être et qu’ils ont l’air de vouloir les mêmes choses, jusque-là.

Au fond, il se sent pas si confiant que ça. Au fond, il se sent même un peu minable, d’essayer d’y croire alors qu’il ressent pas tant de choses quand elle est dans ses bras. Mais il paraît qu’il faut qu’il assume ses conneries, maintenant, qu’il se range et quand il a vu la description Tinder de la jeune femme, il s’est dit qu’elle devait être assez rangée pour ça.

Et peut-être même qu’un jour pour elle, il sera plus en retard.

Quand il la voit, elle lève le bras et il s’empresse de la rejoindre. Elle demande s’il a pas eu trop de soucis pour trouver et il a pas envie de paraître bête, ou perdu. Pourtant, il est toujours un peu des deux.

-Non, non, t’inquiète. J’ai un bon sens de l’orientation, pas de soucis.

Il le dit tout haut comme pour se rassurer, mais ça le rassure pas du tout. Alors, au lieu de s’attarder sur ça, il s'assoit avec elle. Et avant d’ouvrir son sac à dos et ce qu’il a apporté à manger pour compléter leur pique-nique, il sort brusquement quelque chose de sa poche.

-Désolé pour le retard. J’ai vu ça et je me suis dit que ça te plairait alors bah, je te l’ai pris. Tiens.

C’est un petit bracelet fantaisie de (fausse) perles bleues, dont il a arraché l’étiquette à la dernière minute en se rendant compte qu’il y avait toujours le prix dessus. Il espère qu’elle va apprécier. Il l’aime bien, Nova-Blue. Ils ont la même couleur préférée et ils cherchent la même chose dans leur vie. Alors, tant pis pour les retards et les difficultés.

...Non ?

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