(G.I.) Between two worlds

between two worlds

⋆ Daddy’s left and Mama won’t come home You poor thing Sweet, mourning lamb There’s nothing you can do It’s already been done

Les arbres semblent se foutre de ma gueule sur le chemin. La Nouvelle-Orléans semble s’enfoncer dans du goudron à chacun de mes pas depuis que j’ai atterri ce matin. Quelques jours de disponibilité pour retourner dans ce putain d’endroit, là où les roses se coupaient à défaut que les têtes ne tombent. Je n’avais ni rose à offrir ni d’excuses à donner, mis à part des chrysanthèmes laids que je préparais secrètement. Le SMS avait fait trembler mon téléphone quelques jours avant. Sur le cadran, une photo de profil et un nom bien connu.
Rhysand. Le jeune homme avait toujours été ce que je considère comme un bon gars. Il avait cette faculté à être détaché de tout, à circuler entre les groupes avec une lassitude qui inspirait une aura décontractée que j’enviais. Nous avions tenté plusieurs fois de marquer des essais, fini dans des feintes, poussés dans des mêlées infinies avec des casques pour camoufler nos bleus et les balles trop dures pour nos propres crânes. Nous étions loin d’être des points forts pour l’équipe, mais nous avons essayé ; que ce soit à travers des entraînements seul à seul pour les placages, des joggings peu fructueux où je crachais mes poumons remplis de nicotine au bout de dix minutes. Pourtant, nous n’avions pas eu envie de s’avouer vaincus, et c’est après de multiples fractures et séjours à l’infirmerie qu’on m’avait fait comprendre que cet engagement dans l’équipe n’avait pas eu l’effet escompté.
Au lieu d’être un joueur respecté, à défaut d’être un point marquant dans l’équipe, j’étais en effet reconnu et identifié comme étant un élément médiocre, voire franchement mauvais. Ce jour-là, l’humiliation avait suffisamment duré, et nous nous retrouvions avec Rhysand aux soirs de match pour aller boire des pintes.

J’avais une descente plus honorable, moins humiliante, et mon foie était plus entraîné que mes capacités pulmonaires.

Rhysand m’avait invité dans une adresse déjà enregistrée il y a un an sur mon téléphone. Faisant le tour de mes fréquentations, je me souvenais de ma désagréable et étrange expérience à la Nouvelle-Orléans. Rougissant, j’imaginais qu’il ne m’invitait pas aux hôtels que j’avais fréquenté, à tenter de rendre un été plus froid et moins chaleureux. J’avais soigneusement oublié cette adresse, qui résonnait comme un souvenir désagréable. Là où je n’avais pas oublié nos humiliations sportives, je préférais gommer mes colères chasseresses.
Les palmiers se foutent de ma gueule sur le chemin, parce qu’ils savent, eux, ce qui compose cette ville, et qui la gouverne.

Mes jambes refusent d’avancer pendant quelques minutes. Le portail creuse le sol sous mes pieds et me ramène à une peur primale. Ils contrôlaient des éléments étranges, je risquais de croiser des fantômes, des connaissances à effacer, des sursauts affectifs à oublier. Je serre les dents et envoie un SMS à Rhysand.
C’était une erreur. Il devait forcément vouloir dire qu’on avait rendez-vous dans un café du même nom, le style d’endroit cool et branché que Rhysand connaît. Il n’a aucune raison d’être ici. C’est impossible. Relisant le message, j’imagine que mon cerveau me joue des tours. J’ai mal lu, puisque tous les chemins me menaient inlassablement ici, là où tout devait commencer et finir, là où se trouvait l’odeur de mort et l’odeur de regrets, les envies de chrysanthèmes et les roses mal découpées.

Aucune erreur et beaucoup d’assurance, je finis là par reconnaître mon ancien camarade. Rhysand ne se trompait pas là-dessus. Je déglutis quand le portail s’ouvre et mes jambes refusent toujours de s’actionner.

C’est une putain de blague. Le premier SMS part. Le point est pesant, et semble exprimer toute ma colère et mon incompréhension. De tous les lieux de la Nouvelle Orléans, Rhysand m’amène ici. Je n’ai rien à foutre ici, et mes jambes hurlent de faire le chemin inverse.
Puis, plus rien n’a vraiment de sens.
Je pourrai y trouver une fête amicale pour mon anniversaire qui a lieu il y a des mois que je ne serai pas étonné. Je pourrai y trouver Nova-Blue reine du Sanctuaire que je ne serai pas étonné. Je pourrai également y voir Faolan qui me demande en mariage, que je ne serai pas étonné. Je pourrai y voir tous les Riverwood installés confortablement sur des sièges, attendant que je les abatte, que je ne serai pas étonné. Je pourrai aussi les voir armés jusqu’aux dents, dans la profonde envie de me tuer, que je hocherai la tête en toute logique.
Rien n’avait de sens. Les monstres existaient entre ces tours, derrière leurs tenues de gardiens, et si le tonnerre s’était déchaîné en décharge électrique dans mon corps dans mon ancien appartement, j’ai maintenant la certitude que ce n’est pas un soucis d’installation électrique. Les Riverwood ont des canines de loups et des griffes de lézards. Ils ont des ailes de chauve-souris et des airs de monstres. Ils ont arrêtés de se cacher sous mon lit et j’ai conscience qu’ils ont du sang sur leurs pattes reptiliennes. Ils contrôlent une partie des USA et la justice ne fera pas son travail.

Alors, si Rhysand me dit de venir ici, c’est qu’il y a une bonne raison. J’attendrais ma fin, parce que j’en ai plus rien à foutre de rentrer en un seul morceau. Nova-Blue ira trouver mon corps pour l’enterrer quelque part dans son appartement, pour en faire un festin avec ses amies reptiles et gorgones. J’en ai plus rien à foutre, et j’ignore même si elle irait jusqu’à pleurer des larmes de crocodile quand elle verra la session nécrologie dans le journal.
J’ignore si les personnes à sang froid peuvent aimer, pleurer, admirer, craindre, toucher, avoir leur coeur battre plus fort que l’univers et croire aux toujours quand j’ai envie de hocher la tête et de croire à l’Eternel.

Rhysand est au bord de la piscine, et aujourd’hui, j’ai qu’un sécateur dans mon sac. J’étais prêt à devenir un corps criblé de joyaux, emporté par le vent, devenu paratonnerre, lapidé de toute part ou détruit psychologiquement, cramé jusqu’à l’os, empoisonné jusqu’aux tendons.

« Alors Rhysand ? » je dis en arrivant vers la piscine, triomphant comme si ce Sanctuaire était chez moi.

L’avantage d’en avoir rien à faire, c’est que la peur nous quitte. J’attends qu’un siphon se crée et m’absorbe tout entier.

« Bah alors, t’as pas changé, dis moi ! » je déclare, me marrant un peu.

La scène n’a aucun putain de sens, pendant que je suis sous ce putain de parasol à constater que Rhysand a définitivement, toujours, encore, inlassablement, la même gueule de vingtenaire, pendant que les rides d’expression et le poids des cernes commencent à creuser sur mes tâches de rousseur.

« ... » Je marque une pause.

C’est vrai, ça. Que Rhysand n’avait pas changé.

« … T’as. T’as pas changé. »

Que Rhysand avait encore les épaules de son rôle de sous-quatterback, qu’il n’avait pas pris les coups sur nos casques et qu’il a encore la gueule d’ange des jeunes jours.

« T’as pas changé. T’as vraiment pas putain de changé. C’est une putain de blague. C’est un prank, en fait, une caméra cachée, une putain de blague, hein ? Hein Rhysand que c’est une putain de blague ? Ca ? C’est le vrai Sanctuaire ou c’est une blague bizarre encore ? Je fous quoi ici, je vais repartir, je sais pas, la piscine, elle est réelle ? Je peux me baigner dedans, peut-être ? »

Je tremble un peu, parce que c’est le Sanctuaire et qu’on s’est vus deux minutes et que j’ai déjà envie de tout envoyer balader, de tout cramer, de tirer avec mes pistolets invisibles dans les parasols pour voir si il allait en sortir des corps meurtris ou des sages trous de plastique. Agenouillé autour de la piscine, je plonge ma main dans l’eau. Elle est froide. Nous sommes au mois de mars.

Et toute la végétation du Sanctuaire semble se foutre de ma gueule.  

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Quand Rhysand rit, c’est douloureux.
A fermer les yeux sur la situation, il avait pourtant raison. Le soleil était haut dans le soleil, ce qui était très surprenant pour un mois de mars. La température n’était pas parfaite, mais sûrement que les Riverwood avaient de quoi chauffer une piscine. Lui, il barbotait, calmement, dans sa putain de piscine, avec son humour si adapté. Il soulignait avec beaucoup de cruauté que nous n’étions pas dans la même situation. En un fragment de seconde, mes yeux finissent par se réveiller et s’étonner.

« Mais qu’est-ce que tu fous là, en fait ? »

Ma voix est faible, tandis que j’essaie de canaliser ma colère et ma tension. Bien sûr, Rhys, que je le connais, cet endroit. D’ailleurs, il y a le jardin, par là-bas. Les plantes sont un peu sympas, un peu rares à certains coins, et par la même occasion, j’appuie qu’il manque d’entretien. Mes mains dans les poches, je m’érige en tant que figure du manque d’humour, de la mauvaise humeur et du sérieux. Mon cas était sérieux. Rhysand voulait qu’on parle, et le voici en maillot de bain dans sa bouée canard. Le tout ressemble à un mauvais sketch, et ses rires ont l’effet de balles dans le coeur.
L’endroit est dangereux pour moi. Si ces tocards s’attaquaient aux infirmières, ils pourraient s’attaquer à ceux qui agissent, à ceux comme moi, aux Chass-
Une vague m’attaque.

« Mais RhysAND BORDEL. » je m’étrangle

A ce stade là, l’eau est venue bouffer mon futal et mes pompes, et je fulmine intérieurement. S’il voulait absolument que je vienne dans sa putain de piscine pour que les affaires deviennent sérieuses, Rhysand gagnerait. Il continue, en bon petit dauphin, de s’amuser et de tourner autour du pot. Le soleil, lui, me tape sur le front et n’aide pas à ma bonhommie.
Et puis merde, foutu pour foutu. Fronçant les sourcils, je finis par me décider à retirer mes chaussures. J’allais aller lui crever sa bouée, et on allait parler en vrais termes. Si les Riverwood arrivaient, Rhysand aura intérêt à être mon garde du corps. A pieds nus, je pourrai commencer à fuir à toutes jambes si tout ça n’était qu’un piège. On ne faisait pas confiance aux monstres. Si le jeune homme avait été mon ami, de l’eau avait coulé sous les ponts et je plissais les yeux pour mieux apercevoir s’il était sincère ou si c’était un bref et franc foutage de gueule. Doucement, je me mets à genoux près de la piscine, ne perdant pas des yeux Rhys. Il pourrait fuir et alerter la maison. Je suis en position vulnérable. Il le sait. Je le sais. Nous savons. Je dois me protéger. Je trempe ma nuque, parce que c’est ce qu’on doit faire pour éviter l’hypothermie paraît-il. Habillé, je plonge dans la piscine, et remarque qu’ils pèsent une tonne. C’est atrocement désagréable, et j’éviterai de grimacer pour ne pas amplifier les railleries de l’autre.
Il rigolait déjà assez.

« C’est bon t’es content ? »

M’approchant calmement de lui l’air de rien, j’ai pied à certains endroits et préfère rester ici. Je n’ai pas à porter mes habits et c’est confortable.

« Je tiens à ma pudeur, désolé de te décevoir. »

J’aimerai rire, mais l’atmosphère est tendue. Seul Rhys semble rire, et je refuse de plonger tête baissée dans ton jeu. Le Sanctuaire Riverwood était un terrain miné, et plus vite nous parlerons, plus vite je pourrai me barrer d’ici.

« Bon, tu parles ou tu m’as juste invité pour faire trempette chez une famille au pif ? C’est pas mes potes, les Riverwood, vraiment pas, Rhys et franchement, c’est putain d’irrespectueux de me faire venir ici, tu sais ? »

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Mes vêtements pèsent atrocement lourd dans cette piscine. Si quelques minutes passent, ils pourraient aspirer l’intégralité de mon corps, noyer ma bouche en premier, puis mes voies respiratoires toutes entières en attrapant mon nez. Prônant la pudeur, mes mains sont solidement accrochées au bord de la piscine. Tenter d’aller nager comme Rhysand, c’était dangereux, c’était jouer à son jeu étrange. Bah, je nage. Super, nous sommes deux désormais. A la différence qu’il savait dans quoi il nageait, et qu’il pourrait avoir du poison dans les eaux de la piscine Riverwood. Ce serait une substance spécifique aux humains, bien qu’il n’en existe aucune biologiquement. Ils auront inventé des choses terribles, avec leurs pouvoirs de surnaturels décadents, et j’en serai la première victime. Quand on est près du bord, c’est plus simple de se barrer. Les jointures de mes doigts virent au blanc, et Rhysand ne quitte pas mes yeux. Il était capable de tout. Il n’avait pas vieilli. Il n’avait pas gagné les rides d’expressions habituelles, ni même les cernes qui finissent par venir creuser le visage. Il pouvait connaître des crèmes hydratantes efficaces, si miraculeuses qu’on en faisait pas la publicité pour laisser une chance aux autres crèmes.

L’eau brille à sa surface et m’éblouit. Le son de la pompe est sourd et pénètre mon crâne. Il est régulier. Au loin, j’entends le filtre et ses bruits de gloup gloup. Au mois de mars, les oiseaux reviennent, et le rayon de soleil frappe mon visage. Irradié de chaleur, mes yeux se ferment et je respire profondément.
C’est emmerdant de l’avouer, mais elle est belle, cette piscine. On s’y sentirait presque bien. Mes vêtements ne semblent plus être un réel soucis. La sensation trempée du tissu sur ma peau m’apaise. D’ailleurs, mon menton s’enfonce calmement dans l’eau et mon regard balaie une dernière fois les alentours. Nous sommes en plein milieu de l’après-midi, et certainement que la famille est trop occupée à tenter de sauver le monde à leur drôle de manière.
Je finis presque à me marrer quand il me parle des vestiaires de la fac. D’ordinaire, la remarque m’aurait angoissé. Détachant mes mains du bord, ma chemise flotte calmement dans l’eau et les zébrures à la surface lui dessinent de jolis motifs. Le soleil m’éclate toujours la rétine, mais j’aperçois le carrelage au fond de la piscine. Il y a des dessins en mosaïque. Je commençais à tenter de les identifier quand Rhysand reprend la parole. Je suis content que tu sois venu. Levant la tête, je regarde mon ancien ami. Un sourire bizarre, heureux et terriblement gêné se dessine sur mon visage. Nous avions perdu contact pendant tant de temps. Désormais, tout semble être un gigantesque gâchis. La présence de Rhysand est apaisante, et il avait été de ceux qui m’avaient toujours inspiré le calme et la béatitude. J’entrouvre la bouche et prend mon inspiration pour répondre, puis la referme. Je me contente de sourire, plus sincèrement cette fois. A posteriori, c’était agréable de revoir Rhysand. Je ne ferai pas l’affront de le nier.

« Laquelle ? »

Intérieurement, je fis l’inventaire de la famille Riverwood. J’avais fini par tous les connaître, de près ou de loin, à part les mères. Pour la plus jeune, nous ne pouvions pas réellement nous estimer amis. Même constat avec la grande sœur. Avec l’aîné, nous ne nous portions pas réellement dans le coeur de l’un l’autre. Restait Faolan et Zephyr. Le dernier était le plus incompréhensible. Je ne pouvais pas dire d’où je le connaissais, pas réellement. Je nous inventerai un club de golf, une connerie plus dicible. Il était une recrue étrange et bizarre des Chasseurs, et sous sérum, le dragon semblait noircir cette image de famille parfaite.
D’aucuns diraient que c’était une honte. A mes yeux, c’était une évidence. Zephyr était le symbole le plus tangible de leurs vices cachés. Si Zephyr pouvait être chez les Chasseurs, qui sait ce que cachait les autres, et quels buts alternatifs ils pouvaient servir. Je tourne les yeux vers le jardin et l’image de Faolan me revient en tête.

…

Je la chasse. Vaut mieux.

« Y a un soucis ? »

Bien entendu, qu’il y en a un. Serena, kidnappée. Rhea, attaquée. Azur, détesté. Faolan, … .
Faolan.
Zephyr, présent, connu.
Zephyr, Chasseur.

« Je sais qu’on s’aime pas trop, mais j’ai mes raisons. » Un sourire plus amer se dessine. « Tu me connais, Rhys, non ? J’ai pas d’ennemis sans raison, moi. »

J’ignore toutes les apostrophes dans la rue. La violence gratuite est une raison valable à mes yeux. Quand tout est raison valable, tout est justifié, justifiable et entendable.