lights fill the streets spreading so much cheer ☀ sol & rogus II

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Word on the street santa's coming tonight, reindeer's flying in the sky so high. I should be making a list, I know, but I’mma be under the mistletoe. ~ Sol & Rogus

Les rues de Seattle se drapaient avec volupté d’un manteau blanc et floconneux. Comme de millions de petits anges, les flocons saupoudraient la ville, faisant disparaître de leur fractales la pollution morne et gris sombre, l’asphalte et sa tristesse latente, le bitume et son amertume. Les passants, de plus en plus pressés d’aller retrouver l’intérieur de leurs appartements feutrés, marchaient tête basse, cols relevés, à mesure que leurs pas rapides produisaient des sons d’écrasement.
La ville revêtait un autre visage, plus calme et plus bruyant aussi, tandis que des cris d’allégresse sortaient de toutes les bouches d’enfant. La neige.
Un envol, un émoi sublime, la consécration d’un hiver qui jusque là n’apportait que le maussade de ses journées courtes et sa triste bruine matinale. Un tapis en hermine moelleuse déroulé sous les pas de tous pour leur rappeler, doucement, que le givre sur leurs voitures pouvait refléter la lumière. Les signes, par milliers, que l’hiver portait sa dose de féérie et qu’il n’avait rien à envier, ni aux fleurs sauvages du printemps, ni aux feuilles roussies de l’automne.
Il neigeait.

Il neigeait quand Solal ressortit, souriante, de l’appartement de sa sœur. Elle aurait volontiers proposé à Isis de marcher un moment avec elle, mais elle savait que la jeune femme avait souvent bien trop à faire pou lui accorder ce temps-là. Alors, tant pis. Sol profiterait des flocons blonds qui se posaient sur son nez blanc, s’accumulaient dans ses cheveux jusqu’à lui faire une couronne.
Elle qui était reine de l’été, impératrice des blés trop murs et des fous rires sous le soleil, elle qui portait en son nom même la clarté de journées plus longues, était toujours émerveillée devant la candeur intangible qu’apportait la neige à décembre.
L’attente avait été si longue avant de voir la neige pour la première fois ; enfant, le climat de la Drôme ne lui apportait que froid sec et nuages accrochés aux dentelles rocheuses. Et puis, il avait fallu d’autres vies, il lui avait fallu Paris, Berlin et les Etats-Unis pour que la tourbe l’accompagne, ronflante et tourbillonnante comme de minuscules tornades blanches emplissant sa vie de promesses.

La neige s’était craquelée sous ses pas, alors même qu’Etienne se mourait.
La neige avait recouvert la tombe de Felix et fané les fleurs provisoires.
La neige s’était immiscée jusqu’à ses tympans, fermant son audition elle-même comme celle de l’homme qu’elle adorait.
La neige avait été fléau, mais Sol n’avait pas écouté. C’était une leçon qu’elle n’apprendrait pas, ne voulait pas apprendre. Car pour celle qui avait grandi par à-coups un peu trop sévères, la neige était une occasion de retourner à son enfance.

Aussi s’accroupit-elle, la blonde, faisant tomber quelques flocons de son long manteau couleur prune, pour façonner entre ses gants la plus jolie des boules de neige. Bien formée, parfaitement sphérique, le projectile entre ses doigts semblait construit pour la bataille.
Hélas, Sol ne pouvait mener bataille tant elle manquait trop d’opposants.
Aussi entreprit-elle de viser l’un des panneaux publicitaires défraîchis, que même la lourde toison blanche ne parvenait à rendre beau. Un œil fermé, l’autre en alerte, elle adopta une position de lanceuse de poids, propulsant la belle boule de neige comme un petit boulet de canon. Elle décrivit un vol plané avant d’attendre sa cible, exacte.
Sol eut un sourire triomphal.
Sourire qui se fana bien vite lorsque sa munition, loin de se répandre en poudreuse comme elle aurait pu l’espérer, rebondit sur la tôle mal dégrossie pour venir heurter le haut du crâne d’un des passants qui trottinait.
« Oh mon Dieu ! »
Horrifiée, Solal porta ses deux mains à sa bouche en marchant jusqu’à l’inconnu. De constitution plutôt malingre, il n’avait pas l’air outré, ce qui n’empêcha pas le djinn de se confondre en excuses.
« Je suis désolée, je ne voulais pas … je visais le panneau, là-haut, et vous êtes passé en-dessous, je … excusez-moi. »

Piteuse, elle riva ses prunelles sur la couche incolore de gel qui jouxtait ses chaussures trempées. Quelle excellente entrée en matière, Sol. Et puis, dans un sourire contrit, elle releva les yeux vers le jeune homme -presque l’adolescent encore- pour espérer qu’ils fassent la paix.

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Ailleuh.
La réaction de l’adolescent était tout ce qu’il y a de plus normal, lorsque l’on vient de recevoir un projectile de neige tassée à l’arrière du crâne. Sol mordilla nerveusement ses lèvres gercées par l’hiver. Il lui arrivait nettement trop souvent à son goût d’avoir des conséquences imprévues sur le monde qui l’environnait ; lorsque celles-ci finissaient par blesser les autres, l’immortelle se sentait remplie d’une immense culpabilité qui ne s’évaporait vraiment que bien des heures après la bourde.
Pour autant, cette fois-ci, c’était différent. Car à l’instant où le jeune homme fit volte-face et que Sol put apercevoir la lueur de jeu dans ses prunelles, les autres émotions se mouchèrent.

Elle le connaissait.

Ce petit visage poupin, malgré quelques années passées. Ces cheveux désordonnés, semblables à un pétard explosé en plein vol. La dernière fois qu’elle avait aperçu cette apparence, cette vie fragile, il était allongé dans un lit, pâle, amaigri, incapable de se réveiller.
Une émotion indescriptible s’empara de Sol Delacroix.
Elle ne se souvenait plus du nom de son interlocuteur, ni même du contexte précis qui les avait liés tous deux. Néanmoins, sa conscience tremblante avait gardé la marque vive du passage de l’adolescent. Elle revoyait sa blouse blanche trop grande, et une déflagration agitant son lit d’hôpital. Il n’était alors qu’un enfant.
Même ce geste de se taper le haut du crâne pour démontrer sa solidité, Sol le prit comme un nouvel indice de l’identité du jeune homme. Troublée, elle laissa un sourire grignoter ses joues tandis que l’autre s’approchait.

Est-ce qu’on s’est déjà croisés ?
La question, presque enfantine, en devenait parfaitement touchante. Comme si la neige tourbillonnante venait déboulonner ses craintes, Sol sentit fondre un peu de givre qui avait emmuré son cœur. Oui, ils s’étaient déjà croisés, et ils étaient tous les deux vivants, bien prêts à respirer l’air froid de leurs hivers Seattliens. Oui, ils s’étaient déjà croisés, et l’embranchement était étroits, la djinn n’était pas bien certaine qu’il ait pu reprendre la route. Oui, ils s’étaient déjà croisés, déjà connus du bout de l’âme, sans réellement pouvoir comprendre et l’un et l’autre qui ils étaient.
« Je crois bien que oui. » confessa-t-elle du bout des lèvres, souffle perdu dans son sourire.
D’un pas, elle s’approcha de lui pour le regarder ; il faisait presque sa taille, désormais, semblait s’être adapté au monde qu’il avait trouvé en se réveillant. Quelque part, la djinn se réjouit qu’une personne aussi jeune que lui n’ait pas eu à connaître la guerre telle qu’elle les avait tous frappés.
« Tu as été hospitalisé, n’est-ce pas ? » reprit-elle. « Quand tu étais petit. L’accident de bus, le petit garçon qui s’en était tiré, c’était toi ? »
Il subsistait un certain doute ; on parlait d’un enfant blessé qu’elle n’avait vu qu’une fois ou deux, guère plus. Pourtant, Sol en était certaine, elle avait connu ce gamin.
« J’étais ton infirmière. »

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Vous étiez dans mes rêves.
Sol eut un sourire timide. Oui, elle avait marché dans les songes de ce tout petit être alors qu’il n’était qu’un enfant. Un voyage que seuls les djinns peuvent entreprendre, et qu’elle avait elle-même maintes fois tâché d’éviter. Mais face à de trop grandes souffrances, son empathie toute naturelle ne pouvait tolérer les cris ; lorsqu’elle se glissait dans les esprits, c’était pour instiller la paix. Comme elle l’avait fait pour Chiara, alors qu’elle avait des cauchemars ou qu’elle stressait en veille de contrôle. Comme elle l’avait fait pour tant d’autres, durant la guerre, pour les laisser partir souriants. Comme elle l’avait fait pour lui.
Les remerciements lui allèrent droit au cœur, elle qui n’en attendait pas tant.
C’était là la plus belle manière de donner. Sans espoir. Sans témoin. Sans récompense. Aussi, quand la gratitude se manifestait à elle, la djinn ne pouvait s’empêcher de se sentir gênée, elle croisa d’ailleurs maladroitement ses bras sveltes sur sa poitrine.
« Oh, tu sais … »
Et puis, l’adolescent s’enlisa dans une longue panique rougissant dont elle ne parvint à déceler que des excuses. Sol éclata d’un rire léger, le genre qui aurait fait fondre la neige s’il avait duré plus longtemps.

« Mais enfin, il n’y a pas de problème ! »
Elle avait toujours trouvé ça comique de regarder les enfants tenter de s’adresser aux adultes comme s’ils leur devaient le respect. Avec l’âge, Sol avait bien vu que les adultes étaient souvent les plus paumés du lot ; ils faisaient juste mieux semblant. Elle-même, du haut de ses deux siècles, avait plutôt l’impression que ses certitudes s’envolaient comme de la poussière à mesure que le temps passait.
De nouveau, la djinn fit un pas vers lui et souffla sur le ton de la confidence.
« Tu veux savoir un secret, Rogus ? » Son regard pétillait de malice, les joues rosies par le froid. « En fait, je ne suis pas jeune du tout. J’ai plus de deux cent ans. »
Devant l’air déconfit du jeune homme, elle éclata de rire à nouveau, faisant vaciller les lumières des réverbères comme s’il s’était agi de lucioles. Elle ne criait pas sur tous les toits sa nature de djinn, mais ça lui paraissait alors le meilleur moyen de détendre cette atmosphère de gêne qui voulait férocement s’installer.
Puis, reprenant un volume de voix plus classique, elle se redressa et tendit sa main droite à Rogus.
« Je m’appelle Solal, Solal Delacroix ! Mais tout le monde m’appelle Sol. Je suis une djinn. » Un clin d’œil facétieux. « Cela dit, je crois que tu n’es pas très humain toi-même, non ? Je me rappelle d’une déflagration qui m’avait clouée au mur alors que j’essayais de te faire une prise de sang ?! »

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La main de Rogus dans la sienne produisit quelque chose d’étrange, comme la collision de deux liens qui venaient enfin s’emmêler après des années de distance à travers l’univers glacial. Sorcier de sang, qu’il lui disait, et l’immortelle hocha la tête. Elle n’avait déjà pas eu beaucoup de doutes à l’époque, mais les dires du jeune homme en face d’elle confirmaient définitivement son hypothèse. Ses pensées dérivèrent vers Morgan, vers Gabriel, qui seraient à n’en pas douter capables d’épauler Rogus dans sa quête de contrôle et de maîtrise pour mieux guider ses émotions.
Elle, elle n’était pas douée pour ça. Solal n’était pas une sorcière ; c’était à peine si sa magie lui importait au quotidien. Elle préférait s’imaginer comme une humaine, une humaine qui aidait les autres parce que c’était sa volonté et non pour répondre à une volonté cosmique inscrite dans les gênes evanescents qu’elle possédait depuis deux siècles.
Émue, Sol laissa le garçon l’appeler madame avec un sourire attendri. Il avait quelque chose désarmant, de profondément sincère, dans ses interactions avec elle ; rien que pour cela, elle était heureuse de le rencontrer à nouveau et de faire d’un après-midi si vide l’occasion de le découvrir.
« Tu peux m’appeler Sol, Rogus. »

Il aborda l’idée d’un parc et, sous les flocons encore drus, le regard de la djinn solaire s’illumina de malice.
« Je suis touchée que tu te sentes bien avec moi, mais je crois que tu as malgré tout une revanche à prendre. »
Manquant de pouffer de rire devant l’air confus de Rogus, elle désigne du bout des doigts le panneau qu’elle avait visé avec sa boule de neige plus tôt, faisant atterrir des glaçons dans la tignasse en bataille. Une bataille de boule de neiges, voilà ce qu’elle proposait. Il y avait trop longtemps qu’Isis et Isida avaient arrêté de la suivre lorsqu’elle se roulait dans la poudreuse et bâtissait des murs de fortune pour se protéger des assaillants. Désormais, elle se contentait de regarder les enfants rires lorsqu’ils formaient leurs munitions.
Peut-être que, pour aujourd’hui, elle serait une enfant elle-même.
« Ne pense pas que, parce que tu es plus jeune, je vais être clémente avec toi. » déclara-t-elle sur un ton solennel que seul trahissait son visage joueur, près à réagir dans la seconde. « Et interdiction de me faire exploser quoi que ce soit dessus, entendu ? »
Dans un dernier regard complice, elle glissa ses doigts entre ceux de l’adolescent et partit en trottinant vers le parc qu’il indiquait. Là, le gazon s’était recouvert d’une épaisse couche de neige brillante, à peine entamée par les pas de leurs prédécesseurs.
Riant aux éclats, Sol s’accroupit pour former sa première boule de neige, qu’elle lança sur Rogus. Intentionnellement, cette fois.

Ils passèrent tout l’après-midi à se rendre des flocons dans le nez jusqu’à rentrer, chacun chez eux, détrempés par la neige fondue et se jurant de recommencer. Dans le téléphone de la blonde il y avait désormais ce nom qu’elle se promit de contacter à chaque fois qu’elle y penserait.
Celui de cet enfant tout seul, survivant d’une classe de primaire, qui l’avait appelée madame.