You’re always with me, like a handprint on my heart ✧ Stella

Il n’y avait rien qu’elle puisse faire contre le temps qui passe. Quelques soient ses efforts, les années défilaient inlassablement, lui laissant un goût amer dans la bouche et la sensation de perdre petit à petit du terrain sur la vie. C’était étrange pour une djinn de s’inquiéter du temps. Car il s’offrait à elle pour l’éternité, au fil de ses réincarnations puis dans ce corps qu’elle avait fait sien en ôtant la vie de Vassilya. La plupart des êtres de son espèce ne s’en préoccupaient pas et dans ses souvenirs, il n’était pas aussi central à sa vie, quand elle était plus jeune. Si ses propres années étaient infinies, elle savait pourtant que celles de certains de ses proches ne l’étaient pas. Et si l’idée pouvait être acceptable dans certains cas, elle était intolérable quand elle pensait à Ophelia. Hier encore, elle tenait un petit nourrisson dans ses bras. Un être innocent et incapable de se protéger du monde qui l’entoure. Hier encore, il n’y avait qu’elle dans les grands yeux de sa fille. Et aujourd’hui, elle était à l’autre bout du pays, bien loin de s’inquiéter des pensées maussades de sa mère.

Ophelia était une bonne fille. Stella n’aurait jamais osé se plaindre. Elles avaient ce lien dont parlent les livres et les publicités pour des pâtes à tartiner. Malgré les épreuves, elles pouvaient tout se raconter, tout partager et Stella savait bien que sa fille n’aurait jamais rien fait pour la blesser. Elle aurait voulu la garder à ses côtés pour toujours, car il n’y avait que quand elle était là qu’elle ne se faisait pas de souci. Elle était capable de l’aider à tout surmonter. Mais quand Ophelia partait, il n’y avait plus personne pour la protéger et elle aurait pu en mourir d’angoisse. Pourtant, elle le savait, il fallait la laisser explorer le monde. Elle avait trop lutté au cours de sa vie pour la liberté des femmes pour restreindre celle de sa fille. Mais elle avait également trop côtoyé les hommes pour ne pas s’en inquiéter.

Depuis un an, son bébé qui n’en était plus un allait tous les jours à Seattle pour suivre ses cours. Elle rentrait toujours, c’était ce qu’elles avaient négocié. Mais parfois, il y avait des soirées. Elle rentrait toujours, mais qu’importe l’heure, Stella ne fermait jamais l’oeil avant de l’entendre poser sa tête sur l’oreiller. Son téléphone toujours à quelques centimètres d’elle, elle se tenait en permanence prête à sauter dans un portail pour aller la récupérer à l’autre bout du pays, si quelque chose tournait mal. Ce n’était pas qu’elle n’avait pas confiance en elle. C’était qu’elle n’avait pas confiance dans le reste du monde.

C’était une de ces soirées-là. Stella tentait de s’occuper comme elle le pouvait, reprisant un vieux jean un peu trop usé, mais dont elle était sûre de pouvoir faire des merveilles. Il était encore tôt, elle n’était pas prête de dormir et même si les yeux commençaient à lui piquer, elle n’était même pas tentée de s’allonger dans son lit. Quand elle entendit la porte s’ouvrir, elle tendit l’oreille de surprise. Il était trop tôt pour Ophelia, mais personne d’autre n’avait la clef. Rapidement elle reconnut le bruit des chaussures que l’on retire et les petits pas sur le parquet du couloir. Avant même de s’en rendre compte, elle tenait sa fille dans ses bras, plongeait le nez dans ses cheveux pour la sentir près d’elle. Et son sang ne fit qu’un tour.

« ¿Qué pasa, querida? » Elle demanda, alors que mille scénarios tournaient déjà dans son esprit. Elle n’avait pas de raison de s’excuser, à priori. Un bras toujours enroulé autour des épaules de sa fille, elle se recula légèrement, posa une main sur sa joue, scrutant l’intégralité de son visage d’un regard inquiet. « ¿Por qué has vuelto tan pronto? ¿Ha pasado algo? ¿Te encuentras bien? »

Spoiler:

Sa fille pleure dans ses bras et Stella pourrait brûler la terre entière de la rage qui la consume instantanément. Il n’y avait rien qu’on puisse lui faire de pire que de s’en prendre à son enfant et de la mettre dans cette état de tristesse. Les mots confus et perdus sortent de la bouche d’Ophelia et Stella est transpercée d’une colère qu’elle serait bien incapable de décrire. Elle tente de rester de marbre, elle sait que sa fille ne veut pas de l’un de ses coups d’éclat, mais son visage se tord et ses sourcils se froncent. Encore un homme. Si elle pouvait appuyer sur un bouton pour les faire tous disparaitre d’un coup, elle n’hésiterait pas plus d’une fraction de seconde. Ils n’avaient jamais eu sa confiance et elle savait comme ils étaient mauvais, au fond. Elle était constamment terrorisée que l’un d’entre eux s’en prenne à sa fille et elle avait du mal à croire que ce jour était finalement arrivé. Elle n’avait pas réussit à la protéger du monde, comme elle s’était promis de le faire. Ophelia s’excuse et Stella bouillonne encore plus contre cette société qui pousse les femmes à croire qu’elles sont responsables des horreurs dont sont capables les hommes. Si elle le retrouvait, elle le tuerait sur le champ, c’était tout ce qu’il méritait.

Ophelia replonge dans ses bras et la djinn la serre un peu plus fort, déposant un baiser sur le haut de son crâne, à cet endroit précis où ses cheveux poussent un peu moins à force d’être couverts de son amour. « No es culpa tuya, cariña. Los hombres son todos unos cerdos. » Elle la rassure en tentant de contrôler sa voix, même si elle entend elle-même son intonation trop aigue, trop étranglée. D’une main, elle caresse les cheveux si doux d’Ophelia, se rappelant les longues heures qu’elle a passé à les coiffer, durant son enfance. « No puedes confiar en ellos, nunca. ¿Lo entiendes, Ophelia? » Après quelques instants de plus passé contre elle, elle desserre son étreinte, la guide vers la cuisine et la fait asseoir sur une chaise. Elle lui sert un verre d’eau, sentant que la haine prend la place laissée béante entre ses bras. Elle ferme un placard un peu trop violemment, se retourne vers elle en fulminant. « Me está volviendo loco Ophelia, lo siento, estoy tratando de mantener la calma. ¿Sabes quién es? Si lo encuentro, juro por Dios... » Elle se tait, s’assit à côté de sa fille. « Es culpa mía, no estaba allí para protegerte. » Elle souffle entre ses dents. C’était sa mission à elle, d’éviter qu’on s’en prenne à sa fille. Cette fois-ci, elle s’en était tirée. Mais qu’est ce que ça serait la prochaine fois. La vie était trop aléatoire. Elle avait déjà perdu Orion, elle devait être plus vigilante. Elle ne pouvait pas perdre Ophelia.

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Vassilya. Le prénom la fait vaciller mais elle tente de garder un visage impassible. Ophelia tient la main d’une toute nouvelle invocation, sous la forme d’une grande armure et prononce ce nom que Stella ne pensait jamais l’entendre dire. Elle avait passé des années à dissimuler le souvenir de Vassilya, attentive aux signes qui auraient pu lui laisser croire que la traîtresse avait encore une emprise sur l’esprit de sa fille. Mais Ophelia était jeune quand Stella avait mélangé leurs deux souvenirs et la djinn était confiante. Elle pouvait s’en sortir si elle ne baissait jamais la garde. Et elle avait eu tort. Malgré la puissance des djinns, l’esprit était une chose imprévisible qu’il n’était jamais possible de contrôler complètement.

Pendant quelques instants, le regard de Stella erre sur l’apparition impersonnelle et pourtant si réelle. Elle n’avait pas su protéger sa fille et cette forme déguisée du passé était venu le faire à sa place. Elle ne pouvait pas être plus furieuse, plus inquiète aussi. Pourtant, elle devait garder un air neutre face à Ophelia. Comme à chacune de ses nouvelles invocations, elle voyait la fierté dans le regard de la jeune fille. Elle avait raison, elle n’était pas sans défense, elle ne le serait jamais totalement. Même si c’était douloureux pour Stella de l’admettre, elle n’aurait plus jamais autant besoin d’elle que ça avait pu être le cas par le passé. Elle n’était plus une petite fille sans défense. Elle était devenue presque adulte et avait le pouvoir d’invoquer des créatures comme Vassilya pour l’aider à se défendre. « Oh. » Stella se contente de répondre simplement, se rendant compte que son silence était bien trop prolongé pour ne pas paraitre suspect.

D’un geste un peu plus brusque qu’elle ne l’aurait voulu, elle se lève de sa chaise et ouvre le frigo. « ¿Tienes hambre? » Elle demande sans attendre de réponse pour sortir quelques restes qu’elle assemble de façon distraite pour s’occuper les mains et tenter de masquer son inconfort. Après quelques instants, elle dépose une assiette remplie de quelques légumes et tranches de fromages sur la table. Un peu plus apaisée, elle souffle un coup et croise finalement le regard d’Ophelia. « Disculpa Ophelia, estoy orgulloso de ti por defenderte. Estás haciendo increíbles progresos con tus facultades. » Elle dit en souriant et en croquant dans un bout de fromage dont elle n’a pas vraiment envie. « Sólo desearía que no necesitaras... a Vassilya. Eso es todo. » Elle rajoute avec un signe de tête vers l’armure que, pour une raison qui lui échappe, elle n’arrive pas à regarder réellement. Au fond d’elle, elle sait bien que l’invocation de sa fille n’a rien à voir avec celle qu’elle a connu. Mais Stella croit aux signes et il lui faut se protéger contre celui-ci. Le prénom lui écorche les lèvres, elle ne pensait pas avoir à le reprononcer un jour. « ¿Es su primera aparición?» Elle demande ensuite, attaquant un bout de carotte du bout des doigts.  

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Ophelia est déçue et c’est entièrement de sa faute. Elle le voit dans son regard, dans la manière dont elle porte son bout de carotte à ses lèvres, dans ses gestes et dans le ton de sa voix. Stella la connaît par coeur. Elle est ce qu’elle a de plus précieux, de plus beau. Elle est son monde, son univers et sa raison d’avancer. Elle est ce qui la motive tous les jours, la raison pour laquelle elle continuera toujours à se battre. Elle représente tout et plus encore. Une pression peut-être trop grande par moment. Une place qu’elle a prise dans sa vie, sans penser que parfois, elle pourrait être de trop. Elle n’aurait pas dû se laisser déstabiliser par un simple nom et une peur irréaliste du karma. Elle n’aurait pas dû laisser le doute et le questionnement s’inviter sur le visage angélique de son enfant. Elle voulait être une meilleure mère que ça. Ophelia ne devait jamais penser qu’elle la décevait. Elle ne devait jamais penser qu’elle n’était pas à la hauteur ou qu’elle ne méritait pas le monde entier à ses pieds. Son trésor était précieux et Stella devait tout faire pour le protéger et l’entretenir. C’était ça, être mère.

« Perdóname, amor, es que estoy preocupado por lo que ha pasado ahí fuera. » Elle dit avec un sourire sincère. Elle gardera ses doutes pour plus tard, elle analysera ce que veulent dire les signes. Se penchant dans la direction de sa fille, elle enroule ses bras autour d’elle et dépose un baiser sur son front. « Estoy muy orgullosa de ti y de lo que puedes hacer ahora. » Elle rajoute en se reculant. Vassilya ne gagnera pas. Elle avait perdu des années auparavant, emportant ses complots et ses erreurs dans la tombe. Elle n’était rien pour Ophelia. Rien qu’un nom enfouie dans une mémoire à laquelle elle n’avait pas accès. Stella était sa mère, elle l’avait toujours été et le resterait pour toujours. « Pero tienes razón, Vassilya vino a protegerte y me tranquiliza más saber que ahora estará contigo. » Tant qu’il ne restait qu’une armure impersonnel, la djinn pourrait sûrement s’accommoder d’un prénom trop encombrant. « Es claramente más temible que Fyra o Rose. » Elle plaisante en déposant un nouveau baiser sur le bout du nez de la jeune fille.

Et sur ça elle était sincère. Peu importe la signification derrière ce rappel du passé, savoir que Ophelia était maintenant capable d’appeler une invocation plus à même de la protéger était rassurant. Elle ne s’arrêterait jamais de s’inquiéter. Mais elle pourrait maintenant s’inquiéter en sachant que la jeune fille ne sera jamais réellement seule. « Debes estar agotado, podemos hablar de ello más tarde. ¿Quieres ver algo en la tele para irte a dormir? » Elle demande en se levant, prête à aller se lover dans le canapé sous une couverture bien chaude sous laquelle aucune place ne serait faite pour Vassilya mais simplement pour une mère et sa fille. 

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